• Chapitre 47

    Chapitre 47
    Pinceau d'encre de vertu

    Chu Shuzhi ne parlait pas beaucoup à Guo Changcheng, mais les rares fois où ils étaient entrés en contact, il s'était toujours arrangé pour montrer ses compétences. Il avait laissé une impression indélébile dans le jeune cœur de Guo Changcheng.

    Guo Changcheng trouvait aussi le chef remarquable, mais il était généralement plus amical, et ses plaisanteries et ses farces lui donnaient un air plus terre-à-terre. Il était tout au plus un père ou un grand frère, quelle que soit sa puissance. Il n'avait rien de mystérieux.

    Chu Shuzhi était différent. Chu-ge était tout à fait un "sage de l'autre monde" que l'on admirait de loin.

    Comme l'enseignait le code de conduite en ligne pour les nouveaux arrivants au travail, Guo Changcheng portait un petit carnet de notes sur lui. Il suivit Chu Shuzhi avec impatience, n'osant pas dire un mot, se contentant de prendre des notes sur tout ce qu'il voyait.

    En entrant dans l'hôpital, ils aperçurent un jeune policier qui attendait devant une porte. Ils lui montrèrent leur carte d'identité et entrèrent tous ensemble dans le service.

    Celui qui les conduisit à l'intérieur s'appelait Xiao Wang, et il leur dit pendant qu'ils marchaient : 

    — Notre chef de la police est aussi à l'intérieur. Il vient de parler au chef Zhao au téléphone. Cet incident est particulièrement grave. La famille de la victime a appelé la police pour signaler la vente malveillante d'aliments empoisonnés. La victime est à l'intérieur, mais jusqu'à présent, les médecins n'ont pas pu déterminer de quel type de poison il s'agit.

    Chu Shuzhi demanda : 

    — Une intoxication alimentaire ? Quel genre d'aliment ?

    — Des fruits, répondit Xiao Wang. La victime a quitté le travail tard hier soir et n'a pas eu le temps de dîner. Selon sa famille, il a mangé une orange achetée à un vendeur ambulant. Après l'avoir mangée, il s'est évanoui immédiatement et on l'a envoyé à l'hôpital. J'ai entendu parler d'eau empoisonnée ou d'aliments transformés contenant des additifs nocifs, mais jamais de fruits empoisonnés.

    Tout en parlant, il poussa la porte de la chambre du patient, et quelqu'un poussa un cri strident. Guo Changcheng sursauta de peur et, sur la pointe des pieds, jeta un coup d'œil dans la chambre, derrière Chu Shuzhi.

    Un homme d'une trentaine d'années était allongé sur le lit, se débattant de manière incontrôlée tandis que les médecins et les infirmières le maintenaient en place. Une femme en pleurs se trouvait également dans la pièce, probablement un membre de la famille.

    L'homme s'agrippait à la main d'un médecin, lui arrachant presque la peau, et hurla : 

    — Mes jambes, mes jambes sont cassées... Mes jambes ! Ah ! Ah !!!

    Il gémit et hurla, les veines bleues de son cou se dessinant.

    — Au secours ! Aidez-moi... mes jambes sont cassées... c'est si douloureux, aidez-moi... ça fait mal !!!

    — Ses jambes ? demanda Chu Shuzhi à Xiao Wang.  Vous n'avez pas dit qu'il s'agissait d'une intoxication alimentaire ? Qu'est-il arrivé à ses jambes ?

    — Rien, dit Xiao Wang, pas même une égratignure. Ils ont scanné ses jambes et n'ont rien trouvé... c'est pourquoi on ne sait rien.

    Chu Shuzhi s'avança et donna une tape sur l'épaule d'une infirmière, lui faisant signe de s'écarter. Il souleva les paupières de l'homme et étudia ses iris. Puis il examina l'arrière de ses oreilles, marmonna quelque chose et fit un mouvement brusque de la main. Enfin, il forma un poing et frappa durement le plexus solaire de l'homme.

    L'homme cessa soudain de se débattre.

    Chu Shuzhi demanda : 

    — C'est encore douloureux maintenant ? 

    L'homme reprit son souffle et le regarda avec gratitude, en secouant la tête.

