• Chapitre 46

    Chapitre 46
    Pinceau d'encre de vertu

    Le soir, Guo Changcheng quitta le centre de soins pour enfants autistes. Il faisait déjà nuit et les rues étaient bloquées par la neige fraîchement tombée. Il devait rouler à une allure d'escargot et prier pour arriver avant la fermeture du bureau de poste.

    Sa petite voiture cabossée était pleine de livres de toutes sortes : certains étaient des manuels scolaires ou des cahiers d'exercices, d'autres des livres pour enfants ; tous étaient enveloppés de plusieurs couches de papier craft et d'emballages en plastique. Ils étaient rangés en piles bien ordonnées ; au premier coup d'œil, ils ressemblaient beaucoup à une livraison d'une librairie en ligne.

    Guo Changcheng prévoyait de les offrir à une école primaire qu'il parrainait, en guise de cadeau de Nouvel An.

    Ses compétences de conducteur étaient médiocres et n'étant pas très courageux. Sa voiture avançait comme une tortue géante sur la route glissante et pourtant il avait presque percuté quelqu'un.

    Un homme en gris s'était lancé dans la circulation et failli passer sous les roues de la voiture de Guo Changcheng. Plusieurs voitures frénèrent vivement, mais heureusement, tout le monde roulait lentement, si bien qu'il n'y eut pas d'autres accidents.

    Un conducteur grincheux baissa sa vitre et s'écria : 

    — Vous êtes fou ? Trouvez un autre endroit pour vos combines, ok ?

    Mais Guo Changcheng n'était pas si coriace. Il était choqué et ses paumes étaient couvertes de sueur. Il se précipita hors de sa voiture et demanda d'une voix tremblante : 

    — Vous... vous allez bien ? Désolé, je suis vraiment désolé.

    La personne qui était tombée était très maigre, si maigre qu'elle paraissait déformée. Son visage hagard était à moitié caché sous le large bord d'un chapeau. Au premier coup d'œil, il semblait enveloppé d'une brume sombre. Sa peau était pâle et cireuse, ce qui lui donnait l'air d'être aux portes de la mort.

    Le conducteur en colère continua de crier : 

    — Allez, mec, laisse-le, tu veux ? C'est un putain de psychopathe ! Pourquoi tu ne l'as pas écrasé ?

    Guo Changcheng fit un faible signe de la main au conducteur en colère, mais en regardant la personne devant lui, il fut encore plus terrifié. Avec hésitation, il tend les mains pour l'aider : 

    — Vous pouvez vous lever ? Et si... et si je vous emmenais à l'hôpital ?

    Mais la personne au chapeau n'accepta pas son aide, repoussant rapidement ses mains et le fixant du regard. Ses yeux semblaient morts, son regard était en quelque sorte pétrifiant. Guo Changcheng frissonna.

    Puis la personne se leva et s'éloigna rapidement sans le regarder à nouveau.

    Guo Changcheng remarqua une tache noire sous l'une des oreilles de l'homme, comme une empreinte digitale laissée par un doigt couvert de cendres.

    Il resta là, impuissant, et lui cria : 

    — Vous allez vraiment bien ? Et si je vous donnais mes coordonnées ? Si vous avez besoin de quelque chose, je m'appelle...

    Mais l'homme tourna au coin d'une ruelle étroite et disparut.

    Le chauffeur en colère s'en alla aussi, ses derniers mots à Guo Changcheng restant suspendus dans l'air glacial.

    — Mec, t'es stupide ou quoi ?

    Guo Changcheng soupira et se retourna pour ouvrir la portière de sa voiture. Soudain, il aperçu un reflet dans la vitre : c'était la personne au chapeau.

    Il était sur le trottoir derrière Guo Changcheng, se cachant furtivement dans un coin. Lorsque deux femmes passèrent devant lui, il ouvrit brusquement la bouche. Sa tête se transforma en une forme semi-humaine, et une langue de plusieurs centimètres de long en sortit. La créature fit un mouvement de succion vers les deux passantes.

