• Chapitre 4

    Chapitre 4

    Malheureusement, on dirait que Billkin s’est aussi arrangé pour que les routes soient dégagées, parce qu’au bout de trente minutes, je suis à l’entrée de la place. D’ici, je peux voir l’immense fontaine qui crache de l’eau via une trentaine de jets. Il fait beau comme ce jour-là et il y a énormément de monde, tout comme ce jour-là. 

    Je sais que je dois avancer, je dois faire face, aller au bord de la fontaine, là où, il y a quatre ans, notre histoire a failli avoir son point final. J’avale ma salive et me mets en route, esquivant les gens et slalomant entre les groupes. J'aperçois une place et je m’assois sur la pierre dure et froide malgré le soleil qui chauffe. Je ne veux pas me souvenir, je ne veux pas revivre ce jour-là, malheureusement, c’est comme si mon cerveau en avait décidé autrement.

     

    La journée est belle, ensoleillée et je suis heureux que, malgré nos emplois du temps chargés, on arrive à trouver du temps pour sortir tous les deux. A l’université, on reste discrets, certains sont au courant de notre relation, mais dans l’ensemble, on est vu comme des amis proches. Je ne lui en veux pas, Billkin n’a toujours pas réussi à dire au reste du monde que, depuis deux ans, je suis son petit ami.

    Malgré tout, depuis quelque temps, cela est lourd à porter. J'aimerais pouvoir dire à tout le monde que je suis fou de lui, je pourrais empêcher toutes les femmes qui l'approchent en permanence d'être trop entreprenantes. Je suis jaloux et je me sens apeuré quand il leur sourit avec gentillesse.

    — A quoi tu penses ?

    Sa main effleure mon bras et je sursaute en revenant à la réalité, on se promène en savourant une glace. J'attrape son petit doigt avec le mien et je lui souris en secouant la tête.

    — Rien de grave.

    Je ne veux pas mettre le sujet sur le tapis, pas quand on est si bien tous les deux. Le sujet d'annoncer notre histoire finit invariablement en dispute. Et quand je lui parle de ces femmes, il rejette l'idée rapidement, me disant que je dois arrêter de me monter la tête. Il ne comprend pas que je suis terrifié à l'idée qu'il se rende compte qu'il préfère les femmes et qu'il me quitte.

    J'ai le cœur qui palpite quand on marche et qu'il ne me lâche pas. C'est tellement rare que j'en savoure chaque seconde. 

    — Tu as un problème en cours ?

    Évidemment, le fait que j'élude la question le rend curieux et j'ai un petit sourire en coin avant de croquer dans ma glace.

    — Je vais bien, je te le promets.

    Je regarde rapidement autour de nous et mon sourire s'agrandit avant que je ne m'avance et l'embrasse rapidement. Je soupire, comme à chaque fois que je sens son petit geste de recul et qu'il regarde nerveusement autour de nous. 

    — Ce ne serait pas grave si on nous voyait, tu sais."

    Je le sais pourtant, il fait ça à chaque fois que je tente une approche de ce genre en public. Mais j'espère à chaque fois que la fois d'après sera différente. Je soupire longuement et lui lâche le doigt avant de me remettre en route pour me diriger vers la fontaine que l'on est venu admirer au départ. Il ne faut pas longtemps pour qu'il me rattrape en agrippant mon poignet. 

    — S'il te plaît PP, ne réagis pas comme ça.

    Je me stoppe avant de me tourner vers lui et nos yeux se rencontrent.

    — Deux ans, Billkin. On sort ensemble depuis deux ans, mais tu as honte de moi.

    Je ne voulais pas que l'on se dispute à cause de ça, mais il semblerait que l'on fonce directement dedans. Ses yeux s'agrandissent comme si je venais de le gifler.

    — Tu sais très bien que…

    — P'Billkin !!!

