• Chapitre 5

    Chapitre 5

    Dès que je sors de la voiture et que j'entre dans la salle avec mon frère et la bande, tous les regards sont braqués sur nous. Je n'aurais jamais pensé qu'un jour les gens me regarderaient avec un tel air ahuri. C'est comme si je regardais un feuilleton diffusé il y a dix ans.

    — Duean.

    Beaucoup de personnes marmonnent.

    Mon frère est toujours aussi puissant. Des cris emplissent la fête. Sont-ils impressionnés par notre apparence ? Non. Ils encouragent le chanteur principal sur la scène.

    Je repère les connards que j'appelais autrefois mes amis, mais je choisis de les ignorer. Mes yeux se concentrent sur mon poisson dans le ciel qui se tient à une dizaine de mètres, la tête pleine de questions...

    Est-ce que tu m'aimeras ? Te souviendras-tu de l'ancienne version minable de moi ?

    Je dois le saluer, non ? Mais je ne sais pas comment, car Duean ne me permet de dire qu'un seul mot.

    D'innombrables pensées me traversent la tête. Aujourd'hui, je dois sérieusement apprendre à te connaître. Je suis une toute nouvelle personne, je ne suis plus le loser que j'étais avant.

    — Pi, ne te soucie de rien. Va à ce poteau, joue sur ton téléphone et garde un visage impassible. Ne parle à personne en premier. Tu dois rester cool, d'accord ? 

    La suggestion de mon frère attire à nouveau mon attention.

    — Avoir l'air cool ?

    — Ouais.

    —  Tu veux dire que je dois garder mon corps froid ?

    — Va te faire foutre. T'as vraiment envie de t’en prendre une, hein ? Arrête d'être chiant et fais ce qu'on a prévu.

    Docilement, je suis sa suggestion. Je trouve un coin parfait avec de belles lumières de fond. Je m'appuie contre le poteau et tranquillement, je sors mon téléphone et joue à un jeu de pâtisserie en attendant.

    Allez ! Tombe dans mon piège, tombe dans mon piège...

    Mes doigts effleurent l'écran au hasard tandis que mes yeux, derrière les lunettes à monture noire, se fixent sur la petite silhouette plus loin. Mueangnan se distingue toujours au milieu de la foule. Il discute joyeusement avec ses amis. Un sourire comme ça. Des yeux comme ça...

    Je veux tout ça...

    Je veux qu'il soit à moi. Mais d'abord, je dois trouver un moyen de l'approcher.

    Il semble que la méthode de Duean soit assez efficace. Je suis simplement debout ici, faisant semblant de jouer sur mon téléphone, et beaucoup de gens se retournent pour me regarder avec étonnement.

    Un groupe de filles, mes camarades de classe, les seniors qui m'ignoraient, et même...

    Mon poisson dans le ciel.

    Meeeeeeeerde, il me regarde. Tout le monde, il me regarde.

    Mon excitation augmente. Elle est si forte que mon cœur bat la chamade au moment où ses yeux doux se posent sur moi et où ses lèvres se courbent en un tendre sourire. Nos regards se croisent pendant une demi-seconde et je perds presque le contrôle.

    — Pi, c'est l'heure. Assez d'échauffement.

    Soudainement, Goe arrive avec les autres.

    — Prochaine étape, parler ! me murmure Yeen à l'oreille.

    — De quoi je dois parler ? Duean m'a dit de ne dire qu'un seul mot.

    — Mais pas à la cible. Dépêche-toi et parle-lui. Nous allons nous occuper des amis de Nan.

    En une fraction de seconde, le Kitty Gang se divise comme une bactérie et se fraie un chemin dans le groupe de mon poisson dans le ciel. Ils utilisent leurs techniques avancées pour attirer un par un en douceur les amis de Mueangnan.

    Je reste avec Duean, qui évalue la situation à distance.

    — Vas-y maintenant. Je ne veux pas te mettre la pression, mais c'est ta chance là, mon frère.

    Il me tapote l'épaule pour m'encourager.

    Moi qui ai le béguin pour Nan depuis un an et qui n'ai jamais eu le courage de l'avouer, je suis super anxieux. C'est déjà très difficile d'y aller sans que mes jambes tremblent.

    — Duean, j'ai peur.

    — Tu as fait tout ce chemin. Ne te dégonfle pas. On sera tout près, on ne va nulle part.

    — …

    — Oh ! Et ne lui parle pas de l'école. Essaie de le rendre heureux et de le faire rire avec toi, mais pas avec des blagues débiles, d'accord ?