    Guo Changcheng écarquilla les yeux. L'une des deux femmes trébucha et manqua de s'évanouir, comme si elle souffrait d'hypoglycémie. Heureusement, l'autre l'aida à se relever. Guo Changcheng ne comprenait pas ce qu'elles disaient. Il voyait juste un léger nuage flottant du corps de la femme jusqu'à la mâchoire béante du porteur de chapeau.

    Stupéfait, Guo Changcheng tourna la tête, mais derrière lui, il ne vit rien d'autre qu'une rue enneigée et des piétons normaux.

    Il se précipita dans sa voiture, le cœur battant, et sortit rapidement le bâton paralysant que le chef Zhao lui avait donné. Il le rangea dans la poche intérieure de sa veste et le tapota vigoureusement. Comme s'il s'agissait d'une force d'ancrage, il démarra lentement.

    Ce bâton paralysant était vraiment la meilleure chose qu'il avait reçue du SIU, en dehors de son salaire.

     

    Lorsqu'il arriva au travail le lendemain, Zhu Hong brandit immédiatement son passe de la cafétéria devant son visage. 

    — Xiao Guo, je veux un Xian Bing (1) aujourd'hui ! Un de ceux qui sont frits et croustillants, et un yaourt aussi !

    Guo Changcheng posa son sac et sans rien dire d'autre qu'un simple "oui", il se précipita à la cafétéria. Juste devant la porte du bureau, il tomba sur Chu Shuzhi, qui était en train de grignoter une demi-crêpe frite. Guo Changcheng se redressa et le salua : 

    — Bonjour, Chu-ge.

    Chu Shuzhi lui fit un doigt d'honneur, lui accordant à peine un grognement et un coup d'œil en retour.

    Il l'avait déjà dépassé, mais Chu Shuzhi se retourna rapidement et attrapa Guo Changcheng par le col, le tirant en arrière.

    — Attends, tu as rencontré quelque chose de sale ?

    Guo Changcheng le regarda bêtement.

    Les mains de Chu Shuzhi sentaient les crêpes frites, elles l'attrapèrent par les épaules, le retournèrent, lui tapotèrent le dos et les deux côtés de la taille. Puis Chu Shuzhi s'essuya les mains avec une serviette en papier et repoussa Guo Changcheng.

    — Tu as eu de la malchance. Très bien, maintenant que tu es propre, tu peux partir.

    Le visage et les oreilles de Guo Changcheng rougirent. Il s'enfuit à petits pas. Chu Shuzhi pris une nouvelle bouchée croquante de crêpe, des miettes huileuses tombant sur le sol. 

    — Quel genre de cultivation a fait ce gamin, sa vertu est si épaisse qu'elle coule de lui comme de la graisse...

    Zhu Hong, affamé, avait l'eau à la bouche ; on aurait dit qu'il décrivait un cochon savoureux.

     

    — De la nourriture ! De la nourriture !!!

    Zhao Yunlan franchit la porte avec fracas et, sans rien dire, fouilla le corps de Chu Shuzhi. Il trouva un œuf dans son manteau et s'en empara sans cérémonie.

    Chu Shuzhi était furieux, mais n'osait rien dire.

    Ensuite, Zhao Yunlan sortit une brique de lait du réfrigérateur, l'ouvrit et la but.

    Da Qing hurla : 

    — C'est à moi ! C'est la mienne ! Tu voles de la nourriture pour chat, espèce de connard sans vergogne !

    Zhao Yunlan le regarda sans s'en préoccuper. 

    — Oui, je l'ai fait... Qu'est-ce que tu vas faire, petit gros ?

    Da Qing ne répondit pas.

    — Pourquoi ne pas aller à la cafétéria... dit Zhu Hong.

    — Je suis pressé, rétorqua Zhao Yunlan, qui courut droit vers le mur, juste au moment où Guo Changcheng revenait avec un Xian Bing. 

    Avant qu'il n'ait le temps de s'étonner, le chef Zhao traversa le mur et disparut.

