• Chapitre 4 - People, places and thin

    Chapitre 4

    Parfois il suffit d'un petit rien pour faire un pas de géant. Mon pas de géant à moi, c'est le jour où j'ai rencontré Ohm et qu’il est venu toquer à ma porte. Ma vie était à l’arrêt, je n’attendais plus rien, vivant constamment dans la peur. Et lui, sans le savoir, il avait réussi à m’aider. Il m’a montré qu’un inconnu ne chercherait pas forcément à me faire du mal, qu’il existait des gens bien intentionnés et que le monde ne voulait pas me faire de mal.

    Je sais que le chemin de la guérison sera encore long, que je tomberai à de nombreuses reprises. Mais, depuis deux mois qu’il vient chaque soir à la maison, j’ai l’impression d’avoir moins souvent la tête sous l’eau. Je dors mieux et je commence même à envisager de retrouver ma chambre, car le canapé n’est pas vraiment confortable. Mes crises d'angoisse sont moins violentes et nombreuses qu’avant. Le seul point noir reste la nourriture, je ne mange toujours pas assez.

    Je sais que tout ne sera pas rose, mais je ne veux pas y penser, je veux me focaliser juste sur ce qui est positif. Il y a encore quelques semaines, je me plaisais à être seul, à n’avoir personne à mes côtés. Je me sentais en sécurité dans la solitude. Aujourd’hui, je me surprends de plus en plus à attendre chaque jour l’arrivée de ma mère, de Chimon ou bien la sienne. 

    Maintenant quand ma mère et Chimon sont dans l’appartement, je ne suis plus caché sous ma couette en attendant qu’ils partent, je reste près d’eux, je tente de faire la conversation. Parfois je suis même surpris de constater qu’ils sont restés plusieurs heures et que pendant tout ce temps, pas une fois Bay et ce qu’il m’a fait m’ont traversé l’esprit.

    Cependant aujourd’hui c’est différent, je suis seul. Ma mère n’a pas pu venir à cause d’un rendez-vous médical pour mon père. Elle n’a pas voulu m’inquiéter, me disant que ce n’était rien de grave, juste un contrôle. Seulement, cela me fait vraiment prendre conscience que je n’ai pas vu mon père depuis presque un an. J’ai l’impression d’être un monstre en le maintenant ainsi à l’écart de ma vie et de mes problèmes, sans chercher à savoir si lui n’en a pas, s’il n’a pas besoin de moi.

    Je soupire en posant mon front sur le comptoir froid de la cuisine, qu’est ce que je dois faire ? Tout en moi me crie que je dois faire le premier pas. Je relève la tête et fixe mon téléphone qui est posé devant moi, me narguant en restant désespérément silencieux. J’espère dans le fond que mon père m’envoie soudain un message, que se soit lui qui reprenne contact. 

    Je soupire avant de le prendre d’une main tremblante. Je l’allume et vais aussitôt sur ma messagerie. J’ouvre la conversation avec mon père, la dernière fois que je lui ai répondu remonte à treize mois, je l’avais simplement remercié quand il m’encourageait à donner le meilleur de moi-même pour mes examens. Depuis, il devait y avoir une centaine de messages que j’avais à peine lus et auxquels je n’avais jamais répondu. Je me mordille la lèvre nerveusement avant de finalement laisser mes doigts faire. 

    Bonjour papa. Tu vas bien ?

    Je repose le téléphone dès que j’ai appuyé sur ‘envoyer’. Je ne sais pas pourquoi je suis nerveux. En fait, je sais très bien pourquoi. J’ai peur qu’il ne me réponde pas, qu’il me déteste et ne veuille plus jamais me voir. 

    Je m’éclaircis la gorge, conscient que ce que je ressens est parfaitement de ma faute. Si j’avais réussi à faire face, si je ne m’étais pas isolé du reste du monde. Alors je ne me demanderais pas si…

    Ting !

    Le son familier de mes notifications retentit, coupant mes pensées stériles et faisant battre un peu plus vite mon cœur. J’ouvre l’application les mains tremblantes et quand je lis les quelques lignes envoyées par mon père, des larmes me montent aux yeux.

    Bonjour fils. Je vais bien, mais tu me manques. Et toi tu vas bien ?

    Envoyer un deuxième message est beaucoup plus facile et on passe un long moment à discuter de tout et de rien de cette manière. Quand il finit par me dire qu’il doit y aller, mais qu’il espère avoir de mes nouvelles rapidement. Je me sens plus léger, plus proche de celui que j’étais avant et c’est plaisant.