    — C'est dur, Duean, de ne pas être nul en racontant une histoire drôle.

    — Allez. Essaie juste.

    Il me pousse tout de suite vers le champ de bataille. Je jure que j'ai failli trébucher et tomber la tête la première. Heureusement, je me suis rééquilibré juste à temps.

    Et maintenant...

    Je me tiens juste en face de Mueangnan.

    Baboom ! Baboom !

    Satané coeur, tu ne peux pas battre aussi vite.

    — A... Ah, salut.

    Je le salue en bégayant. Le petit gars lève les yeux et fronce les sourcils si fort que mon cœur s'effondre.

    Pourquoi ? Est-ce qu'il ne m'aime pas ?

    — C'est Pi ?

    Wooooah, mon poisson dans le ciel se souvient de moi. Il se souvient vraiment de mon nom.

    — T... Tu te souviens ?

    Je garde ma voix basse. Duean m'a dit d'être cool.

    — J'ai failli ne pas te reconnaître. Tu es sexy aujourd'hui. Je me demandais si c'était la même personne.

    Putain, je rougis. Je n'arrive pas à rester calme quand il me complimente comme ça. Mais je dois le rester, sinon mon image sera ruinée, et Duean, qui observe de loin, va certainement me tabasser à mort.

    — Oh, merci.

    — Tu es ici avec les seniors ?

    — Ouais, c'est la bande de mon frère, des étudiants de quatrième année.

    Mais Duean est un étudiant de cinquième année qui a fait le tour du quartier.

    — Ils sont plutôt sexy.

    Oh non ! Je m'en fous d'eux. J'ai fait tellement d'efforts pour toi, alors s'il te plaît, regarde-moi.

    — Ton petit ami est d'accord pour que tu viennes à une fête de célibataires ?

    — Oui. C'est juste une fête. Quelles raisons de s'inquiéter ?

    Oh, c'est vrai ! C'est vrai.

    Mais désolé, ça n'a pas d'importance si tu prétends avoir deux maris et trois enfants ou autre. Tu ne peux pas me tromper parce que je sais tout.

    — Tu as mangé ?

    Je continue à le questionner.

    — Oui. 

    —  Tu as soif ? Je vais...

    — C'est bon. J'ai déjà bu.

    Je n'ai même pas fini ma phrase.

    — Nan, ah... tu aimes les animaux ? Comme les chats ou les chiens.

    Qu'est-ce que je viens de demander ? C'est ridicule.

    — J'aime ça. J'ai deux beagles à la maison, dit-il avec un sourire. 

    Comment quelqu'un peut-il être aussi mignon ? Si mignon, putain. 

    — Et toi ? Tu as des animaux de compagnie ? demande-t-il

    — J'aime les animaux. En plus des cichlidés, je veux aussi avoir un cheval-dragon noir.

    — …

    Est-ce que cette blague est un non ? Mueangnan reste immobile comme une pierre.

    Duean, j'ai tout fait foirer !

    — Haha, je plaisante. En fait, j'aime les chiens.

    — Ok. Tu as l'air d'être un gars marrant.

    Drôle à souhait. C'était juste. J'aurais dû penser à mon avenir avant de faire cette blague.

    Je suis à court d'idées. De quoi je devrais parler maintenant ?

    — Mais où sont tes amis ?

    — Je ne sais pas. Les seniors leur ont demandé de danser ensemble.

    — Nan, hum... on s'est rencontré quelques fois parce qu'on étudie dans la même section. Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas et mes amis sont occupés, alors...

    — ...

    — Tu peux m'ajouter sur Facebook pour que je puisse te contacte ?

    Un geste éhonté, mais je me donne à fond.

    Mon cœur bat encore plus fort que lorsque j'attendais le résultat de l'examen d'entrée il y a deux ans. Je ne sais pas. J'ai toujours peur d'entendre les réponses quand j'ai de grandes attentes.

    — Je suis désolé, mais j'utilise à peine Facebook.

    — Et LINE ? Tu peux me donner ton identifiant LINE ?

    — J'utilise rarement LINE également.

    — Twitter ?

    Il secoue la tête en guise de réponse. C'est mon dernier coup, il doit avoir ça.

    — Je peux avoir ton numéro ?

    — Je n'aime pas parler au téléphone."

    (Rrr - - Rrrr - -)

    Je n'ai pas encore dit un mot qu'une sonnerie retentit. Et ça vient du téléphone hors de prix de Nan. Qu'est-ce que c'est ? S'il te plaît, réponds-moi. Il refuse de me donner quoi que ce soit. Cela signifie qu'il ne me fait toujours pas confiance à cause de ma tactique.

