• Chapitre 9

    Chapitre 9

    Un long soupir passe la barrière de mes lèvres alors que j’observe Pond à travers le miroir de sa loge. Comme je le pensais, notre relation est de nouveau froide et il ne m’a pas adressé la parole depuis presque dix jours. Je sais que je ne suis pas le responsable, car il ne parle absolument à personne et ça m’inquiète.

    A la maison, il passe son temps enfermé dans sa chambre. Au travail, il ne se déride que lorsqu’il doit se montrer professionnel et tous mes efforts pour briser la glace sont restés vains.

    Je pensais que cela passerait, mais les choses ont même empiré, puisqu’il refuse aussi de manger ce que je prépare. Il ne fait que grignoter des paquets de chips et de gâteaux. Tous les matins, il se lève aux aurores pour m’éviter et quand j’arrive, il est déjà installé dans la voiture. Chaque soir, je lui prépare toujours un petit panier pour le lendemain au cas où il aurait faim, mais je les jette chaque fois en rentrant. 

    Histoire de mettre le plus de distance entre nous, il garde en permanence ses lunettes de soleil sur le nez et ses écouteurs fixés dans ses oreilles. J’ai essayé d’en discuter avec Phi First, mais j’ai cru que j’allais lui arracher les yeux quand il m’a dit qu’il boudait et que tout rentrerait dans l’ordre quand il se serait calmé. 

    J’ai l’impression d’être le seul à remarquer ses yeux cernés, ses jours creusés et son teint de plus en plus blafard, enfin non, les maquilleuses s’en plaignent. Elles n’hésitent pas à faire des remarques sur le fait que c’est de plus en plus difficile de le rendre beau. J’aimerais tellement leur faire bouffer leurs pinceaux, Pond est beau tel qu’il est, il n’a pas besoin d’entendre leurs plaintes débiles à longueur de journée. 

    Je pourrais sûrement leur dire de se taire, de se contenter de faire leur boulot et d’éviter les remarques, mais je ne suis pas sûr que Pond me soutienne et je n’ai pas envie de lui rendre les choses encore plus difficiles. Alors, je prends sur moi, je ne le quitte pas des yeux et réfléchis à comment l’aider à retrouver le sourire. 

     

    Quelques minutes plus tard, la porte de la loge s’ouvre et Phi First entre en tenant des photos à la main. Son visage est fermé et je sens qu’il n’est pas content. Il vient se planter à côté de Pond et pousse un soupir en étalant les images devant lui.

    — Je comprends que je t’ai vexé… mais tu ne peux pas faire un travail d’amateur comme ça. Tu fais perdre de l’argent et du temps à tout le monde. 

    Ils avaient l’air tellement proches et complices dans les interviews. Je comprends maintenant que cette histoire de famille est juste de la poudre aux yeux pour les fans. First se fiche de son protégé, il veut juste que les contrats soient honorés et que l’argent rentre. 

    Sans un mot Pond attrape la photo sur le dessus et la fixe un instant avant de la reposer en restant impassible. Il saisit ses lunettes de soleil et les remet sur son nez avant de prendre ses écouteurs.

    Il va s’isoler en ignorant son manager, sauf que ce dernier ne l'entend pas de cette oreille. D’un geste vif, il saisit les écouteurs et les envoie valser dans la pièce, faisant couiner une maquilleuse qui regarde l’un et l’autre d’un air perdu. Je me lève, mais ne bouge pas le regard fixé sur la veine qui pulse au niveau de la tempe de First, il est en colère et se fiche des gens autour. 

    — Putain Pond tu m’emmerdes vraiment, dit-il en passant sa main dans ses cheveux. Tu vas finir par nous attirer des ennuis avec ton comportement d’enfant pourri gâté. Il faut refaire les photos, alors change toi. 

    Je suis interdit par la violence de ses propos et reste bouche bée, ne sachant pas quoi faire. Je suis totalement inutile, je ne peux pas l’aider, le protéger ou prendre son parti. Enfin, ça c’est ce que je pense jusqu’à ce que mes yeux se posent à nouveau sur son reflet dans le miroir. 

    Elle coule lentement sur le long de sa joue, une simple larme solitaire qui fait un trait sur son visage trop maquillé et… je ne pense plus qu’à une chose, le sortir de cette loge. J’avance de cinq pas, me place entre eux et lève les yeux sur First. Je ne sais pas si c’est la réalité, mais dans ma tête, je lui lance un regard froid et furieux. 

    — Celui qui devrait se remettre en question, c’est peut-être toi.

    Je risque de me retrouver sans emploi après cet éclat, mais pour moi, ma relation avec Pond a dépassé le cadre du travail. Je ne peux pas le laisser en détresse, c’est la raison pour laquelle à l’aveugle j’attrape sa main qui est glacée avant de me tourner vers lui. 

    — Allons-y, dis-je d’un ton un peu plus chaud. 

    Je ne laisse le temps à personne de réagir, je tire sur la main de Pond et le force à se lever puis à me suivre hors de la pièce. Je ne m’arrête pas, sans lui lâcher la main,en regardant droit devant moi, je traverse tout le studio jusqu’à me retrouver dans la rue. 

    Je ne sais pas où je l’emmène, mais une chose est sûre c’est que c’est très loin d’ici. Le chauffeur semble surpris de nous voir arriver précipitamment. il baisse la fenêtre en cherchant Phi First du regard. 

    — Descend… demandé-je en tendant la main vers lui. 

