• Chapitre 7

    Chapitre 7

    — Nous sommes arrivés. Vous pouvez y aller maintenant.

    Je me tournai vers l'homme qui se trouvait dans ma voiture. Tann se tourna pour regarder sa propre voiture garée sur le parking de l'hôpital et pivota la tête vers moi.

    — Vous êtes sûr que vous ne voulez pas que je reste avec vous ?

    — Je veux que personne ne reste avec moi. Vous pouvez partir maintenant.

    Mes yeux se portèrent sur les urgences, qui étaient maintenant éclairées par une lumière vive.

    — Mais le tueur peut revenir à tout moment. Si j'étais là avec vous, je pourrais vous aider.

    Tann insistait pour m'aider à trouver le tueur depuis que nous étions au restaurant. Il m'avait suggéré de rentrer à la maison et de faire quelque chose pour attirer le tueur dehors. Tann serait là pour m'aider à attraper le méchant. J'avais rapidement refusé ce plan. Pourquoi diable le laisserais-je entrer chez moi ? Je ne lui faisais toujours pas confiance. C'était comme faire entrer un cobra chez moi.

    Je déverrouillai la portière de la voiture pour le chasser.

    — Merci pour votre aide. Mais je peux m'en occuper seul.

    — Dr. Bunn, dit Tann, refusant toujours de sortir de ma voiture. Si je veux vous aider, ce n'est pas parce que je cache quelque chose, c'est parce que Jane était ma petite amie. Je veux que la personne qui a tué ma petite amie soit en prison. Vous comprenez ça, n'est-ce pas ?

    — Essayer de me persuader est inutile, expirai-je lentement, si vous voulez vivre en sécurité, alors ne dites rien. N'en parlez pas à la police ou à qui que ce soit. Je ne sais pas si le tueur saurait que vous l'avez appris par moi. Et encore une chose, ne revenez plus me voir. Vous savez déjà ce que vous vouliez savoir.

    Tann ne sembla pas vouloir partir.

    — Que comptez-vous faire ensuite ? Faire ce que le tueur vous ordonne de faire ? Je ne vous laisserai pas faire ça.

    — Eh bien, ce n'est pas à vous de décider. Je dois le faire. Je ne veux pas que mes proches soient à nouveau blessés.

    Je commençai à jouer à un nouveau jeu, juste pour voir sa réaction.

    — Ce salaud me promet que si je fais ce qu'il dit, il me laissera tranquille.

    — Je ne peux pas laisser faire ça. Si vous falsifiez le rapport, le tueur s'en tirera à bon compte, dit Tann en me fixant.

    — Non, je pense que la police trouvera d'autres preuves suggérant que Janejira a été assassinée. Elles contrediront mon rapport. Le moment venu, je dirai à la police que j'ai été menacé.

    — Et s'ils ne trouvent rien ? Vous l'avez dit vous-même, la police peut être impliquée dans cette affaire.

    Tann s'obstinait. Je me retournai pour le fixer du regard. Si Tann était le vrai meurtrier, il aurait été d'accord avec l'idée de falsifier le rapport de suicide de Janejira, au lieu de se disputer avec moi comme ça.

    — Tann, attendez. Je vous en supplie.

     J'essayai de parler d'un ton plus doux. C'était mon seul talent, après tout, jouer la comédie.

    — Faites-moi une faveur, ne faites rien. Je ne veux pas être battu. Et je ne veux pas qu'un de mes proches soit à nouveau blessé.

    J'avais réussi à le faire taire, puis il tendit la main pour ouvrir la portière de la voiture.

    — Je continuerai à venir vous voir jusqu'à ce que vous acceptiez que je vous aide.

    Tann descendit de la voiture avant même que je puisse répondre, claquant la portière. Mes yeux suivirent la grande silhouette qui se dirigeait vers le véhicule noir garé parmi d'autres voitures sur le parking devant l'hôpital. Les preuves dont il m'avait parlé étaient assez solides, toutes ses réactions semblaient relativement raisonnables malgré mon intuition qui me disait que quelque chose n'allait pas chez Tann. La première était la cause de la blessure sur son front, qui restait inconnue et vague. La deuxième était sa réaction à la perte de sa petite amie. J'avais perçu le signe dès le premier jour, il n'y avait pas une once de tristesse sur son visage.

    Je ne savais pas si c'était parce que Tann était un meurtrier ou parce que mes préjugés à son égard déformaient ma perception de la réalité.



    Ce fut avec stupéfaction que je regardai un sac en plastique contenant une quantité colossale de Khao Tom Mud 1 sur la table du service médico-légal. 

    — À qui appartient ce sac, Tik ?

    — Votre fanboy l'a laissé sur la table ce matin, dit l'infirmière d'âge moyen en riant.

