• Chapitre 6

    Chapitre 6
    Explications

    Phuaan vient une fois de plus me donner un petit coup de museau, alors qu’une fois encore, j’ai le regard perdu dans le vide. Cela fait une semaine que j’ai fuit Jimmy, ses amis et le bar. Il n’a pas cherché à me joindre une seule fois et malgré moi, cela m’attriste. 

    Même si jusqu’au bout j’ai espéré ne pas être juste une cause perdue pour lui, je dois maintenant me rendre à l’évidence. Je renifle bêtement pour ne pas une nouvelle fois me laisser submerger par les émotions. Je caresse lentement la tête de ma seule amie en lui faisant un petit sourire. 

    Aussitôt, elle vient se réfugier sur mon épaule et me chatouille avec ses moustaches comme à chaque fois qu’elle vient renifler mon cou. Je prends une profonde inspiration et tente une nouvelle fois de me dire que tout est pour le mieux. 

    — Ma vie n’est pas parfaite, mais c’est la mienne, alors pourquoi vouloir ce qui est inaccessible. Tu n’es pas d’accord ?

    Je tourne la tête et prends son hochement de tête pour un accord à mes paroles. Ce n’est que la réaction innée d’un animal, mais je veux la savoir de mon côté, même si dans le fond, je sais que ma décision n’est pas la meilleure pour moi. 

    — J’ai un bon travail. Ma tante vient parfois me voir et puis… j’ai la meilleure amie du monde. Qu’est-ce que je pourrais vouloir de plus.

    Je dois lutter contre l’image de Jimmy souriant, laissant apparaître ses fossettes. Je secoue ma tête pour la chasser et je reprends ma souris pour me remettre au travail. Mon patron commence à s’impatienter, je n’ai jamais été aussi long sur l’un de mes projets et je dois absolument me dépêcher. 

    Pendant un moment j’arrive à avancer, à me concentrer sur mon travail, encouragé par Phuaan qui s’est enroulée sur mes genoux pour dormir. Je pourrais sûrement finir mon travail dans la journée, seulement mes pensées se remettent à vagabonder et avant que je ne m’en rende compte, j’ai les mains posées immobiles sur le clavier. 

    Jimmy a été le premier dont je supportais le toucher, je me suis attaché à lui à cause de ça et seulement à cause de ça. Ce que je ressens pour lui, c’est juste… c’est juste… Mon cœur se serre quand, après avoir une fois de plus essayé de penser rationnellement, ce que je ressens me revient à la figure. 

    Si seulement je n’avais pas supporté son toucher, alors je n’aurais pas développé des sentiments pour lui et je ne serais pas dans cette situation ridicule. Je me laisse retomber contre le dossier de mon fauteuil, je n’ai plus envie de travailler, j’ai envie d’aller me recoucher dans mon lit et de dormir enroulé dans ma couette. 

    Si seulement il ne m’avait pas sauvé la vie en étant le seul à pouvoir me toucher. Je me redresse soudain, réveillant Phuaan qui saute sur le bureau en couinant alors qu’une nouvelle idée me submerge. Jimmy n’est peut-être pas l’unique personne, peut-être que j’ai commencé à guérir, mais que je ne m’en suis jamais rendu compte car je n’ose pas aller vers les gens. 

    — Phuaan ! Je dois tester avec d’autres personnes. C’est impossible qu’il soit le seul, tu n’es pas d’accord ?

    Elle ne semble pas particulièrement enchantée par cette idée mais cette fois, je décide de choisir le fait qu’elle est un animal et ne peut pas vraiment me répondre. Je me lève et commence à faire les cent pas sous le regard attentif de mon furet au cas où cela signifie pour elle l’heure du repas. 

    — Non, mais Phuaan, l’idée n’est pas si mauvaise. Regarde, si je découvre que je ne suis pas malade avec le toucher de tout le monde, ça veut dire que Jimmy n’est pas une exception et donc que je peux... je pourrais… oublier ces étranges sentiments plus facilement. Qu’est-ce que tu en penses ?

    Elle me tourne le dos quand elle comprend qu’il n’est pas question de nourriture et se rallonge pour reprendre sa sieste. Pourtant, je ne m’en offusque pas, complètement pris par ma théorie et mon besoin de la mettre en pratique. Je vais prendre une douche rapide, j’enfile mes éternels vêtements.

