• Chapitre 30 - Rest

    Chapitre 30

    Je ne veux pas quitter le rebord de ce précipice. Je ne veux pas quitter la silhouette des corps des yeux. Je veux surveiller l’avancée des secours. Je veux être là quand ils le remonteront. Ne pas bouger et espérer un miracle. Seulement, on m’en empêche, les secouristes veulent que j'aille à l'hôpital, que je me fasse examiner, que je me repose. 

    — Mon coeur, écoute ce qu’ils te disent. 

    Je veux les ignorer, mais lui je suis incapable de le faire. Je tourne la tête vers lui, il me tient toujours contre lui, me tenant au chaud même si cela n’empêche pas mon corps de trembler. 

    — Tu dois te soigner, on doit aller rejoindre les autres, savoir s’ils vont bien et puis il y a ta mère aussi, tu ne veux pas aller la voir. 

    Je sursaute quand il me rappelle tout cela, Prem inconscient, Joss poignardé et les autres… Je me mords la lèvre nerveusement avant d’hocher la tête lentement. 

    — Ok, allons-y.

    Je résiste une seconde avant de le laisser m'entraîner, son bras autour de mes épaules, il me guide et me soutient. Je me retourne à plusieurs reprises mais finalement, les arbres se referment sur nous, faisant disparaître l’endroit qui a abrité ma dernière confrontation avec le monstre. 

    — Tout est de ma faute… 

    Maintenant que l’adrénaline a disparu de mon corps, que j’ai l’esprit plus clair, je me rends compte que si j’avais eu la présence d’esprit de les détacher, si j’avais dit le code tout de suite, si je ne lui avais pas couru après… Ma respiration se bloque et mes jambes me lâchent tant je sens le poids de la culpabilité me tomber dessus.

    Aussitôt, les secouristes qui nous suivaient s’approchent de nous, le silence nous entoure alors qu’ils m'auscultent rapidement, s’assurant que je n’ai pas de problème grave.

    —  Il est sous le choc, il lui faut du repos. On peut le mettre sur la civière.

    — Non ! Je vais le porter. 

    Les interrompt Ohm fermement, il refuse la solution qui serait à coup sûr la plus rapide et la moins contraignante, mais juste à l’idée d’être allongé sur cette civière, de ne plus sentir son contact, je sens la panique me serrer la gorge. Je ne sais pas pourquoi ils n’insistent pas, mais avec des gestes lents, Ohm réussit à me placer sur son dos. J’entoure son cou de mes bras et j’y plonge le visage, savourant la chaleur qu’il dégage, mais aussi son parfum qui m’apaise aussitôt. On se remet en route et je me retrouve rapidement à somnoler alors qu’il me transporte à travers bois. 

    — Tu n’es pas responsable, Fluke.

    Je sursaute légèrement quand sa voix s’élève et je me serre un peu plus contre lui en soupirant. J’entrouvre les yeux en relevant la tête pour pouvoir observer son profil. 

    — Ils ont été blessés par ma faute et … Wanchana est.... 

    Je m'interromps, c’est trop difficile à dire à haute voix qu’il est peut-être parti pour toujours. Je me mords fortement l’intérieur de la joue pour lutter contre les larmes, je n’ai pas le droit de me montrer triste, pas quand je suis responsable de tout.

    — Ne fais pas ça Fluke, ne te rends pas coupable de quelque chose sur lequel tu n’avais aucun contrôle. 

    Il tourne le visage vers moi et son regard triste croise le mien. 

    — C’est Krissada le coupable, c’est lui qui a causé toute cette violence. Tu es la victime, tout comme les autres, aucun d’eux ne t’en voudra jamais, je ne t’en veux pas. 

    Je me mords la lèvre inférieure et il soupire avant de se pencher subitement vers moi. Nos lèvres se retrouvent, c’est un baiser rapide, léger et doux, pourtant, il est une véritable bouffée d'oxygène. J’ai l’impression de sortir un peu de la torpeur, de cet état cotonneux où je suis plongé depuis que l’on a appris que le monstre les a enlevés.

    — On en reparlera dans quelques jours quand tu iras mieux, mais en attendant, tu n’as pas à te retenir d’être triste ou heureux, d’accord ?

    — D’accord. 