    Je reste immobile un moment, un sourire sur mes lèvres, le regard perdu dans le vide et je savoure simplement cette sensation. Je soupire profondément avant d’une nouvelle fois faire quelque chose que je ne faisais plus avant. Sans réfléchir je compose un numéro, mais je suis serein alors que les tonalités résonnent les unes après les autres.

    — Allo ! 

    La voix chuchote quand enfin il prend l'appel et je suis surpris.

    — Chimon ? Tout va bien ? 

    Je ne sais pas pourquoi je réponds de la même manière en chuchotant. C’est assez étrange de l’appeler alors que je vais bien, je me rends compte que depuis un an, je n’ai pris contact avec lui que lorsque j’avais besoin de lui. C’est la première fois depuis longtemps que je le fais juste pour discuter avec lui. 

    Il rit mais encore une fois à voix basse et de manière contrôlée. Je fronce les sourcils en essayant de comprendre ce qui se passe.

    — Oui tout va bien. C’est juste que… je suis à la bibliothèque du campus.

    Il me répond rapidement et mes yeux s’écarquillent. Il m’en a parlé pourtant, il y a trois jours, c’est la raison pour laquelle il ne peut pas venir me voir cette semaine. Il doit réviser pour ses partiels qui arrivent bientôt, je ressens une vague de culpabilité quand je comprends que je l’empêche une fois de plus de vivre sa vie normalement. 

    — Chimon… je suis désolé. Je ne me rappelais plus et…

    — Nanon ! Calme-toi, ton appel me permet de faire une pause.

    Il m’interrompt en parlant légèrement plus fort et il me réduit rapidement au silence.

    — Tu voulais me demander quelque chose ?

    Chimon est vraiment un ami en or, il me soutient sans rien attendre en retour, il prend soin de moi et m’encourage à me relever encore et encore. 

    — Je voulais juste te remercier d’être là.

    Je parle d’une voix claire quand je réponds à sa question. Au départ je voulais lui parler de mon père, du fait que j’avais repris contact avec lui. Pourtant, les remerciements me semblent plus appropriés et sincères. Je ne veux pas qu’il puisse douter un jour que ce qu’il fait pour moi me laisse indifférent. 

    Il est celui qui m’a relevé ce jour-là, qui m’a maintenu à bout de bras pour que je garde difficilement la tête hors de l’eau. Je sais très bien que sans lui, sans sa présence et son soutien, je me serais laissé mourir au fond de mon canapé.

    — Tu n’as pas à me remercier Nanon. Je ne sais pas ce qui a changé ces derniers temps, mais je suis heureux de voir que tu vas mieux.

    Il me répond de sa voix habituelle, mais je peux entendre les trémolos dans sa voix et je sais qu’il est touché. 

    — Je t’en parlerai… quand… quand tu viendras me voir.

    J’hésite un peu à lui répondre, mais finalement, quand je le propose, je sais que j’ai pris la bonne décision. J’ai gardé pour moi les visites de Ohm depuis deux mois, je n’en ai parlé à personne. Toutes ces semaines, il était mon jardin secret, ma petite dose d’oxygène qui me permettait de respirer librement.

    Seulement, je veux soulager mes proches, qu’ils comprennent pourquoi je semble aller mieux. Je veux que Ohm ne soit pas seulement une voix derrière la porte, mais bien une personne sur qui je peux compter en toute circonstance. 

    Oh tu m’invites chez toi ? Est-ce que tu m’ouvriras si je toque à la porte ? 

    Le ton de sa voix est taquin, mais je sais que la question est sérieuse. Je me mordille la lèvre quelques secondes en réfléchissant à ma réponse. Est-ce que je serai capable de lui ouvrir s’il vient chez moi sans sa clé. Au début je pensais que la réponse serait claire et nette, non, je n’en serai pas capable. Pourtant, je me rends rapidement à l’évidence, que j’ai peut-être parcouru plus de chemin que je ne veux bien le penser.

    — Ou… oui…” 

    Je murmure en bégayant, mais je suis plus déterminé que jamais. 

    Très bien, alors je viendrai rapidement te rendre visite Nanon. Je…

    Chimon semble surpris mais content de ma réponse quand il reprend la parole, mais une voix l’interrompt et il soupire lourdement. 

    Je dois te laisser ma pause est terminée.

