• Chapitre 8

    Chapitre 8
     

    — Mon premier diagnostic serait un syndrome coronarien aigu !

    Après avoir dit cela, la cloche signalant que le temps était écoulé retentit. Je remerciai les professeurs et le patient fictif avec un waï avant de sortir de la salle en toute hâte. La partie suivante de mon examen portait sur les "articulations charnières". Je pris place sur une chaise fournie par les examinateurs, en attendant la section suivante, qui serait également la dernière section de l'examen pour moi aujourd'hui, au poste suivant.

    Il s'agissait de l'ECOS, un examen unique que la plupart des étudiants en médecine au niveau clinique connaissaient bien, même si le test faisait frémir de terreur à chaque fois que son nom arrivait à leurs oreilles. L'examen était divisé en plusieurs postes. Chaque poste comprenait des tâches consistant à s'enquérir des antécédents médicaux du patient fictif, à effectuer des examens physiques, à prescrire une procédure, à interpréter des radiographies et divers résultats de laboratoire, dans le temps imparti pour chaque tâche. Lorsque le temps était écoulé, la cloche sonnait pour indiquer qu'il fallait arrêter le test et passer à la tâche suivante.

    Beaucoup d'étudiants en médecine détestaient les examens de type ECOS, mais pour moi, c'était le plus amusant de tous - assurément plus agréable que de répondre à des questions à choix multiples. Il va sans dire que l'examen permettait une évaluation fiable de la capacité des candidats à appliquer des compétences cliniques.

    Une fois l'examen enfin terminé, je me précipitai sur mon sac que j'avais laissé à l'examinateur, retirant ma blouse et la mettant sans cérémonie dans mon sac avant de dévaler les escaliers. Aujourd'hui, j'avais rendez-vous avec Chompoo, une étudiante en pharmacie que j'essayais d'approcher. Elle avait accepté de venir dîner avec moi. Notre rendez-vous était fixé aux portes du bâtiment à 16 heures, mais j'avais déjà une demi-heure de retard à cause de l'examen qui s'était prolongé.

    J'arrivai au premier étage, bondé de monde. Mes longues enjambées me menèrent en toute hâte vers ma destination. Je vis Chompoo, vêtue d'une courte blouse, qui se tenait à la porte. Elle regardait la montre à son poignet avec un regard intense.

    Puis, je vis un homme en uniforme universitaire s'approcher pour lui parler. Je m'arrêtai soudain dans mon élan.

    Ce jeune étudiant était beau, grand et costaud.

    Il semblait avoir grandi, mais son regard de faucon m'était toujours aussi familier, même si plus de quatre ans s'étaient écoulés.

    Tarr ! Qu'est-ce qu'il faisait ici ?

    Chompoo fit un geste vers sa gauche. Tarr hocha la tête en signe de gratitude, puis se dirigea dans la direction indiquée par Chompoo. Je vis qu'elle le suivait des yeux pendant un long moment jusqu'à ce que je lui tapote l’épaule.

    Chompoo se tourna vers moi, un peu surprise. 

    — Bonjour, Bunn !

    — Désolé, je suis en retard, je viens de terminer mon examen.

    — Oh, ce n'est pas grave. Je comprends, dit-elle en me gratifiant d'un léger sourire.

    — Alors... trouvons quelque chose à manger.

    Je partis avec elle. Cependant, je remarquai que Chompoo tentait régulièrement de jeter un coup d'œil en arrière jusqu'à ce que nous soyons sortis du bâtiment.

    Chompoo et moi nous sommes parlé pendant une semaine, puis nous nous sommes progressivement éloignés, jusqu'à ne plus être en contact. Et je ne revis plus Tarr par la suite.



    Le couloir devant moi était sombre et peu éclairé. La lumière au-dessus du plafond vacillait, et le couloir était devenu noir de façon sporadique à cause d'elle. L'air autour de moi se refroidissait de minute en minute. Mon corps se sentait lourd, immobile.

    À ce moment-là, je vis la silhouette d'un homme qui s'avançait vers moi. Il tenait une arme dans sa main droite, le bruit de ses talons sur le sol résonnait dans toute la zone. La peur s'insinua peu à peu dans mon cœur.

