• Chapitre 5

    Chapitre 5
    Désillusion

    Je ne sais pas ce que je fais là, j’ai fait une erreur en acceptant, je ne suis pas capable d’entrer dans ce bar. Je ne suis pas descendu de la moto même si ça fait cinq bonnes minutes que Jimmy a coupé le moteur. Je me cramponne à lui et cette fois, il ne cherche pas à précipiter les choses. 

    Le bar a l’air calme, il n’y a que de la musique qui s’échappe de la porte quand quelqu’un sort pour aller fumer. Je fais glisser le tissu du pull de Jimmy entre mes doigts et soupire à nouveau, je tremble toujours, mais cette fois-ci, ce n’est pas à cause de l’excitation de la balade. 

    — Je peux te ramener, Sea.

    Sa main se pose sur la mienne et je tourne la tête, quittant enfin le bar du regard. A travers la visière du casque, je ne vois que ses yeux, mais je devine le sourire sur ses lèvres. Il voudrait que je vienne, mais il ne me forcera pas, il me ramènera chez moi, quitte à être en retard, si je lui demande. 

    — Il n’y a pas l’air d’y avoir trop de monde.

    Ma gorge s’assèche tout en parlant, je ferme les yeux pour tenter de me contrôler, ma mère avait tort, le psy me l’a répété jour après jour pendant des années. Les gens ne me feront pas de mal, ils…

    — C’est le bar du père d’un ami, ils ont fait une fête pour mon retour en Thaïlande, tu n’auras rien à craindre. 

    La voix de Jimmy est douce à mon oreille alors qu’il tente de me rassurer. J’ai pris la décision de lui faire confiance, de le laisser me guider dans cette aventure et je ne veux pas le décevoir. Alors lentement, je relâche mes doigts et je me redresse.

    — Je vais venir. 

    Lentement, je descends de la moto et j’enlève mon casque sans quitter le bar du regard. J’ai rarement été avec du monde, je ne les connais pas et je ne sais même pas ce que je pourrais leur raconter. 

    — On restera près de la sortie, comme ça, si vraiment tu te sens mal à l’aise, on pourra partir plus facilement. 

    Jimmy range les casques avant d’avancer vers le bar. Je reste légèrement derrière, je voudrais pouvoir lui prendre la main ou le bras, pour me donner de la force et me rassurer, mais je ne peux pas faire ça devant ses amis. Ils prendraient notre relation pour ce qu’elle n’est pas. Je ne sais même pas s’il a une petite-amie ou pas. Cette idée me fait grimacer et je ressens une émotion que je n’arrive pas bien à comprendre. 

    L’ambiance à l’intérieur du bar est beaucoup moins tranquille que je ne le pensais. Il y a une trentaine de personnes et je me sens rapidement blanchir. Il fait chaud dans la salle, la musique semble hurler et les gens s’amusent, rient et font semblant de se battre. J’ai un mouvement de recul, c’est trop pour moi, c’était une mauvaise idée. 

    Malheureusement, il est trop tard, les têtes se tournent vers nous et c’est une explosion de salutation alors que tout le monde se lève pour venir saluer l’homme de la soirée. J’aurais bien envie de fuir quand je les vois s’approcher, mais je suis complètement paralysé par la peur. 

    Au début, ils se contentent de saluer et chahuter Jimmy, lui posant mille et une questions sans vraiment lui laisser le temps de répondre. Puis une jeune femme, visiblement émechée, se tourne vers moi, elle n’est pas très grande, brune aux yeux noir savament maquillés. Elle me fixe la tête légèrement penchée sur le côté comme si elle essayait de trouver qui j’étais et pourquoi j’étais là. 

    — Oooooh !! Un nouvel ami.

    Ses yeux s’illuminent et elle se précipite vers moi, les mains tendues comme pour me prendre dans ses bras et j’ai envie de hurler. Je vais vraiment mourir dans ce bar, finalement, ce n’était pas une idée en l’air. 

    Une main chaleureuse se pose sur ma hanche et rapidement je suis poussé derrière un large dos. Jimmy, comme il l’a promis, me tient à l’abri. Sans réfléchir, je pose mon front moite contre son dos et je souffle doucement. 

    — Ce nouvel ami supporte mal la foule, il a fait un gros effort pour venir, alors s’il te plaît Lemon, ne le fais pas fuir.

    Il gronde gentiment la jeune femme qui reste un moment sans répondre. Je n’ose pas lever la tête et si je m’écoutais je me collerai totalement contre lui.

    — Ok, mais dis plutôt que tu veux le garder pour toi.

