• Chapitre 7

    Chapitre 7
    Toi & Moi

    J’ai retrouvé Jimmy depuis quatre mois et si ma peur est toujours là, ma vie a quand même énormément changé. Je ne vis plus en reclus, chaque semaine, il m’emmène en sortie et même si pour certaines j’ai été terrifié, jamais je n’ai eu de problème. Comme promis, il est toujours près de moi et empêche les gens de m’approcher. 

    On est vendredi soir, je suis enfin en train de finir de travailler, alors que comme à son habitude, Phuaan est en train de vadrouiller sur le bureau. J’envoie un mail à mon patron avant de me laisser retomber dans mon fauteuil en soupirant et de rire quand Phuaan me saute dessus et vient réclamer des câlins. 

    — C’est enfin le week-end ma belle. 

    Je m’étire avant de me lever, prenant mon furet avec moi et l’emmenant dans la cuisine pour lui donner à manger. Alors que j’observe ma meilleure amie sauter sur la carcasse du poussin que je lui ai donné, j’entends la porte s’ouvrir. 

    Mon sourire s’agrandit et je rejoins l’entrée où j’accueille Jimmy qui enlève ses chaussures. A la main, il tient un sac qui contient notre repas, voilà un autre rituel qui est plutôt agréable. Chaque vendredi soir, il vient à la maison et apporte le repas que l’on partage ensemble. 

    Je reconnais le nom du restaurant et mon sourire s'agrandit. Ce restaurant, c’est le premier dans lequel j’ai mangé. Je ne pensais pas ça possible et pourtant, ça avait été une soirée incroyable.

    Notre relation est amicale, avec le temps, j’ai réussi à lui raconter pourquoi j’étais enfermé dans cette maison, pourquoi j’ai peur du contact humain et pourquoi je supporte le sien. Il est mon seul ami, mais aussi l’homme que j’aime. J’avais espéré qu’avec le temps, mes sentiments diminuent et ne disparaissent pour n’être que de l’amitié. 

    Seulement, à la place, ils sont devenus plus forts et c’est aussi douloureux qu’exaltant d’être près de lui. Je sais qu’il ne ressent rien pour moi, car lors de nos sorties, je l’ai vu regarder certaines femmes avec un sourire appréciateur. Seulement, il y a aussi les moments où il me donne la sensation que je suis plus pour lui et l’espoir qui en découle renforce mon amour. 

    Je trottine vers lui et sans parler, sans demander, je me faufile entre ses bras. Mes mains passent autour de sa taille et je pose ma tête contre son épaule, le visage caché dans son cou pour pouvoir respirer son odeur. C’est une sensation toujours étrange de le sentir me rendre mon étreinte, de sentir ses bras se refermer autour de moi pour me rapprocher de lui. La chaleur qui se dégage est agréable et au fil des semaines, moi qui étais effrayé, je suis devenu très demandeur.

    — La journée a été difficile ?

    Je me contente de hocher la tête, oui la journée a été difficile, car je ne l’ai pas vu depuis plusieurs jours et il m’a terriblement manqué. Il y a eu beaucoup de travail entre la boutique et le mariage de sa sœur. Et puis, il est allé voir ses amis, il m’a bien proposé de venir, mais j’ai un peu honte de ce qui s’est passé la dernière fois et je n’en ai pas eu le courage. 

    Il rit doucement face à mon comportement qui pourrait sembler assez enfantin pour certains. Je n’y peux rien, je découvre le monde avec beaucoup de retard et les seuls comparatifs et souvenirs que j’ai, ce sont ceux d’un enfant d’une dizaine d'années. Il ébouriffe mes cheveux et je recule un peu en râlant avant de rire avec lui. 

    — Allons manger, je meurs de faim. 

    Il soulève le sac et je quitte complètement ses bras. Je vis un moment d’espoir quand sa main glisse sur mon bras et qu’il attrape mon poignet et y fait une légère pression en me regardant droit dans les yeux. Mon cœur s’emballe et je le sais, mes joues se colorent, ce qu’il ne manque pas de remarquer vu son sourire qui s'agrandit.

    — Je vais chercher les assiettes, les couverts et Phuaan.

    Je disparais dans la cuisine alors que Jimmy lui commence à sortir notre repas. Phuaan grimpe sur mon épaule et je récupère tout ce dont on aura besoin pour le repas. Avant de retourner le voir, je prends plusieurs inspirations profondes pour revenir en mode ami et contrôler mes émotions.  