    Je ne peux pas argumenter, au fond de moi je sais qu’il a raison. Alors je décide d’arrêter de me torturer pour le moment, je veux juste être près de Ohm, avoir des nouvelles des autres et garder une once d’espoir pour mon oncle. 

    — Je t’aime. 

    Je repose ma tête contre son épaule et je n’ai pas le temps d’attendre sa réponse que je finis par m’endormir ou plutôt mon esprit décide qu’il est temps de m’offrir une pause et de me couper du reste du monde. 

    Je sens un poids sur ma main, j’entends des voix chuchoter autour de moi. C’est mon premier contact avec la réalité quand, après une inconscience sans rêve, je reprends pied. La première chose que je vois c’est un plafond blanc, je cligne à plusieurs reprises des yeux, ayant du mal à me faire à la luminosité ambiante. 

    — Ohm ?

    Je panique un peu, mais à peine mon murmure sort d’entre mes lèvres, le poids sur ma main se fait plus ferme et son visage inquiet entre dans mon champ de vision. 

    — Je suis là.

    Il me sourit tendrement en replaçant une mèche de mes cheveux. 

    — Tu es en sécurité, à l'hôpital, maman t’a soigné et tu as dormi un moment. 

    Il n’attend pas pour répondre à mes questions muettes et en tournant la tête, je rencontre le regard de Chermarn, elle me sourit aussi tendrement que son fils et je sens une vague d’émotion me saisir à la gorge quand la dernière image que j’avais eu d’elle était attachée sur cette chaise. Les larmes coulent toutes seules, mais elles font du bien, elles m’aident à évacuer le trop plein. 

    — Je suis désolé… Elle lance un petit regard à son fils avant de se pencher vers moi et de me serrer contre elle et une fois encore j’ai l’impression que c’est une étreinte maternelle qu’elle m’offre. Cette pensée en amène une autre, ma mère, celle que je pensais morte depuis si longtemps et qui finalement vivait encore avec le monstre, puis tous ceux qui sont devenus ma famille et la peur me tord à nouveau le ventre.

    — Est-ce… comment… ?

    — Chuuut, calme-toi Fluke. Ohm va t’emmener les voir, d’accord ? 

    La voix douce de Chermarn me berce, m’apaise et je hoche lentement la tête en entrecroisant mes doigts à ceux de Ohm qui ne m’a pas lâché. Comme son fils, elle semble déterminée à me donner toutes les réponses et quand nos regards se croisent, je sais que je vais devoir être fort. 

    — Wanchana et … lui… ont été remontés du ravin. Kris… Krissada est mort, il n’a pas survécu à la chute, mais… Wanchana est un battant, il n’est pas tiré d’affaire, mais il se bat de toutes ses forces d’accord ?

    J’ai du mal à intégrer ces deux informations. Le monstre est mort, plus jamais il ne pourra revenir me faire du mal, je vais pouvoir avancer, vivre ma vie sans crainte et je n’arrive pas à réaliser. Et puis, il y a la peur mêlée au soulagement, mon oncle est encore vivant, il se bat et les médecins se battent aussi pour le garder en vie. Il y a un espoir, même s’il est mince, je veux m’y accrocher de toutes mes forces. 

    — Je… Je ne sais pas comment je dois réagir…

    Est-ce que je dois être heureux, malheureux, soulagé, c’est difficile de choisir pour le moment. Deux lèvres se posent sur ma tempe et je soupire en fermant les yeux. 

    — Tu n’es pas obligé de dire quoi que ce soit, ou de faire quoi que ce soit pour le moment. Laisse le temps faire les choses et tu y verras plus clair dans quelques jours, d’accord ? 

    Ohm, encore une fois, trouve les bons mots pour me remonter le moral et m’aider à prendre de la distance par rapport à tout ce que l’on a vécu ces derniers jours.

    — Et les autres ? Joss ? Prem ?

    L’inquiétude refait aussitôt surface, le souvenir des deux au sol et blessés me revient aussi clairement que si j’étais encore dans le salon de cette maison puante. Ohm soupire et une fois de plus, c’est Chermarn qui m’explique ce qui se passe pour nos amis.

    — Prem a la pommette fracturée, il faudra quelques semaines pour que ça aille mieux, mais ses jours ne sont pas en danger.

    Je grimace en imaginant la douleur qu’il doit ressentir, mais je suis soulagé à l’idée qu’il n’ait rien de plus grave. 