    Il a complètement fermé son cœur. C'est pas vrai.

    Je lui souris d'un air penaud après qu'il ait raccroché. Simultanément, l'étudiant en médecine apparaît, interrompant notre doux moment. J'ai envie de lui crever les yeux avec mes doigts. La Lune de la médecine sourit, l'air satisfait. Je n'ai pas peur de lui car en ce moment... en ce moment... mon regard peut vraiment rivaliser avec le sien.

    — Mork, je pensais que tu ne viendrais pas.

    Whoa, Nan se précipite vers lui, laissant une merde sans valeur comme moi ici à le regarder tristement. J'essaie d'écouter leur conversation.

    — Bien sûr que je serais là. Tu m'as demandé de venir.

    — Tu as mangé ?

    C'est la même question que je lui ai posée.

    — Ouais.

    — Tu es très beau, au fait.

    Nan le complimente même. Comment la chemise sombre et le pantalon peuvent-ils être meilleurs que le jean soigné de Duean, qui a pourtant l'air imposant et raffiné ?

    — Pas aussi bien que toi.

    — Arrête. Je n'ai pas oublié que tu as volé ma feuille de lecture.

    — Je ne l'ai pas volée. Mon ami l'a emprunté.

    C'est tellement amusant. Ils se font tout doux. Tu peux te retourner et voir que mes pieds se sont enfoncés dans le sol à force d'attendre ? Merde... on est seulement à quelques centimètres l'un de l'autre. Comment tu as pu oublier ?

    Je n'en ai plus rien à faire. A ce stade, c'est agir ou mourir. Je fais rapidement signe à Duean et à la bande.

    Ils sont plutôt malins. Le gang se dirige vers nous comme un ouragan et envoie un gars pour séparer ces deux-là.

    Je suis putain de content.

    Si je ne peux pas l'avoir, personne ne peut.

    —  Excuse-moi. Tu es la Lune de Médecine ? demande James avec sa voix obsédante. 

    Il a un visage ravi comme un méchant dans un drama romantique. C'est tellement évident parce qu'il surjoue.

    — Oui.

    — Whoa ! Tu me connais ? Je suis... la Lune de l’ingénierie.

    Menteuuuuuuuur. Je sais que tu es beau, mais beaucoup de choses en toi sont loin d'être celles d’une Lune. L'une d'entre elles est ton manque de compétences et ta terrible attitude.

    — Vraiment ? Je ne te connais pas.

    — Qu'est-ce qu'il y a ?

    Nan semble confus à cause des actions du Kitty Gang, tout comme moi. Tu es là pour les séparer ou me repousser encore plus loin ? Dis-moi !

    — Rien. Je le salue simplement car on est tous les deux des Lunes.

    — ...

    — Et je veux aussi demander comment le Stars Contest a évolué.

    — Tu ne peux pas faire ça un autre jour ?

    James, tu crains. Tu n'arrives pas à te débarrasser de la cinquième roue et maintenant Nan a l'air agacé. Je cligne des yeux pour lui dire que ça suffit et qu'il faut envoyer le meilleur gars ici. Mais alors...

    — Woooooooo !

    La foule applaudit avec excitation après que les lumières aient été éteintes, les voix résonnent à travers l'endroit. L'obscurité nous entoure tous.

    — Bienvenue à tous à la fête des largués. Ce soir, être célibataire ne sera pas votre problème tant que nous profiterons de la nuit comme des fous ensemble jusqu'au matin !!!

    L'hôte parle dans le microphone tandis que la musique commence à jouer doucement. Les gens qui se déplacent dans le noir sont plutôt désordonnés.

    — Nan, viens avec moi. 

    Je peux à peine voir dans le noir, mais je sais que c'est la voix de la Lune de Medecine et il emmène Nan sans vergogne.

    La première chose que je fais est d'attraper la main de mon béguin. Duean et le gang essaient de nous coincer et de pousser le petit gars vers moi.

    Le Kitty Gang a fait du bon travail cette fois.

    — Nan.

    — Hmm ?

    Il répond d'une voix douce.

    — Tu sais que je t'ai attendu devant le bâtiment de la faculté tous les jours ? 

    Ouaip, le légendaire Nak(1), c'est moi.

    — Tous les jours ?

    — Oui.

    — Pourquoi ? Tu n'as aucune raison de faire ça.

    — C'est parce que...

    Que dois-je faire ? Je dois lui avouer mes sentiments ? Il est célibataire, de toute façon.

    — Parce que je...

    BAM !!!