    — Mon fanboy  ?

    Je me tournai vers Tik en haussant légèrement les sourcils.

    — Ce garçon, Sorrawit. Le grand qui est venu vous voir hier. Il est venu ici pour vous apporter un tas de Khao Tom Mud sur sa moto avant d'aller à l'école. Il a dit que sa famille en préparait pour les  vendre. Il veut que vous les goûtiez.

    — Ah…

     Je pouvais sentir la douleur lancinante sur ma tempe. L'intention de Sorrawit était claire comme de l'eau de roche.

    — Si je mange tout ça, je vais sûrement mourir de diabète. S'il vous plaît, donnez-les aux infirmières. Laissez-moi en prendre deux.

    Tik leva la main, faisant un geste d'approbation.

    — Bien sûr, docteur.

    Je me dirigeai vers la table. J'avais l'intention de sortir quelques paquets de Khao Tom Mud du sac. Lorsque j'ouvris le sac, je vis un post-it rose sur les paquets de Khao Tom Mud. Sur ce post-it, un message était écrit.

    “Bunnakit, si vous les trouvez délicieux, veuillez en commander d'autres.”

    En dessous du message figurait le numéro de téléphone du propriétaire du dessert. Je laissai échapper un sourire et secouai la tête, trouvant ce garçon plutôt attachant. Je sortis la note et la tendis à Tik, ainsi qu'un sachet de dessert thaïlandais. 

    — Si vous y prenez goût, vous pourrez en acheter d'autres.

    Tik prit le sac et regarda le post-it avant d'éclater d'un grand rire.

    — Oh, docteur ! Le garçon vous drague.

    — Je ne peux pas répondre à ses sentiments. C'est le code de la relation médecin-patient, vous savez  ? dis-je en m’asseyant sur la chaise. Il y a un cas d'agression aujourd'hui, n'est-ce pas ? Veuillez appeler le patient. 

    Je quittai la salle des urgences. Il était presque midi, comme d'habitude. Le travail m'avait vidé la tête, m'aidant à oublier tous mes problèmes et mes angoisses. Je restai debout, regardant les ambulances du SAMU garées devant le service des urgences. Qu'est-ce que j'attendais ?

    Je devrais aller déjeuner, car deux corps envoyés par des districts différents m'attendaient dans la salle d'autopsie. Et je devais aussi enseigner à un interne cet après-midi.

    Et moi qui pensais que tu reviendrais jusqu'à ce que je te laisse m'aider.

    Je m'éloignai de l'entrée des urgences. L'absence de Tan aujourd'hui en disait long sur lui. La première, c'est qu'il était le meurtrier. Il était probablement satisfait de savoir que je ferais ce qu'il me disait de faire. La deuxième, c'est que Tann n'était en fait pas le meurtrier, mais qu'il ne voulait pas me revoir parce qu'il avait peur de moi ou d'avoir des ennuis. La troisième était qu'il était trop occupé par ses cours ou par l'enterrement de Janeira pour pouvoir venir. Je devais attendre le soir pour le savoir.



    — Il faut comprendre que dans la période post-mortem, la rigidité des petites articulations se produit avant celle des plus grandes. La dernière articulation à devenir rigide est la plus grande du corps humain, l'articulation de la hanche, qui se développe pleinement dans les 6 à 12 heures pour atteindre une rigidité totale, comme vous pouvez le voir chez cette personne.

    Je soulevai les jambes froides et mortes du cadavre, mais au lieu de se plier au niveau de la hanche, les jambes et le bassin du cadavre furent soulevés de la table ensemble, se raidissant comme si on soulevait une bûche.

    — Dans ce cas, l'articulation de la hanche est déjà raide. Le corps restera rigide jusqu'à ce qu'il commence à se décomposer, ce qui prend environ 24 heures après la mort.

    Je me tournai vers mon élève, qui avait l'air un peu perdu à cet instant. L'interne qui étudiait avec moi aujourd'hui était le jeune homme qui avait pratiqué les examens médicaux sur moi la nuit où j'avais été agressé. Il s'appelait Boem.

    — Si tu as des questions, tu peux me les poser, dis-je en reposant les pieds sur la table. Quelque chose ne va pas ?

    — Oh... hum, rien, monsieur. 

    Boem essaya de se ressaisir.

    — Tu as l'air un peu stressé. Nous pourrons continuer nos leçons une autre fois.

    Ce n'était pas la première fois que mon stagiaire n'arrivait pas à endurer mon cours jusqu'au bout. Le pire cas que j'avais rencontré était celui d'un stagiaire qui s'était évanoui sous mes yeux, après seulement cinq minutes de cours.

    Le jeune stagiaire me regarda.

    — Puis-je vous demander quelque chose, professeur ?