    Les médecins et les infirmières qui les entouraient le regardèrent tous comme s'il était membre d'une secte maléfique.

    Chu Shuzhi retira son poing sans état d'âme et, sans se soucier des cris qui reprirent derrière lui, il se tourna vers Guo Changcheng. 

    —  Nous en avons fini ici ; rentrons et rédigeons le rapport.

    Guo Changcheng resta sans voix. Leur travail était terminé comme ça ! C'était... Qu'est-ce qui venait de se passer ?

    ~~~

    Le cours facultatif de Shen Wei avait lieu le soir. En regardant les derniers étudiants partir, il rangea son sac et retourna à son appartement dans le monde des humains. Sur le chemin, il n'arrêta pas de consulter son téléphone... comme s'il était vraiment préoccupé par l'heure.

    Son téléphone n'avait que trois fonctions : téléphoner, envoyer des messages et donner l'heure. Il n'avait jamais joué aux jeux qui l'accompagnaient.

    Shen Wei n'aimait pas ce gadget, il trouvait plus pratique d'écrire une lettre. Si c'était urgent, on pouvait écrire une note rapide ; si ce n'était pas le cas, on pouvait prendre son temps et écrire un peu plus longuement, contrairement aux appels téléphoniques, qui étaient facturés à l'heure. Chaque fois qu'il y pensait, il avait l'impression que quelqu'un le regardait parler au téléphone et cela le mettait très mal à l'aise.

    L'ouverture d'une lettre était un processus marqué par une joyeuse anticipation, surtout lorsque l'expéditeur était quelqu'un de spécial. L'écriture de l'expéditeur pouvait à elle seule déclencher le désir le plus profond, et ses lettres pouvaient être conservées pendant longtemps dans une collection.

    C'était dommage que Zhao Yunlan n'écrive jamais de lettres. Même lorsqu'il signait pour un colis, il trouvait son nom trop long et se contentait de griffonner un "Zhao" illisible. Le Tueur de Fantômes recevait des messages de la marionnette messagère ; Shen Wei était bombardé de messages instantanés.

    Les polices froides des messages ne semblaient pas différentes de celles envoyées par l'entreprise de télécommunications pour l'informer du solde de son compte. Bien que Shen Wei ne les avait jamais effacés, il ne s'y était jamais vraiment habitué... mais maintenant, il n'y avait plus rien à quoi il devait s'habituer. Depuis qu'ils étaient revenus des montagnes, Zhao Yunlan ne l'avait plus dérangé.

    C'était peut-être mieux ainsi, pensa Shen Wei.

    La durée de vie normale d'un humain n'était que de quelques dizaines d'années. Pour lui, c'était comme claquer des doigts. Les hommes mouraient comme des bougies consumées, et après cela, tout ce qu'ils avaient fait dans leur vie n'avait plus de sens. Le moment venu, Zhao Yunlan l'oublierait à nouveau.

    Shen Wei entra dans sa chambre et poussa la porte qu'il gardait toujours fermée à clé. En l'ouvrant, la lumière s'alluma automatiquement.

    Dans la chambre, il n'y avait ni lit, ni table, ni chaise, mais seulement une série de portraits accrochés au mur. Les cadres montraient qu'ils avaient vieilli et qu'il s'agissait tous de portraits d'un seul homme : de face, de profil, de dos ; les images étaient classées par ordre chronologique, comme le montraient ses vêtements, qui changeaient au fil des dynasties et des époques. Et pourtant, il s'agissait toujours de la même personne ; même l'expression la plus détaillée de ses sourcils était scrupuleusement dépeinte, et elle ne changeait jamais à travers les siècles.

    Les peintures anciennes étaient suivies de grandes et de petites photographies, certaines de son adolescence, d'autres de ses années plus âgées... Il souriait, fronçait les sourcils, bavardait et s'amusait ; il y en avait même une où un chat lui sautait sur la tête, et où il penchait le cou en criant.

    Toutes était de Zhao Yunlan. Il n'y avait toujours eu que lui.

    Shen Wei était conscient qu'il y a des choses qu'il était le seul à savoir, qu'il était le seul à se rappeler. Quand le temps se sera écoulé, il disparaîtra lui aussi, seul. Mieux valait que personne ne s'en aperçoive... après tout, son existence même était une erreur.