    Je remets Phuaan dans sa cage avant de rapidement sortir de la maison, je ne sais pas vraiment où je dois me rendre, à la supérette ? À l'université ? A mon travail ? Dans un parc ? Il y a tellement d'endroits possibles que je marche sans but pendant un moment avant de finalement tomber sur un parc bondé à cause du temps plutôt clément de ces derniers jours.

    Je reste immobile devant la grille à observer les gens en train de s’amuser, certains font leur footing, d'autres jouent au ballon, des mamans promènent leurs enfants et des couples flirtent assis sur des bancs. C’est un autre monde, un monde auquel je n’ai pas eu accès depuis trop longtemps. 

    Je prends une grande inspiration, puis deux et enfin je mets un pied dans le parc. J’ai le cœur battant, mes mains s’accrochent à l'anse de mon sac en bandoulière, j’ai l’impression que je suis en train de faire une bêtise. Dans le fond, je sais que toute ma théorie est bidon, que Jimmy restera mon exception, mais je souffre de son absence et de ce que je ressens et j’avais besoin d’y croire. 

    Pourtant, au lieu de faire demi-tour, je m’entête et avance sur le sentier d’un pas vif, évitant les joggeurs et les promeneurs. Je rentre mon cou dans mes épaules comme pour me protéger et peu à peu je sens la panique monter en moi à l’idée que quelqu’un puisse me toucher. 

    Un ballon passe à quelques centimètres de moi, je l’évite de justesse, mais pas l’homme qui a tenté de l'attraper en reculant sans me voir. Il me percute de plein fouet et je tombe lamentablement. Je sens mes paumes s'écorcher alors que mon genou cogne douloureusement sur le gravier. 

    — Merde, désolé. Je ne vous avais pas vu.

    Les choses auraient pu s’arrêter là, je me serais relevé tout seul, je me serais confondu en excuses moi aussi, puis je serais rapidement rentré à la maison pour me soigner. Seulement, l’inconnu semble penser que je ne peux pas le faire seul et place ses mains sur mes bras dans l’idée de me redresser. 

    Les symptômes sont d’une rare violence, mon souffle se coupe, mon corps se contracte, alors que mes bras me donnent l’impression d’être en feu. Il me relâche et je retombe sur le sol, le souffle coupé. 

    — Hey mec, ça va ?

    Forcément, il ne comprend pas ce qui m’arrive, alors au lieu de s’éloigner comme j’en ai besoin, il pose sa main sur mon épaule et me secoue vivement. L’incident attire l’attention et les gens commencent à se rassembler autour de moi alors que la douleur est intenable. 

    J’ai l’impression que cela fait des heures que je suis allongé en souffrant, alors qu’à peine une poignée de secondes s’est écoulée. 

    — Arrêtez de le toucher. 

    Une voix familière s’élève à travers le voile de douleur, mon cœur bondit dans ma poitrine et un gémissement de soulagement passe mes lèvres quand le contact cesse. Je me tourne sur le côté en essayant de reprendre ma respiration, mais j’ai du mal. 

    — Quoi ?

    — Il a une phobie particulière, il ne supporte pas le contact des étrangers. 

    Phi Jimmy modifie un peu le mal qui me touche, mais c’est peut-être pour ne pas avoir à expliquer pourquoi lui peut poser ses mains sur mes épaules afin de me redresser et qu’au lieu de voir les symptômes augmenter, ils s’apaisent doucement. 

    Jimmy s’est agenouillé, mon dos repose contre son torse et petit à petit je reprends pied dans la réalité. Sa main caresse inlassablement mes cheveux et je l’entends rassurer les gens autour de nous qui finissent par se désintéresser de l’affaire maintenant que je me suis calmé. 

    — Mais enfin qu’est-ce qui t’est passé par la tête !

    Il murmure à mon oreille, mais je sens la colère dans le ton de sa voix et son corps trembler contre moi. Je suis surpris, je ne pensais pas que cette situation l’énerverait. Son étreinte se resserre autour de moi et je ressens une vague de bien-être qui finit de détendre mes muscles tendus.

    — Je t’ai vu entrer dans le parc, mais j’étais trop loin pour te rattraper. 