    Je suis déçu de ne pas pouvoir continuer à discuter avec lui, mais j’ai hâte qu’il vienne à la maison pour qu’enfin, je puisse lui parler de Ohm. On se salue rapidement, puis il raccroche pour retourner réviser avec ses amis. 

    Je repose le téléphone sur le comptoir et je me sens étrange. Je suis un peu triste pour une raison inconnue, je n’arrive pas ou plutôt je ne veux pas comprendre d’où vient cette soudaine nostalgie. D’un autre côté, je me sens apaisé, calme et je suis même surpris quand mon estomac grogne bruyamment.

    Je suis assis toujours à la même place, j’ai les yeux rivés sur l’horloge qui égrène les secondes et les minutes avec une lenteur désespérante. Devant moi, se trouve un bol vide, vestige des ramens que j’ai mangées un peu plus tôt. C’est une sensation étrange que d’avoir le ventre rempli de nourriture et pas cette oppressante envie de vomir.

    Je tapote lentement mes doigts sur la surface lisse, encore cinq minutes et il sera l’heure pour Ohm d’arriver. Depuis deux mois, j’attends nos discussions avec impatience, on discute de tout et de rien, mais pendant ces quelques instants, je me sens normal. Cependant, je n’ai jamais rouvert la porte depuis ce soir-là, je ne sais pas pourquoi. Tout serait plus simple si je pouvais le laisser entrer, on s'installerait alors confortablement pour qu’il me lise les histoires.

    Je me mordille la lèvre nerveusement en quittant l’horloge des yeux. Est-ce que je serai capable de le laisser entrer. De prendre le risque de me retrouver seul avec lui alors que… je secoue la tête pour chasser ces idées. Je veux avoir confiance en lui, je ne veux pas imaginer Ohm venir chaque soir chez moi depuis des semaines juste pour me faire du mal. 

    Deux coups brefs résonnent dans l’appartement, des papillons s’envolent dans mon estomac. Je me lève sans aucune hésitation, rejoignant presque la porte en trottinant. Je m'assois contre la porte, sur un gros coussin qui a fait son apparition il y a quelques temps maintenant.

    Je sais que ma mère et Chimon se posent des questions à ce propos, mais pour le moment j’ai toujours ignoré leurs questions. Mon ventre se tord à l’idée que bientôt je vais devoir tout expliquer à Chimon. Je ne sais pas trop comment il va réagir, je ne sais pas comment je vais pouvoir lui expliquer et…

    — Bonjour.

    Je souffle ma salutation avec un petit sourire, repoussant toutes ces idées pour plus tard. C’est toujours étrange d’être le premier à le saluer, mais depuis quelque temps, il reste silencieux tant que je ne l’ai pas fait. La raison est assez simple, il a compris que je bloquais pour parler aux gens, il veut m’aider en me sortant de mes habitudes et c’est sa méthode.

    Quand il m’a expliqué un soir qu’il viendrait chaque soir, mais ne parlerait pas tant que je ne l’aurais pas salué en premier, j’ai cru qu’il plaisantait. Seulement le lendemain, il est resté silencieux derrière la porte pendant quarante-cinq minutes jusqu’à ce que je trouve le courage de dire quelque chose. 

    Salut Nanon !” 

    Sa réponse enjouée ne se fait pas attendre. Comme moi, il est déjà installé contre la porte. Je pose l’arrière de ma tête contre le bois de la porte. Savourant la simple idée d’une présence à mes côtés, j’ai un petit sourire en coin et je me force à être celui qui mène la conversation. 

    — Tu as passé une bonne journée ?

    Ce sont des questions simples, basiques, mais de toute façon, j’aime l’entendre parler de lui, de sa journée, de sa vie en général.

    — Je regrette les semaines où je travaillais toute la journée à la librairie de mon père. 

    Il soupire longuement et j’ai un petit rire. 

    Je l’ai dit à mon père que mes études ne servaient à rien, puisque de toute façon, j’allais reprendre la librairie.

    — Oh et qu’est ce qu’il a dit ? 

    Je suis réellement curieux. Le père de Ohm est un personnage curieux, il se montre attentif à ses enfants et leur prouve qu’il les aime et les soutient, tout en les menaçant de mort environ cent fois par jour. Il a toujours été amical avec moi à la boutique, mais maintenant, je ne sais pas s’il me fait peur ou bien si je voudrais le rencontrer pour de vrai. 

    Qu’il enterrerait mon corps sous le bâtiment de ma faculté pour que je passe ma misérable éternité sur les bancs de l’école. 