    — Joss a reçu un coup de couteau au flanc gauche et sa rate a été touchée. Il est toujours en salle d’opération.

    Je me mordille la lèvre, c’est moi qui devrait être dans cette salle d’opération, Joss a été blessé pour me protéger et maintenant je ne peux que croiser les doigts pour qu’il survive et n’ait aucune séquelle.

    — Joong à eut l’épaule démise, mais elle a été replacé et les autres sont légèrement choqués, mais ils vont bien dans l’ensemble.

    Je souffle doucement, me laissant aller contre Ohm qui ne s’est pas éloigné. Je suis inquiet pour Joss et mon oncle qui luttent pour rester en vie, mais les autres sont hors de danger et j’en suis heureux. Pourtant, il reste une grande inconnue, une chose que j’ai peur d’avoir imaginée. 

    — Et… pour… ma mère… je n’ai pas rêvé, pas vrai ?

    Chermarn sourit et me caresse les cheveux avec douceur avant de secouer la tête. 

    — Tu n’as pas rêvé, elle est bien en vie. Elle est sous surveillance dans une chambre, elle se repose et va être prise en charge pour l’aider à surmonter l’épreuve. 

    Je tremble, elle est bien là, pour de vrai. J’ai envie d’aller la voir, de la prendre dans mes bras et de retrouver cette étreinte qui était devenue, au fil des années, un souvenir douloureux. En même temps, j’ai peur de lui faire face, j’étais un enfant la dernière fois que je l’ai vu et je ne sais pas comment les choses vont se passer. 

    — Tu devrais te reposer encore un peu, tu en as besoin.

    Je secoue vivement la tête, ils m’ont rassuré, mais j’ai besoin de voir chacun d’entre eux, de parler avec eux, de les prendre dans mes bras pour m’assurer que tout est bien réel, que le cauchemar est fini.

    — Je veux aller les voir.

    — Je vais l’accompagner maman, je m’assurerai qu’il se repose après, d’accord ?

    Ohm me connaît, il sait que je ne me reposerai pas tant que je ne serai pas sûr à cent pour cent que tout va pour le mieux, qu’il n’y a plus de danger. Chermarn n’insiste pas et sans attendre, je quitte le lit et la chambre. On marche tranquillement dans les couloirs, main dans la main et je le laisse me guider avec confiance.

    Bientôt, il toque discrètement à la porte d’une chambre avant d’y entrer, je le suis et mon cœur ressemble à un morceau de plomb quand, dans la pénombre, je vois Prem endormi dans le lit, son visage est tuméfié et gonflé et je me sens désolé pour lui. Assis sur une chaise en train de lui tenir la main, il y a Boun qui tourne la tête vers nous quand on entre. 

    Il se lève lentement et je ne réfléchis pas, je lâche Ohm et traverse la chambre avant de passer mes bras autour de sa taille et de le serrer dans mes bras. Il laisse échapper un petit rire fatigué avant de me caresser amicalement le dos et la tête. 

    — On va bien, Fluke. 

    J’entends son cœur qui bat tranquillement dans sa poitrine et je sais qu’il ne ment pas pour me rassurer.

    — Vous devriez m’en vouloir, à cause de moi Prem a été blessé, si je vous avais libéré tout de suite al…

    — Comment je pourrais en vouloir à mon meilleur ami ?

    Je sursaute quand la voix encore un peu endormie de Prem s’élève et mon cœur fait une envolée. Son meilleur ami ? Jamais je n’aurais imaginé que quelqu’un puisse me considérer comme ça un jour. Il me fait un petit sourire avant d’ouvrir ses bras et je n’hésite pas à aller le rejoindre. Je monte sur le lit, m’allonge à ses côtés et il m’attire dans une étreinte fraternelle qui me bouleverse. 

    — Je me ferais frapper un million de fois si cela pouvait te sauver la vie.

    Je n’arrive plus à parler et je me contente d’hocher la tête. Pendant toutes ces années, je m’étais tenu loin du contact des gens, mais depuis mon arrivée auprès d’eux, je me rends compte que j’aime les nuances dans les émotions qu’un câlin fait apparaître selon qui vous l’offre. Et si mes préférés sont ceux de Ohm, j’aime également les autres et je ne me sens plus mal quand des bras aimants m’entourent.

    — Joss et Wanchana ? 

    La voix de Boun questionne son ami et la réponse est la même que quand j’ai moi-même posé la question à mon réveil.