    Je me sentis plus soulagé.

    — Oui, bien sûr. Si je vais trop vite...

    — Vous voyez Fai en ce moment, professeur  ? demanda soudainement Boem. 

    C'était une question qui n'avait rien à voir avec notre cours et cela me choqua beaucoup.

    — Que veux-tu dire par “voir Fai”  ?

    C'est alors que je me souvins de quelque chose. Il y avait quelques jours, l'une des infirmières m'avait chuchoté à l'oreille que Boem avait le béguin pour Fai et que le professeur Bunnakit était sur le point de lui voler. Je ne pouvais que secouer la tête devant cette absurdité.

    — Je veux dire... se voir. Le fait est que Fai m'a dit qu'elle vous voyait, dit-il d'un air nerveux.

    Je fus déconcerté par les propos de Boem. Fai lui avait dit qu'elle me voyait ? Je reconnaissais que j'avais l'intention de la draguer, mais je ne pensais pas que je lui plairais aussi vite.

    — Ce n'est rien. C'est juste que je n'arrive pas à joindre Fai aujourd'hui. Je voulais juste savoir si vous l'aviez appelée aujourd'hui, professeur.

    — Si tu n'as pas pu la joindre, je ne pense pas que je puisse le faire.

    Je trouvais cela étrange. La dernière fois que j'avais parlé à Fai, c'était le jour où elle était venue me rendre visite alors que j'étais hospitalisé.

    — Elle n'est pas venue travailler ?

    — Fai est prévue pour le service de l'après-midi aujourd'hui. Hier, elle m'a dit de l'appeler pour la réveiller à midi. Mais quand j'ai appelé, on m'a dit que personne n'était disponible pour prendre mon appel. Ce n'est pas habituel. J'ai pensé que vous lui aviez peut-être parlé. Je m'inquiète pour elle, alors je veux juste savoir si vous pouvez joindre Fai.

    C'était un homme qui aimait vraiment une femme, même si son cœur ne lui appartenait pas. J'avais honte de moi.

    — J'ai perdu mon téléphone portable et son numéro. Je ne l'ai pas appelée depuis des jours, dis-je en faisant signe à Anun d'entrer et en ouvrant le crâne du corps. Tu peux y aller, Boem. Je m'en occupe à partir de maintenant. Et laisse-moi le numéro de Fai, s'il te plaît, je t'aiderai à la joindre. Tu sais, tu devrais l'attendre aux urgences. Elle finira par prendre son service de l'après-midi.

    Boem avait toujours cette expression d'inquiétude sur le visage. Il leva les mains en signe de respect et retira ses gants et sa blouse verte. Je le regardai sortir de la pièce. Un sentiment d'appréhension s'installa lentement dans mon cœur. Après l'autopsie, je retournerais aux urgences et j'attendrais Fai jusqu'à ce qu'elle prenne son service à 16 heures.

    J'espérais qu'il ne lui était rien arrivé…



    Le numéro que vous avez composé ne peut être connecté.

    Je serrai le téléphone dans mon poing et frappai le volant avec rage. Je poussai un rugissement pour évacuer mon ressentiment.

    Boem et moi avions attendu aux urgences jusqu'à 19 heures.

    Fai était toujours introuvable, ce qui sema la panique dans la salle d'urgence. Boem et moi avions beau l'appeler sans arrêt, la seule réponse était le même message. Boem essaya de contacter le personnel de la direction médicale pour joindre la famille de Fai, et je m'excusai pour rester seul dans ma voiture.

    Le tueur savait que j'avais divulgué l'information à d'autres personnes.

    Oh, mon Dieu. Je n'aurais pas dû en parler à Tann. Ma tentative d'utiliser l'information comme appât pour piéger Tann avait fait une autre victime - une personne qui m'était proche. Je n'avais aucune idée de la façon dont le tueur avait su que j'avais parlé à Tann de ce qui s'était passé. Il avait peut-être fait quelque chose qui avait mis la puce à l'oreille du tueur, comme l'avait fait Pert.

    Ou bien le tueur l'avait-il appris parce que je le lui avais dit moi-même ?

    Tann.

    Je reposai ma tête sur l'appui-tête avec lassitude. Mes bras tombèrent le long de mon corps, épuisés. Ça suffisait. C'est tout.

    Je décrochai le téléphone, composai le numéro de Tann et le collai à mon oreille, regardant sans but dans l'obscurité de l'extérieur.

    — [Oui, Dr. Bunn ?] 

    Tann prit rapidement l'appel. J'entendais les bavardages des enfants en arrière-plan.

    — Vous m'avez eu, dis-je, la voix troublée. Faites ce que vous voulez. S'il vous plaît, ne faites pas de mal aux gens qui m'entourent...

