• Please Come Home (Dark Blue Kiss : Sun & Mork)

    Please Come Back Home

    Je n'avais jamais voulu de cette vie, quitter la Thaïlande pour un pays dont je ne connaissais rien, étudier ce que mon père avait décidé pour moi et travailler dans son entreprise alors que moi j'avais un autre rêve, un autre but dans la vie. Depuis mon plus jeune âge, je voulais ouvrir un café, être au plus proche des gens et me sentir heureux en vivant une vie simple et agréable.

    Seulement je n'étais pas seul, j'avais Rain mon petit frère. Le jour de mes dix-huit ans, quand j'avais expliqué ce que je voulais faire à mon père, il avait eu ce regard froid et méprisant. Il n'avait dit alors qu'une chose. 

    — Sun si ce n'est pas toi qui prend la relève alors ce sera Rain, je le ferai plier là où j'ai échoué avec toi.

    La menace était à peine voilée, Rain était encore un enfant doux et innocent. Il avait la vie devant lui alors que mon père m'avait déjà pas mal égratigné et si je devais lancer quelqu'un dans ses filets autant que ce soit moi.

    — Très bien... Je le ferai.

    Pour mon frère j'étais prêt à cacher qui j'étais réellement car je ne me faisais pas d'illusion, jamais il n'accepterait que son fils aime les hommes. Je me sacrifiais pour lui et j'espérais qu'il comprendrait un jour pourquoi je ne pouvais pas tenir mes promesses.

    J'ai quitté la Thaïlande il y a sept ans maintenant, mon père m'a envoyé faire des études d'économie en Angleterre. Je ne suis rentré en Thaïlande qu'une fois il y a deux ans pour la remise de diplôme de Rain. Il venait de fêter ses 18 ans, il pensait que je resterais avec lui. Seulement, après mes études, mon père m'a envoyé travailler dans la succursale japonaise, mais une fois encore, il ne prenait pas mon avis en compte, j’étais un pion sur son échiquier et il me plaçait comme bon lui semblait..

    Je regrette de m'être éloigné de lui, mon petit frère me manque et je veux apprendre à connaître l'homme qu'il est devenu, il a 20 ans maintenant et je suis curieux de connaître ses projets d'avenir. Alors j'ai usé de ma position et j’ai pris un congé de deux semaines, je dois repartir le lendemain de Noël, mais j'espère qu’à ce moment-là, je serais plus proche de Rain et qu'ensuite on pourra garder contact plus facilement.

    Ma dernière journée de travail semble s'éterniser et ne jamais vouloir se terminer. Je suis excité à l’idée de rentrer à la maison, loin de mon appartement froid et à moitié vide japonais. Personne n’est au courant, je veux faire une surprise à Rain et j’ai hâte de le retrouver. Dès ma sortie de l’avion, je me suis senti apaisé, je me sens bien, libéré de tout le stress accumulé depuis des années.

    Je me dépêche de marcher à travers le hall bondé de l’aéroport malgré l’heure tardive. Je regarde un peu tristement les voyageurs se faire accueillir chaleureusement par leur proche. Moi, personne ne m’attend alors que je tire la lourde valise qui m’accompagne derrière moi. Comme je n’ai prévenu personne, je n’ai pas de voiture pour me rendre dans la maison où vit Rain et la gouvernante qui s’occupe de lui. Du coup, sans hésiter, je me dirige vers la station de train qui va m'emmener de l’aéroport à la gare centrale de Bangkok. Le trajet est assez court, mais je tiens à peine en place, je garde le nez collé à la vitre, appréciant les paysages familiers, puis les prémices de la ville. En quittant le train, je sais que je n’ai plus qu’à trouver un taxi et alors je pourrais retrouver celui que je considère comme ma seule famille.

    Contrairement à l’aéroport, la gare est relativement calme et silencieuse, la nuit est avancée et j’entends rapidement les premiers accords d’une guitare quand quelqu’un se met à jouer. Le son est triste, mélancolique et je me sens attiré par la musique. Je me détourne de mon objectif premier et me laisse guider par le son, il est là près d’un poteau, un peu dans l’ombre. Il ne regarde pas autour de lui, focalisé par ses mains sur la guitare et quand il se met à chanter, mon estomac se tord.

    ♪ Bells will be ringing the glad glad news ♪ (Les cloches sonneront la bonne nouvelle)

    ♪ Oh what a Christmas to have the blues ♪ (Oh quel Noël pour avoir le blues)

    ♪ My baby's gone, I have no friend ♪ (Mon bébé est parti, je n'ai pas d'ami)

    ♪ To wish me greeting, oh once again ♪ (Pour me souhaiter le meilleur, oh encore une fois)

    Sa voix est douce à mes oreilles, il ne chante pas fort, il n’en a pas besoin, même s’il donne de la force aux paroles qu’il chante et qui me touchent énormément. Je reste là immobile devant lui, je ne sais même pas s’il se rend compte que quelqu’un l’observe. Je pense que je pourrais rester des heures à l’écouter chanter.

    ♪ Choirs will be singing, oh "Silent Night" ♪ (Des chœurs chanteront, oh "Douce nuit".)

    ♪ Christmas Carol by candle light ♪ (Un chant de Noël à la lueur des bougies)

    ♪ Please come home for Christmas ♪ (S'il te plaît, rentre à la maison pour Noël)

    ♪ Please come home for Christmas ♪ (S'il te plaît, rentre à la maison pour Noël)

    ♪ And if not for Christmas, by New Year's Night ♪ (Et si ce n'est pas pour Noël, pour la nuit du Nouvel An)

    Il lève les yeux en chantant la troisième phrase et je vois enfin complètement son visage pour la première fois et je suis saisi par les émotions qu'il exprime. C’est intense, son regard est sombre et j’ai du mal à avaler ma salive quand il plonge son regard dans le mien. Depuis sept ans je me bats contre moi-même, contre mes émotions pour ne jamais laisser le moindre doute sur ma sexualité. Pourtant, là il me subjugue complètement, il est magnifique, attirant et je ressens un frisson parcourir mon corps tout le temps où il me garde captif avec ses yeux.

    ♪ Friends and relations, send salutation ♪ (Amis et relations, envoyez vos salutations)

    ♪ Sure, as the star shine above ♪ (Comme l'étoile brille au dessus de nous)

    ♪ But this is Christmas, yeah Christmas my dear ♪ (Mais c'est Noël, yeah Noël ma chère)

    ♪ The time of the year to be with the one you love ♪ (La période de l'année pour être avec celui que vous aimez)

    Il baisse de nouveau les yeux et je prends un profonde inspiration incapable de détourner mes yeux du musicien qui continue de chanter d’une voix douce à mes oreilles. J’ai oublié que je me trouvais au milieu d’une gare, je n’entends plus aucun bruit autour de moi, il n’y a que lui et moi et je ne veux pas penser à ce que les gens imaginent en me voyant fixer un homme comme ça. Je devrais détourner le regard, je ne dois surtout pas laisser des rumeurs se créer, mais… il me captive.

    ♪ Oh won't you tell me yeah you'll never roam ♪ (Oh, ne me dis pas que tu ne vas jamais errer)

    ♪ Christmas and New Year (Christmas and New Year) ♪ (Noël et Nouvel An ( Noël et Nouvel An))

    ♪ Will find you at home ♪(Je te retrouverai à la maison)

    ♪ There'll be no sorrow, no grief or pain ♪ (Il n'y aura ni chagrin, ni peine, ni douleur)

    ♪ I'll be happy (happy) that it's Christmas once again ♪ (Je serai heureux (heureux) que ce soit une fois de plus Noël .)

    Sa voix s’éteint doucement et je reste figé alors qu’il finit de jouer les dernières notes. Je passe rapidement ma langue sur mes lèvres quand je me rends compte qu’elles sont toutes sèches. Il lève de nouveau les yeux vers moi et me fait un petit sourire en coin qui me fait rosir. Je fais un pas pour m’approcher, pour lui dire quoi, j’en sais strictement rien, mais j’ai besoin de lui parler. Sauf qu’à ce moment-là une personne lui tombe dessus. 

    — Hey enfin ! Qu’est ce que tu fais, on doit y aller, on nous attend.

    Je me fige à nouveau, je connais bien cette voix et cette silhouette, je fronce les sourcils. 

    — Rain ? 

    Le jeune homme se raidit avant de se tourner lentement vers moi et je ne sais pas quoi penser. Il ne ressemble pas au Rain que je connais, je ne comprends pas ce qui a pu se produire pour qu’il se retrouve à traîner habillé comme un voyou. Je le vois très bien me scanner de haut en bas avant de lever les yeux au ciel l’air ennuyé.

    — Oh c’est toi ! Salut. 

    Son accueil est glacial, certes après tout ce temps je ne m’attendais pas à ce qu’il me saute dans les bras, mais j'espérais quand même que ma présence lui ferait plaisir. Je ne peux pas m’empêcher de laisser de la tristesse passer sur mon visage, je veux lui parler, mais déjà il se détourne de moi et reporte son attention sur le musicien qui a fini de ranger son instrument. 

    — Allez viens dépêche toi où on va louper la meilleure partie.

    Il lui attrape le bras et commence à le traîner vers la sortie sans plus faire attention à moi, mais je ne peux pas le laisser partir comme ça. Pas quand le destin semble décidé à ce que l’on se voit alors que j’arrive à peine à Bangkok. 

    — Rain attends, je suis venu pour te voir.

    J'entends son soupir bien distinctement, je l'ennuie, tout ce que j’avais pu m’imaginer en préparant ce voyage est en train de voler en éclat et je ne comprends pas pourquoi notre père le laisse prendre une voie qui ne semble pas recommandable. Il tourne à peine la tête vers moi pour me répondre 

    — Écoute Sun, je suis un peu occupé là. Reviens voir dans deux ans j’aurais peut être du temps libre. 

    Il reprend sa marche, mais cette fois, c’est son ami qui l’arrête.

    — Rain, c’est qui ?

    Son ami ne m’a pas quitté des yeux, me détaillant, j’ai l’impression qu’il arrive à lire en moi et c’est déstabilisant comme sensation. Plus encore le regard amical et fraternel que mon frère lui lance, je dois bien dire qu’un instant je suis jaloux et blessé, car ce regard, m’était réservé il y a quelques années.

    — Oh… rien d’important, juste mon frère. 

    Mon regard se reporte sur Rain et… j’ai l'impression que mon coeur se brise. Je sais que je n’ai pas été le frère idéal, que je n’ai pas pu être présent pour lui comme je le voulais, mais… rien d’important. C’est difficile à entendre, ça fait mal et j’aimerais pouvoir lui expliquer mon absence, mais je sens très bien qu’il ne m’écoutera pas du tout.

    — Ok… allez viens, on nous attends. 