    Le repas était délicieux et on n'a pas beaucoup parlé, bien trop occupé à remplir nos estomacs. Cependant, maintenant que nos assiettes sont vides, je repense à l’idée qui me traverse régulièrement l’esprit depuis le début de la semaine. On est assis sur le sol, le dos appuyé contre le canapé où Phuaan dort roulée en boule. Je me tourne vers lui et mes genoux touchent ses cuisses, mais aucun de nous ne s’éloigne. 

    — Phi ?

    — Oui ?

    Il tourne la tête vers moi après avoir fini d’empiler les bols. Je sais que généralement, le vendredi on mange ensemble, on fait la vaisselle, puis il reste environ une heure pendant laquelle on parle de tout, de rien, de nous. Ensuite il rentre, car c’est lui qui ouvre la boutique le samedi matin. 

    — Tu te souviens, je t’ai parlé de mon père.

    — Bien sûr.

    Si parler de ma mère est difficile et que j’ai du mal à rentrer dans les détails, je suis souvent intarissable quand il s’agit de raconter mes souvenirs avec mon père. Sans me quitter des yeux, il attrape ma main et entrelace nos doigts, je frissonne et l’espoir renaît à l’intérieur de mon cœur. 

    — La semaine prochaine, ça fera quinze ans qu’il est mort et… je voulais retourner à Pak Khlong Talat (1), là où il travaillait et où il m'emmenait souvent. 

    Malheureusement, je n’ai jamais pu aller me recueillir sur la tombe de mon père, mais j’aurais aimé retourner à un endroit où il était plein de vie, heureux et dans lequel ma mère n’était jamais présente. 

    — Allons-y.

    — Maintenant !?

    Je ne m’attendais pas à ce qu’il accepte et m’y emmène dans la foulée, mais il ne me laisse pas le temps de réfléchir. On débarrasse grossièrement, je rentre Phuaan dans sa cage et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je suis collé contre lui, derrière sa moto alors qu’il slalome dans la circulation encore intense de la ville. 

    Je me sens un peu coupable, le marché aux fleurs est à au moins une heure de chez moi. Il doit être fatigué et j’en rajoute avec mon idée subite. Pourtant, quand il se gare devant le marché qui, malgré l’heure, grouille encore de vie, j’oublie tout et je suis transporté dans un passé rempli de rires, de couleurs et de parfums de fleurs. 

    Sans réfléchir, j’attrape la main de Jimmy et l’entraîne à travers les étals. J’arrive à éviter les touristes, à ne pas toucher les locaux et les employés, même si pour cela je dois parfois faire de grands détours. Et finalement, j’arrive là où se trouvait l’étal de mon père, aujourd’hui encore, il n’y a plus rien et c’est un pincement au cœur de me retrouver face au vide et à la pénombre. 

    — Mon père a travaillé ici dès qu’il a été majeur pour faire vivre sa famille. 

    Je tourne la tête vers Jimmy qui observe les lieux de manière solennelle, mes doigts serrent un peu plus sa main et il fait la même chose pour m’apporter son soutien. 

    — Mes parents m’ont eu très jeune, alors il a travaillé là sans jamais se plaindre. Mes parents s’aimaient vraiment beaucoup. Je venais souvent avec lui après l’école et je l’aidais à vendre des fleurs. Je devais le rejoindre le soir où il est mort, mais… j’avais fait des bêtises à l’école et j’ai dû rester après les cours. 

    Est-ce que j’aurais pu sauver mon père ? Est-ce que c’est pour ça que ma mère a fait ça ? Elle devait m’en vouloir d’avoir laissé l’amour de sa vie mourir. 

    Je renifle en essayant de retenir mes larmes et Jimmy passe son bras autour de mes épaules, me rapprochant de lui alors qu’il me fixe. 

    — Tu étais un enfant, Nong Sea, tu n’es pas responsable. 

    — Je me demande juste, comment aurait été ma vie, si j’avais pu le sauver. 

    Il ne répond rien, il se contente de m’attirer dans ses bras et de me serrer aussi fort qu’il le peut contre lui. Je peux même sentir ses lèvres se poser sur ma tempe et mon cœur bondit à plusieurs reprises violemment dans ma poitrine. 