    — [Pardon ?]

    — S'il vous plaît, laissez partir le Dr Fai et le procureur…

    Ma voix tremblait de façon incontrôlée, et je couvris mes yeux de ma main. 

    — Prenez-moi à la place. Vous pouvez faire ce que vous voulez de moi. Je ferai tout ce que vous voudrez. Mais ne blessez plus mes proches...

    — [Attendez, de quoi parlez-vous ?] 

    Tann avait l'air paniqué. Mais je ne crus pas qu'il était vraiment en train de paniquer.

    — [Où êtes-vous ?]

    — Vous savez où je suis. Je vais rentrer chez moi. Pourquoi ne pas régler ça... face à face...

    — [Dr. Bunn, ressaisissez-vous ! Et dites-moi ce qui s'est passé !]

    — On se voit à la maison.

     Je mis fin à l'appel, posant le téléphone de Pert sur le siège à côté de moi. Je pris le sac en bandoulière et en sortis un objet.

    Click...

    Le son d'une lame de scalpel aiguisée comme un rasoir, reliée à son manche, se fit entendre. Je rangeai la lame dans son étui et la plaçai dans ma poche de poitrine. Ce scalpel était prêt à être utilisé.



    Je tournai la clé et ouvris la porte, pénétrant dans la maison qui avait été laissée dans l'obscurité totale pendant plusieurs nuits. Le salon familier était sombre et silencieux. Je pris une profonde inspiration, mon cœur battait la chamade. La maison était glaciale, mes doigts devenaient froids. Je jetai un coup d'œil méfiant autour de moi avant de me diriger vers le salon pour allumer la lumière.

    Aucun signe d'intrusion.

    Sur la pointe des pieds, je dépassai progressivement le salon et me dirigeai directement vers la cuisine, allumant toutes les lumières pour éclairer la plupart des pièces de la maison. Je sortis le scalpel de ma poche de poitrine, le tenant fermement dans ma main droite. Arrivé devant la porte de la chambre, je saisis lentement la poignée et l'ouvris.

    Soudain, une grosse main dans un gant de cuir noir me saisit le poignet droit, tandis que l'autre main me couvrait la bouche par derrière. Mes yeux s'écarquillèrent de panique. Je tentai de dégager mon bras droit, mais la poigne de la personne derrière moi était si forte. Je projetai mon coude gauche vers l'arrière de toutes mes forces. Celui-ci dut atterrir à un endroit suffisamment efficace pour faire souffrir mon agresseur, car il relâcha accidentellement ses mains. Je m'éloignai rapidement et me retournai pour faire face à l'intrus. Je haletai de façon saccadée, levant un scalpel aiguisé comme une menace.

    Je pus voir pour la première fois l'apparence de mon agresseur. C'était un homme de grande taille, vêtu d'un sweat-shirt et d'un sweat à capuche sur la tête. Il portait de grosses lunettes de soleil noires et un masque en tissu blanc, manifestement pour cacher son visage. Il se figea complètement lorsqu'il vit que je tenais une arme à la main.

    — Il est inutile de se cacher à ce stade, Tann ! Montrez votre visage et parlons, dis-je en haletant.

    L'homme devant moi ne dit rien et avança vers moi. Pointant le scalpel vers l'avant, je fis un pas en arrière. Mon agresseur ne semblait pas du tout effrayé par la petite arme que j'avais entre les mains. Il me fit reculer jusqu'à ce que mon dos touche le mur. Il passa la main derrière lui et sortit un objet noir et lisse dont l'éclat accrochait la lumière. Mon genou se déroba à la vue de l'objet.

    Le bout de l'arme était pointé sur ma tête.

    — Lâche le couteau ! ordonna la voix étouffée de l'homme qui se trouvait devant moi.

    Je lâchai docilement le scalpel, mon corps entier tremblait comme une feuille.

    — Les mains en l'air et face au mur.

    Je levai les mains et me tournai vers le mur. L'intrus saisit mes bras pour les ramener derrière moi. Je sentis la pointe d'un objet froid et dur sur ma tempe droite. Mes yeux étaient plissés.

    — C'était déplacé, docteur. Dites-moi, combien de personnes voulez-vous perdre jusqu'à ce que vous appreniez à vous comporter correctement ? Oh... J'ai compris, vous ne pensez à personne d'autre qu'à vous, vous vous en fichez éperdument. On dirait que je dois changer de méthode. Alors... et si je vous punissais à la place ?

    J'ouvris lentement les yeux, sentant qu'une chose me semblait étrange - sa voix sonnait étrangement.

    Ça ne ressemblait pas à celle de Tann.

    Qui diable était-ce ?!