    —  Tu peux fermer la bouche, demanda Zhu Hong en prenant son repas. Là, il y a une porte vers la bibliothèque ; tu n'es pas capable de comprendre quoi que ce soit à l'intérieur, alors naturellement, tu ne peux pas voir la porte non plus. 

    Chu Shuzhi termina sa crêpe et se sentait encore à un œuf de la satiété. Il s'empressa de prendre un petit morceau du Xian Bing de Zhu Hong. 

    — Mieux que moi, je la vois mais je ne peux pas y entrer... la bibliothèque ne m'est pas ouverte.

    Guo Changcheng demanda : 

    — Pourquoi ?

    Le visage grognon de Chu Shuzhi se para d'un sourire effrayant. 

    — Parce que j'ai un casier judiciaire.

    Guo Changcheng resta silencieux.

    Il avait vraiment toujours peur de son Chu-ge.

    Un peu plus tard, Zhao Yunlan sortit précipitamment du "mur" avec un vieux livre en lambeaux. Il jeta la coquille d'œuf et la brique de lait vide dans la poubelle de Guo Changcheng et saisit une serviette en papier sur le bureau de Zhu Hong. Sans un mot, il se dépêcha de partir.

    Puis il disparu pendant une journée entière.

    Quinze jours s'étaient écoulés depuis leur voyage dans les montagnes enneigées. En un clin d'œil, le Nouvel An lunaire était arrivé. Les tempêtes hivernales glaçaient la Cité du Dragon, bien décidées à entraîner tout le monde dans la nouvelle année.

    Le chef Zhao était tellement occupé qu'il en oubliait presque son propre nom. Il devait préparer des cadeaux pour toutes ses relations importantes et recevoir ceux de ses amis de fortune dans toutes sortes d'endroits. Il avait une correspondance interminable, des engagements sociaux sans fin, des rapports, des réunions et des conférences à n'en plus finir. Le téléphone de son bureau sonnait sans arrêt, comme s'il était la ligne directe de la billeterie ferroviaire.

    De nouveaux calendriers furent installés sur tous les bureaux de tous les services. Ce jour-là, le crépuscule arrivant tôt, Sang Zan se rendit aux enquêtes criminelles avant que les travailleurs de jour ne partent.

    Il avait la vie dure. De son vivant, il était un conspirateur impitoyable et, après sa mort, il avait été enfermé dans le Poinçon des Montagnes et des Rivières, une prison sans lumière et intemporelle où il était resté enfermé pendant des siècles. Aujourd'hui, il était transformé et prêt à mener une nouvelle vie... non, une vie après la mort. Mais il se rendait compte qu'il était passé du statut de conspirateur à celui de simple d'esprit : il ne comprenait même plus le langage humain.

    Wang Zheng était la seule personne au monde à pouvoir communiquer avec lui ; et bien que la langue Hanga soit la langue maternelle de Wang Zheng, elle ne l'avait parlée que pendant moins de vingt ans. Les trois siècles suivants, elle avait parlé le mandarin. Lorsque Sang Zan se rendit compte que Wang Zheng parlait beaucoup plus facilement que lui avec les humains et les autres fantômes, il fut bien décidé à apprendre le mandarin.

    Sang Zan ne reculait devant rien lorsqu'il était déterminé à atteindre un objectif : il avait même empoisonné sa propre femme et son enfant. Au cours des semaines suivantes, il passa presque tout son temps à murmurer des mots à l'oreille de Wang Zheng. Cela la rendit presque folle, jusqu'à ce qu'il commence enfin à comprendre les règles de base de la prononciation. Il était maintenant capable de reproduire des mots, et même de tenir des conversations simples par lui-même.

    Sang Zan articula soigneusement un mot de mandarin après l'autre, annonçant : 

    — Gelan dit qu'à la fin de l'année, en plus des 'os' de fin... de fin d'année, il y aura des 'pattes de lapin' supplémentaires, alors... tout le monde est prié d'envoyer, d'envoyer ses feuilles de blé.

    Il parlait clairement sans comprendre ce qu'il disait.