    Il hésite, il comprend de moins en moins ce qui se passe et il faut que j’ouvre la portière pour qu’il finisse par ouvrir la portière et se lever sans comprendre. D’un signe de la tête, j’indique le côté passager à Pond et sans un mot je m’installe, démarre et m’éloigne sans attendre. 

     

    Je roule un peu au hasard pendant un long moment, je fulmine et j’ai du mal à laisser redescendre ma colère. Ce n’est que lorsque l’on se retrouve coincé dans les embouteillages que je laisse tomber ma tête contre l’appui du siège et pousse un soupir en fermant les yeux. 

    — Merci…

    Je les ouvre à nouveau brusquement avant de tourner la tête vers Pond qui vient de rompre le silence d’une voix à peine inaudible. Son regard est perdu dans la marée de voiture devant nous, mais je n’ai aucun doute qu’il a vraiment parlé. 

    — J’aurais dû le faire il y a longtemps, désolé, répond-je en me détendant, heureux que la communication soit réparée. 

    — Ne t’excuse pas… c’est juste que… je suis fatigué de tout ça…

    Mon cœur se serre de sentir le découragement dans sa voix, il est au bord du gouffre et j’ai peur pour lui. Je me promets d’être son garde-fou jusqu’à ce que les choses s’arrangent pour lui. 

    — Pond… qu’est-ce que tu veux faire aujourd’hui ?

    Je crois que ça fait des années qu’on ne lui a pas posé la question. Depuis trop longtemps sa vie se déroule entre les quatres murs de sa maison et les nombreux contrats qu’il doit honorer. Il ne fait rien pour lui-même et personne ne lui demande son avis, alors il reste un moment silencieux à réfléchir. 

    — Quand j’étais plus jeune, j’adorais passer du temps dans les thermes avec ma sœur. Ça doit faire cinq ans que je n’ai pas pu le faire, dit-il doucement, comme s’il se parlait pour lui-même. 

    Je suis surpris quand il parle de sa sœur, je n’étais pas au courant qu’il en avait une, d’ailleurs à bien y réfléchir, dans ses interviews, il ne parle jamais de sa famille. En tout cas, vu le petit sourire qui prend naissance sur ses lèvres, je peux dire que c’est quelque chose d’agréable pour lui.

    — Je connais un endroit, repose toi, je m’occupe de tout, dis-je en lui faisant un petit sourire avant de reporter mon attention sur la route quand la circulation se débloque un peu. 

    Je m’attends à ce qu’il m’assaille de questions, à ce qu’il me raisonne ou même qu’il tente de me faire changer d’avis, mais non, il se contente de s’installer confortablement dans le fauteuil et de fermer les yeux. 

    La route, je la connais par cœur, le plus long c’est de quitter Bangkok et sa circulation infernale, mais ensuite, c’est du gâteau. Pond ne bouge pas, il s’est profondément endormi et moi je suis serein. Au final, seul un appel vient déranger la quiétude du moment. 

    — Allo !

    — Nong Phuwin, je peux savoir ce qui t’a pris ? Tu sais l’embarras dans lequel tu nous as mis ? Reviens avec Pond immédiatement !

    La voix furieuse de First remplit l'habitacle et je ne peux pas m’empêcher de grimacer. J’espère qu’il ne va pas réveiller Pond, je n’ai pas envie qu’il entende encore une fois des paroles qui pourrait le blesser. 

    — Je suis désolé, mais ça ne va pas être possible pendant quelque temps. Pond prend des vacances.

    Je ne me sens absolument pas désolé pour ça, d’ailleurs je viens de prendre cette décision, nous ne rentrerons pas à Bangkok pendant quelques jours. J’entends très clairement la plainte de colère du manager et je souris en coin. 

    — N’oublie pas que tu es juste un employé Nong. Ne fais pas quelque chose que tu pourrais regretter.

    — Phi la seule chose que je pourrais regretter, c’est de ne pas l’avoir fait plus tôt. Je ne fais pas ça pour le travail, mais comme ami de Pond. Je te recontacte quand on rentre. 

    Je raccroche sans attendre, éteint mon téléphone dans la foulée et finis par me garer sur le bas-côté. Le plus discrètement possible, j’essaie d’attraper le téléphone de Pond pour l’éteindre aussi et les empêcher de nous joindre. 

    — Alors c’est un kidnapping ?

    Je sursaute quand la voix de Pond s’élève juste à côté de mon oreille et, quand je tourne la tête vers lui, nos visages sont très proches l’un de l’autre. Je lui fais un petit sourire amusé avant de secouer la tête. 

    — Ce n’est pas un kidnapping si tu es d’accord. 

    Il rit doucement et d’un geste lent, il attrape son téléphone et l’éteint sans réfléchir. On se regarde dans les yeux pendant un petit moment sans rien dire. J’aime voir la petite lueur aux fond de son regard.

    — Disons que c’est une évasion nécessaire alors, dis-je doucement avant qu’il ne hoche la tête. 

    — Et où s’évade-t-on ? demande-t-il pendant que je me réinstalle correctement et reprend la route. 

    — Ça c’est une surprise, répond-je d’une voix énigmatique.

    Il n’insiste pas, mais tout dans sa manière d’être change au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la capitale, il se détend, son visage reprend quelques couleurs et un petit sourire ne le quitte pas.

     



  • Commentaires

    1
    Jeudi 8 Février à 18:13

    Merci pour ce nouveau chapitre. 

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