    Mork ne m’a pas quitté des yeux et un instant j’espère qu’il résonnera mon frère, mais il finit par hausser les épaules l’air de rien avant de passer son bras autour de son cou et de l'entraîner loin de moi. Je reste immobile, je ne sais pas si je dois remonter dans un train pour repartir tout de suite, ou bien essayer de m’accrocher pour ne pas complètement perdre le lien qui nous unissait.

    Ce qui me fait prendre ma décision, c’est l’inconnu, l’ami de Rain qui se retourne rapidement pour me regarder, il me fait un petit sourire d’encouragement avant de reporter son attention sur son ami et de sortir de mon champ de vision.

     

    Je suis à la maison depuis quatre jours, mais je n’ai pas vu Rain une seule fois. Ce n’est pas qu’il m’évite, mais il n’est pas rentré une seule fois. Je suis assis au comptoir de la cuisine devant mon dîner et je fais défiler la liste des messages que je lui ai envoyés et qui sont tous restés sans réponse. Il les a tous lus, les uns après les autres, mais ça s’arrête là. Je n’ose même pas regarder le journal d’appel, je l’ai appelé bien trop souvent, je me suis même fait la réflexion, que je l’avais appelé plus en quatre jours qu’en deux ans.

    Je soupire en regardant le repas que la gouvernante m’a préparé, mais je n’ai pas réellement faim. J’ai suivi mon père pour protéger Rain, mais j’ai l’impression que mon choix n’était pas si judicieux que ça. Sinon comment expliquer son comportement actuel, quelle aurait été sa vie si j’avais tenu tête à mon père, si j’avais ouvert un café comme je le voulais. Nos vies seraient réellement différentes maintenant et comme souvent je regrette mon choix, plus encore quand je vois combien mon petit frère me déteste.

    — Ne vous inquiétez pas Maître Sun, il arrive souvent à maître Rain de ne pas rentrer pendant plusieurs jours, mais il revient toujours. 

    Je lève la tête surprit et croise le regarde de la petite femme qui se tient devant moi, c'est elle qui s'occupe de Nong Rain depuis sept ans maintenant.

    — Est-ce que mon père est au courant ? 

    J'ai du mal à croire qu'il laisserait un de ses fils se comporter de la sorte, surtout si cela peut mettre à mal la réputation de son entreprise. Elle se mordille soudain la lèvre mal à l'aise et je comprends que ma question la dérange un peu et surtout je comprends que cette situation n'est pas un secret pour mon paternel.

    — Oui il sait... Mais tant que maître Rain n'a pas d'ennui public il ne fera rien.

    Ma mâchoire se crispe, Rain devrait être en train d'étudier dur pour pouvoir réaliser ses rêves, il ne devrait pas être en train de traîner à faire sûrement des conneries. Je... La sonnette me sort de mes pensées et je soupire en me levant

    — Laissez, j'y vais.

    Un instant j'espère que c'est Rain qui a oublié ses clés, mais je n'y crois pas vraiment. 

    — Oh. 

    Je suis surpris quand je vois l'inconnu, l'ami de mon frère, celui qui m'a subjugué et qui juste en croisant mon regard continue de le faire. Je prends quelques secondes pour graver un peu plus ses traits dans ma mémoire. Puis je regarde autour de lui, mais il est seul.

    — Rain ne sait pas que je suis ici. 

    Je baisse la tête déçu, une fois de plus je me demande si je ne ferais pas mieux de repartir, je suis tellement indécis que je n'ai même pas déballer la totalité de mes bagages. 

    — Viens boire un verre avec moi, il faut qu'on parle.

    — Quoi ? 

    Je le regarde surpris et il me fait de nouveau ce petit sourire mystérieux. Je me ressaisis rapidement et hoche simplement la tête pour lui signifier que je suis d’accord pour le suivre. Je mets mes chaussures, j'attrape ma veste et je le suis sans dire un mot. J’avance sur le trottoir et me stoppe brutalement en perdant un peu les couleurs sur mes joues, quand il me tend un casque et que l’on se trouve devant une énorme moto.

    — Tu as peur ? 

    Cette fois son expression n'a rien de mystérieux, il se moque ouvertement de moi alors qu'il ricane face à ma réaction. Un instant j’envisage de faire demi-tour, je ne suis jamais monté sur une moto et je dois bien dire que je ne suis pas du tout rassuré. Seulement son regard et son expression moqueuse me donnent le courage de prendre le casque dans mes mains.

    — Bien sûr que non.

    Je mets vivement le casque sur ma tête, mais je perd toute crédibilité quand je n'arrive pas à le fermer parce que mes mains tremblent trop. Il soupire, mais ne semble pas énervé par mon comportement, il s'approche de moi pour m'aider à le faire et quand ses doigts effleurent la peau de ma gorge un frisson me prend et j'espère juste qu'il ne s'en est pas rendu compte.

    — Voilà. Et promis, je ne roulerai pas trop vite, fais moi confiance.

    Il met son casque rapidement, grimpe sur la moto et me fait signe de m'installer derrière lui. J'hésite une seconde, je ne sais pas vraiment comment m’y prendre, mais finalement je réussis à me retrouver derrière lui et... J'avale difficilement ma salive car je suis complètement collé à lui et je ne sais pas où je dois me tenir. Il soupire, il est prêt à partir et n'attend plus que moi, mais il devine ce qui me tracasse. 

    — Accroche toi à moi, c'est le plus simple.

    Je suis heureux qu'il y ait le casque, grâce à ça il ne peut pas me voir rougir alors que je passe mes bras autour de sa taille pour les croiser sur son ventre. Je me suis collé à lui et j'ai beaucoup trop conscience de cette proximité, c'est triste à dire, mais je n'ai jamais été aussi proche d'un homme qu'à cet instant sur cette moto.

    Je me crispe et me colle un peu plus à lui quand il démarre, s'insérant facilement dans la circulation. Je ne fais pas vraiment attention au chemin qu'il emprunte, car j'essaie de maîtriser mes émotions. Au bout de quelques minutes ? quelques heures ? On se gare devant un club, il y a de nombreuses motos garées devant et on peut entendre la musique de l'extérieur car les portes sont grandes ouvertes.

    Quand mes pieds retrouvent le sol, je suis encore un peu tremblant, mes jambes flageolent et j’espère juste qu’il ne remarque pas combien ce baptême à moto m’a retourné. Je le suis un peu intimidé, mener une réunion devant des centaines d'actionnaires ne me trouble absolument pas, mais rentrer dans un club rempli de motard m'effraie énormément.

    Il n'attend pas pour s'assurer que je suis bien derrière lui, il se contente d'avancer en saluant plusieurs personnes au passage en ignorant les regards que l'on porte sur moi. Il finit par s'asseoir dans un box et je m'empresse de m'installer juste en face de lui, soulagé de ne plus être le point de mire de la salle. De nouveau j’entends son petit rire moqueur et je n’ose même pas imaginer l’image qu’il doit avoir de moi. 

    — Première fois dans ce genre de bar.

    Je pourrais faire comme si ce n'était pas vrai, mais je sais que tout dans mon attitude prouve que je ne suis pas dans mon élément. Alors je hoche rapidement la tête au moment où le serveur vient nous voir. On commande tous les deux une bière et le silence s'éternise jusqu'à ce que l'on ait nos bouteilles posées sur la table.

    — Pourquoi tu es revenu ? 

    Il me pose la question dès que le serveur fait demi tour, sa voix n'est pas agressive, il semble détendu quand il boit une première gorgée de sa bière. Moi je me crispe, c'est étrange j'ai l'impression d'être passé sur le grill, comme si le frère de Rain c'était lui et qu’il voulait s’assurer que je ne suis pas là pour lui faire de mal..

    — Je voulais le voir, passer du temps avec lui. 

    Je comprends que je dois faire des efforts, ravaler ma fierté, car si ce que je lui dis lui convient, il pourrait encourager Rain à venir me parler. Son regard est fixé sur moi et je vois qu’il s’assombrit légèrement, son index tapote la table et je ne me sens pas très à l’aise.

    — Après sept ans sans presque aucune visite et coup de fil ? 

    Je note très bien l’ironie dans sa voix et je baisse les yeux, j'ai merdé je le sais. Je me suis tellement plongé dans les études et le travail pour être le meilleur et rendre mon père fier de moi et qu'il laisse Rain en paix que j'en ai oublié l'essentiel.

    — Je... Je ne voulais pas que ça se passe comme ça... 

    Je bois une longue gorgée de bière espérant que l'alcool apaisera le sentiment de culpabilité. Je passe ma main dans mes cheveux en soupirant avant de lever les yeux vers lui, c'est à mon tour maintenant de le questionner. 

    — Tu le connais depuis longtemps ?

    — Je l'ai rencontré il y a deux ans, après le lycée. Il avait quelques problèmes et je l'ai aidé à les régler.

    Je lève les yeux vers lui et nos regards se perdent l'un dans l'autre, je n'arrive pas à déterminer ce qu'il ressent ou à quoi il pense et c'est frustrant moi qui habituellement suis plutôt doué pour décrypter les gens. 

    — Il m'a tout raconté, comment votre père ne s'est jamais intéressé à lui. Comment tu étais sa seule famille après le décès de votre mère. Des projets que vous aviez tous les deux et comment tu l'as abandonné du jour au lendemain, comment tu t'es désintéressé de lui comme ton père. Alors comment tu peux penser débarquer comme une fleur et croire qu'il va te sauter dans les bras. 

    Il expose froidement les faits et je me sens encore plus mal, la raison en est simple, il a totalement raison.

    — Je ne sais pas ce que je croyais… 

    Je passe ma main dans mes cheveux nerveusement, à force, ils doivent être debout sur ma tête, mais je m’en fiche complètement. 

    — Je voulais être sûr d’avoir pris la bonne décision.

    Il me regarde un instant avant de hausser les sourcils et de rire avec mépris par le nez. Je me fige alors qu’il ne lâche pas du regard et je me sens m’assombrir. 

    — En quoi abandonner ton frère pouvait être la bonne décision ? 

    Je n’aime pas le ton qu’il emploie, il me juge, c’est normal, c’est l’ami de mon frère, il semble beaucoup l’apprécier, mais il ne sait rien de la situation et ça je ne le supporte pas.

    Mon poing s’abat soudain sur la table dans un claquement sonore, mais ça ne le fait même pas réagir. Il continue de me regarder par-dessus sa bouteille de bière avec un petit air insolent sur le visage que j’aimerais lui faire ravaler. 

    — Je ne connais même pas ton nom et tu crois que je vais te raconter quoi que ce soit, c’est à Rain que je dois en parler, pas à toi.

    Le silence retombe entre nous et on se contente de boire notre bière en regardant autour de nous, petit à petit la tension qui était apparue entre nous s’apaise.

    — Je m’appelle Mork, j’ai rencontré ton frère un soir alors qu’il cherchait les ennuis dans un bar encore plus craignos que celui-là, il allait se faire tabasser et à mon avis vous ne l’auriez pas retrouver en très bon état.

     Je suis surpris qu’il me raconte ça, mais je bois ses paroles sans l’interrompre. 