    Sa voix est dramatique quand il me rapporte les mots de son père. L’idée plus le ton de Ohm font que j’éclate de rire sans réussir à me retenir, bientôt rejoint par le jeune homme. J’ai du mal à calmer mon hilarité alors que je savoure un peu trop fortement le son de nos deux rires mélangés.

    Hey ! Ne rigole pas… ce n’est pas drôle. 

    Il tente de paraître indigné, mais ses éclats de rire ne font que renforcer nos rires. Il faut un long moment avant que l’on arrive à se calmer et qu’il puisse reprendre la parole. 

    — Et toi ? Comment s'est passée ta journée ?

    D’habitude, j’appréhende un peu quand il me pose la question, parce que malheureusement, à part lui raconter les visites de Chimon et ma mère, je n’ai pas grand-chose d’autre à dire. Ce soir, je suis plutôt content, car j’ai pas mal de choses à lui dire. Je colle mes genoux contre mon torse, entoure mes genoux de mes bras et réponds avec un grand sourire sur les lèvres.

    — Tout à l’heure, j’ai envoyé des messages à mon père. Je… je n’avais pas été en contact avec lui depuis un an.

    Je perds un peu mon sourire en cours de route, je ne sais pas comment expliquer cette longue séparation, sans tout lui avouer et j’ai peur.

    — Hey ! Tu dois être super content alors ?

    Sa voix est toujours la même, il est enthousiaste et même s’il doit avoir de nombreuses questions, il les garde pour lui. 

    Oui. C’est agréable de pouvoir lui parler. 

    Je pose mon menton sur mes genoux un peu pensif avant de continuer le récit de ma journée. 

    Après j’ai appelé Chimon, pour une fois, c’était juste pour lui donner des nouvelles. Je n’avais pas fait ça depuis longtemps, mais je l’ai dérangé pendant ses révisions de partiels.

    Je me redresse soudain alors qu’une révélation se fait au moment où je suis en train de parler. Je me tourne complètement pour faire face à la porte assis en tailleur sur le sol.

    — Ohm ? Tu n’as pas de partiels à passer ?

    Je suis curieux et un peu inquiet aussi car je ne veux pas qu’il gâche ses chances à cause de moi.

    Oh et bien… bientôt. Ne t’inquiète pas pour ça, je révise un peu le soir quand je rentre. 

    Mes yeux s’agrandissent quand j’entends sa réponse. Chimon travaille comme un forcené pour réviser, il ne passe presque plus me voir car il a une montagne de choses à rendre, à réviser et je comprends seulement maintenant que Ohm me fait passer avant son avenir. 

    Je vois rouge et pendant quelques secondes je ne réfléchis plus. Je bondis sur mes pieds comme un diable hors de sa boîte et j’entreprends de déverrouiller les différents verrous qui barrent la porte. 

    Je perds ainsi l'élément de surprise et quand j’ouvre ma porte en grand, il est déjà debout en train de me fixer. Je me perds un instant dans son regard surpris et curieux, je ne m’étais pas trouvé si proche de lui depuis longtemps et j’oublie un instant ce que je voulais dire. 

    — Nanon que… 

    Il commence à parler en hésitant légèrement, mais je l’interromps d’une voix forte.

    — Comment je vais me sentir si tu loupes ton année par ma faute ? 

    Sa bouche s’entrouvre et je prends le temps de le détailler. Il est toujours dans son uniforme d’étudiant, son sac de cours à ses pieds. Il n’est pas rentré chez lui, il va rester devant ma porte pendant de longues heures pour me lire des histoires. Je sens la culpabilité poindre le bout de son nez. Chaque soir depuis des semaines, il vient dès qu’il a fini son travail ou ses cours, il me tient compagnie sans manger, sans réviser avant de rentrer chez lui. Je lui prends tout son temps et il ne m’a même jamais demandé de rentrer chez moi plutôt que de rester sur mon palier. 

    — Ce n’est pas… 

    Il essaie de nouveau de prendre la parole, mais je ne le laisse pas finir, tout comme je ne me laisse pas le temps de réfléchir à ce que je suis en train de faire.

    — Entre ! 

    Je recule le cœur battant à tout rompre alors qu’il me regarde avec des yeux ronds. Je ne lui ai jamais raconté quoi que ce soit lié à ce qu’il m’était arrivé. Seulement, il est loin d’être bête, il sait que quelque chose s’est passé et m’a rendu comme ça. Il hésite un long moment, m’observant avec sérieux.