    — Les opérations sont encore en cours. Maman est partie se renseigner et elle nous tiendra tous au courant.

    Ohm répond d’une voix monotone et je sais qu’il tente de cette manière de ne pas montrer son inquiétude, il veut être fort pour tout le monde, au risque de s’oublier lui. 

    — Tu as mangé un petit peu ?

    — Non… Je n’ai pas voulu m’éloigner.

    Je sens la poitrine sur laquelle ma tête est appuyée se soulever et un long soupir en sort quand Prem entend la réponse de son petit ami. 

    — Boun, va manger et prendre du temps pour toi. Je te promets d’être encore là quand tu reviendras et puis, regarde, je ne suis pas seul, Fluke reste avec moi. 

    Je me redresse du mieux que je peux car Prem ne semble pas décidé à me lâcher et je regarde mon ami qui semble inquiet à l’idée de ne plus avoir son petit ami bien en vue et je hoche vigoureusement la tête, je ne bouge pas d’un pouce pour le moment.

    — Je viens avec toi et au passage on va s’assurer que les autres ont mangé. On apportera à manger à Prem et Fluke quand on reviendra, d’accord ? 

    Ohm parle d’une voix douce à Boun, c’est étrange car habituellement ils sont plutôt bourrus quand ils se parlent. Je comprends pourquoi quand je croise le regard de Boun, il est hanté par la peur et l’angoisse. Il essaie de paraître fort et égal à lui-même, mais il est traumatisé, comme nous autres, il a peur qu’il arrive quoi que ce soit si jamais il n’est pas avec Prem.

    — Boun, je te promets que rien n’arrivera, je reste là, je le surveille.

    Il nous observe tous les deux un moment avant de hocher la tête et de se laisser entraîner par Ohm vers la porte de la chambre. Ce dernier me lance un petit sourire et un regard tendre. Je sais que, comme Boun, il n’est pas tranquille de me laisser, mais il sait surtout que l’on ne doit pas laisser la peur prendre le dessus sur nos vies, on doit reprendre nos habitudes et avancer.

    Je quitte son étreinte pour m'asseoir sur le lit et pouvoir l’observer plus attentivement. Il est pâle, son œil droit est presque complètement fermé et un énorme hématome l’entoure. Je me mords la lèvre, imaginant combien il doit souffrir, mais ce qui me fait le plus mal, c’est sa pommette, elle est enflée, la peau est tendue et brillante et je ne peux pas m’empêcher de grimacer. 

    — Ne fais pas cette tête-là Fluke, je vais bien. 

    Je soupire un peu et il me prend la main, la serrant légèrement pour appuyer son propos.

    — Tu dois avoir très mal.

    Je n’arrive pas à penser à autre chose, la douleur qu’il doit ressentir me fait grimacer et son sourire un peu crispé ne me détend pas vraiment.

    — Bientôt, je n’aurai plus rien et ça ne restera plus qu’un mauvais souvenir. 

    Sa main se pose sur mon épaule qu’il serre doucement. J’entortille nerveusement mes doigts à la couverture, malgré ses paroles sensées, je m’en veux terriblement et il le sent car il prend mon menton entre ses doigts et me force à le regarder dans les yeux. 

    — Ne fais pas ça, ne prends pas la culpabilité de Krissada sur tes épaules, tu es une victime toi aussi, ne l’oublie pas. Tu lui as fait face, tu nous as sauvé en venant et c’est tout ce qui compte.

    — Mais si Joss et mon oncle ne…

    — Fluke, arrête. Je ne peux pas t’affirmer qu’ils vont aller bien, mais je suis sûr d’une chose, ils se battent comme des lions pour survivre. 

    Mon coeur accélère, il a raison, rien n’est encore joué, je ne dois pas partir pessimiste, pas encore. 

    — Tu dois positiver et leur envoyer toutes les bonnes ondes dont tu es capable pour les aider.

    Je respire amplement, mon inspiration est tremblante, mais je réussis à ne pas pleurer. Je prends sa main dans la mienne et la serre doucement en guise de réponse avant de sourire comme je peux. Au même moment, un léger toquement se fait entendre et la porte s’ouvre pour laisser apparaître Joong et Nine. Ils entrent tout de suite dans la pièce et sans attendre, ils nous rejoignent. Nine me rejoint, alors que Joong passe de l’autre côté du lit et avant d’avoir le temps de souffler, on se retrouve tous les quatre pris dans un câlin géant.