    — Je ne pensais pas devenir ami avec un gosse de riche, mais il a su se montrer très persuasif pour obtenir ce qu’il voulait. On traine ensemble et je le protège.

    Je sais qu’il ne me dit pas tout, mais je dois m’en contenter. Je soupire profondément avant de me passer la main dans mes cheveux nerveusement.

    Je sursaute quand je sens sa main se poser sur mon poignet pour me faire arrêter et je relève aussitôt la tête. Il me regarde étrangement et j’ai l’impression que le temps se fige, mon coeur accélère pendant qu’il pose nos mains sur la table sans me lâcher je soupire, il doit savoir, si je veux une chance que Rain veuille bien me voir.

    — Que sais-tu de mon père ?

    Il prend le temps de réfléchir, son index tapotant distraitement sur ma main et j’ai du mal à me concentrer sur autre chose que la chaleur que ça produit dans mon ventre. 

    — Il ne parle pas beaucoup de lui en fait. 

    Je ne suis même pas étonné en fait, ce n’est pas un sujet que l’on aime aborder l’un comme l’autre. 

    — Mon père n’est pas quelqu’un de… 

    Ce n’est pas facile de mettre des mots sur cette histoire et finalement, je n’en ai pas l’occasion, puisque j’ai à peine ouvert la bouche qu’un grand brun vient se poster devant notre table. Mork lâche ma main, se redresse et tout son visage change d’expression, il devient insolent, sombre avec un petit sourire moqueur et je ne comprends pas bien ce qui se passe.

    — Espèce de connard, je t’avais dit de foutre la paix à Sandee. 

    Je me sens con quand le nom d’une fille est soudain mis sur le tapis, qu’est-ce que j’étais en train de commencer à m’imaginer ? Je me mordille la lèvre en me sentant stupide de ressentir tout ça, de toute façon je repartais bientôt. A quoi bon laisser mon coeur à quelqu’un, surtout quelqu’un qui ne m'aimera jamais. 

    Plongé dans mes pensées, j’ai loupé une partie de la conversation, Mork se lève soudain, son regard lance des éclairs, il en est presque effrayant. Il saisit l’homme par le col de sa chemise d’étudiant et le rapproche de lui en le soulevant légèrement. L’homme en face de lui n’est pas petit et pourtant, il ne peut rien contre la poigne de Mork. 

    — Répète un peu pour voir ?

    Je me lève à mon tour, je me demande si je dois intervenir, essayer de les séparer. Seulement, même si je me suis un peu battu dans ma jeunesse, je me suis ramolli et je ne suis pas sûr de faire le poids entre ces deux là. Finalement, je n’ai plus à me poser de question quand plusieurs garçons interviennent soudain. 

    — Pete ! Arrête, tu vas avoir des ennuis, il n’en vaut pas la peine. Calme toi.

    Les choses sont en train de déraper alors que le dénommé Pete se tourne vers ceux qui semblent être ses amis avec un air furieux le visage. 

    — Tu te fous de moi Kao… ce connard… 

    Mork qui était resté assez calme, pendant l’intervention du dénommé Kao, en profite que l’homme discute avec son ami pour lancer les hostilités, il le frappe rudement au visage avec un petit sourire satisfait sur le visage. 

    Je recule petit à petit alors que la bagarre semble vouloir prendre un tournant plus général. Je suis déçu de Mork, certes je ne le connais pas, mais je ne l’imaginais pas avoir une telle facette. Je ne peux rien calmer, je ne peux rien faire de plus, je fais rapidement demi-tour, mon père me le ferait chèrement payer si je me faisais arrêter pour une bagarre dans un bar. Je quitte l’endroit surchauffé et prends une grande inspiration avant d’aller héler un taxi pour rentrer à la maison.

     

    Je n’ai eu aucune nouvelle de Mork depuis ce soir-là, ce n’est pas que j’en attendais forcément, mais j’espère surtout voir Rain. Je veux qu’il vienne, mais depuis trois jours, c’était le silence complet, ce soir, j’ai même refait ma valise. La maison est calme, trop vide, c’est en train de me rendre fou.

    Je suis assis dans le canapé, je n’ai même pas allumé la télé, ma tête est trop pleine de questions pour que j’arrive à regarder quoi que ce soit. Mes cheveux se dressent sur ma tête tellement je me passe les mains dans les cheveux en espérant trouver une solution à mes problèmes.

    Je sursaute quand la porte s’ouvre à la volée, je lève la tête et voit Rain arrivé le regard lançant des éclairs. Je me lève pour l’accueillir même si je sens que l’on ne va pas avoir une discussion sympathique. Il me repousse fortement dans le canapé me faisant lourdement me rasseoir dès qu’il arrive à ma hauteur. 

    — Tu es vraiment un con Sun.

    — Quoi ?

    Je ne comprend sa colère, oui j’ai été absent de sa vie beaucoup trop longtemps et même si j’ai une explication pour ça, je sais qu’elle ne contrebalance pas toutes les promesses que j’ai brisées envers lui. Seulement, je ne pense pas que cela lui donne le droit de se comporter comme ça envers moi.

    — Tu es un lâche, à cause de toi Mork a passé deux jours en prison. Parce que tu n’as pas été capable de rester, tu as fui, comme toujours, c’est la seule chose que tu sais faire, fuir. 

    Mes yeux s'agrandissent et ma bouche s'entrouvre, il était en prison, c’est pour ça que je n’ai eu aucune nouvelle. Je secoue lentement la tête en le fixant quand la suite de sa tirade me percute, c’est violent, j’ai mal au coeur.

    — Tu penses vraiment que j’ai fui ? 

    C’est donc l’image qu’il a de moi, je n’aime pas ça, je ne veux pas qu’il me voit comme ça, je dois lui expliquer et j’en ai peut être l’occasion maintenant. Il a le droit de connaître la vérité, je ne veux plus qu’il me déteste, même si c’est trop tard pour nous, je ne veux pas qu’il pense à moi en me haïssant.

    — Tu m’as fait des promesses, on avait des projets, on devait lutter ensemble contre papa et puis du jour au lendemain, tu es allé de son côté et tu m’as abandonné. 

    Sa voix est forte, la colère transparaît dans chacun de ses mots qui m'atteignent comme autant de petits poignards aiguisés. Ses yeux s'humidifient et je sais qu’il n’est pas loin de craquer, je sais aussi qu’il fera tout pour que ça n’arrive pas et que pour ça, il va utiliser des mots blessants.

    — Je voulais te protéger ! 

    Je n’en peux plus de ses non-dit, il faut que je lui dise, tant pis si mon père n’est pas d’accord. Je ne comprends pas pourquoi il veut absolument que l’on soit éloigné l’un de l’autre, c’est mon petit frère, je veux juste être là pour lui.

    Il me regarde un moment sans rien dire avant de renâcler fortement en croisant les bras. Il est en colère, je le vois car sa langue pousse sa joue de l’intérieur, il fait ça depuis tout petit pour tenter de se maîtriser. Quand il reprend la parole, elle est toujours sèche et froide, mais il la maîtrise un peu mieux.

    Arrête de raconter de la merde Sun, tu as choisis la facilité. Tu es un lâche, un moins que rien et jamais plus je ne te considérerai comme mon frère. Alors maintenant casse-toi, repars chez toi et ne reviens plus… tu es mort pour moi. 

    Mon visage se recule brusquement à ses derniers mots, j’ai l’impression qu’il vient de me gifler, j’ai le souffle court et je me sens un moment désorienté.

    Ne dis pas ça, Rain s’il te plait, écoute-moi… Je lui ai dit que je ne suivrai pas ses traces, que j’ouvrirai un café et que je m’occuperai de toi. J’avais même déjà trouvé l’endroit qui aurait été parfait pour ça et puis… 

    J’avale ma salive difficilement pour essayer de garder ma voix sous contrôle alors que je lutte difficilement contre les larmes. Il ne me regarde pas, il fixe un point sur le côté, mais il reste immobile et je sais qu’il m’écoute. 

    Il était d’accord pour que je parte, mais alors c’est toi qu’il prendrait sous son aile. Tu deviendrais son successeur et il m’a promis qu’il ne répéterait pas les mêmes erreurs qu’avec moi, qu’il te ferait plier là où moi j’ai résisté. Je ne pouvais pas faire ça Rain, tu avais encore toutes tes chances d’une vie normale, je ne voulais pas qu’il…

    PARCE QU’ÊTRE SEUL ICI À TREIZE ANS. TU TROUVE ÇA NORMAL ? 

    Il éclate finalement, me coupant et m’empêchant de finir mon explication. Il me surplombe et je vois le même éclat froid que dans le regard de Mork quand Pete est apparu dans le bar. Je déglutis, mais il ne me laisse plus le temps de parler pour tenter de calmer les choses. 

    ON AURAIT PU SE BATTRE ENSEMBLE, MAIS TU T’ES SAUVÉ, TU M’AS ABANDONNÉ.

    Rain, s’il te plait calme toi.

    Je suis sûr que tu n’as jamais eu le courage de lui dire que tu aimais les hommes. Tu crois que papa serait ravi de l’apprendre, qu’en secret tu t’envoies en l’air avec tous les japonais que tu croises. J’ai honte de toi, ne reviens plus jamais ici Sun, tu n’es plus rien.

    Il crache ses derniers mots puis sans un regard pour moi il sort de la maison, claquant la porte aussi fortement qu’à son arrivée.

    Et moi je reste là, paralysé sur le canapé en fixant l’endroit où il a disparu. Je pose la main sur ma bouche, je tremble de partout et je ne sais pas comment je dois réagir. Ses mots ont été durs et au fond de moi, je me dis qu’il n’a peut-être pas tord, je suis un lâche et je mérite ce qui est en train de m’arriver. Je n’ai même pas conscience des larmes qui roulent sur mes joues, pour aller s’écraser au sol.

    Au bout d’un moment, je réussis à me relever, je tangue un peu, j’ai l’impression de m’être pris un coup, j’ai les oreilles qui sifflent, comme si tout mon corps était plongé dans du coton. J’a besoin de quitter cette maison un moment, d’oublier ma vie un instant et c’est pour ça que je me précipite dans la rue, que je trouve un taxi et que trente minutes plus tard, je suis assis dans le même box que trois jours plus tôt et que petit à petit je vide la bouteille de whisky qui trône devant moi.

    Je bois assez rarement et en plus jamais des alcools aussi fort, mais ce soir, j’ai décidé de boire pour oublier, il ne faut pas longtemps pour que je sente les premiers signes de l’ivresse, malheureusement, les mots de Rain ne veulent pas disparaître de ma tête, peu importe combien je bois.

    Je vais porter à nouveau mon verre à mes lèvres quand soudain, quelqu’un me tombe violemment dessus, je me retrouve à moitié couché sur la banquette, mon verre s’explose par terre renversant son précieux contenu. La colère et la tristesse que je tente de maîtriser depuis un moment explose et je repousse fortement l’homme au sol. 