    Mon père avait travaillé dur, ne comptant pas ses heures pour réussir à nous payer tout ce dont il pensait que l’on aurait besoin. Il s’était épuisé à la tâche et puis ce soir-là, malgré son jeune âge, son cœur avait lâché, il s’était effondré derrière son étal et il avait fallu un long moment avant que quelqu’un ne s’en rende compte. Il était malheureusement déjà trop tard. 

    — Achetons des fleurs et dimanche allons au temple pour rendre hommage à ton père. 

    Je n’ai jamais eu l’occasion de le faire, je me contentais toujours d’une prière après avoir fait le mérite auprès du Moine en lui déposant de la nourriture. Je me redresse les yeux brillants de larmes et hoche vigoureusement la tête. 

    L’ambiance est un peu plus légère quand on se balade ensuite à travers les étals à la recherche de couronnes de fleurs, on en trouve de plusieurs sortes, avec différentes fleurs, qu’elles soient fraîches ou séchées.

    On est en train de discuter pour savoir si l’on doit acheter des Phuang Malai (2) à offrir aux moines, quand soudain, il y a un mouvement de foule qui arrive droit vers nous. Jimmy tente de s'interposer et me protéger, mais je ne comprends pas ce qui se passe, car il est entraîné dans une direction et moi dans une autre. Je suis poussé, touché et je me laisse repousser alors que ma respiration se fait difficile, j’ai les larmes aux yeux, alors que je cherche Jimmy autour de moi, ne faisant même pas attention à la douleur dans mon corps. 

    Après ce qui me semble une éternité, je suis projeté contre un mur et je me retrouve à l’abri. Aussitôt je me laisse glisser le long du mur qui me soutient alors que je sens la panique monter violemment. Je suis seul au milieu d’un marché bondé et je ne sais pas où est la seule personne qui compte pour moi. 

    Je passe mes bras autour de mes genoux et je me recroqueville autant que possible, je peux sentir la brûlure qui semble grandir encore et encore à chaque endroit où j’ai été touché. Je n’arrive plus à respirer et je ne peux pas m’empêcher de penser que je vais mourir ici comme mon père, ce sera ma punition pour ne pas l’avoir protégé. 

    — Nong Sea !!

    J’entends l’appel, mais je n’arrive pas à réagir, je suis complètement paralysé par la peur, par mes idées morbides et j’ai l’impression que rien ne pourra me calmer. 

    — Sea !

    La voix se rapproche, Jimmy me cherche, mais je ne suis pas sûr qu’il puisse me voir là où je suis. Il faut que je me redresse, que je me relève et que j’arrive à l’appeler. Jimmy a le temps de m’appeler encore deux fois avant que je ne réussisse à tenir sur mes jambes, cependant, je suis incapable d’émettre le moindre son, je respire trop vite, j’hyperventile et je vois déjà des points noirs se former devant mes yeux à cause de l’apport trop élevé en oxygene. 

    Il est là, à quelques mètres de moi, il m’appelle et cherche autour de lui, mais il ne me voit pas. Enfin, ça c’est ce que je me dis, jusqu’à ce qu’enfin, il se tourne vers moi et que nos yeux se rencontrent. La peur est présente sur son beau visage avant qu’une vague de soulagement ne le transforme. 

    Sans me quitter du regard, il traverse la foule encore présente et s’approche de moi. J’essaie de me focaliser sur lui pour reprendre mon souffle, mais je n’y arrive pas. Je pense qu’il va me serrer dans ses bras, me bercer lentement en parlant doucement à mon oreille, comme chaque fois que j’ai pu faire une crise devant lui.

    Mais, il ne fait pas ça cette fois, une main s’enroule autour de ma taille, l’autre autour de mon cou et mon souffle se coupe. Ses lèvres se sont posées sur les miennes. J’oublie absolument tout en fermant les yeux, ne me concentrant que sur une chose, le baiser, mon premier baiser. Il me faut quelques secondes avant d’y répondre, avant que nos lèvres ne dansent ensemble. 

    La panique est passée et même si j’ai le souffle court et le cœur battant la chamade, c’est à cause de Jimmy. On s’embrasse un long moment, oublieux de l’endroit où l’on se trouve, plus rien ne compte pour moi. Il mordille ma lèvre inférieure, me faisant couiner avant de déposer plusieurs baisers légers sur mes lèvres et de reculer légèrement. 