    Je sens le rire de Jimmy autant que je sens mes joues me brûler quand elle sous-entend ça. Je n’ose même pas relever la tête quand Jimmy se tourne vers moi, au point qu’à nouveau, il doit poser ses doigts sous mon menton pour me forcer à croiser son regard. 

    — Allons nous asseoir et boire un verre, d’accord ?

    Je me contente de hocher la tête et il attrape ma main pour me guider jusqu’à ses amis qui sont retournés à leurs consommations et leurs discussions. Je tiens fermement mon verre de soda entre mes mains, je suis assis droit sur ma chaise et je reste silencieux. Ils se sont lancés dans une longue conversation sur leurs années d’études et moi, je n’ai rien à dire de plus que… j’ai étudié à la maison.

    Ils m’avaient regardé un instant surpris avant de retourner à leurs anecdotes. Les écouter n’est pas désagréable, même si cela me met face à tout ce que ma maladie m’a fait louper. Jimmy nous a installé de manière que je ne sois à côté que de lui et que ceux se rendant aux toilettes ne passent pas près de moi. 

    Je me suis détendu petit à petit et ce n’est pas forcément désagréable, même si c’est comme si je n’étais pas vraiment là. Mon silence a rapidement fait baisser l’attrait de la nouveauté que je représente et comme Jimmy n’a répondu à aucune de leurs questions me concernant, ils font comme si je n’étais pas là. 

    — Tu veux que l’on rentre ?

    Jimmy me le demande une nouvelle fois, sa main n’a pas quitté mon genou et régulièrement, il quitte la conversation pour discuter avec moi avant que ses amis ne le happent à nouveau. 

    — Non !! Pas tout de suite ! Phi Honey va arriver.

    Je n’ai même pas le temps de répondre que Lemon le fait à ma place. Quand elle nomme la personne qui manque, le comportement de Jimmy change brusquement, il me tourne complètement le dos pour parler avec la jeune femme, sa main quitte mon genou et j’ai un étrange sentiment qui naît au creux de mon estomac. 

    Je n’ai pas le temps de réfléchir à ce que ça veut dire que la clochette sur la porte retentit et qu’une jeune femme aux cheveux teints en blond entre dans le bar. Jimmy se lève sans aucune hésitation et se précipite vers elle pour la soulever dans ses bras et tourner plusieurs fois sur lui-même sous les acclamations de ses amis.

    A partir de là, je n’existe vraiment plus pour lui, je ne comprends pas la relation entre eux, mais je me rends surtout compte que je me suis emballé pour une histoire qui n’en est absolument pas une. Discrètement, je me lève et me rends aux toilettes, je me sens incroyablement triste et je veux juste rentrer chez moi. 

    Je me passe un peu d’eau sur le visage avant de me regarder dans le miroir. Je n’y vois rien d’intéressant, un jeune homme dans la vingtaine, l’air apeuré, un peu trop pâle pour sembler en bonne santé et éteint, son regard est vide. Comment je pourrais un jour rivaliser avec une femme comme elle. 

    De la surprise passe sur mon reflet quand je me rends compte de mes pensées. Rivaliser ? Je viens de rencontrer Jimmy, comment je pourrais… même là, je ne me trouve pas convaincant, je sais que c’est vrai, dans le fond, dès ce soir-là où je l’ai aidé à trouver son chemin, j’ai commencé à craquer pour lui. 

    Je retourne lentement dans la salle, je vais récupérer mon sac et trouver un taxi pour rentrer, je n’ai pas ma place ici. Ce n’est pas mon monde, ce n’est pas ma vie et jamais quelqu’un comme Jimmy ne me verra autrement que comme le gars un peu étrange qui fait pitié. 

    Je m’approche de la table silencieusement, personne ne me remarque et c’est le coup de massue final à ce qui avait pourtant été une magnifique journée. 

    —  Vous croyez qu’il l’a dégoté où celui-là ?

    — Je ne sais pas, mais il a toujours eu la manie de ramasser les chiots égarés et mal en point.

    — J’ai presque pitié pour lui… rien ne peut surpasser Phi Honey.

    Ils ont raison, surtout quand, en levant les yeux, je vois la jeune femme adossée contre le mur, à l’écart des autres dans la pénombre, et Jimmy le coude posé au dessus de sa tête en train de lui murmurer à l’oreille. J’ai l’impression que mon coeur se comprime tellement douloureusement que j’ai du mal à retenir un hoquet de douleur. 

    Je sais maintenant ce que je ressens, c’est de la jalousie, je suis jaloux de toutes ces personnes qui se montrent si proches et si tactiles envers lui. J’attrape rapidement mes affaires et sans regarder personne, me sentant trop bête à cet instant, je fais demi-tour et quitte le bar. 