    — Tu es sûr ? 

    Sa voix est mesurée et hésitante alors qu’il m’offre une porte de sortie. Un instant, l’envie de refermer la porte, de retrouver la sécurité de ma solitude est assez forte. Puis je vois la fatigue sur son visage, ses joues légèrement creusées et tout simplement ce sourire timide qui hésite à prendre naissance sur ses lèvres et je sais que je prends la bonne décision.

    — Hmm. 

    Je n’arrive pas à parler, juste un son provenant de ma gorge pour l'autoriser à entrer chez moi. Je me recule ouvrant grand la porte et je baisse la tête pour contrôler les tremblements qui me saisissent des pieds à la tête. Mon esprit sait qu’il a pris la bonne décision, mais mon corps tente de se rebeller contre ça. Il se déchausse sans faire de gestes brusques avant de se tenir droit devant moi le temps que je ferme la porte et verrouille les cadenas.

    Quand je tourne la tête vers lui, il est occupé à observer tout ce qui se passe autour de nous et son regard se fixe sur mon canapé et la couette roulée en boule dessus. Je me demande ce qu’il peut penser de moi. Peut-être qu’après être entré, il ne voudra jamais revenir, il aura trop pitié de moi et…

    Ohm tourne la tête et nos regards se croisent, aussitôt son sourire s’agrandit, doux, chaleureux et qui remue quelque chose dans mon estomac. 

    — Ton appartement est chouette. 

    Aucune remarque, aucune question et une fois de plus, j’en arrive à me demander comment il réagirait s’il apprenait pour moi.

    Merci. Tu as faim ?

    D’un mouvement du menton, je lui désigne la cuisine. Il reste quelques secondes à me regarder sans comprendre ce que j’attends de lui, puis son regard s’éclaire soudain et il avance en direction de la cuisine, me laissant passer derrière lui. Aussitôt, il s’assoit au comptoir de la cuisine et j’ai un léger vertige quand je pense que moins d’une heure plus tôt, je l’imaginais à cette même place sans oser y croire vraiment.

    J’hésite un instant avant de me diriger vers le frigo, j’ai les jambes un peu flageolantes et quand je dois lui tourner le dos je me crispe totalement. Je lui jette plusieurs petits regards à la dérobée, pour m’assurer qu’il ne bouge pas, calculant déjà la trajectoire la plus courte pour aller m’enfermer dans la salle de bain si jamais il venait à faire le moindre mouvement suspect.

    Je prends une profonde inspiration et sort une boîte que ma mère a ramenée hier. Je la verse dans une assiette avant de la mettre à réchauffer. Le silence devient un peu pesant, mais je ne sais pas quoi dire pour engager la conversation et Ohm semble décidé à se faire le plus discret possible. 

    Le ‘bip’ du micro-ondes me fait sursauter et je retiens difficilement un petit cri de peur. Heureusement, il ne fait aucun commentaire. Il se contente de me regarder alors que je dépose une assiette fumante devant lui et des couverts avant d’aller m'asseoir en face de lui. 

    — Merci. 

    Tout semblait tellement naturel quand on était chacun d’un côté de la porte alors que là, on est hésitants et un peu mal à l’aise tous les deux.

    — Man… mange… tu en as besoin. 

    On s’observe un instant puis il finit par me faire un large sourire qui me donne le sourire à mon tour. Il saisit la fourchette et sans se poser de question sur ce que pourrait contenir le plat, il commence à manger. Je le regarde faire en silence, un peu jaloux d’être incapable de le faire. Il pousse de petits soupirs de contentement au fur et à mesure qu’il vide son assiette et petit à petit, je me détends alors que je m’habitue à sa présence.

    Pourquoi tu m’as fait entrer Nanon ? 

    Il me surprend en me posant cette question entre deux bouchées. Je porte sans réfléchir l’ongle de mon pouce à ma bouche et le mordille un peu. Est-ce que je dois lui dire ce qui m’est passé par la tête ou bien tenter de trouver une excuse. Je soupire, tiraillé entre les deux envies qui se battent en moi. 

    Je sais que lui a toujours été honnête avec moi, il m’a parlé de beaucoup de choses sur lui sans jamais rien attendre en retour et puisque ce soir semble être un soir particulier, il est peut-être temps que je lui rende la pareille.

    C’est parce que je suis égoïste. 

    Quoi ?