    Lin Jing demanda :

    — Amitabha. Quel blé ? Quelles feuilles ? Nous faisons des brioches à la vapeur pour le réveillon du Nouvel An ?

    Sang Zan gesticula et dit : 

    — Pas des brioches, mais des feuilles de blé ! Le beurre, va être apport...

    — Le chef Zhao dit qu'en plus de notre prime de fin d'année, nous recevrons cinq mille dollars supplémentaires. Venez les chercher d'ici ce week-end et envoyez-moi vos reçus la semaine prochaine. Il vaut mieux que ce soit des frais de transport, mais les frais d'assurance sont également acceptables, dit Wang Zheng en descendant précipitamment et en jetant un coup d'œil à Sang Zan. Tu ne l'as pas mémorisé correctement.

    Sang Zan la regarde, et son expression sinistre s'adoucit. Il se met à sourire bêtement et lui tendit prudemment la main.

    — Ne me distrais pas, je suis occupée, le réprimanda doucement Wang Zheng. Zhao Yunlan est allé à une réunion avec l'un de ses beaux-frères, mais j'ai encore un document urgent à lui faire signer.

    Sang Zan dit rapidement : 

    — Je... Je donne...

    Wang Zheng retira sa main. 

    — Non, tu ne le feras pas, tu vas effrayer son beau-frère à mort.

    Sang Zan ne discuta pas et la suivit silencieusement, la regardant courir de long en large dans le couloir sombre, occupée à son travail.

    Wang Zheng se retourna et murmura quelque chose que personne ne comprit. Sang Zan se mit à sourire d'un air satisfait, un air transcendant qui disait que tout allait bien se passer.

    — Ce que je déteste le plus, c'est le PDA, surtout dans une langue étrangère. Je deviens aveugle, dit Zhu Hong avant de baisser la voix et marmonner. La Terreur Fantôme vient à peine d'arrêter de flirter, et voilà que ces deux-là commencent !

    Lin Jing dit : 

    — Bonté divine, madame, s'il te plaît, ne t'encombre pas d'envie et de haine.

    Zhu Hong s'apprêta à le frapper, mais juste à ce moment, le téléphone sur son bureau sonna. Elle décrocha. 

    — Bonjour... oh, où ?

    Elle fit signe à tout le monde de rester, puisqu'ils étaient déjà sur le point de partir. Elle sortit une pile de blocs-notes. 

    — Hum, allez-y... Route de la Pierre Jaune, Hôpital du Temple de la Pierre Jaune. D'accord, je vais leur dire... Ah oui, si vous avez le temps, revenez au bureau ; Wang Zheng a des choses à vous faire signer.

    Tout le monde savait que c'était le chef Zhao qui venait d'appeler. Après avoir raccroché, Zhu Hong poussa un soupir de colère.

    — Allez, pourquoi c'est toujours la même chose ici... pas de travail le jour, mais des heures supplémentaires la nuit. Cinq minutes après la fermeture des bureaux, notre chef indélicat a du travail pour nous.

    En entendant cela, Lin Jing réagit aussi vite que l'éclair : il poussa immédiatement la porte et disparut du champ de vision à la vitesse de la lumière.

    Zhu Hong écrivit l'adresse sur un mémo et le colla sur le mur. Elle remonta son écharpe jusqu'aux oreilles et se plaignit :

    — C'est l'hiver, et je suis une fille, je ne supporte pas le froid...

    Da Qing enchaîna immédiatement :

    — Ce vieux chat n'a pas de doudoune.

    Tous les regards se tournèrent vers Chu Shuzhi, le dernier à réagir. Il fit face à ses salauds de collègues, et un million de mots se transforment en un seul : 

    — Putain.

    Dix minutes plus tard, Chu Shuzhi était assis dans la voiture de Guo Changcheng, en direction de l'hôpital du Temple de la Pierre Jaune.

     




    Notes

    1/ Sorte de petite tourte au bœuf.

     



  • Commentaires

    1
    Mercredi 23 Août 2023 à 20:24

    Merci pour ce nouveau chapitre^^

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