    Mes mains furent solidement attachées avec une corde. Une fois que l'agresseur eut réussi à m'immobiliser, il me fit tourner face à lui. Tous les mots que j'avais l'intention de lui dire au visage s'envolèrent lorsque je me rendis compte que la voix de l'agresseur n'était pas celle de Tann.

    Soudain, je perçus quelque chose du coin de l'œil.

    Je vis quelqu'un s'approcher tranquillement de moi, si tranquillement que mon agresseur ne le remarqua même pas. Ce quelqu'un tenait dans ses mains un vase en porcelaine, décor de mon salon. Il me regarda, le doigt levé sur les lèvres, me faisant signe de ne pas faire de gestes qui pourraient alerter mon agresseur.

    Cependant, mon regard ne put tromper l'agresseur ; il le suivit, se retournant pour regarder ce sur quoi mes yeux s'étaient posés.

    Lorsque l'assaillant se retourna, Tann s'élança vers l'avant en tenant le vase au-dessus de sa tête. Il visa la tête de l'assaillant, mais celui-ci se pencha sur le côté. Le vase toucha son épaule. J'entendis le bruit du vase qui se brisait, suivi du cri de mon agresseur. Au moment où il esquiva le vase, ses lunettes de soleil furent projetées sur le sol.

    — Attention ! Il a un pistolet ! !! criai-je pour avertir Tann, en essayant de dégager ma main de la corde.

    Je me sentais tellement inutile. Le coup aurait dû infliger une certaine douleur à ce salaud. Tann se dirigea vers le bras droit de l'attaquant, qui tenait maintenant l'arme, l'amenant en l'air alors que l'attaquant tentait de résister à sa force. A physique égal, le combat était d'une grande intensité. Tann donna un coup de genou dans le ventre de son assaillant. Ce dernier s'écroula, criant de douleur, et Tann en profita pour lui arracher le pistolet noir des mains, l'envoyant glisser sur le sol et finir dans un coin.

    Voyant cela, je me précipitai sur l'arme et marchai dessus pour que l'attaquant ne puisse pas la récupérer aussi facilement.

    — Tu vas tomber, assassin. 

    Tann poussa un grognement et serra les poings, se dirigeant vers l'agresseur qui se penchait patiemment.

    Soudain, l'homme à la capuche se redressa et asséna un uppercut à Tann. Je poussai un cri, car le coup frappa Tann juste sous le menton, le déséquilibrant. Il tituba jusqu'à l'étagère qui se trouvait sur le côté avant de s'y accrocher. L'homme à la cagoule en profita pour courir vers la porte d'entrée. Tann ne perdit pas de temps à faire demi-tour et à le suivre à l'extérieur, me laissant seul dans la maison, stupéfait. J'avais l'impression de ne pas avoir la force de me tenir debout. Je reculai pour m'appuyer contre le mur et me laissai lentement tomber sur le sol.

    Quelques minutes plus tard, Tann revint avec un air très mécontent. Du revers de la main, il essuya le sang qui coulait au coin de sa bouche.

    — Putain, il s'est échappé. Ce bâtard est aussi agile qu'un singe, il s'est déjà échappé par le mur de la propriété.

    Je levai les yeux vers Tann, qui se précipita vers moi.

    — Vous êtes blessé, Doc  ?

     Il détacha rapidement la corde de mon poignet. Mais je n'en revenais toujours pas. Il palpa chaque partie de mon corps pour voir si je n'étais pas blessé.

    L'instant d'après, il me serra très fort dans ses bras.

    Mes yeux s'agrandirent sous le choc.

    — Que vous me laissiez vous aider ou non, je ne vous laisserai plus jamais traverser cette épreuve seul.

    Son serment me donna l'impression que mon cœur allait s'arrêter de battre.



    J'ouvris le réfrigérateur, en sortis une poche de froid et la lançai à la personne qui était assise sur une chaise dans la cuisine.

    —  Mettez ça dessus, sinon ça va encore plus gonfler.

    — Merci, dit Tann en prenant la poche de froid et en l'appliquant avec précaution sur sa mâchoire gauche. C'est une bonne chose que vous m'ayez appelé. Sinon, je ne sais pas ce qui vous serait arrivé.

    — Et comment avez-vous trouvé ma maison... enlevez-la une seconde, dis-je en baissant les yeux vers son menton pour évaluer la gravité de la blessure. 

    Je tendis la main pour toucher la mâchoire de Tann afin de savoir s'il souffrait d'une fracture de la mâchoire. L'homme sursauta sous l'effet de la douleur.

    — Après votre appel, je savais déjà qu'il s'était passé quelque chose. J'ai donc conduit jusqu'aux urgences et j'ai demandé où vous habitiez. J'ai trouvé toutes sortes d'excuses imaginables jusqu'à ce qu'on me donne votre adresse.