    Mais tu peux pas faire attention bordel.

    Je n’arrive même pas à me rendre compte de la situation dans laquelle je me trouve quand le silence se fait autour de nous, je ne vois pas l’homme se relever, en fait, dans mon brouillard fait d’alcool et d’amertume, je l’ai déjà oublié. 

    Je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe, je ressens juste une grosse douleur au niveau de mon oeil gauche alors que quelqu’un me secoue au point où j’en ai la nausée. J’essaie de repousser la personne, mais elle me tient fermement par le col et ce qui devait arriver arriva, quand une impressionnante quantité d’alcool décide de se faire la belle de mon estomac.

    Vu les cris dégoutés, je me doute que j’ai vomi sur celui qui me secoue comme un vulgaire prunier. Je voudrais juste qu’il arrête, car mon estomac continue de se contracter violemment et il n’est pas dit que je ne vomisse pas à nouveau. Une voix qui me semble familière s’élève soudain juste à côté de moi, j’essaie d’ouvrir les yeux, mais tout tourne beaucoup trop, je n’y arrive pas.

    Hey Phi, Phi, calme toi, tu vois bien qu’il est complètement ivre. C’est un ami, je vais le ramener et je payerais pour… ça…

    La pression sur mon col se relâche enfin et je me sens tomber, je vais surement m'écraser au sol et alors je pourrais dormir et oublier, c’est tout ce que je veux. Je plane, je suis sûrement sur un petit nuage parce que le choc avec le sol n’est pas douloureux, au contraire, c’est doux, c’est chaud et ça sent bon. 

    Merde, Phi Sun, qu’est ce qui t’arrive.

    Le petit nuage parle et j’ai un petit sourire quand je me rends compte que je reconnais cette voix, c’est Mork. J’ouvre difficilement les yeux, le gauche me fait horriblement mal, mais quand j’y arrive et même si je vois trouble, je me rend compte que je suis avachi sur lui. Il me soutient du mieux qu’il peut et mes doigts s'agrippent à son t-shirt alors que mon sourire disparaît remplacé par une mine triste et sombre. 

    J’ai tout perdu Nong. 

    Je l’entends soupirer. Je me demande un instant si Rain lui a déjà parlé de notre discussion ou pas. Je ricane tout seul, je me moque de moi même, ce n’était pas une conversation, c’était une rupture. Rain a fini de briser notre lien fraternel, maintenant, il n’y a plus rien à faire et je suis réellement seul. 

    — Viens je te ramène chez toi, il faut te soigner et tu as besoin d’une bonne nuit de sommeil. 

    Je me laisse entraîner vers la sortie du bar, en fronçant les sourcils, l’alcool n’était peut être pas une bonne idée, je ne contrôle plus rien, tout tourne dans ma tête et c’est aussi désagréable que les horribles paroles de Rain.

    — Tu me ramène au Japon… C’est… un peu loin en moto… 

    Et je me mets à rire, ne me demandez pas pourquoi, mais je rigole comme si j’avais fait la plus grande blague du monde. Je ris tellement que j’ai même du mal à marcher et Mork raffermit sa prise sur ma taille et me rapproche de lui pour mieux m’aider.

    — Ne dis pas n’importe quoi. Tu es venu en voiture ? 

    Je secoue la tête et je n’entends même pas sa réponse, c’est le blackout. L’alcool a eu le dessus sur moi et avant de sombrer je me promets que plus jamais je ne toucherai une goutte d’alcool. Je reprends  connaissance un peu plus tard apparemment, car on est sur le siège arrière d’une voiture. Je suis complètement affalé contre Mork, mon visage est contre son cou, mon bras est enroulé autour de son ventre, mes doigts agrippés à sa veste. Ce qui me trouble le plus dans cette situation, c’est de sentir ses doigts jouer doucement avec mes cheveux et me masser le cuir chevelu, je ronronne presque avant de replonger dans les abysses.

    Je me réveille finalement une nouvelle fois et cette fois, je suis seul sur le canapé, couché sur le ventre, le visage enfoncé dans les coussins. Je me sens un peu plus sobre, même si je n’ai pas encore les idées totalement claires. Je me redresse lentement en grognant et en me tenant la tête quand la pièce se met à tanguer. 

    J’ai encore la tête un peu cotonneuse à cause de l’alcool, mais j’ai déjà les idées plus claires, Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi, mais il fait encore nuit dehors, alors sûrement pas trop longtemps. Quelqu’un s’installe juste à côté de moi, je tourne la tête surpris avant de constater qu’il s’agit de Mork. C’est lui qui m’a ramené à la maison, il a même attendu que je me réveille et malgré moi, mon coeur s’emballe à cette idée.

    — Qu’est-ce qui t’es passé par la tête Phi ? Pourquoi tu es allé tout seul dans ce bar. 

    Sa voix est froide et je baisse la tête, mes yeux me piquent et avant de lui répondre je vais pour les frotter avec mes mains mais Mork m’en empêche en me saisissant les poignets et en les rabaissant fortement. 

    — Vu l’état de ton oeil, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de faire ça.

    Je fronce les sourcils sans comprendre et alors une douleur fulgurante traverse ma pommette gauche et je gémis. Des images me reviennent rapidement et je ne comprends pas. 

    — Qu’est-ce qui s’est passé ? 

    Il soupire en sortant la boîte à pharmacie de sous la petite table. Il est resté oui, mais juste pour me soigner, ça s’arrête là, je dois arrêter de m’imaginer des choses.

    — Je t’ai retrouvé ivre mort dans le bar, tu étais sur le point de te prendre une dérouillée par le boss. Mais enfin qu’est ce qui t’a pris de faire ça, tu crois que ton frère serait content de te voir dans cet état. 

    Il tire sur mes poignets pour me rapprocher de lui et pouvoir regarder mon oeil de plus près et moi j’oublie de respirer un instant. Mon regard plonge dans le sien et j’ai un petit sourire triste. 

    — Rain est venu ce soir… 

    Je n’arrive pas à en dire plus, je ne veux pas me souvenir des mots qu’il m’a dit et vu l’expression de Mork, je sais que je n’ai pas besoin d’en dire plus, il a compris que Rain n’a pas été tendre et c’est avec un soupir qu’il se met à fouiller dans la boîte et en sort une crème.

    Il commence à l’appliquer lentement avec un coton tige, je grimace à plusieurs reprises, même s’il le fait avec douceur. 

    — Il ne faut pas lui en vouloir, il… je suis sûr qu’il ne le pensait pas…

    Mon coeur se serre, il essaie de me remonter le moral, mais ça ne fait que m’agiter sous le nez que je ne connais plus mon frère, il n’est plus l’enfant de treize ans qui me regardait comme si j’étais son héros. Je ne suis plus qu’un inconnu pour lui maintenant.

    — Il a raison… tout ce qu’il a dit, il a raison. 

    Ma voix se casse et je prends une grande inspiration pour ne pas me montrer plus pathétique que je ne le suis déjà devant lui. 

    — Je l’ai abandonné, je me suis caché pour ne pas avoir à affronter mon père et… je n’ose même pas montrer qui je suis vraiment. Je suis terrifié à l’idée que mon père découvre un jour que j’aime les hommes… 

    Je relève les yeux vers lui alors que j’ai l’impression que je suis en train de m'effondrer et que l'alcool me fait dire plus de choses que je ne voudrais. Pendant sept ans j’ai tenu en me disant que c’était la bonne chose à faire pour Rain, mais j’avais tort, je l’ai blessé et j’ai tout perdu.

    Mork me regarde, ses yeux sont sombres et je ne comprends pas ce que j’y lis avant qu’il ne lâche le coton qui tombe au sol et qu’il ne se précipite sur mes lèvres. Mon cerveau explose quand nos lèvres se rencontrent, je n’arrive plus à réfléchir. Je laisse mon corps me guider alors que mes bras entourent son cou et que je me laisse complètement aller dans son étreinte. 

    Mon premier baiser est intense, sensuel et je sens le désir que je refrène depuis que je l’ai croisé dans cette gare, reprendre le dessus. Je me laisse lentement tomber sur le canapé, l’entrainant avec moi et je soupire quand je sens son corps peser sur moi. Sa langue passe la barrière de mes lèvres et je laisse mes mains découvrirent son dos tout en l’attirant au plus proche de moi.

    Je ne sais pas ce qui est en train de se passer, je ne veux pas que ça s’arrête alors je grogne un peu quand il quitte mes lèvres. Il dépose des baisers le long de ma mâchoire tout en défaisant un à un les boutons de ma chemise. Tout va beaucoup trop vite, pourtant, son étreinte, ses caresses, tout ça me réconforte, me donne l’impression que je compte pour quelqu’un et je m’accroche à cette idée.  Je relève le bas de son t-shirt pour pouvoir moi aussi savourer la chaleur de sa peau sous mes doigts.

    Il inspire profondément son nez plongé contre mon cou avant que ses lèvres ne se posent contre ma peau et je la sens alors être aspiré. Je me cambre en gémissant, nos bassins frottent l’un contre l’autre et je ressens une chaleur se répandre dans mon ventre. J’ai du mal à respirer alors qu’il me fait plusieurs suçons sur le haut du corps et que ses mains se baladent librement sur moi. 

    Nos intimités frottent l’une contre l’autre et je sens l’effet que je lui fais, je ne réfléchis plus du tout et quand il reprend possession de mes lèvres, je passe la ceinture de son pantalon un peu trop large et je saisis son sexe dur entre mes doigts. C’est étrange de faire ça, mais entendre le grognement qui sort de sa gorge et étouffer par nos langues m’excite et m’encourage à faire un premier vas et vient.

    Sa main se serre contre ma taille, s’enfonçant dans ma peau, me faisant couiner et je me demande si on est sur le point d’aller plus loin, quand soudain, je ne sens plus que le froid au-dessus de moi. J’ouvre les yeux et je le vois accroupi au bout du canapé le plus loin possible de moi, complètement débraillé, la bouche rouge et gonflée et le souffle court. Je n’offre pas une meilleure image, mais je me sens dégrisé quand je rencontre son regard froid. 

    — Je ne suis pas gay. 

    Sa voix est ferme, dure, son expression ressemble à celle qu’il a eu quand l’homme est venu lui parler au bar. L’excitation disparaît rapidement pour faire place à la honte de m’être laissé aller. 

    Je me redresse lentement sans oser le regarder en refermant les deux pans de ma chemise contre moi pour tenter de garder un peu de dignité. Cette soirée n’est qu’un long cauchemar, quand il m’a embrassé, j’ai cru qu’il ressentait la même chose, qu’il était attiré par moi. Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça, je me mord fortement la lèvre, je refuse de craquer devant lui, il ne me reste plus que ça, ma fierté.

    — Mork…

    Je veux juste lui dire de partir, j’ai la gueule de bois, je suis fatigué et je me suis fait assez repousser pour ce soir, mais il ne me laisse pas le temps de le faire, il m'interrompt brusquement.