    La lumière du plafond éclaira le visage du mystérieux visiteur.

    Le visage de Tarr.

    Soudain, j'eus l'impression qu'une corde s'enroulait autour de mon cou. Avant que je puisse émettre le moindre son, le sol se déroba soudainement sous mes pieds. Je tombai dans l'obscurité, la corde autour du cou.

    Je fus réveillé en sursaut par l'alarme de mon téléphone portable. Je repoussai rapidement la couverture et me redressai sur le lit, la lumière du petit matin passant par la fenêtre. Mon cœur battait la chamade et je transpirais malgré la température froide qui régnait dans la pièce.

    Réalisant que ce n'était qu'un rêve, j'essayai d'inspirer et d'expirer lentement et je me frottai le visage pour revenir à la réalité.

    Même si j'avais l'impression d'avoir mieux dormi que les autres nuits, je continuais à faire des cauchemars juste avant de me réveiller. Le rêve semblait si réel, tout comme lorsque j'avais rêvé que l'agresseur m'injectait quelque chose lorsque j'étais à l'hôpital.

    Pourquoi avais-je rêvé de Tarr à l'instant ?

    Je désactivai l'alarme de mon smartphone et m'extirpai du lit. Après avoir pris soin de moi dans la salle de bain, je sortis de la douche avec une serviette autour de la taille, comme à mon habitude. Je me pressai dans la fraîcheur du matin pour ouvrir l'armoire.

    L'instant d'après, j'entendis le bruit de la porte de la chambre qui s'ouvrait.

    — Aah ! m'exclamai-je en me servant de la porte de l'armoire comme d'une couverture. 

    Par chance, l'armoire était placée verticalement près de la porte,  je pouvais utiliser la porte de l'armoire pour cacher ma tenue inappropriée.

    — Désolé ! s'exclama Tann.

    Je pris une chemise sur le cintre et l'enfilai.

    — Je sais que tu es le propriétaire de cette maison, mais frappe à la porte la prochaine fois ! le réprimandai-je.

    — Je suis désolé, s'excusa Tann. 

    Eh bien, au moins, il n'était pas entré en trombe.

    — Je voulais juste te dire que je prépare notre petit déjeuner en bas. N'oublie pas de le prendre.

    — Je te remercie. Mais... tu permets ? Je m'habille là ?

    — D'accord, d'accord.

    J'entendis la porte se refermer. Néanmoins, je sortis la tête pour regarder la porte avec méfiance. Une fois que je ne le vis plus dans la pièce, je m'habillai rapidement, rangeai l'arme qui se trouvait sur la tête de lit dans mon sac à bandoulière et descendis les escaliers. L'odeur familière de la nourriture me parvint aux narines. Je me dirigeai vers la table à manger qui se trouvait au milieu de la cuisine de style occidental. Lorsque mes yeux se posèrent sur le petit-déjeuner, je compris pourquoi l'odeur m'était si familière.

    — Porridge de 7-Eleven ? 

    Je regardai Tann verser du porridge chaud, récemment sorti du micro-ondes, dans le bol.

    — J'ai un talent de cuisinier, je sais comment appuyer sur le bouton de démarrage d'un micro-ondes.

    Tann déposa deux bols de porridge sur la table. Pas étonnant que sa cuisine ait l'air si impeccable.

    Heureusement pour Tann, je n'étais pas difficile. Nous nous assîmes et prîmes notre petit-déjeuner ensemble. 

    — Ne me dis pas que tu ne manges que des surgelés, lui demandai-je.

    — Je n'en mange pas si souvent. D'habitude, je mange dehors, ou je stocke de la nourriture provenant de marchés ruraux au coin de la rue. Mais maintenant, je n'ai plus de stock en réserve. 

    Un marché rural était un genre de marché qui ne devait pas être loin de sa maison, puisqu'elle était située près de la rue. Tann semblait avoir du mal à manger sa bouillie fumante.

    — Tu as une blessure dans la bouche. Pourquoi as-tu mangé quelque chose de chaud  ?