    J'acquiesçai, tendant la main pour prendre un Kleenex sur la table de la salle à manger.

    — Ouvrez la bouche.

    Tann s'exécuta docilement. J'insérai l'index et le majeur de chaque main dans sa bouche, avec des mouchoirs en dessous pour éviter que sa salive ne s'écoule. Je touchai ses dents et sa mâchoire, en effectuant des mouvements verticaux de haut en bas. La mâchoire de Tann était toujours intacte.

    — Ah... ow, da fait mal.

    Ignorant sa voix étouffée, je saisis la lèvre inférieure de l'homme et la tirai vers le bas. Il présentait une lacération de 0,5 cm de long sur la muqueuse buccale gauche, qui devait être due à l'enfoncement de ses dents dans sa lèvre sous l'effet du coup de poing.

    J'enlevai mes mains de la bouche de Tann, jetai le mouchoir et me lavai les mains dans l'évier. Tann se couvrit la bouche avec ses mains, une expression gênée sur le visage.

    — Maintenant, je crois que je sais ce que ça fait d'être agressé sexuellement.

    — Non, c'est bien pire, dis-je en secouant mes mains mouillées au-dessus de l'évier. 

    — Avez-vous déjà été victime d'une agression sexuelle ? dit Tann, semblant être choqué.

    Je soupirai.

    — Non, mais j'ai pratiqué des examens médicaux sur des victimes de crimes sexuels. Leur état physique et mental est irrémédiable.

    Tann eut l'air soulagé.

    — Pour ce qui est de la blessure dans votre bouche, elle devrait être recousue. Vous devriez aller aux urgences.

    — Je peux m'en passer ? Que diraient les infirmières si elles voyaient ma lèvre éclatée après que je sois allé vous voir chez vous ?

    — Alors vous devez aller dans un hôpital privé. L'argent ne devrait pas être un problème pour vous.

    Après m'être séché les mains, je me dirigeai vers l'endroit où s'était déroulée la bagarre. Les restes du vase en porcelaine étaient éparpillés sur le sol. Les lunettes de soleil de l'agresseur et l'arme à feu dans un coin de la pièce. Je m'accroupis et les examinai avec attention, essayant de trouver une preuve prometteuse qui pourrait être examinée dans un laboratoire.

    — Devons-nous informer la police ? demanda Tann.

    Je restai silencieux.

    — Si nous le faisons, que se passera-t-il ? Quelqu'un d'autre disparaîtra.

    — Peu importe qui disparaîtra. Je pense que votre sécurité doit passer avant tout.

    Je me tournai vers Tann, qui me regardait d'un air inquiet. Après ce qui était arrivé aujourd'hui, je me rendais compte que ma confiance en lui s'était considérablement accrue. Malgré les agissements parfois suspects de Tan, je savais au moins que l'intrus et lui n'étaient pas le même homme.

    — Je ne peux pas faire ça. Les gens n'ont pas disparu à cause de vous, vous ne comprenez tout simplement pas, affirmai-je d'un ton impassible. 

    Tann se tut, comme s'il avait quelque chose à l'esprit.

    Je vis une gouttelette de sang sur le sol, sans savoir si elle appartenait à l'intrus ou à Tann. L'image de Tann recevant un coup de poing au menton de la part de cet homme refit surface dans mon esprit. J'admettais qu'à ce moment-là, j'avais été extrêmement horrifié.

    L'image suivante qui me traversa l'esprit fut celle de Tann, m'attirant dans ses bras.

    Ce n'était pas un geste traditionnel de sollicitude qu'un homme partagerait avec un autre. À deux reprises, il avait agi comme s'il voulait m'approcher d'une autre manière. Il y avait une intention cachée derrière son geste de me tenir la main au restaurant et de me serrer dans ses bras. C'était plus que de la simple préoccupation. Je ne savais pas comment je devais me sentir. Il était très beau, je l'admettais. Mais dans une situation comme celle-ci, je ne pouvais pas me permettre de me laisser aller.

    — Que diriez-vous de ceci  ? proposa Tann après un court silence. Vous soumettez le rapport d'autopsie en disant qu'il s'agit d'un suicide, juste pour que le tueur se sente en sécurité. Et pendant ce temps, travaillons ensemble discrètement pour trouver qui est le tueur. Cela devrait empêcher que d'autres personnes soient enlevées. Si nous attrapons le tueur, nous dirons à la police que vous avez été menacé pour falsifier le rapport.

    — C'est ce que je vous ai dit lorsque nous étions dans la voiture hier. Mais vous étiez contre l'idée de soumettre le rapport falsifié.