    Ses yeux s’écarquillent quand il entend ma réponse et de toute évidence il ne comprend pas.

    — Je t’ai laissé entrer parce que je suis égoïste. Je sais que je ne peux pas te monopoliser au point que tu ne puisse pas réviser pour tes examens, mais… 

    J’hésite une seconde à continuer et je n’ose pas lever les yeux vers lui. 

    — je ne veux pas que tu arrête de venir.

    Je sens ma gorge se serrer quand je le dis à haute voix, mais l’idée de ne plus recevoir ses visites chaque soir me donne une impression d’abandon et de vide terrifiant. Une première larme roule sur ma joue et s'écrase sur le comptoir et je me sens stupide, j’ai envie d’aller me rouler dans ma couette pour me sentir en sécurité.

    — Je peux te toucher la main ? 

    Je sursaute quand Ohm reprend la parole et surtout quand il me fait une demande aussi étrange. Je relève les yeux et ne rencontre que la douceur et l’inquiétude de son regard. Je baisse ensuite les yeux pour voir sa main à un centimètre de la mienne. Je ne panique pas de le voir si proche de moi et cette fois je n’ai pas le temps de m’interroger sur mon envie ou pas qu’il le fasse que ma bouche se met en mouvement.

    — Oui.

    C’est un souffle enroué par les larmes qui répond à sa question. Aussitôt sa main approche la mienne, la recouvre et la serre avec douceur et compassion. Mes yeux restent fixés dessus, je suis incapable de détourner le regard alors que la chaleur qui émane de cette légère étreinte n’est pas désagréable. Le silence s’attarde, on ne dit pas un mot alors que je savoure ce premier contact physique.

    Je suis allongé dans mon canapé, ma couette me recouvre jusqu’à la taille et je fixe le plafond. Je ne me lasse pas de me repasser en boucle cette soirée étrange et pourtant apaisante. Ma main me semble encore chaude alors qu’elle est posée sur mon torse et que je sens les battements de mon cœur qui accélèrent sous ma paume à chaque fois que je repense à Ohm en train de la tenir. 

    On est restés un long moment comme ça, juste à regarder nos mains alors que son pouce caressait avec des gestes lents ma peau. Puis, il avait fait la vaisselle et alors qu’il s’installait pour me lire un nouveau livre, je l'avais arrêté pour le forcer à faire ses devoirs et réviser.

    Il avait un peu bougonné pour la forme, mais on avait passé un nouveau contrat tacite, s’il voulait entrer chez moi, alors il allait devoir prendre soin de lui et de ses études. Et même si ce soir il n’a pas lu, même si sa voix ne m’a pas emmené ailleurs pour endormir les souvenirs. Sa présence et pouvoir l’observer en train de travailler suffit à ce que je m’endorme pour une nouvelle nuit sans rêve.

    Je ne veux pas me poser de question sur ce qu’est notre relation, pour le moment, elle n’a pas besoin de mot. Je sais juste que je veux profiter de chaque instant qu’il voudra bien me donner avant de se lasser de moi. Je veux prendre chaque moment de répit qu’il m’offre pour tenter de remonter la pente et ne plus être cette petite chose fragile et tremblante qui a peur de son ombre.



  • Commentaires

    11
    Dimanche 3 Décembre 2023 à 19:52

    Un nouveau pas a été fait, le premier foulant une nouvelle voie ^^

    merci pour ce chapitre.

    10
    Mercredi 1er Juin 2022 à 17:58

    Merci beaucoup pour ce nouveau chapitre, j’aime toujours autant la plume et l’évolution de l’histoire me plait beaucoup <3 hâte de lire la suite. Bises

    9
    Samedi 28 Mai 2022 à 23:43

    merci beaucoup pour se nouveau chapitre

    8
    Jeudi 26 Mai 2022 à 20:54

    C'est super il a fait un autre grand pas en ouvrant la porte et le laissant lui toucher la main <3<3<3

     

    j'ai hâte de lire la suite

    7
    Jeudi 26 Mai 2022 à 17:03

    Merci pour cette suite :)

    Hate de lire le prochain chapitre ^w^

    6
    Mercredi 25 Mai 2022 à 20:29

    Ce chapitre est un baume au coeur 

    j'attends la suite avec impatience :)

     

    • Voir les réponses
    5
    Mercredi 25 Mai 2022 à 20:15

    C'est vraiment beau leur relation mine de rien :') 

    Merci pour ce nouveau chapitre, bises <3

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