    Arrrrrrgh ! Les choses se passaient bien mais quelqu'un a ruiné notre moment. Vous voulez savoir qui a fait ça ? C'est Duean et le gang. Je ne sais pas dans quel trou d'enfer ils ont envoyé Mork. Mais ils sont de retour ici maintenant et essaient probablement de me rapprocher de Nan.

    Mais...

    Est-ce qu'ils m'ont demandé si je le voulais ? Mes os se sont presque brisés quand ils nous ont bousculés.

    — Tu... Tu es blessé ? demandé-je à Nan.

    — Je vais bien. Et toi ?

    — Je suis tout...

    BAM !!!

    Je ne vais plus bien du tout.

    Je tourne la tête dans le noir, remarquant l'agitation créée par ces Kitty hipsters. C'est quoi leur problème ?

    Je lâche la main de Nan un instant pour m'occuper de Goe en premier, mais le petit gars m'attrape à nouveau la main.

    Bon sang, il flirte. Il me fait marcher.

    Et donc, je joue le jeu avec lui, en tenant ses deux mains fermement. La sensation de ses mains donne vie à mon cœur déprimé, qui a l'impression d'éclater hors de ma poitrine. Mes jambes sont instables. Mon cœur bat vite. J'ai l'impression que tous mes rêves se réalisent.

    Mon poisson dans le ciel est juste là, devant moi. Juste là.

    Personne ne dit un mot. On s'est perdu dans la musique qui jouait en arrière-plan, la laissant résonner dans nos cœurs.

    À cet instant, mon insouciance ne parvient pas à empêcher le désir du fond de mon cœur de jaillir.

    Je veux lui dire. J'ai toujours voulu le lui dire mais je n'ai jamais eu le courage de le faire.

    — Nan... J'ai quelque chose à te dire.

    — ...

    — Je t'aime tellement. Je t'aime depuis un an. J'ai tout fait, j'ai changé en tout point pour toi. Je... suis allé très souvent au bâtiment de la pharmacie. J'ai changé mon look et j'ai étudié dur pour toi. Mais je sais maintenant que ce que je devrais faire le plus et que j'aurais dû faire il y a longtemps, c'est te dire franchement que tu me plais.

    J'ai rejoué la scène de la confession dans Crazy Little Thing Called Love (2). C'est une scène très romantique. Tous ceux qui reçoivent une confession de ce genre sont forcément attendris par ces mots doux.

    Ce soir, on a pu parler, se tenir la main, et j'ai pu lui dire ce que je ressentais. Je ne suis pas triste que ce moment magique touche à sa fin, s'éloignant avec la musique. Même si je n'ai pas eu sa réponse, c'est déjà bien pour quelqu'un comme moi.

    L'endroit commence à être de nouveau inondé de lumière. Les gémissements déçus résonnent dans la pièce car beaucoup de gens s'amusaient de l'événement surprise. Mais la surprise la plus choquante est juste là devant mes yeux.

    Nos mains sont toujours connectées, nos corps toujours pressés l'un contre l'autre.

    Et quand nos yeux se rencontrent...

    Mais...

    Mais...

    Mais...

    Nan n'est pas là.

    Ce n'est pas quelque chose à quoi je me serais attendu.

    Je vais m'évanouir. Cela s'est avéré être une fête "I FINE, THANK YOU, KILL ME".

    Je retire mes mains comme si je venais de toucher quelque chose de brûlant.

    Qui dois-je blâmer ? Contre qui je devrais me mettre en colère ? Non ! Non ! Où s'est enfui mon poisson dans le ciel ? Celui que j'ai touché et senti dans le noir n'était pas Mueangnan mais quelqu'un d'autre.

    La légendaire scène romantique a été gâchée. Comment a-t-elle pu devenir la scène de misère entre cette personne et moi ?

    Que je sois maudit.

    C'est la Lune de Médecine !!!


    Notes

    1/ Nak, dans le folklore Thailandais, il s’agit d’un fantôme féminin qui jour après jours attends son mari sur le rivage.

    2/ Crazy Little Thing Called Love est un film romantique Thailandais sortis en 2010.

    3/ I FINE, THANK YOU, KILL ME = Je vais bien, merci, tuez moi.


  • Commentaires

    2
    Jeudi 21 Juillet 2022 à 09:42

    Pi s'est donné à fond, le pauvre ^.^ Sacré Kitty Gang, ils sont excellents XD

    Merci pour ce chapitre ;D

    1
    Mercredi 20 Juillet 2022 à 19:31

    Rah le pauvre, mauvais(e) timing/personne XD

    Merci pour ce nouveau chapitre !

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