    — Eh bien, vous avez dit que vous attendriez que la police trouve des preuves suggérant que Jane a été tuée. Cependant, ce que je voulais dire, c'est que nous ne parlerons pas aux flics. Nous le ferons à notre rythme. Vous et moi allons continuer à chercher. Je ne suis peut-être pas aussi intelligent que vous, mais nous devrions pouvoir trouver quelque chose. J'ai des informations sur les connaissances de Jane, vous avez une expertise médico-légale. Je pense que c'est la meilleure solution.

    Je restais assis, écoutant ce que disait Tann. S'il m'avait proposé ce plan avant que j'apprenne que le tueur et lui n'étaient pas la même personne, j'aurais supposé qu'il essayait de me convaincre de remettre le rapport falsifié aux flics. J'aurais trouvé cela encore plus suspect, mais à ce stade, j'avais en quelque sorte confiance en cet homme, certes pas complètement, mais pas mal. Je me levai.

    — Laissez-moi y réfléchir encore une nuit et je vous le dirai. Maintenant, vous devriez aller à l'hôpital.

    — Je n'irai nulle part sans vous, dit Tann avec détermination. 

    Je tournai la tête pour le regarder.

    — Ne me dites pas que vous allez rester ici.

    — L'agresseur s'est introduit chez vous et vous pensez encore vivre ici tout seul ?

    — Comment puis-je laisser un étranger vivre sous le même toit ?! dis-je en fronçant les sourcils.

    — Pouvons-nous cesser d'être des étrangers ? gloussa Tann.

    A force de parler, la plaie au coin de sa bouche se fendit et se remit à saigner. Je levai les yeux au ciel en signe d'agacement.

    — Monte dans la voiture.



    Je conduisis Tann dans un hôpital privé au centre du district de la capitale, je le déposai devant les urgences avant de trouver un endroit où me garer devant le bâtiment. Je retournai ensuite aux urgences, m'asseyant sur une chaise dans la salle d'attente. Les urgences de l'hôpital privé ne semblaient pas aussi fréquentées que celles des hôpitaux publics que je connaissais. Je regardai la luxueuse porte coulissante automatique en verre et j'eus l'impression que le nœud dans ma poitrine s'était desserré. C'était comme si j'avais enfin quelqu'un pour partager plusieurs jours de stress refoulé.

    Je n'avais jamais pensé que Tann serait cette personne, celle qui savait tout ce qui m'arrivait et qui m'aidait à trouver la marche à suivre. Le suspect numéro un s'était transformé en partenaire ? Mon radar de détection de tueurs avait dû griller.

    Une demi-heure plus tard, Tann sortit, un sac de médicaments à la main. Je le regardai, son visage semblait gêné.

    — C'est comme si j'avais été battu à nouveau, dit Tann en se couvrant la bouche. J'ai eu deux points de suture. Le médecin a dit que la blessure était assez profonde, le sang n'arrêtait pas de couler.

    — Je te l'avais dit, tu avais besoin de points de suture.

    Je me dirigeai vers le parking. Tann me suivit en trottinant et marcha juste à côté de moi.

    — Où vas-tu aller ensuite  ? me demanda Tann.

    — Dans un endroit sûr.

    J'avais l'intention de retourner à l'hôtel.

    — Alors, allons chez moi.

    Cela me stoppa net dans mon élan. 

    — Non, merci.

    — Reste chez toi, alors, mais je passerai la nuit là-bas avec toi. Que ferais-tu si ce type revenait ?

    Je ne savais pas si je devais avoir plus peur de l'agresseur ou du fait que nous allions dormir au même endroit. Naturellement, c'était la première option, parce que la présence de Tann ne serait pas aussi dangereuse que la perspective du retour de l'agresseur, qui pourrait revenir pour me faire du mal. 

    — Comme tu veux... mais je ne retournerai plus dans cette maison.

    — Alors allons chez moi. C'est juste à Klang Vieng. C'est plus sûr.

    Klang Vieng signifie “centre-ville” ; parfois, les habitants utilisent le dialecte sans le vouloir, oubliant que les étrangers peuvent ne pas comprendre le concept même du mot. En réalité, je n'avais pas envie de retourner chez moi. Mais je ne voulais pas non plus emmener Tann à l'hôtel, car je voulais que l'hôtel reste un endroit secret où se réfugier à l'insu de tous. J'appuyai sur la clé pour ouvrir la voiture.

    — Laisse-moi d'abord aller chercher mes vêtements.

    — Bien sûr, je vais aller récupérer ma voiture aussi, acquiesça Tann.

    Après avoir ouvert la portière, je me glissai sur le siège du conducteur. Je démarrai le moteur et attendis que Tann ferme la porte avant de sortir du parking de l'hôpital.

    — Doc, qu'en est-il de l'arme ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? demanda Tann.