    Je regardai l'homme en face de moi. Il avait l'air attachant avec ses mouvements maladroits, comme un grand petit frère.

    — Il n'y a rien d'autre à manger, à part ça, dit Tann en laissant tomber sa cuillère dans le bol, comme s'il avait abandonné. Tu n'as pas besoin de me regarder avec autant de pitié.

    Je secouai lentement la tête et me replongeai dans mon bol. Tann regardait la bouillie fumante, comme s'il attendait qu'elle refroidisse avant de la manger. 

    — Tu vas aller travailler, n'est-ce pas ?

    — Oui.

    — Tu veux que je t'y conduise ?

    — Non, ça va, refusai-je sèchement. Et tu n'as pas mieux à faire que de me déposer ?

    — Si, mais mon cours commence après les heures de classe. De plus, je m'arrêterai de toute façon au temple près de l'hôpital. Et puis, c'est pour ta sécurité, d'accord ?

    Je restai silencieux un moment avant de fermer les yeux et de soupirer doucement. 

    — Comme tu veux.

    — Tu sais, dit Tann en posant son menton sur sa main et me regardant. Tu souris rarement, Doc. 

    Je lui jetai un coup d'œil. 

    — Deux de mes connaissances ont disparu, et j'ai été attaqué deux fois par quelqu'un dans ma propre maison. Je doute que quiconque puisse sourire après tout cela.

    Finalement, Tann réussit à obtenir ce qu'il voulait : être mon chauffeur.



    Je lui demandai de me déposer devant les urgences avant de descendre de voiture et d'entrer. La première chose que je vis en entrant fut Fai, s'enquérant des antécédents du patient près d'un lit d'hôpital.

    — Fai !! 

    Je criai son nom si fort que les yeux des infirmières et des patients se fixèrent sur moi. Fai se tourna vers moi et rayonna. C'était comme si le monde entier s'était illuminé instantanément. Je me dirigeai directement vers elle, lui touchai les épaules et la regardai avec incrédulité. 

    — Où... Où étais-tu hier ? Pourquoi n'avons-nous pas pu te joindre ?

    Fai sembla mal à l'aise face à mes questions. 

    — Euh...  ?

    C'est comme si elle ne voulait pas me le dire.

    Un long soupir s'échappa de ma bouche. Je n'avais jamais ressenti un tel soulagement de toute ma vie. Je voulais vraiment savoir ce qui était arrivé à Fai hier - peu importe ce que c'était, cela pourrait m'aider dans ma recherche du tueur. 

    — Vous voulez me dire quelque chose ? 

    Je réalisai à l'instant que j'étais carrément impoli, car Fai était en plein milieu d'un examen. Et en plus, je l'avais forcée à me raconter ce qui s'était passé malgré sa réticence. Je me tournai vers le patient sur le lit en m'excusant.

    — Nous pourrons parler plus tard. Je suis content que vous alliez bien.

    Je m'apprêtai à tourner les talons, mais Fai tendit la main pour tirer sur l'ourlet de mon pull. Je m'arrêtai et tournai la tête pour la regarder.

    — Nous pourrons en parler à midi.

    — D'accord, je viendrai te voir, acquiesçai-je.

    Je repartis vers ma petite salle d'examen médico-légal.


    Toutes les infirmières des urgences avaient les yeux rivés sur moi et commençaient à bavarder. Je tentai de les ignorer, me rendant directement dans ma salle d'examen et m'asseyant sur la chaise, avec Tik, l'infirmière chargée des cas médico-légaux, à mes côtés.

    — Je suppose que la nuit dernière a été chaotique, docteur Bunn ? demanda Tik.

    — Oui, mais quand Fai est-elle arrivée ? Avez-vous une idée, Tik ?

    — Une infirmière de l'équipe d'hier après-midi m'a dit que le Dr Fai avait appelé les urgences vers 23 heures. Elle a dit qu'elle voulait un congé pour la journée d'hier et qu'elle reprendrait les gardes du matin. L'infirmière qui a pris l'appel du Dr Fai s'est plainte qu'elle vous aurait appelé pour vous parler du Dr Fai, mais qu'elle n'avait pas réussi à vous joindre.