    — Hey ! Nouveau venu, où tu vas ?

    Lemon m’interpelle quand je passe le pas de la porte, mais je ne réponds pas, je me contente de fuir. Je sens les larmes me monter aux yeux, des larmes brûlantes et douloureuses. Comment est-ce que j’ai pu tomber si rapidement amoureux de quelqu’un ?

    Je marche d’un pas rapide, remontant la rue sans vraiment savoir où je vais. Je devrais m’en inquiéter, mais je sais que je finirai par tomber sur une station de taxi. Les larmes coulent librement sur mes joues, je ne cherche pas à les réprimer, de toute façon, ce serait impossible.

    — Sea !!

    Une main se pose sur mon épaule, mais même si je sais que c’est Jimmy grâce à sa voix, ma réaction est forte. Je me retourne vivement avec un mouvement d’épaule, pour le faire me lâcher, qui me déséquilibre et je me retrouve sur les fesses.

    Je reste figé, assis sur le goudron en train de pleurer. Jimmy s’agenouille et me saisit les épaules en me secouant légèrement et c’est à ce moment-là que je me rends compte que je suis en hyperventilation. 

    — Calme-toi… c’est moi, respire.

    Il m’attire contre lui et même si j’ai pleinement conscience de mes sentiments, de sa petite amie, du fait que je ne suis qu’un gars bizarre dont il a pitié parmi d’autres, je ne peux pas m’empêcher de répondre à son étreinte, me calmant petit à petit. 

    — Je veux rentrer…

    Les larmes ne se tarissent pas et empirent même quand, en reculant, il tente de les essuyer. Il fronce les sourcils, son visage transpire l’inquiétude, mais il ne pourra rien faire, j’ai besoin d’être seul. 

    — Je vais te ramener.

    — Non !

    Je ne sais pas pourquoi je m’exclame de la sorte, mais je rougis et me relève en voyant qu’une partie de ses amis sont devant le bar en train de nous observer. C’est presque un soulagement quand je vois un taxi descendre la rue dans notre direction et je lui fais un grand signe. 

    — Profite de ta soirée. 

    J’ouvre la portière, prêt à me jeter à l’intérieur, une fois de plus, Jimmy attrape ma main, mais cette fois-ci son toucher n’est pas aussi agréable, il me gêne et je force sur mes doigts pour qu’il me lâche. 

    — Nong, pourquoi tu pleures ? 

    J’arrive à lever les yeux vers lui et à le regarder dans les yeux. Le temps se fige un instant, il n’y a plus que lui et moi en train de nous regarder. Il me supplie du regard, mais derrière lui, je vois aussi ses amis et surtout Phi Honey qui nous observe les bras croisés. 

    — On est triste parfois, sans trop savoir ce qui pleure en nous…

    Cette phrase est douloureuse, me ramène à des années en arrière, des années que je n’ai jamais réussi à laisser derrière moi. Les yeux de Jimmy s’écarquillent et il ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais une voiture klaxonne derrière le taxi et je m’engouffre à l’intérieur. Le conducteur démarre rapidement et en donnant l’adresse, je me retourne et le vois immobile au bord du trottoir en train de fixer le taxi qui s’éloigne. 

    Je me réinstalle, pose la tête contre la vitre froide et observe les rues défiler en pleurant. Oubliez le toucher doux et chaleureux, la joie, les papillons et la sensation que je peux attendre autre chose de la vie.

    Ma mère m’a isolé du monde, m’a empêché de pouvoir m’y épanouir. Elle m’a emballé dans une bulle de peur et d’angoisse et la brèche ouverte par Jimmy vient de se refermer brutalement. 



  • Commentaires

    3
    Lundi 5 Décembre 2022 à 20:45

    Oh nooon.....rien qu'en voyant le titre je me suis dit que ça allait être triste......

    Le pauvre Sea.... j'espère qu'ils pourront avoir une bonne conversation en plus Jimmy sait où il habite donc il pourra le retrouver...

    Merci pour ce chapitre

    2
    Lundi 5 Décembre 2022 à 13:16

    Pauvre Sea pris dans la tourmente de ses émotions T-T

    Merci pour ce nouveau chapitre.

    1
    Lundi 5 Décembre 2022 à 11:19

    ಥ_ಥ Chapeau Néphély, tu as vraiment réussi à me faire ressentir toute la peine et le mal-être de Sea, ce chapitre était très touchant. Hâte de lire la suite.

    Bises <3

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