    — Dans mon travail, c'est généralement l'enquêteur de la scène de crime qui manipule l'arme. Il est possible d'identifier le propriétaire de l'arme à partir du numéro de série. Cependant, s'il s'agit d'une arme non enregistrée, il est difficile de le savoir. Je ne l'ai pas encore vraiment examinée.

    — Et on a toujours besoin des flics pour ça de toute façon, dit Tann en se frottant le menton, plongé dans ses pensées. Alors le tueur qui a des relations avec la police saura ce que nous faisons. Tu seras en danger... c'est compliqué.

    Tann laissa échapper un long soupir et posa sa tête sur l'appui-tête.

    — Puisque nous ne pouvons pas l'utiliser pour trouver le tueur, tu devrais le garder pour te défendre.

    Je regardai devant moi, contemplant la route.

    — Je pense que oui...

    — Alors tu retournes chez toi pour préparer tes vêtements, tu récupères l'arme, tu prends ta voiture et tu me suis jusqu'à chez moi.

    — Hmph, répondis-je, le regard fixé sur la route. 

    De temps en temps, je jetais un coup d'œil à son comportement, qui était maintenant sérieux et solennel. Je voulais lui faire entièrement confiance, mais il y avait quelque chose qui me dérangeait encore. Lorsque j'avais un sentiment de méfiance, j'essayais de me rappeler qu'il ne s'agissait pas du même homme. J'avais même assisté de mes propres yeux à la bagarre entre les deux. J'inspirais et j'expirais lentement pour rester calme. Rester chez Tann devrait être la solution la plus sûre pour l'instant.



    Ma voiture se stoppa devant la clôture d'une maison à deux étages, construite sur un terrain de 400 m² à l'intérieur d'une zone résidentielle. La maison était magnifiquement conçue dans un style moderne, différent des autres maisons du voisinage. Oui, cette maison semblait convenir à l'homme qui dirigeait l'école de tutorat. Tann, qui avait ouvert la voie, descendit de sa voiture. L'homme se dirigea directement vers moi, j'abaissai la vitre et me tournai vers lui.

    — Tu peux rentrer ta voiture à l'intérieur. Je vais t'ouvrir le portail. 

    Tann s'empressa d'ouvrir le portail en fer forgé.

    Après m'être garé, j'entrai dans la maison de Tan et il me suivit. Il verrouilla la porte, puis tendit la main pour allumer la lumière, éclairant ainsi le salon. La décoration était simple, mais belle. Il y avait quelques objets à l'intérieur de la maison, ce qui donnait l'impression que l'espace était spacieux et confortable.

    — Il y a une chambre d'amis à l'étage. Et une salle de bain privée. C'est tout à toi, me dit Tann en me faisant monter les escaliers. Mais si tu es encore secoué, tu peux partager ma chambre.

    — Non, merci, répétai-je pour la deuxième fois.

    Tann sourit un peu et monta les escaliers. Je portais mon sac. Tout en montant les marches, je sentis dans ma poche l'objet solide et dangereux que j'avais récupéré chez moi, une arme bien plus puissante que mon scalpel.

    — Tu vis seul ? demandai-je en jetant un coup d'œil autour de moi.

    — Oui. Parfois, ma mère vient à la maison, dit Tann en allumant les lumières du deuxième étage et en s'avançant pour ouvrir la porte de droite. Voilà, c'est ici. Si tu as besoin de quelque chose, appelle-moi.

    J'entrai dans la pièce qu'il m'avait ouverte. Elle n'était pas grande. Il y avait un lit simple, une armoire, l'air conditionné et une salle de bain. Je me tournai vers Tann, qui était appuyé contre le chambranle de porte, les bras croisés sur la poitrine.

    — Repose-toi un peu. On parlera de la recherche du tueur plus tard. Bonne nuit.

    Tann s'éloigna de la porte et la referma pour moi. Je restai immobile quelques secondes avant de poser mon sac sur le sol et de m'asseoir lentement sur le lit. L'horloge de la tête de lit indiquait qu'il était déjà 1h30 du matin. Je m'allongeai sur le lit, epuisé.

    Ce fut le sommeil le plus paisible qui soit, meilleur que ceux des nuits précédentes.


    Notes

    1- Khao Tom Mud : Dessert traditionnel thaïlandais, composé de bananes sucrées enveloppées de riz gluant à la noix de coco.



  • Commentaires

    3
    Samedi 10 Juin 2023 à 19:42

    merci pour cette suite

    2
    Jeudi 8 Juin 2023 à 14:23

    Merci pour ce nouveau chapitre ;)

    1
    Mercredi 7 Juin 2023 à 19:22

    Ah ça y est, ils sont enfin un peu plus proche, disons XD

    Merci pour la traduction !

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