    Le numéro de téléphone enregistré aux urgences devait être le numéro de celui qui avait été volé à l'origine. 

    — Merci, Tik...

    Tik croisa les bras en me regardant.

    — Dr. Bunn, puis-je parler librement ?

    —  Oui ? dis-je en levant les yeux vers une infirmière d'âge moyen qui me rendit mon regard avec un air féroce.

    — Dr. Bunn, savez-vous ce que toutes les femmes disent de vous ?

    Je crois que oui…

    — Je ne veux pas qu'une femme douce comme le Dr Fai tombe amoureuse d'un coureur de jupons comme vous.

    Tik et moi étions assez proches pour pouvoir parler de nos vies personnelles l'un à l'autre. Cependant, c'était la première fois qu'elle était franche avec moi à ce sujet. 

    — L'année dernière, vous n'êtes sorti avec Kai que pendant une courte période, puis vous avez couru après d'autres femmes. Si vous ne cherchez pas quelque chose de sérieux, laissez le Dr Fai tranquille. Je vous en supplie.

    — Ah.

    Je levai les mains et me massai les tempes. Alors, Kai n'avait dit à personne que c'était elle qui avait mis fin à notre relation, hein ? 

    — Je ne cherche pas à avoir une relation sérieuse avec Fai. Je vais la laisser tranquille. Vous êtes satisfaite ?

    Tik laissa échapper un sourire, satisfait. 

    — C'est bien. Acceptez votre destin puisque vous avez décidé d'être vous-même un Casanova. Si je vous vois encore près du Dr Fai, je vous donne une fessée, dit-elle en me tendant le dossier du patient. Dois-je faire entrer le premier patient ?



    Afin d'éviter que Tik ne me menace, à midi, je demandai à un brancardier de dire à Fai de me retrouver dans un restaurant de nouilles situé en face de l'hôpital. Je voulais parler de ce qui s'était passé hier. Le petit médecin assis en face de moi avait l'air plus pâle que d'habitude. Après avoir commandé notre repas, je décidai d'aller droit au but.

    — Que s'est-il passé hier soir, Fai ?

    Ses épaules s'affaissèrent vers l'avant, un air de terreur sur le visage. 

    — Hier midi, quatre adolescents sont venus chez moi. Je n'aurais pas dû ouvrir la porte, ils se sont précipités à l'intérieur.

    Elle prit une grande inspiration. 

    — Ils ont pris mon téléphone et mon portefeuille et ont appelé mon frère aîné. Le fait est qu'il devait de l'argent à un usurier. Des centaines et des milliers... des millions avec les intérêts. Ils ont dit à mon frère de rembourser la dette. Dans la journée. Ils m’ont prise en otage...

    Mes sourcils se froncèrent tandis que je réfléchissais à l'histoire de Fai.

    — Je sais depuis longtemps que mon frère a emprunté de l'argent à des usuriers. Mais les créanciers ne m'ont jamais importuné auparavant. Je ne sais pas pourquoi ils sont venus me voir hier. Ces adolescents ont éteint mon téléphone et m'ont gardé jusqu'à 21 heures, puis ils ont dit que leur patron avait reçu l'argent de mon frère. Ensuite, ils ont quitté la maison avec mon téléphone et mon sac. J'ai essayé d'appeler mon frère, mais je n'ai pas pu le joindre. Peut-être qu'il ne veut pas que l'on sache où il est.

    — As-tu déjà porté plainte ? demandai-je.

    — La police l'a déjà noté dans ses dossiers, et je leur ai décrit ces adolescents. L'officier en a déduit qu'ils appartiennent au même groupe de gangsters qui tendent des embuscades aux motards la nuit. La police va les retrouver.

    Des adolescents qui tendaient des embuscades aux motards la nuit ?

    Ces jeunes travaillaient pour le créancier, qui avait soudainement ordonné de garder Fai dans sa maison alors qu'il ne l'avait jamais contactée auparavant.