    — N’attends pas que je m’excuse. 

    Il se lève et replace rapidement ses habits avant de passer sa main dans ses cheveux. 

    — C’était une erreur à cause de l’alcool, sinon jamais je ne t’aurais touché. 

    Il sort un paquet de cigarette et l’allume alors que je reste immobile à le regarder la bouche entrouverte choqué par ce qu’il dit et son comportement, incapable de parler. 

    — Alors oublie ça d’accord. Allez. J’me casse. 

    Il me jette un petit coup d’oeil, il semble hésiter un instant à ajouter quelque chose, il hésite, soupire puis fait demi tour et quitte la maison en claquant la porte. Je ne bouge pas, les yeux dans le vide, ces vacances sont un véritable fiasco et je ne suis plus assez ivre pour ne pas avoir mal à chaque fois que les mots de Rain et Mork tournent dans ma tête. Je ne me rends même pas compte que je me suis mis à pleurer.

     

    Je n’ai pas dormi cette nuit-là, mon oeil me lance, la situation me bouffe et finalement, j’en suis arrivé à la conclusion que je dois faire la seule chose pour laquelle j’étais doué, fuir. Je suis un inconnu pour Rain et j’ai bien trop honte de ce qui s’était passé entre Mork et moi pour oser le regarder en face.

    Ma valise est déjà faite, elle n’attend plus que mon départ. J’ai appelé la compagnie aérienne et j’ai réussi à échanger mon billet. Je sais que ce n’est pas la meilleure solution, mais je ne peux rien faire de plus. Je suis dans l’entrée, la gouvernante a essayé de me convaincre de prévenir Rain, de lui dire au revoir et de ne pas partir comme un voleur. 

    Je ne veux pas appeler, je ne veux pas entendre les tonalités s’éterniser avant de tomber sur son répondeur. J’ai trouvé le juste milieu, je lui ai écrit une lettre, j’essaye de lui expliquer ce que je ressens, pourquoi j’ai pris cette décision à l’époque et je m’excuse. Je lui souhaite d’être heureux avec la nouvelle famille qu’il s’est trouvé, c’est le mieux que je puisse faire. 

    J’observe la maison qui m’a vu grandir pendant dix-huit ans une dernière fois, j’enfile une paire de lunettes de soleil pour cacher l’oeil au beurre noir qui trone sur mon visage puis sans un mot, je fait demi-tour en tirant ma valise et je rejoins le taxi qui m’attend et qui va me conduire jusqu’à l’aéroport. Le trajet se fait dans le silence total, le chauffeur a bien essayé de discuter, mais je n’ai pas répondu et il a fini par abandonner.

    C’est étrange de me dire qu’à peine une semaine plus tôt, j’ai regardé ses rues en me sentant chez moi, de retour à la maison après des années d’errance. Maintenant, je sens juste un goût amer dans le fond de ma gorge et je vais devoir apprendre à vivre avec. 

    Je me retrouve rapidement dans le hall de l’aéroport, mon avion est dans quelques heures, mais je préfère attendre ici plutôt que de rester là-bas. Le temps passe lentement, je somnole un petit peu, je regarde les gens passer autour de moi et surtout je refuse de regarder mon téléphone, parce que sinon je ne pense pas résister à l’envie d’appeler Rain.

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    Je soupire quand l’appel pour mon vol résonne dans le hall. Je m’étire lentement en baillant, j’ai le corps un peu raide après être resté immobile pendant plusieurs heures dans ce siège peu confortable. Je regarde ma valise et pose la main sur la poignée, j’hésite un instant, le billet dans mon autre main. Une fois que je serais parti ce sera définitivement terminé, je ne pourrais plus faire marche arrière.

    Je prends une profonde inspiration et fait un pas, puis un autre en direction du quai d’embarquement, j’essaie de rester confiant, je veux croire que non ce n’est pas la fin, qu’un jour on aura l’occasion de se retrouver et de redevenir frères. Je dois juste lui laisser le temps et…

    PHI SUN ! 

    J’entends une voix hurler mon prénom derrière moi, mais avant que je n’ai le temps de me retourner quelque chose me percute et je manque de tomber, la personne entoure ses bras autour de mon ventre et me rapproche de lui me stabilisant. Je sens une tête se poser sur mon épaule et je suis incapable de bouger alors que mon coeur accélère dans ma poitrine. 

    Je … Je t’en supplie,... ne pars pas. J’ai menti Phi... reste avec moi... Ne m’abandonne pas à nouveau. 

    Je prends une grande inspiration tremblante quand sa voix me parvient, elle est entrecoupée de sanglots qui me déchirent et me font monter les larmes aux yeux. Je pose alors ma main sur les siennes et les tapote doucement pour essayer de le réconforter. Je pensais l’avoir perdu, pourtant, il est venu  jusqu’ici et je suspecte la gouvernante d’avoir jouer un rôle dans sa venue. Est-ce que je peux vraiment prendre cet avion et le laisser derrière moi une nouvelle fois ? La réponse me paraît évidente. Est-ce que je me sens assez fort pour affronter mon père, pour enfin oser être moi ? Je pense oui, je me suis assez caché maintenant.

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    Phi… S’il te plait… 

    Sa prise sur mon ventre se resserre pour m'empêcher de partir, mais je ne cherche même pas à me soustraire à son étreinte. Je renifle vivement en essuyant discrètement les larmes qui coulent le long de mes joues. Pourtant, je veux mettre quelques conditions, avant de lui annoncer la nouvelle.

    Tu reprendras les cours ? 

    Je veux qu’il reprenne sa vie en main, qu’il s’assure un bon avenir et qu’il ne puisse pas laisser à notre père la moindre porte d’entrée dans nos vies. 

    Je te le promets.

    Sa voix est étouffée, mais il répond sans réfléchir et le fantôme d’un sourire apparaît sur mon visage.

    Tu viendras vivre avec moi, ailleurs dans un appartement ? 

    Si on prend ce chemin-là, alors on va devoir dire adieu à notre confort et à ce que notre père nous payait et je veux pouvoir passer du temps avec lui. Il ne répond pas mais hoche vivement la tête à plusieurs reprises. 

    Et… Je veux ouvrir mon café. Tu m’aideras ?

    C’est ce que l’on devait faire… je veux le faire avec toi. 

    Sa réponse me redonne le sourire, je sais que le chemin va être long pour que l’on retrouve une vraie relation fraternelle, qu’il y aura des hauts et des bas, mais je veux me battre pour que l’on ait la vie que l’on veut tous les deux. Je me tourne alors pour lui faire face, je lui souris doucement en ébouriffant légèrement ses cheveux. 

    Rentrons à la maison alors, on a plein de choses à faire. 

    Je prends une profonde inspiration avant de rire doucement, je ne me suis pas sentie aussi bien depuis des années. 

    On a beaucoup de choses à se dire aussi.

    Je prends le temps de le regarder, il a le teint pâle, je ne suis pas sûr qu’il ait bien dormi lui non plus. Ses yeux sont rouges et je me dis que l’on est tous les deux dans le même état. Il me regarde un instant avant de hocher lentement la tête, la conversation risque d’être longue, mais elle est nécessaire si on veut que les choses fonctionnent correctement. 

    Tu me feras à manger en même temps.

    Je rigole un peu quand il me fait cette petite moue qui le fait ressembler à un enfant. 

    Bien sûr, ça fait longtemps que je n’ai pas cuisiné. 

    Quand il était jeune, je lui cuisinais tout le temps ses repas et depuis que je suis parti, je ne l’ai presque plus fait. Il me sourit avant de m’observer attentivement en fronçant les sourcils.

    Pourquoi tu portes des lunettes de soleil à l’intérieur, c’est une mode japonaise ? 

    Il me questionne et je n’ai pas le temps de l’en empêcher, qu’il retire mes lunettes et il se raidit brusquement en voyant mon oeil. 

    Mais qu’est-ce qui t’es arrivé ? 

    Son regard se fait plus aiguisé alors qu’il recherche d’autres blessures et je sais quand il tombe sur le suçon. Sa bouche s'arrondit avant qu’il ne relève les yeux vers moi écarquillé l’inquiétude à laisser place à la stupeur. 

    Tu as couché avec quelqu’un !?

    Je me sens rougir furieusement à sa dernière question et je regarde partout autour de nous, jusqu’à croiser le regard outré d’une petite grand-mère. Rain à un franc parler et un manque de discrétion depuis toujours et je me rends compte qu’il n’a pas perdu ce trait de caractère. Bizarrement, il est aussi une tombe quand il s’agit de garder un secret, car jusqu’à récemment, il était le seul à savoir que j’aime les hommes et il n’en a jamais parlé autour de lui. 

    — Rentrons, je t’en parlerai, mais pas ici.

    Le retour a été beaucoup plus bruyant, Rain semble déterminé à me faire un résumé de sept ans de vie en l’espace d’une heure, je le laisse parler, je l’écoute avec plaisir et je suis heureux qu’il parle sans s’arrêter, cela me permet de me concentrer sur lui et de ne surtout pas penser à Mork. Comment je vais réussir à lui faire face après cette nuit ? Les choses vont être difficile et je ne sais pas comment gérer les sentiments que j’ai commencé à développer pour lui. 

    On se fait accueillir par la gouvernante qui nous sourit soulagée de nous voir tous les deux ensemble avant de partir à ses occupations. On s’assoit tous les deux à la table de la cuisine devant une bonne tasse de café. Le silence retombe entre nous, on est plongé dans nos pensées et je crois que l’on ne sait tout simplement pas par où commencer.

    — Elle t’a prévenu ? 

    Autant se lancer avec le plus simple finalement, je me doute déjà de la réponse, mais on ne peut pas attaquer les sujets difficiles dès le départ. Je bois une petite gorgée de mon café en attendant sa réponse.

    — Ma tante n’est pas du genre à s’énerver, je ne l’ai jamais vu autant jurer que quand elle m’a appeler pour me prévenir. 

    Il fait un petit sourire contrit et baisse le nez dans sa tasse gêné. Je suis heureux que la gouvernante s’en soit mêlée, sinon à cette heure-ci, je serais en train de survoler l'océan pour rentrer au Japon.

    — Pourquoi est-ce que tu es venu Nong ? 

    Les paroles d’hier me reviennent encore en mémoire et même si je suis heureux qu’il soit venu me chercher, je me demande ce qui l’a fait changer d’avis si rapidement. Il pousse un long soupir et cette fois-ci, je retrouve bien mon petit frère, son expression se fait douce et il me sourit timidement.

    — Je voulais te blesser d’être parti. Je voulais que tu souffres comme j’avais souffert. Je n’arrivais plus à penser à autre chose qu'à me venger. 

    Sa voix devient un murmure au fur et à mesure qu’il m’avoue les choses. 