    On se regarde sans rien dire, les lèvres aussi rouges que nos joues et j’ai envie de recommencer, sans oser le faire. Je ne comprends pas pourquoi il m’a embrassé, il s’est comporté comme mon ami et même si parfois il avait des gestes, j’ai toujours pensé que c’était juste moi qui les interprétais pour garder espoir. 

    — Rentrons, j’ai quelque chose à te dire. 

    Il attrape ma main et d’un pas rapide, on se dirige vers la moto. Le trajet du retour est flou pour moi, mon esprit trop occupé à rejouer la scène encore et encore pour ne pas penser à ce qu’il pourrait vouloir me dire. 

    On se retrouve de nouveau assis devant ma table basse, j’ai l’impression que cela fait des jours que notre repas a eu lieu et pas juste quelques heures. La nuit est déjà bien avancée, pourtant on reste immobiles, silencieux, timides, il me tient la main et joue nerveusement avec mes doigts.

    — Nong Sea… je suis désolé, je n’ai pas pu te protéger. 

    — Je ne t’en veux pas, tu ne pouvais pas lutter, tu aurais été blessé. 

    Jamais je ne pourrais être en colère contre lui à cause de ce qui vient de se passer. Je sais qu’il fait de son mieux, mais c’est moi qui me serais senti coupable s’il avait été blessé par ma faute. 

    — Et pour le baiser, je…

    — C’était pour couper ma crise d’angoisse. 

    Je le coupe brusquement quand il aborde le sujet et je me sens rougir. Je ne veux pas l’entendre de sa bouche. C’est plus facile si c’est moi qui le dis. Je sais qu’embrasser peut être un bon moyen de calmer une crise. Je sais aussi qu’un câlin n’aurait pas été aussi rapide. 

    — Non.

    — Non ?

    Je relève la tête et le regarde, surpris, quand il me détrompe d’un ton assuré. Aussitôt sa main vient se poser sur ma joue et tout en moi s’emballe, son regard est différent, plus chaleureux, plus doux et c’est comme si…

    — Tu me plais, depuis longtemps. Quand tu m’as aidé le premier soir, je t’ai trouvé mignon. Quand tu t’es endormi contre mon épaule, je ne voulais plus que tu t’éloignes. La première fois que tu es monté sur ma moto, j’aurais voulu rouler sans m’arrêter.

    Ma bouche s’entrouvre alors qu’il se livre à moi et qu’il me fait découvrir la manière dont il me voit. Je ne suis définitivement pas un chiot égaré pour lui et je sens un petit sourire se dessiner sur mes lèvres. 

    — Je voulais juste être un ami pour toi. Je ne voulais pas rajouter mes sentiments en plus à tout ce que tu as à gérer. Quand je t’ai perdu ce soir et que je t’ai retrouvé en pleine crise, j’ai craqué, je suis désolé si…

    — Je t’aime.

    Je l’empêche d’aller plus loin dans son explication laborieuse et son souffle se coupe brusquement quand il comprend les mots que je viens de prononcer. Un sourire se forme sur ses lèvres alors qu’il prend mon visage entre ses mains.

    — Je t’aime Nong.

    Il capture à nouveau mes lèvres, c’est un baiser doux, tendre. Mon cœur s’allège, ma tête se vide et je me sens heureux. J’ai la sensation que ma vie est en train de prendre une voie que je n’aurais jamais imaginé prendre. Celle où je pourrais être heureux accompagné de quelqu’un qui m’aime et qu’ensemble, on pourrait construire un avenir loin de ma peur.


    Notes

    1/ Pak Khlong Talat, il s’agit du plus grand marché de fleurs de Bangkok, il est ouvert 7j/7 et 24h/24.

    2/ Phuang Malai, composition florale en forme de guirlande. Elles sont souvent offertes en offrande ou conservées pour porter chance.



  • Commentaires

    3
    Mercredi 7 Décembre 2022 à 19:45

    Oh trop mignon, leur premier baiser........

    merci pour ce chapitreyes

    2
    Mercredi 7 Décembre 2022 à 13:10

    Ils sont adorables tous les deux. Je l'ai déjà dit mais j'aime beaucoup ce petit roman

    Merci pour ce nouveau chapitre.

    1
    Mercredi 7 Décembre 2022 à 09:37

    Merci pour ce nouveau chapitre tout mignon ^^ 

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