    C'était comme s'ils voulaient faire croire que Fai avait disparu le lendemain du jour où j'ai parlé de Janejira à Tann. Cependant, ils l'avaient seulement enfermée temporairement dans sa maison, ils ne l'avaient pas kidnappée comme pour Pert. Mais pourquoi ?

    Je ne savais pas si les deux incidents qui nous étaient arrivés étaient liés ou non. Mais je commençais à rassembler les pièces du puzzle, formant le cadre du tableau. 

    — Sais-tu qui est le créancier de ton frère ?

    — Je ne sais pas. Probablement l'un des magnats les plus puissants, dit Fai en secouant la tête.

    Je m'appuyai sur le dossier de la chaise, essayant de réorganiser les informations dans mon cerveau. Je supposai que j'avais besoin d'un peu de temps pour me décider sur les prochaines étapes. Ce qui était certain, c'est que j'étais sur le point d'avoir affaire à un gros bonnet qui avait de nombreuses relations, de la police aux voyous adolescents qui tendaient des embuscades aux motards pendant la nuit.

    Sorrawit, le garçon Khao-Tom-Mud, qui était mon patient, avait déjà rencontré ces adolescents. Je me dis qu'il était temps de commander d'autres paquets de ces friandises.



    Sorrawit ouvrit la porte de la salle médico-légale avec un air réjoui sur le visage. Il portait encore son uniforme scolaire, une chemise blanche et un short kaki. Il tenait dans sa main un sac de Khao Tom Mud, en quantité bien plus importante que la dernière fois. Les bras croisés et les jambes écartées, je l'attendais sur la chaise.

    — Bonjour, docteur.

    Sorrawit joignit les paumes de ses mains pour me saluer. Je levai la main en signe de remerciement.

    — Ton cours est terminé maintenant ? Tu es arrivé si tôt, dis-je en souriant au garçon.

     Sorrawit se gratta l'arrière de la tête.

    — Oui, je suis allé chercher le Khao Tom Mud que vous avez commandé chez moi tout de suite après l'école.

    Je jetai un coup d'œil au sac qu'il tenait dans ses mains. 

    — Je n'en ai pas commandé autant.

    — N... Nous les donnons. M...Maman a dit que c'était un acheté un offert, balbutia Sorrawit .

    — C'est vrai ? Je pensais que tu avais le béguin pour moi et que tu voulais me les offrir.

    Je souris tout de même au garçon.

    Le teint clair de Sorrawit, qui était une caractéristique du peuple nordique, devint soudain rouge vif. 

    — D... Docteur,

    — Et si tu posais ton sac pour que nous puissions nous asseoir et discuter ?

    Je désignai une chaise devant moi. Sorrawit entra en boitant et s'assit, posant le sac sur la table.

    — Comment vas-tu ? Ta blessure te fait encore mal  ? demandai-je en prenant le bras de Sorrawit pour inspecter les plaies qui s'étaient asséchées.

    — P... plus maintenant.

    Le rougissement timide brûlait encore sur le visage de Sorrawit.

    — Hmph, c'est bien, dis-je en regardant les ecchymoses causées par l'impact de l'objet long et contondant sur les bras du garçon. Je peux te demander quelque chose ? Connais-tu la personne qui t'a frappé avec la matraque ce jour-là ?

    Le garçon réfléchit. 

    — En fait, j'ai une assez bonne idée de qui c'était. Mais je ne l'ai dit à personne parce que j'avais peur qu'il me batte à nouveau.

    Je me redressai sur ma chaise quand il dit qu'il connaissait ces adolescents, mais qu'il ne l'avait dit à personne par peur du malheur qui l'attendait. 

    —  Peux-tu me dire qui était cette personne ? 

    — Je connais l'un d'entre eux. C'est un de mes camarades d'école. Une brute. Il est à deux doigts d'être renvoyé. Il vient rarement en cours, en quelque sorte. Mais je ne connais pas les trois autres.

    Je hochai la tête. 

    — Tu sais pour qui ils travaillent ? Est-ce qu'il y a un 'Big Boss' dans le gang ?

    Sorrawit secoua la tête. 