    Le silence s’éternise, mais cette étreinte vaut tous les mots du monde, je me sens bien et j’arrive à me délester d’une partie de ma culpabilité. Aucun d’eux ne m’en veut, personne n’est en colère contre moi, au contraire.

    — N’empêche Fluke… tu devrais rejoindre le club d’athlétisme à l’université. 

    Joong est le premier à prendre la parole et je me redresse en fronçant les sourcils, me demandant de quoi il peut bien parler. 

    — De quoi ?

    Joong est installé contre la tête de lit un bras en écharpe et Prem qui est appuyé contre son épaule valide sur lui lutte pour ne pas dormir. Moi je suis à l’opposé de Joong et c’est Nine qui est appuyé sur moi. La scène peut sembler irréaliste, d’être là dans cette chambre d'hôpital à discuter de tout et de rien comme si rien ne s’était passé. 

    — Tu ne comptes pas aller à l’université maintenant ? 

    Nine me questionne en relevant la tête vers moi et je me mordille la lèvre inférieure.

    — Je ne sais pas. Même si… il n’est plus là, me retrouver entouré d’autant de personnes, c’est un peu effrayant. 

    Je murmure la fin de ma phrase, je suis isolé depuis si longtemps que l’idée de me retrouver plongé au milieu de tous ces étudiants, même si ça me fait terriblement envie, ça me terrifie tout autant.

    — Ne t’inquiète pas, tu as le temps, l’université ne s'enfuira pas. Par contre… pourquoi l’athlétisme ? 

    La voix endormie de Prem se veut encore une fois rassurante et je le remercie pour sa bienveillance. Par contre, quand je vois l’éternel petit sourire en coin de Joong, je me doute que sa réponse ne sera absolument pas sérieuse.

    — Parce qu’il file comme le vent, s’il avait eu les cheveux longs, on aurait pu le prendre pour Pocahontas.

    Je reste une seconde à le regarder la bouche entrouverte avant d’éclater de rire. Qui aurait pu imaginer quand je suis entré dans la chambre que je serais maintenant en train de rire grâce à Joong. 

    — Pitié, ne me faites pas rire… c’est douloureux.

    Prem se plaint, mais il est incapable de s’arrêter de rire et on n’entend même pas la porte s’ouvrir et ni ne remarque les deux garçons qui nous regardent avec des sourires tendres.

    — Tu vois, je te l’avais dit Boun, pas la peine de se presser. 

    Rapidement, Ohm et Boun nous rejoignent, ils nous apportent des snacks et, aussi étrange que cela puisse paraître, on les mange en plaisantant, en oubliant l’horreur et juste en passant un bon moment tous ensemble, heureux d’être en bonne santé et en vie. 

    Plus tard, Prem s’est rendormi et Boun lui a repris la main et le regarde. Joong et Nine sont installés sur le petit canapé et Joong s’est endormi, la tête sur les genoux de son amoureux qui lui caresse lentement la tête. Moi, je suis dans les bras de Ohm et je me contente d’attendre, la légèreté est passée et l’attente a repris ses droits, le temps ne passe pas et je me tends chaque fois que j’entends quelqu’un passer derrière la porte.

    Quand finalement la porte s’ouvre, Boun, Nine, Ohm et moi on se redresse légèrement et on regarde Chermarn qui vient d’entrer, un air soulagé sur le visage. 

    — Joss est sorti du bloc, il est hors de danger. 

    Je ressens une sensation de vertige tant le soulagement est puissant, il a pris un coup de couteau pour moi, mais il va se remettre, il va vivre et c’est tout ce qui compte.

    — Il n’aura pas de séquelle ? 

    La voix de Boun pose la question et on se retrouve tous pendus à ses lèvres. Seulement, ce n’est pas Chermarn qui répond, mais Namtan qui se trouve juste derrière elle.

    — Il ne pourra plus exercer ses fonctions de policier, mais… ce n’est pas réellement ce qu’il voulait faire. Quand il ira mieux, on… on va pouvoir faire ce que l’on voulait faire quand on était plus jeune. 

    Elle est pâle, elle a l’air épuisée, mais son visage est détendu, elle est soulagée et peut maintenant se projeter dans l’avenir. Sans hésiter, je quitte les bras de Ohm pour la rejoindre et la prendre dans mon étreinte.