    — Seulement, quand j’ai compris que j’étais allé trop loin, que je t’avais fait fuir… 

    Il renifle et je reste silencieux, pensif alors que je lui laisse le temps de reprendre le contrôle pour pouvoir m’expliquer. 

    — Phi… je t’ai attendu longtemps, j’ai cru à un moment que tu viendrais me chercher pour que j’habite avec toi. Quand tu es revenu pour mon diplôme, j’étais sûr que tu resterais alors te voir partir ça m’a mis en colère. Moins tu appelais et plus je t’en voulais, alors quand tu es arrivé, même si j’étais heureux que tu sois là… j’ai voulu que tu te sentes comme moi toutes ses années.

    Il parle à voix basse en jouant avec le rebord de sa tasse. J’ai été tellement stupide, j’étais tellement pris avec ce que pourrait lui faire mon père, que je n’ai même pas réalisé ce que moi je lui faisais. Je passe ma main autour de son épaule et l’attire contre moi. 

    — Je suis désolé Nong, tellement désolé. Je pensais bien faire et j’ai tout foiré.

    Il s'agrippe à mon t-shirt alors que l’on se serre l’un contre l’autre pour la première fois depuis bien des années. 

    — Tu ne repars pas, tu me le promets ?

    Je passe lentement ma main dans ses cheveux pour le rassurer. Ma décision est prise depuis qu’il m’a retenu à l’aéroport, plus jamais je ne m'éloignerai de celui qui est ma seule famille.

    — Je reste ici. Je ne pars plus nulle part.

    On reste un long moment dans les bras l’un de l’autre. Même s’il faudra du temps pour que l’on apprenne à se reconnaître et à panser nos blessures, je sais maintenant que l’on est sur la bonne voie. Je le relâche en lui souriant et l’ambiance autour de nous se fait plus légère et détendue.

    On boit chacun une gorgée de café qui est maintenant presque froid et j’espère que notre conversation lui aura fait oublier mon oeil et le suçon dans mon cou. Malheureusement c’est mal connaître mon petit frère qui à une mémoire d’éléphant quand il s’agit de ce genre d’histoire.

    — Phi, qu’est-ce qui est arrivé à ton oeil ?

    Je soupire, je n'ai pas trop envie de remettre le sujet sur le tapis, je n'ai pas envie qu'il se sente coupable. Je ne veux pas lui mentir non plus alors je n'ai pas le choix et je me lance. 

    — Hier, je suis sortie boire un verre. J'ai un peu trop bu et il semble que j'ai cherché des histoires à quelqu'un.. Je ne me souviens pas bien.

    Je ne rappelle pas pourquoi j'ai ressenti le besoin de me mettre la tête à l'envers, je ne détaille pas comment je m'en suis sorti avec un œil au beurre noir, je ne veux pas mettre Mork sur le tapis. Rain plonge le nez dans sa tasse de café car même si je ne le dis pas, il est loin d'être bête et comprend bien ce qui m'a poussé à boire. 

    — Je suis désolé Phi. Pour tout ce que j'ai dit.

    — Ce n'est pas grave, n'en parlons plus d'accord. 

    Il hoche la tête avant de me sourire en coin et de boire une gorgée de café. Le silence qui s'installe entre nous n'est pas désagréable. On finit de boire notre café, mais bien vite je sens son regard insistant sur moi.

    — Je ne comprend pas... Tu étais ivre, tu t'es battu... A quel moment tu as trouvé quelqu'un avec qui coucher. 

    Je sens mes joues devenir brûlantes et mes mains tremblent fortement. J’espérais le sujet clos, mais apparemment, il n’arrêtera pas tant que sa curiosité ne sera pas comblée. 

    — Tu étais consentant n'est-ce pas ? Parce que sinon je vais aller lui botter le cul à ce connard.

    — Nong ! Calme-toi, tu laisses le cul des gens tranquille. 

    Je prends une grande inspiration, je suis rouge comme une pivoine et je cherche comment lui expliquer sans impliquer Mork. 

    — Je n'ai pas été forcé ET je n'ai couché avec personne d'accord. C'était juste un baiser, rien d'autre et ça ne voulait rien dire.

    Pourquoi même sans me voir je sais que j'ai une tête de chien battu, tout comme ma voix qui semble s'éteindre au fur et à mesure que je parle.

    — J'ai du mal à t'imaginer embrasser un inconnu. Ce n'est pas ton genre. 

    Évidemment, il va creuser, il va chercher qui m'a laissé ce suçon et intérieurement, je suis heureux qu'il n'y ait que celui-ci de visible. 

    — Seulement tu ne connais plus personne ici, enfin si Mork, je sais qu'il t'a... 

    J'ai envie de me taper la tête contre la table alors que son visage s'éclaire à moitié choqué. 

    — Tu as embrassé Mork merde alors ! Je le savais depuis le début, quand j’ai vu comment tu le dévorais des yeux à la gare

    — Quoi ! Je… je ne le dévorais pas des yeux… j’écoutais juste… la chanson. 

    Je me sens pathétique alors que j’essaie de me justifier, mais je sais qu’il n’est pas dupe. Je préfère me taire surtout quand Rain éclate de rire ce qui malgré moi me fait sourire en coin.

    — Tu bavais Phi !

    J’ouvre la bouche pour répliquer que non je ne bavais pas, mon coeur s’allège encore un peu quand je nous vois en train de plaisanter si légèrement dans cette cuisine, même si c’est à mes dépends. Il enchaîne rapidement, il semble surexcité à l’idée que j’ai embrassé son meilleur ami.

    — Je me disais aussi que Mork était bizarre à toujours me parler de toi, à s’inquiéter pour toi. Surtout qu’il n’est pas du genre à s’en faire pour des inconnus et puis lui aussi il te lâchait pas du regard quand il chantait, alors je me doutais bien qu’il avait un crush pour toi et…

    — Il m’a repoussé… 

    J'interromps son impressionnant débit de parole, tellement impressionnant que je me demande à quel moment il respire d’ailleurs. Il se stoppe net au milieu de sa phrase alors que son visage perd sa bonne humeur. Il se voûte légèrement sans me quitter du regard, il ne dit rien et je sais qu’il attend que je développe le fond de ma pensée.

    — Tu as raison… il me plait, beaucoup même alors… 

    J’avale ma salive, je n’ai jamais eu de relation et je n’ai jamais pu parler de mon homosexualité à qui que ce soit avant, le fait d’en parler à mon petit frère, surtout quand ça concerne son meilleur ami me met un peu mal à l’aise. 

    — J’ai aimé quand il m’a embrassé et je pensais que c’était réciproque, mais ce n’était pas le cas. On était ivre et je sais pas, il était peut être juste curieux… Il est parti juste après alors il vaut mieux oublier tout ça, d’accord ?

    Je ne veux vraiment pas qu’il se brouille avec Mork à cause de tout ça, je veux juste passer à autre chose. Dans quelque temps, je pourrais mettre mes sentiments derrière moi, oublier mon coup de coeur pour lui. Et même si cette idée me retourne l’estomac pour l’instant, bientôt, il ne sera plus que l’ami de mon frère. Rain se lève brusquement, le visage fermé et je sais déjà que mes mots d’apaisement n’ont servi à rien, heureusement je ne lui ai parlé que d’un baiser, je n’ose même pas imaginer l’état de colère dans lequel il serait, s’il savait qu’il y avait eu un peu plus. 

    — Je dois avoir une conversation avec lui.

    — Non, Nong attends, ce n’est pas la peine… vraiment… 

    Je me suis levé à mon tour, essayant de le calmer, de l'apaiser, mais je parle dans le vide, car il s’est déjà précipité vers la porte et est parti en la claquant derrière et cette fois, sa colère n’est pas dirigée contre moi. 

    — Et merde…

    Je me retrouve comme un imbécile, je n’ai même pas le téléphone de Mork pour le prévenir de ce qui est en train de débouler vers lui avec colère.

     

    Hier, Rain m’a envoyé un message pour me prévenir qu’il ne rentrerait pas le soir, j’espère qu’il ne s’est pas battu avec Mork. Je ne sais vraiment pas comment je vais pouvoir faire face à ce dernier après tout ça. Enfin, pour le moment, j’ai des choses plus urgentes à faire, j’ai pris la décision de rester ici, je ne vais pas retourner au Japon et je dois l’annoncer à mon père et aussi prendre toutes les dispositions pour rapatrier mes affaires.

    Je passe la matinée dans la cuisine devant mon ordinateur, le téléphone à la main et je suis plutôt content, mes affaires arriveront dans quelques semaines, mon appartement là-bas sera rendu et je viens d’envoyer un e-mail concernant l’entreprise pour annoncer ma démission. Il me reste maintenant la chose la plus dure à faire, je soupire et la main un peu tremblante, je compose le numéro.

    J’espère qu’il ne répondra pas, qu’il est en réunion et qu’alors j’aurais juste à laisser un message vocal lui expliquant ma décision. 

    — Allo ! 

    Sa voix ferme me transperce l’oreille et je me sens tout d’un coup nerveux . Pas de bonjour mon fils, avec une voix paternelle, non, c’est froid, ferme et professionnel.

    — Père ! Je dois vous informer de quelque chose. 

    J’ai toujours envié mes amis depuis tout petit, ceux qui étaient proches de leur père, qui les tutoyaient et étaient aimés par ce dernier. Notre père n’a vu en nous que des produits d’investissement pour son entreprise. Il nous a toujours élevé dans l’idée que nous lui apporterions à long terme de l’argent et donc les marques de tendresse étaient superflues pour élever de futurs grands PDG. 

    — Ah ! Je me demandais combien de temps cela prendrait pour que tu me passes ce coup de fil maintenant que tu es à Bangkok.

    — Quoi ?

    Je ne devrais même pas être étonné qu’il soit au courant, il a des espions partout, mais je n’apprécie vraiment pas. Je prends une profonde inspiration et je ferme les yeux, je vais rester ferme, je ne vais pas me laisser manipuler par ses paroles et ses menaces.

    — Je quitte l’entreprise, je reste à Bangkok avec Rain et je vais ouvrir un café comme je le voulais à l’époque.

    J’ai parlé d’une traite et maintenant je retiens ma respiration alors que le silence s’éternise. Puis j’entends un petit rire et je regarde mon téléphone surpris en haussant les sourcils, en vingt-cinq ans de vie, je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu mon père rire.

    — Très bien Sun, je vais te laisser faire ton petit caprice d’enfant gâté. Occupe toi de remettre Rain dans le bon chemin, vie ton rêve de propriétaire de café et le jour où tu mettras la clé sous la porte, tu reviendras là où est ta place et Rain t’accompagnera, c’est bien clair.

    — Je ne compte pas échouer père.

    Ma voix est plus froide que je ne le pensais, certes il accepte sans trop de problème, ce qui me dérange, c’est qu’il ne croit pas un instant que ses enfants puissent devenir des personnes à part entière sans son aide et son nom.