    — Je n'en sais rien. Mais il devrait y en avoir un parce que les gens les craignent. Un de mes potes m'a dit que les flics ne font rien, peu importe ce qu'ils ont fait. Ils les laissent toujours partir.

    — Ah, je vois. C'est dommage pour les gens d'ici. J'ai aussi eu beaucoup de patients qui ont été attaqués durant la nuit. Tu devrais faire attention, Sorrawit.

    Je tendis la main pour toucher la cuisse du garçon. Sorrawit sursauta. 

    — Si tu sais quelque chose de plus sur ce gang, dis-le moi. Comme tu le sais, j'ai été confronté à de nombreux cas similaires. Je veux que mes patients soient prudents.

    Sorrawit sourit largement, il semblait heureux. 

    — Bien sûr, je vais demander à mes amis s'ils en savent plus à ce sujet.



    Je sortis des urgences en marchant. L'horloge sur le mur indiquait 16 h 45. À peine sorti, je vis mon chauffeur qui attendait près du banc devant le service. Sa grande silhouette vêtue d'une chemise noire s'approcha de moi.

    — Pourquoi travailles-tu tard aujourd'hui  ? demanda Tann en s'apprêtant à passer son bras autour de mon épaule. Allons à la voiture.

    J'accélérai le pas, esquivant le long bras de Tann, qui ne trouva rien d'autre que le vide.

    — C'est à cette heure-là que je termine d'habitude. Mais si tu trouves que ce n'est pas pratique, je viendrai tout seul la prochaine fois.

    Tann s'empressa de marcher à côté de moi. 

    — Je croyais que tu finissais à quatre heures, j'ai un cours à cinq heures. C'est l'heure de pointe.

    Tann regarda sa montre - une montre connectée en plus, remarquai-je. Il semblerait que cet homme ait assez d'argent pour s'acheter ce genre de choses. 

    — Tu veux que je te ramène à la maison ou tu viens à l'école avec moi ?

    — Si je viens à l'école avec toi, où suis-je censé t'attendre  ? m'empressai-je de demander.

    — J'ai un bureau privé au dernier étage. Tu peux y travailler en m'attendant. 

    Tann et moi arrivâmes à la voiture de Tann qui bloquait les autres voitures. 

    — Je sais que tu n'as probablement pas envie d'être seul à la maison.

    Il n'avait pas vraiment tort. Cela faisait des jours que j'essayais d'éviter d'être seul autant que possible. Tann déverrouilla la voiture et m'ouvrit la portière.

    J'observai les gestes de Tann et fronçai les sourcils.

    — Tann, il faut qu'on parle de ça…

    Tann fit un geste en direction de la voiture. 

    — Après toi, docteur. Nous pourrons parler de ce que tu veux à l'intérieur.

    J'entrai à contrecœur dans la voiture, avec quelqu'un qui ouvrit et ferma la portière pour moi. Tann fit le tour de la voiture et se glissa sur le siège conducteur. L'homme démarra le moteur et sortit de l'aire de stationnement.

    — Doc, de quoi veux-tu parler ?

    Je tournai la tête vers Tann. 

    — Tu es un hétérosexuel, n'est-ce pas ? 

    Tann se tourna vers moi, un air perplexe sur le visage. Puis il retourna la tête vers la rue. 

    — Bien sûr, je suis hétéro. C'est quoi cette question ?

    — Un homme hétérosexuel ne tient pas la main, n'étreint pas, ne touche pas et n'ouvre pas la porte à un autre homme.

    Tann sourit largement.

    — Oh ? Je ne peux pas ?

    — Ou bien tu traites tous les hommes que tu connais de cette façon ? Est-ce que quelqu'un t'a déjà demandé si tu étais gay  ?

    Je commençai à le bombarder de questions.

    — Je ne fais pas ça avec tout le monde. J'ai juste eu envie de le faire pour toi, répondit-il. Et je ne suis pas gay parce que j'aime les filles.

    Pourquoi ses actes contredisaient-ils toujours ses paroles ? 

    — Alors, arrête de me traiter comme tu traites les femmes. Je n'aime pas ça.