    En attendant, la seule chose à laquelle Shen Wei pouvait prétendre, c'était de surveiller Zhao Yunlan sans qu'il ne s'en aperçoive. Il pouvait se faufiler dans son appartement tard dans la nuit, mais l'homme était très vigilant, et il ne pouvait pas rester longtemps. Heureusement, Zhao Yunlan avait participé à de nombreux dîners ces derniers temps, et il rentrait généralement à la maison à moitié ivre. Ce n'était qu'à ce moment-là que Shen Wei pouvait s'approcher un peu plus près.

    Venir sans bruit. Partir sans bruit.

    Le regard de Shen Wei s'attarda avec tendresse sur le mur rempli de peintures et de photographies, puis il disparut dans un nuage de brume noire.

    Il s'engagea à toute allure sur la route des Enfers. Près du Pont de l'Oubli, le juge présidait une foule de serviteurs des Enfers, dont le Fantôme Noir et le Fantôme Blanc (1), ainsi que Tête de Bœuf et Face de Cheval (2), et ils attendaient tous le Tueur de Fantômes.

    Le Juge était un homme d'âge moyen au teint pâle et à la silhouette ronde ; il arborait une expression bienveillante. Lorsqu'il vit Shen Wei, il fut tout sourire et fit preuve d'une politesse excessive. 

    — Votre Honneur, les Dix Rois du Monde Souterrain vous attendent.

    Dans cette terre désolée et pleine de gémissements, à côté du Pont de l'Oubli, les sourcils délicats de Shen Wei paraissaient un peu froids. Il fit un signe de tête vers les serviteurs des Enfers, et sans lever les yeux, il dit poliment : 

    — Merci beaucoup. 

    Observant attentivement son expression, le Juge dit : 

    — La dernière fois que nous avons envoyé au Gardien le Livre de la Vie et de la Mort, c'était vraiment une erreur de notre part. Il a failli révéler votre identité, et nous sommes vraiment désolés, Votre Honneur.

    Shen Wei se contenta de le regarder, d'un air si calme que le juge en eut des sueurs froides.

    Il commença immédiatement à se prosterner. 

    — Mais tout ce qui concerne le Seigneur Kunlun a été effacé, je peux vous le garantir, il n'en reste rien, pas même le plus petit indice. Le Gardien étant désormais parmi les vivants, tant que le Visage Fantôme ne parle pas, il ne découvrira rien. De plus, le Gardien est si noble et bienveillant qu'un être aussi répugnant que le Visage Fantôme n'oserait pas le 'réveiller'.

    Shen Wei rit doucement en signe de dérision, mais il ne dit rien... il n'y avait rien de bon à dire.

    Le juge émit un rire sec et essuya son front moite avec sa manche.

    Il pensait lui aussi qu'envoyer à Zhao Yunlan le Livre de la Vie et de la Mort était une décision stupide de la part des Enfers, mais que pouvait-il y faire ? Ce n'était pas lui qui menait la danse ici.

    Il y avait dix grandes divinités au-dessus de lui. Celles-ci lui avaient même ordonné de découvrir secrètement ce que pensait le Tueur de Fantômes, de quel côté il se trouvait, et s'il était possible de le faire changer d'avis. Bien que le Tueur de Fantômes ne parlait que rarement et que sa politesse à toute épreuve le fasse passer pour une mauviette, les choses étaient claires comme de l'eau de roche dans son esprit.

    Personne n'était stupide ici. Le vieux juge n'avait pas l'intention de découvrir la rapidité de la lame du Tueur de Fantômes.

    D'ailleurs, si ce grand dieu était vraiment réveillé, accepterait-il d'être de leur côté ? Quand il avait été banni il y a des années, n'était-ce pas parce qu'il s'était rebellé contre l'ordre des choses ?






    Notes

    1/ Deux divinités chargées d'escorter les esprits des morts jusqu'aux Enfers.

    2/ Les deux principaux gardiens du monde souterrain, au service des dix rois du monde souterrain.

     



  • Commentaires

    1
    Mercredi 23 Août 2023 à 20:32

    J'aime beaucoup les sentiments, le respect et loyauté que Shen Wei a pour Zhao Yunlan

    merci pour ce nouveau chapitre.

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