    Je lève les yeux vers lui et nos regards se croisent. Sa main se pose sur ma joue et je soupire, malgré tout ce que j’ai pu me dire, je me sens heureux qu’il soit près de moi. Puis l’image de Phi Honey me revient en mémoire et je me sens coupable de vouloir le petit ami de quelqu’un. 

    — Tu… tu peux me lâcher maintenant tu sais.

    — Pourquoi ?

    Il est vraiment surpris par ma demande et même s’il s’éloigne un peu, ses mains gardent les miennes bien serrées. Je me mordille la lèvre inférieure quand il me demande pourquoi il peut me lâcher. J’ai tendu le bâton pour me faire battre, mais autant mettre les choses au clair tout de suite. 

    — Ta petite amie pourrait ne pas apprécier.

    — Ma petite amie ? Quelle petite amie ?

    Il est tellement surpris, que j’en suis surpris moi-même. J’ouvre la bouche pour parler, mais je ne trouve pas mes mots. Le fait qu'il me fixe si intensément ne m’aide absolument pas à rassembler mes idées. 

    — Et bien… Phi… Phi Honey. 

    Je m’attendais à beaucoup de choses, sauf peut-être à un éclat de rire. Il se relève en m’entrainant avec lui et, tout en gardant son bras autour de ma taille, il me guide vers un banc un peu à l’écart.

    — Je ne sors pas avec elle, c’est juste une amie. Elle voudrait bien que ce soit plus, mais… elle ne m’attire pas.

    — Oh ! Je croyais…

    — C’est pour ça que tu es parti ?

    Je regarde autour de nous, un peu gêné de devoir parler de ça en public et aussi nerveux à l’idée que des passants s’approchent de nous. Jimmy voit mon regard et m’imite avant de soupirer et de se lever. 

    — Allons chez moi.

    Il me prend par la main et me tire pour que je me lève, mais j’ai mal au genoux et mes jambes tremblent encore, alors je me retrouve assis de nouveau sur le banc. Je vois nettement son visage inquiet avant qu’il ne me tourne le dos et ne s’agenouille devant moi. Je ne sais pas ce qu’il attend et je reste figé à le regarder. 

    — Allez, accroche-toi, je vais te porter.

    Je suis prêt à râler, à dire non et à trouver toutes les excuses possibles pour ne pas le faire, mais le ballon passe au-dessus de nous et je vois le même jeune homme qui m’a bousculé courir pour le récupérer. Sans attendre, je passe mes bras autour de son cou et quelques secondes après, je suis perché sur son dos alors qu’il se met en route. 

    Le trajet se passe dans le silence, je garde mon visage caché contre son cou pour ne pas croiser le regard des passants qui nous regardent étrangement. Tout se bouscule dans ma tête. Il ne sort pas avec Phi Honey. Il est venu me secourir quand il m’a vu entrer dans le parc. Et maintenant, il me porte sur son dos pour me ramener chez lui. 

    — Nong on est arrivé.

    Je relève la tête quand il reprend la parole et on se trouve devant la porte d’entrée de son appartement. A regret, je me laisse glisser pour retomber sur mes pieds, grimaçant légèrement quand je m'appuie sur mon genou.

    Il déverrouille la porte et me laisse entrer dans son appartement. Je regarde curieusement autour de moi quand je sens quelque chose se frotter contre mes jambes. En baissant la tête,  je découvre une petite boule de poils rousse, un chaton.

    — Tu peux la prendre, elle adore les caresses.

    Mes yeux s'illuminent et je me baisse pour la prendre dans mes bras. Je la caresse derrière les oreilles et elle ronronne doucement.

    Jimmy m'entraine vers le canapé et je m'assois, totalement concentré sur le chat.

    — Elle s'appelle Itsara (1)

    Mes yeux s'écarquillent quand j'entends le nom de son chat, cela me rappelle un souvenir que j'avais profondément enfoui dans ma mémoire.

    Celui de deux enfants en train de discuter un soir d'été. L'un perché sur un muret, l'autre assis dans l'herbe. Ils parlaient de ce qu'ils feraient quand ils seraient adultes et le petit garçon assis dans l'herbe avait dit qu'il aurait un chat, roux, qu'il appellerait liberté, pour remplacer celle dont sa mère le privait.

    Je regarde alors Jimmy, puis le chaton dans mes bras, ça ne peut pas être une coïncidence. 