    — Et bien j’espère pour toi, évidemment, puisque vous comptez prendre cette voie, vous allez devoir vous débrouiller pour l’argent, je vous coupe les vivres tant que vous ne serez pas de retour dans le droit chemin.

    — On a pas besoin de ton argent et on aura bientôt quitté la maison. 

    Je dois rapidement trouver où l’on va vivre, c’est la première chose que je ferais après avoir raccroché car je ne compte pas rester chez lui plus que nécessaire.

    — Bien, mais n’oublie pas que je vous garde toujours à l’oeil. Ne faites rien qui pourrait risquer de ruiner la réputation de mon nom, c’est bien compris. J’ai une réunion maintenant, à bientôt.

    Et il raccroche sur ses mots sans me laisser une chance de dire quoi que ce soit de plus. Je soupire longuement avant de regarder le téléphone et de sourire, c’est enfin fini, après sept ans à vivre dans son ombre, je vais enfin pouvoir vivre ma propre vie. Heureusement, j’ai économisé chaque centimes gagné, ne dépensant que le minimum depuis des années, j’ai largement de quoi me retourner, mais on doit trouver un logement, je dois trouver un bâtiment pour le café et je dois faire vivre Rain qui je l’espère va bientôt reprendre ses études. 

    Je n’ai pas le temps de me pencher sur le sujet, que la porte claque et que Rain arrive à toute vitesse dans la cuisine.

    — Phi ! Il faut que tu viennes, j’ai un truc à te montrer. 

    Il m’attrape la main sans me laisser réagir et me tire en direction de la sortie.

    — Nong, calme-toi, attends… laisse-moi mettre mes chaussures…

    Je sors de la maison à cloche-pied en essayant d’enfiler ma deuxième chaussure. Il semble survolté et je me demande ce qui l’a mis dans cet état là. Je ne peux pas le questionner  car il me jette littéralement dans un taxi qui attendait juste devant chez nous et il s’assoit à côté de moi, je viens de me faire kidnapper par mon petit frère.

    — Qu’est-ce qui te prend ?

    — J’ai une surprise pour toi, tu vas voir, tu vas adoré. 

    J’ai un petit sourire en coin, il n’a aucune blessure visible, j’en déduis qu’il ne s’est pas battu avec Mork et je prend déjà ça pour une bonne chose. Le trajet en taxi est long et j’apprécie de m’éloigner de la maison de notre père. Je décide de profiter du trajet pour lui raconter ma matinée et tous les changements que nous allons devoir opérer dans notre vie.

    — J’ai fait toutes les démarches pour quitter le Japon ce matin.

    Il regarde devant lui, mais même de profil, je peux voir qu’il sourit, je n’ai pas terminé, car le meilleur arrive. 

    — Et j’ai prévenu père que je ne travaillais plus pour lui.

    Il tourne la tête vers moi, tellement vivement que j’ai un instant peur qu’il se brise la nuque. Ses yeux sont écarquillés par la surprise, il ne s’imaginait peut être pas que je ferais tout ça tout de suite.

    — Qu’est-ce qu’il a dit ?

    Il y a soudain de l’inquiétude dans sa voix et même si je comprends pourquoi, je ne sais pas pourquoi c’est si marqué. Je prend sa main pour la serrer doucement et lui montrer que tout va bien.

    — Il est d’accord, il va me laisser faire et attendre que je fasse faillite pour nous récupérer. Il est d’accord pour que je m’occupe de toi, mais comme prévu, il a décidé de ne plus nous donner d’argent tant que nous ne ferons pas ce qu’il veut.

    — Alors il va devoir attendre très longtemps et s’il le faut je travaillerais aussi pour que l’on puisse vivre correctement.

    Il a un petit sourire satisfait et je suis sûr que même s’il ne le montre pas, il est aussi soulagé que moi à l’idée de trouver enfin une certaine forme de liberté loin du joug de notre père. Au même moment, le taxi s’arrête et j’ai un petit sourire nostalgique en voyant où il nous a amené.

    — Pourquoi tu nous as fait venir ici ?

    Je sors du taxi en regardant l’allée qui mène au café qui se trouve un peu plus loin. Il était à vendre il y a sept ans, c’est lui que j’avais retenu pour me lancer dans mon projet. Il est bien situé, agréable et j’étais sûr de pouvoir en faire un endroit sympa pour les gens qui vivaient à proximité. J’ai dû tout abandonner quand j’ai décidé de suivre mon père et j’imagine que depuis le temps quelqu’un à réalisé son rêve ici à ma place.

    C’est donc un peu nostalgique, mais aussi jaloux de ceux qui en sont propriétaires que j’avance les mains dans les poches jusqu’à la devanture. 

    — Le café a fermé il y a trois mois, le propriétaire n’était pas très réglo et il a fui une nuit. Il est de nouveau en vente et quand j’en ai discuté avec l’agence, j’ai appris qu’aucune offre n'avait été faite.

    — Sérieusement ?

    Je regarde de nouveau la porte d’entrée et la vitrine plongé dans le noir avec un peu d’espoir. Est-ce que ce café pourrait être à moi finalement, comme je le voulais avant ? J’ai un petit sourire en me demandant si j’aurais assez pour l’acheter et payer un appartement ne me rendant même pas compte, que je suis en train de me projeter dans l’avenir.

    — Je me dis que c’est l’endroit idéal Phi, il est proche de mon université, il a un bon emplacement et surtout, il a un appartement au-dessus du café. On serait sur place pour travailler.

    J’ai l’impression que Rain tente de me convaincre que ce café est fait pour nous, mais ça, je le sais déjà. J’en rêve depuis longtemps et mon visage doit lui donner la réponse.

    — Tu sais, quoi, tu vas le visiter et moi je retourne à l’agence pour remplir le dossier, qu’est ce que tu en penses ?

    — C’est une bonne idée, père ne nous laissera pas rester très longtemps à la maison, mieux vaut partir le plus vite possible et ce café est parfait.

    Il me sourit et fait rapidement demi-tour pour quitter les lieux le plus vite possible. J’ai l’impression qu’il a hâte de s’éloigner, mais c’est peut être juste moi qui me fait des idées.

    J’ai un petit sourire en coin quand la clochette tinte annonçant mon arrivée, la pièce est complètement vide, mis à part le comptoir en plein milieu et je souris en coin en imaginant déjà comment je pourrais tout agencer. Les lieux sont propres et il n’y aura pas beaucoup de travaux à faire pour pouvoir ouvrir, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. 

    Je ne comprends pas pourquoi personne n’a encore fait de proposition, ce café à une âme, il a quelque chose en plus qui me donne envie de me surpasser pour faire encore mieux que la veille. J’entre dans la partie cuisine et la partie garde manger et je m’imagine déjà en train de créer des recettes et des boissons ici. 

    Je vais pour sortir découvrir l’arrière du café quand je me fige, mon estomac vient de bondir dans mon ventre. Je me retourne et tends l’oreille, je suis certain d’avoir entendu de la musique. Je respire à peine pour faire le moins de bruit possible et frissonne quand un accord se fait entendre un peu plus loin. Je reste attentif au son et essaie de me guider vers lui le coeur battant, car je crois reconnaître la musique qui joue, c’est celle que j’ai entendu une semaine plus tôt dans une gare à moitié vide au milieu de la nuit. 

    J’arrive près de l’escalier qui mène à l’étage et j’entends alors sa voix, je ne distincte pas les paroles, mais je n’ai maintenant plus aucun doute sur celui qui est en train de chanter doucement à l’étage. Je monte les escaliers avec lenteur, je ne sais pas ce qu’il mijote, mais maintenant je suis certain que Rain est dans le coup.

    Je monte lentement les marches et sa voix me parvient un peu plus distinctement, je souris tristement en me rendant compte que sa voix m’apaise et a vraiment un pouvoir sur moi. Elle me retourne tout autant que la première fois que je l’ai entendu et je sais avec certitude que jamais je ne pourrais oublier mes sentiments pour lui, c’est vraiment idiot, parce que je sais qu’il ne m’aime pas. 

    Je suis tombé amoureux de lui, ce soir-là, je n’ai rien pu contrôler. Dès les premières secondes j’étais déjà perdu et rien ne pourra jamais changer ça. Je me retrouve sur un palier et je comprends qu’il s’agit de l’appartement dont Rain m’a parlé, celui où on pourrait habiter si je finis par acheter les lieux.

    J’ai un peu peur d’avancer vers la pièce où il se trouve, il attend peut être juste le retour de Rain et il ne s’attend pas à me voir. Je reste derrière la porte, en l’écoutant jouer et chanter, j’ai un petit sourire en coin avant de fermer les yeux me laissant porter comme la première fois. Je sursaute légèrement quand il arrête soudain de jouer et recule d’un pas.

    La porte s’ouvre soudainement sur Mork et je recule d’un autre pas, je suis prêt à fuir et à partir loin de lui.

    — Pourquoi tu n’entres pas Phi ?

    Je suis surpris, sa voix n’est plus froide, son regard est doux et chaleureux et il me sourit avec tendresse. Je baisse les yeux rapidement, je sais que je rougis et je me répete en boucle, qu’il ne m’aime pas pour ne pas laisser ce stupide espoir prendre trop de place.

    — Je… je pensais que tu n’aurais pas envie de me voir… je ne veux pas te déranger plus longtemps.

    Cette fois je vais partir, je fais demi-tour, je vais aller retrouver mon frère pour acheter ce café et enfin commencer une nouvelle vie qui nous ressemble. Cependant ma fuite est interrompue quand Mork m’attrape la main et m’empêche d’aller plus loin.

    — Je t’attendais Phi, reste, s’il te plaît.

    Je me mord la lèvre inférieure en hésitant un petit instant sur ce que je dois faire. Je me retourne lentement pour lui faire face, il ne me lâche pas et me fixe droit dans les yeux. J’essaie de comprendre ce qu’il veut, mais je n’y arrive pas, parce qu’il a été très clair il y a quelques jours et là son comportement dit tout le contraire.

    — Pourquoi ?

    Je finis par lui demander, mon coeur tambourine dans ma poitrine, je ne réagis pas vraiment quand il m'attire vers lui, je me contente de le regarder la bouche entrouverte. Mes mains se posent naturellement sur ses épaules comme si c’était leur place depuis toujours. Je frissonne quand ses bras se posent autour de ma taille et je ne peux empêcher les souvenirs de notre unique étreinte de remonter à la surface. L’espoir commence doucement à se réveiller et mon cerveau a du mal à l’étouffer. Il n’est pas gay, il ne m’aime pas et ça ne changera jamais.

    — Est-ce que tu peux… me pardonner ?

    Il murmure sans me quitter des yeux, en fait depuis que sa main m’a touché, je ne vois plus que lui et j’oublie tout ce qui se passe autour de nous. Je sais de quoi il parle, mais j’ai besoin qu’il m’explique, qu’il me dise ce qui se passe dans sa tête et ce qu’il ressent vraiment. 

    — A propos de quoi ? Tu n’as rien fait de mal Nong.