    — Merci Namtan. Merci de ne pas avoir abandonné ma famille.

    Sans elle, sans Joss, alors ma famille serait tombée dans l'oubli, on serait devenus une histoire que l’on raconte au coin du feu pour faire peur aux plus jeunes. Elle me rend mon étreinte, avant de me tenir à bout de bras avec un petit sourire ému. 

    — Maintenant, tu dois me promettre que tu vas vivre ta vie, que tu ne laisseras rien ni personne te barrer la route. Et que tu seras heureux avec ta mère et tes proches.

    Mon sourire n’est pas forcé, car c’est vrai. Même si j’ai peur de perdre mon oncle, même si je n’arrive pas à imaginer ma vie sans lui à mes côtés, à me guider comme un père le ferait, l’avenir ne s’annonce pas si mal. J’ai un poids en moins sur mes épaules, la peur ne guide plus ma vie et j’ai maintenant une chance d’être comme tout le monde. 

    — Tu fais partie de mes proches Namtan.

    On se serre une nouvelle fois l’un contre l’autre avant qu’elle ne s’éclipse rapidement pour rejoindre l’homme qu’elle aime et la vie qu’elle a mis entre parenthèses pour que j’ai une chance de retrouver la mienne. 

    Mon cœur bat la chamade, car même si je suis bien avec mes amis, il y a une personne que je dois voir, une personne qui jusqu’ici n'était qu’un souvenir flou dans ma tête. Je me tourne vers Ohm qui ne me quitte jamais vraiment des yeux et il hoche lentement la tête, comme s’il comprenait parfaitement que le moment était venu. 

    — On revient tout à l’heure.

    Il dit simplement ça avant de m'entraîner hors de la chambre en me tenant la main. Je le suis en silence, nerveux à l’idée de la revoir et, sans même m’en rendre compte, je me stoppe au milieu du couloir.

    — Ohm et si… et si c’était différent de mes souvenirs ?

    Je me rappelle une femme souriante, douce et aimante. Je me souviens de ses câlins, ses bisous et ses histoires pour m’endormir. Seulement, depuis, une éternité est passée. Je pensais vivre un enfer, mais je me rends compte que finalement, moi je n’étais qu’au purgatoire, celle qui vivait vraiment en enfer, c’était elle.

    — Fluke, vous avez passé des moments difficiles et traumatisants, mais même si les choses ne sont plus totalement comme avant parce que vous avez changé, elle reste ta mère et elle t’aime. Il faudra du temps pour vous retrouver, pour refaire connaissance, mais je suis certain que vous y arriverez. 

    Il ne cherche pas à embellir la réalité en me faisant miroiter une relation parfaite avec ma mère, mais ses paroles sont douces, car elles laissent présager une possibilité. Je me hisse sur la pointe des pieds et lui vole un baiser avant de lui sourire tendrement.

    — Merci Ohm. Je t’aime. 

    Je passe mes bras autour de sa taille et je profite un instant d’un câlin qui me donne la force de reprendre notre route vers la chambre de ma mère. La chambre est plongée dans la pénombre, c’est calme et c’est à pas de loup que j'entre dans la pièce pour ne pas réveiller la personne qui s’y repose. Ma mère dort profondément et j’ai alors le temps de vraiment la regarder. Je me souviens qu’elle était pleine de vie, les joues pleines, douces et colorées et toujours un sourire aux lèvres. 

    De tout cela, il n’en reste plus rien. Elle est maigre, les joues creusées, sa peau semble sèche et surtout très pâle. Du bout des doigts, je caresse son visage avant de sursauter quand elle ouvre brusquement les yeux. J’y reconnais la lueur qui brûle au fond de son regard. C’est la peur, pure, brutale, la même que je trouvais chaque jour dans mon propre regard chaque fois que je me regardais dans un miroir. 

    — Maman ?

    Un sourire fatigué apparaît sur ses lèvres sèches et j’y retrouve le fantôme de ses sourires d’antan. 

    — Fluke. Tu as tellement grandi mon chéri.