    — Tu es le garçon du muret ?

    Jimmy s'illumine avant de fouiller dans son sac et d'en sortir une petite figurine toute décrépis et mon cœur se serre. Je la prends lentement, comme si elle pouvait casser à tout instant. 

    — Je suis allé chez mes parents pour la récupérer, c'est pour ça que je ne suis pas venu de la semaine.

    Mon menton tremble légèrement et je lutte contre les larmes alors que les souvenirs remontent péniblement à la surface. 

    — Je t'attendais tous les jours… grâce à toi, je n'étais pas totalement coupé du monde.

    Sa main se pose sur ma tête et caresse doucement mes cheveux. Il ne dit rien, me laissant parler, même si ce que je dis n'a pas forcément de sens pour lui.

    — Je t'ai attendu des heures le premier jour où tu as disparu, je n'ai presque pas dormi de la semaine tellement je m'inquiétais pour toi. Maman a fini par m'interdir le jardin après que je sois tombé malade parce que je t'avais attendu sous la pluie 

    Ma voix tremble alors que je me remémore cette période qui avait été un vrai calvaire à vivre. J'avais perdu mon seul ami et ma mère m'avait gardé des semaines enfermé à la maison.

    —  C'est la raison pour laquelle mon frère et moi on ne s'entend pas bien. Au départ, on était assez proche. Quand j'ai commencé à venir te voir, il a été jaloux et il a fini par en parler à mes parents en leur mentant.

    Il m'explique les choses, même s'il reste vague sur certains points, je comprends qu'il n'a pas envie de beaucoup y repenser.

    — Le soir même,  ils m'ont mis dans un train pour aller vivre chez mes grand-parents pour me remettre dans le droit chemin.

    Le silence retombe entre nous et seule Itsara navigue entre nous à la recherche de caresses, câlins et jeux. Je pose ma tête contre son épaule. Je comprends mieux maintenant pourquoi je me sens si bien avec lui, pourquoi je lui fais confiance et pourquoi il est aujourd’hui le seul dont je supporte le contact.

    Pendant des mois, il a été mon ancre, mon pont entre la folie de ma mère et le monde extérieur. Son bras s'enroule autour de mes épaules et me serre contre lui. Cette étreinte a maintenant une sensation différente.

    — Quand je suis revenu, la première chose que j'ai faite, c'est d'aller chez toi, mais la maison était vide.

    — Peut-être six mois après ton départ, ma tante a decouvert ce qui se passait et elle m'a emmené chez elle alors que ma mère a été hospitalisée.

    Seulement, le mal était fait, ma mère avait réussi à implanter la peur et au lieu de s'améliorer, ma vie est devenue simplement plus terne encore.

    — Je suis content de t'avoir retrouver en tout cas et… j'espère que tu me laissera rester près de toi ?

    — Tu ne vas plus partir ? Et je ne suis pas juste un chiot égaré ?

    Il se redresse brutalement en me regardant dans les yeux. Visiblement, il ne comprend pas, mais ça m'embête de balancer ses amis. Pourtant, je ne veux pas risquer qu'un non-dit l'éloigne à nouveau.

    — Tes amis l'ont dit.

    Je baisse les yeux, mal à l'aise, mais il se contente de soupirer avant de m'attirer à nouveau contre lui.

    — J'ai beau les aimer beaucoup, ils sont parfois stupides et trop bavards. Je ne pars plus nulle part, ne t'inquiète pas.

    Je ferme les yeux quand il me rassure et mon cœur s'emballe. Même si lui n'a pas ce genre de sentiments pour moi, j'aurai au moins la chance de l'avoir près de moi et pour la première fois depuis longtemps, je me dis qu'il pourrait être celui dont j'ai besoin pour aller mieux.


    Notes
    1/ Itsara : Liberté


  • Commentaires

    2
    Mardi 6 Décembre 2022 à 21:08

    OHhhh, ils se sont connus petit....

    Ca mère a du lui en faire baver vraiment.....

    Merci pour ce chapitre

    1
    Mardi 6 Décembre 2022 à 10:05

    Ooooh, ils sont trop mignons tous les deux, et on apprend petit à petit le passé, c'est vraiment sympa comme lecture.

    Merci pour ce nouveau chapitre.

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