    — Rappelle-moi de ne pas recommencer si je vais trop loin. Parfois, mon instinct me rattrape.

    Je n'avais jamais eu autant envie de donner un coup de pied au visage de quelqu'un.

    — Ne t'en fais pas. Ce qui est fait est fait. La prochaine fois que tu feras ça, je te donnerai de mes nouvelles !!

    Tann s'esclaffa. 

    — Ça ne servira à rien. De toute façon, tu es coincé avec moi.

    Tann s'arrêta au feu rouge. Je soupirai d'agacement.

    — Je ne suis pas sorti pour enquêter plus profondément aujourd'hui. Je ne sais pas par où commencer. J'ai pensé qu'il valait mieux que nous nous mettions d'abord d'accord. As-tu plus d'informations aujourd'hui ?

    — Oui, j'en ai... ? dis-je en regardant par la fenêtre. J'ai une piste. On en parlera après ton cours.

    — D'accord.

    Tann se gara sur le trottoir, non loin de la barrière de l'école. Je regardai les adolescents qui entraient et sortaient en trombe, signe du succès de l'établissement, puis je tournai la tête vers l'homme qui tenait ce business.

    — Comment as-tu réussi à piéger tous ces enfants ?

    — Je ne l'ai pas fait. Ils sont tous venus me voir à cause de l'échec du système éducatif thaïlandais. J'ai fait partie de la première génération d'étudiants à passer le test d'admission en Thaïlande, je comprends ce que vivent les jeunes d'aujourd'hui. 

    Tann arrêta le moteur. 

    —  Je suppose que tu as passé l'examen d'entrée ? Tu as de la chance.

    — Oui, j'ai passé l'examen d'entrée, dis-je en ouvrant la portière. Tu devrais donc garder à l'esprit que je suis plus âgé que toi. Montre un peu de respect.

    Je devrais en savoir plus sur les antécédents de Tann ; qui sait, je pourrais trouver quelque chose de suspect. 

    —  Tu as obtenu ton diplôme de biochimie avec les honneurs. Pourquoi as-tu décidé de diriger une école de bachotage ? Pourquoi ne pas faire des études supérieures, publier des travaux de recherche ou devenir professeur d'université ?

    — Je voulais revenir dans ma ville natale. Je dois m'occuper de ma mère.

    Une mère ? Tann avait dit que sa mère venait chez lui de temps en temps. Il descendit de la voiture. 

    — Nous parlerons de ça plus tard. Nous avons tout notre temps pour discuter. Mais je dois me rendre à mon cours maintenant. Va au troisième étage. Une porte blanche sur la droite. Tu peux utiliser cette pièce. Et si tu veux fouiller dans mes affaires, range-les quand tu auras fini.

    Il avait raison. J'allais certainement fouiller dans ses affaires. Je ne devais pas sous-estimer l'intelligence de Tann. Ce type était perspicace. Et cela le rendait encore plus intimidant. J'avais choisi de faire confiance à Tann pour l'instant, mais je devais me rappeler qu'il y avait une possibilité qu'il soit impliqué d'une manière ou d'une autre dans la mort de Janejira.



    Je m'installai au bureau propre et bien rangé de Tann. Tout comme sa maison, le bureau était spacieux. Des piles de documents étaient empilées sur l'étagère, sans qu'aucun papier ne soit mal rangé. De l'autre côté de la pièce se trouvaient un canapé en velours noir et une table basse. À la vue de cette pièce, je devinai que sa personnalité se caractérisait par la propreté et l'ordre. Je me tournai vers la vitrine derrière le bureau, et mes yeux tombèrent sur le diplôme de M. Weerapong Yodsungnern, sur lequel était inscrit “mention très bien”. Ses photos de fin d'études, celles qu'il avait prises avec un groupe d'étudiants inscrits à des cours de soutien, étaient également présentes. À part cela, je ne vis rien d'autre qui puisse m'en dire plus sur son passé.

    Comme Tann savait déjà que j'allais fouiller dans ses affaires, je pris la liberté de regarder dans les tiroirs de son bureau. Je n'y trouvai que du papier à lettres, des manuels de lycée, des polycopiés et un manuel de biologie et de chimie écrit par Tann lui-même.