    Il soupire longuement avant de poser une de ses mains sur ma joue, la caressant doucement et mon corps réagit aussitôt à son toucher, je ferme les yeux et je me sens me détendre entre ses bras.

    — Je ne suis pas doué avec les mots Phi. Je... .

    Il s’humidifie rapidement les lèvres et cherche un instant ses mots. Je ne parle pas pour lui laisser le temps de mettre de l’ordre dans ses idées, je lui fais juste un petit sourire pour l’encourager.

    — Je n’ai jamais aimé personne Phi, je suis sorti avec des filles, mais il n’y a jamais rien eu de sérieux. 

    Mon visage s’assombrit un peu, ce n’est pas forcément ce que j’ai envie d’entendre et il doit surement s’en rendre compte car je peux voir de la panique sur ses traits avant qu’il ne se ressaisisse et que son bras autour de ma taille me serre un peu plus fort contre lui.

    — Je ressens quelque chose pour toi, je ne sais pas si c’est de l’amour ou… 

    Il soupire alors que je comprend qu’il s’énerve parce qu’il n’arrive pas dire ce qu’il ressent. Je prend son visage entre mes mains, l'obligeant à me regarder avant de sourire doucement.

    — Nong, tu n’es pas obligé de me faire de grandes déclarations si tu es mal à l’aise pour le moment.

    Je lui souris et me penche pour poser mes lèvres sur son front. Je me sens bien et plus encore quand il me sert fort dans ses bras au lieu de s’éloigner. 

    — Prenons le temps de nous connaître, laissons le temps faire les choses, mais je veux que tu saches que je ressens aussi quelque chose pour toi. 

    Je le sens sourire contre mon cou avant qu’il ne dépose un tendre baiser sur ma peau et pour le moment savoir qu’il pourrait y avoir quelque chose entre nous, ça me suffit.

     

    Je suis revenu en Thaïlande, il y a trois mois, au départ, je ne devais que passer Noël avec lui et repartir vivre ma vie au Japon. Les choses ne se sont pas du tout passées comme je le pensais, c’est encore mieux que ce que j'espérais. J’ai retrouvé mon frère, j’ai retrouvé ma liberté et j’ai rencontré l’homme que j’aime. Rain et moi avons passé Noël ensemble et ce jour-là on a appris que le café nous appartenait. Mork est venu aussi passer du temps avec nous, c’était étrange de le voir comme ça, mais c’est timidement qu’il m’a offert un magnifique cadeau, un cadeau qui m’a montré qu’il me soutenait, un tablier pour le café.

    J’aime Mork, de plus en plus au fil du temps, quand petit à petit il me laisse découvrir sa personnalité adorable, loin de l’image de gros dur qu’il essaie d’avoir. Pour le moment, nous ne sommes pas encore en couple, on se donne du temps, mais c’est à travers une multitude de petite attention de ce genre qu’il me montre ce qu’il ressent pour moi.

    Le temps a passé à une vitesse folle après ça, on a déménagé dans l’appartement au dessus du café, on s’est penché sur l’aménagement des lieux et ça n’a pas été facile de se mettre d’accord et surtout Rain a enfin repris les cours. Malgré nos journées plus que chargées, tous les jours, Mork et moi on prend du temps ensemble, on apprend à se connaître, il me fait redécouvrir la ville. Mon amour pour lui ne cesse de grandir au fil du temps et c’est de plus en plus dur de ne pas pouvoir l’embrasser et le lui dire, mais je veux lui laisser le temps d’être sûr de son choix.

    Et finalement, nous voici aujourd’hui, un grand jour pour moi, pour nous, puisque aujourd’hui, c’est l’ouverture du café. Je suis nerveux, je ne tiens pas en place et quand je descends de chez nous et me dirige vers le comptoir, j’ai l’impression que la panique est au rendez-vous.

    Et si personne ne venait ? Et si c’était un flop ? Et s’il les clients n’aimaient pas mon menu ? Et si… un corps chaud se colle contre mon dos et je soupire doucement en m’apaisant tout de suite.

    — Phi, n’aie pas peur, tout va bien se passer. Tu as fait un boulot incroyable et Rain et moi on est là pour toi, d’accord.

    Je frissonne quand ses lèvres se posent sur ma nuque et je hoche doucement la tête pour lui montrer que j’ai compris ce qu’il m’a dit et mon esprit s’éclaircit.

    Il a dormi chez nous cette nuit pour pouvoir nous aider dès l’ouverture. Malheureusement, il n’a pas partagé mon lit comme je l’aurais voulu, mais avec son meilleur ami. Et me voir bouder hier soir en comprenant que rien ne le ferait changer d’avis l’a beaucoup fait rire. 

    — Je suis nerveux et… je n’ai pas très bien dormi cette nuit.

    Ma voix boudeuse le fait rire contre moi et il se serre un peu plus contre moi, continuant à déposer de petit baiser contre ma nuque ce qui me surprend un peu quand même, car s’il me prend souvent dans ses bras, il n’est jamais aller plus loin et là il semble incapable de s’arrêter de picorer ma peau, non pas que je me plaigne.

    — Phi… ce soir je pourrais rester avec toi… dans ta chambre. 

    Sa voix est toute mignonne alors qu’il me le demande timidement et mon coeur bondit dans ma poitrine, me laissant un moment figé par ses mots, mais je me reprends rapidement. 

    — Vraiment ?

    Je tente de contrôler mon sourire, mais je n’y arrive pas alors qu’il hoche rapidement la tête contre moi. Je tente de me retourner pour le regarder, mais il m’en empêche et je n’ai aucun mal à l’imaginer les joues complètement rouges. C’est une chose que j’ai découvert au fil du temps, Mork est une grande gueule, il n’hésite pas à dire ce qu’il pense et souvent sans aucun filtre et tant pis si ça blesse les autres. Pourtant, dès qu’il s’agit de sentiment et de relation, il devient timide au possible et j’adore voir ses joues rougirent quand parfois je le taquine avec ça.

    — Bon les amoureux, quand vous aurez finis, on pourra ouvrir le café ? 

    Je lève les yeux au ciel et grogne un peu pour la forme quand mon enquiquineur de frère vient nous interrompre. J’ai retrouvé l’enfant que j’avais laissé seul ici sept plus tôt, gentil, doux, mais extrêmement taquin. Il a très bien accepté que Mork et moi on soit amoureux, parfois même, il nous pousse dans les bras l’un de l’autre en trouvant que l’on ne va pas assez vite, mais la majeure partie du temps, il la passe à nous taquiner à ce sujet.

    Je me suis vraiment inquiété pour rien, la journée a été parfaite pour nous, dès que les portes se sont ouvertes, il y avait des clients. On a pas eu une seule pause de la journée, mais pour la première fois depuis mes dix-huit ans, je me suis senti libre, vivant et en ayant l’impression de faire ce pour quoi j’était réellement doué. J’aime discuter avec les clients, j’aime faire des boissons et des gâteaux et aussi en imaginer de nouveau. C’est fatiguant, mais tellement gratifiant, que j’ai hâte d’être à demain matin dès que je pousse le verrou une fois le dernier client parti. 

    Enfin, avant j’ai hâte de passer la nuit avec Mork, l’idée de pouvoir être prêt de lui pour dormir me fait plaisir et c’est pour ça qu’à peine le dîner terminé, je lui prend la main en disant bonne nuit à mon frère et l'entraîne pour nous enfermer dans ma chambre. Seulement une fois la porte refermée, je sens une tension s’installer, de la nervosité et on se retrouve tous les deux après notre douche assis au bord du lit sans vraiment savoir quoi faire.

    — Phi on se connait un peu maintenant ?

    Il tourne la tête vers moi et je souris en coin avant de hocher la tête pour répondre à sa question. Il se détend un peu avant de se glisser sur le côté pour se rapprocher de moi.

    — Et on est bien tous les deux tu ne penses pas ?

    Je fronce un peu les sourcils sans comprendre où il veut en venir mais je ne peux qu’être d’accord avec lui, j’aime les moments que l’on passe ensemble et même si parfois on se prend un peu la tête à cause de nos caractères, je ne voudrais pas qu’il sorte de ma vie.

    — Tu as raison, on est bien ensemble.

    — Est-ce que… tu ressens toujours des choses pour moi ou bien… tu me vois comme un ami ?

    Là je comprends où il veut en venir et mon sourire s’agrandit alors que cette fois c’est moi qui me rapproche, nos cuisses sont collées l’une contre l’autre, tout comme nos épaules et on se regarde droit dans les yeux.

    — Je suis tombé amoureux de toi, le soir où je t’ai rencontré dans cette gare Nong. Et je t’aime toujours. 

    Je lui réponds sans hésiter, avec un grand sourire aux lèvres, depuis trois mois, j’ai envie de lui dire chaque jour et je me suis retenu pour ne pas le brusquer. Ce soir, de le voir entamer la conversation de lui-même, fait que je laisse exploser ce que je ressens avec le plus d’honnêteté possible. Il rougit violemment quand il m’entend parler, mais il ne recule pas, il ne détourne pas le regard non plus.

    — Je t’aime aussi Phi. 

    Il ne me laisse pas le temps d’intégrer ce qu’il vient de m’avouer que ses lèvres sont sur les miennes et les sensations qu’il a éveillé en moi trois mois plus tôt reviennent en force. Ce baiser est encore plus doux et tendre que le premier, car cette fois on connaît les sentiments de l’autre.

    Pourtant, rapidement il me fait basculer et se retrouve sur moi, je le serre contre moi, savourant ses lèvres et appréciant sa langue qui vient rapidement jouer avec la mienne. On ne cherche pas à aller plus loin, on se contente de ses baisers et de toutes les promesses qu’ils contiennent. D’ailleurs quand on finit par se séparer, j’ai un petit sourire satisfait aux lèvres.

    — Alors maintenant Phi, on sort ensemble ?

    Malgré notre déclaration, malgré ce long baiser, il y a encore de l’hésitation dans sa voix et cette fois, même s’il est rouge et un peu gêné, je ne le taquine pas, je ne veux pas qu’il soit inquiet. 

    — Bien sûr, tu es mon petit ami et je suis le tien.

    Son corps se détend, il vient cacher son visage contre mon cou et on reste un long moment allongé comme ça à travers le lit. La journée à été longue et je sens que mes yeux s'alourdissent, encore plus quand la voix de Mork s’élève juste à côté de mon oreille et que de sa voix douce et sensuelle, il chante la chanson qu’il chantait le jour de notre rencontre quand on est tombé amoureux l’un de l’autre. 



  • Commentaires

    3
    Mercredi 29 Juin 2022 à 12:34

    J'ai adoré cette histoire ! On retrouve bien les 3 personnages que j'avais beaucoup aimés dans Dark Blue Kiss ! Une autre vision des trois, super bien réussit ! 

    2
    Samedi 19 Décembre 2020 à 13:59

    Merci beaucoup, bon week-end !

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