    Sa main se pose sur ma joue et c’est comme si rien n’avait changé. Elle est là, c’est ma maman, celle qui m’a terriblement manqué au cours de ces années. Des larmes coulent le long de nos joues et d’un mouvement faible, elle m’attire à elle. Elle semble tellement fragile à cet instant que j’ai peur de la briser rien qu’en la serrant contre moi, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je redécouvre cette étreinte maternelle et c’est comme si j’avais de nouveau 11 ans.

    Elle ne reste pas très longtemps éveillée, mais quand elle retrouve le sommeil, elle ne ressemble déjà plus à la femme que j’ai découvert en rentrant. Elle a repris un peu de couleur et un léger sourire reste accroché sur son visage. On reste un moment à l’observer sans rien dire, Ohm se tient derrière moi, il m’enlace et j’apprécie de pouvoir une fois de plus pouvoir m’appuyer contre lui. 

    Je ne sais pas depuis combien de temps je veille sur elle, mais un médecin entre alors dans la pièce en souriant.

    — Bonjour, vous êtes le fils de Um Apasiri ?

    — Oui. Est-ce qu’elle va bien aller ?

    Je prends la main de ma mère dans la mienne comme si soudain j’avais peur qu’elle ne soit plus vraiment là.

    — Elle doit reprendre du poids, mais physiquement, elle est solide. Elle va vite se remettre sur pied. Pour ce qui est du plan psychologique, il lui faudra beaucoup de temps. Pour le moment, elle doit rester à l'hôpital, mais il faudra vous montrer patient quand elle pourra rentrer chez vous. 

    Je n’ai aucune crainte là-dessus, je sais qu’on arrivera à l’aider, que petit à petit, elle se remettra, même si cela prend des années. Maintenant on a toute notre vie, le monstre n’est plus là pour nous faire du mal.

    Après plusieurs autres recommandations, le médecin quitte la pièce, mais cette fois il ne faut pas longtemps avant que la porte ne s’ouvre de nouveau à la volée, me faisant sursauter. Joong nous regarde les yeux exorbités. 

    — Il faut venir… le médecin a des nouvelles. 

    Mon cœur bondit, enfin, il y a des nouvelles de mon oncle. Je me tourne vers ma mère, lentement j’embrasse le dos de la main que je tiens toujours. 

    — Je reviens très vite maman, repose-toi. 

    Je la repose délicatement sur son ventre puis, après un dernier regard, je suis précipitamment les garçons vers le hall où le médecin nous attend. On est tous réunis, une famille au complet. On n'est peut être pas liés par le sang, mais je ne les échangerais contre rien au monde. Ils font partie de mon monde, ils sont ceux qui petit à petit m’ont redonné envie de croire en la vie. 

    — L’opération a été difficile, mais M. Sawatdee est un battant. Il devra rester un moment au service de soins intensifs, mais s’il n’y a pas de complications au cours des prochaines 48h alors le plus difficile sera passé. 

    Je tremble de plus en plus fort au fur et à mesure que le médecin nous donne toutes ces explications. Rapidement, Ohm m’entoure de son bras et je n’arrive pas à décider si ce sont de bonnes ou de mauvaises nouvelles. Il est vivant, mais il n’est pas encore totalement tiré d'affaires, alors même s’il y a encore plus d’espoir, le risque est encore présent, surtout quand je vois l’air grave du médecin qui ne semble pas avoir terminé. 

    — Malheureusement, la chute lui a endommagé le bas de la colonne, s’il se réveille, alors il ne pourra jamais remarcher. 

    Le coup est dur, j’ai l'impression de m’être pris un coup sur la tête. La bouche du médecin continue de bouger, mais je n’entends rien, je sens juste que Ohm me prend dans ses bras, je pose ma tête contre son torse. J’ai la tête vide, nos vies viennent de changer à tout jamais. On est en vie, on est ensemble, pourtant, chacun de nous gardera une cicatrice plus ou moins importante laissée par le monstre. Cependant, j’ai confiance en nous, malgré les obstacles, ensemble on arrivera à tout surmonter. 



  • Commentaires

    1
    Dimanche 18 Juillet 2021 à 16:21

    Ouf tout le monde va bien mais il faut attendre encore un peu pour l'Oncle, j'espère vraiment que ça ira....

    Je pense que la mère de Fluke a beaucoup de chose à raconter aussi du coup je voulais savoir, est-ce qu'on aura un chapitre de son point de vue? Je pense que ses serait très intéressant de savoir comment elle a réussi à tenir tant d'année

    Merci beaucoup pour ce chapitre

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