    Mon téléphone sonna, et je le sortis de ma poche, regardant le nom qui apparaissait sur l'écran.

    Le capitaine Aem.

    — Oui, Aem ? pris-je rapidement l'appel.

    — [Hey, Dr. Bunn. Vous allez bien  ? ]

    C'était la voix grave et robuste du capitaine Aem.

    Je savais que le capitaine ne m'appelait pas juste pour prendre des nouvelles. 

    — Je vais bien.

    — [Je vous appelle pour vous demander où en est le rapport d'autopsie de Janejira. Pourrez-vous le terminer à temps ou avez-vous besoin de plus de temps ?]

    — Je peux le terminer à temps.

    Ma décision était prise. Je soumettrai le rapport dans les sept jours.

    — [Ok, euh, et la fois où vous m'avez dit que Janejira avait été assassinée, vous insistez toujours sur cette présomption ? Écoutez, je n'ai rien trouvé du tout. Aucun signe d'intrusion cette nuit-là. Aucun signe de lutte. Aucun signe d'effraction. Personne n'a vu quelqu'un qui semblait suspect dans le bâtiment. Et les caméras de sécurité à cet étage avaient disparu depuis longtemps.]

    La caméra ne fonctionnait pas, dites-vous ? Je ricanai sèchement. Je n'étais pas sûr qu'il m'entende. 

    — Oui, pourquoi ne suis-je pas surpris ?

    — [Qu'est-ce que vous voulez dire, Dr Bunn ? Qu'en est-il des produits chimiques, des drogues ou des substances toxiques dans son sang ? Ou des preuves indiquant la manière dont elle est morte ?]

    — Tous les résultats sont négatifs et il n'y a pas eu d'overdose.

    Je m'interrompis un instant. 

    — Aem...

    — Oui ?

    — J'y ai réfléchi. Mon hypothèse selon laquelle Janejira a été étranglée avant de mourir... pourrait avoir été une erreur ?

    — [Quoi ? s’exclama le capitaine Aem. Qu'est-ce qui se passe exactement ?]

    — La cause de sa mort... pourrait être un suicide.

    Je fus atterré après que les mots eurent quitté ma bouche. Pour la première fois, je mentais au capitaine Aem.

    — Quand Jane était sur le point de mourir, elle s'est peut-être débattue jusqu'à ce que les tissus de son cou soient gravement blessés.

    — [Oh, merde ! Dr Bunn, je crois en votre expertise. C'est pour ça que j'ai formé cette putain d'équipe d'investigation, dit-il avant de soupirer. Eh bien, n'oubliez pas de le noter dans le rapport. J'espère qu'il n'y aura pas de problème.]

    — Compris… répondis-je calmement.

    Puis le capitaine Aem mit fin à l'appel.

    Est-ce que ça pouvait vraiment être aussi facile ? Trop facile. N'avait-il pas remarqué que quelque chose n'allait pas ? Pas du tout ? Ou bien faisait-il lui aussi partie de cette machination ?

    Je m'engageais sur cette voie prédéterminée, une voie où je devais mentir dans un rapport, en disant que Janejira s'était suicidée. Je m'adossai sur la chaise avec lassitude. Je fermai un instant mes paupières lourdes avant de me pencher pour ramasser mon sac à bandoulière et le poser sur mes genoux. Je sortis un papier et le posai sur le bureau de Tann.

    Sur l'en-tête figurait l'emblème distinctif de Garuda et, en dessous, des lettres clairement adressées au quartier général de la police royale thaïlandaise... “RAPPORT D'EXAMEN POSTMORTEM”.



  • Commentaires

    3
    Jeudi 22 Juin 2023 à 15:07

    Merci pour ce chapitre j attend avec impatience la suite 

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    2
    Jeudi 22 Juin 2023 à 10:59

    Merci pour ce chapitre, bises ^3^

    1
    Mercredi 21 Juin 2023 à 18:50

    Merci pour ce 8ème chapitre ^^

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