    Alors qu'il semblait sur le point de se livrer, une voix aiguë l'interrompt. Il se retourne, la surprise peinte sur son visage. Je n’ai pas le temps de voir de qui il s’agit, puisque que la jeune femme se jette sur mon petit ami, entourant ses bras à son cou en éclatant de rire. 

    — Je ne pensais pas te voir ici.

    Je ne sais pas ce qui me fait le plus mal, voir l’une de mes craintes se réaliser en voyant la jeune femme si proche et à l’aise avec lui, ou bien de remarquer le temps qu’il met avant de la repousser. 

    — Nong Ice, qu’est-ce que tu fais là ?

    Il me jette un petit coup d'œil rapide, je peux voir l’angoisse dans son regard, mais je n’arrive pas à analyser, pas alors que j’ai l’impression que tout est en train de s’effondrer autour de moi. 

    — Je viens retrouver mes amies pour boire un bubble tea et toi ?

    C’est une pile électrique qui semble chercher toutes les occasions pour le toucher, j’attends qu’il la repousse comme il fait avec moi, mais bien trop vite, je me rends compte qu’il n’y met pas vraiment de bonne volonté. 

    — Alors tu vas pouvoir me donner ta réponse maintenant, tu as eu assez de temps pour réfléchir.

    — Sa réponse ?

    Je n’ai pas pu m’empêcher de les interrompre et c’est comme si Nong Ice se rendait compte pour la première fois que Billkin n’était pas seul. Je ne le regarde pas, je me contente de fixer la jeune fille qui se permet de rougir et d’avoir soudain l’air gêné.

    — Et bien, je lui ai demandé de sortir avec moi, mais il a voulu prendre le temps d’y réfléchir.

    J’ai l’impression qu’un éclair vient de me transpercer sur place, j’ai envie de vomir, je me sens comme hors de mon corps. Les sons ne parviennent plus jusqu’à mes oreilles et je ne vois que les yeux de Billkin qui me fixent, une expression inquiète sur le visage.

    Je réagis enfin quand sa main se pose sur mon avant bras. Instinctivement, je le repousse, me sentant heureux de voir la douleur passer dans ses yeux. Douleur que je ressens depuis des mois maintenant à chaque fois qu’il m’éloigne de lui pour me cacher. J’ai besoin de m’isoler, je ne veux pas exploser devant cette femme, je ne veux pas me donner en spectacle. Alors je fais juste demi-tour, je vais m’éloigner, prendre le temps de me calmer et peut-être qu’alors je pourrai comprendre la situation.

    Deux bras entourent ma taille et je ne prends même pas le temps de comprendre que Billkin vient de m’attirer à lui en plein milieu de la foule. Ma colère, ma peur et ma tristesse prennent trop de place et menacent d’exploser. Cela fait trop de mois que je retiens tout en moi, mais cette jeune femme a été la goutte d’eau. 

    — Ce n’est pas ce que tu crois. Je la repousse à chaque fois, mais elle revient en force.

    Je me dégage de son étreinte, car son explication, même si elle est plausible, ne me calme pas, au contraire. Je me retourne vers lui pour lui faire face et je veux lui faire mal, comme lui a pu me faire mal.

    — Ce n’est pas l’impression que ça donne.

    Il se pince l’arête du nez, il essaie de garder son calme, alors que moi, maintenant, je veux me disputer pour pouvoir évacuer une partie de tout ce que j’ai sur le cœur. 

    — Ou tu réfléchis plutôt pour savoir qui t’apportera le plus de choses. Je peux t’aider tu sais. Elle ! Elle tu n’auras pas honte de dire que tu l’aimes.

    De la douleur et de la colère passent dans son regard, mais finalement, ça ne m’aide pas du tout à me sentir mieux. 

    — PP, ne recommence pas avec ça, je t’ai déjà expliqué que…

    — Alors pourquoi tu ne le dis pas clairement à toutes ces filles, pourquoi tu te gardes ces opportunités sous le coude. Je vis dans la peur depuis des mois que tu me quittes pour l’une d’elles.

    Je ne l’ai jamais dit si franchement, mais je n’en peux plus d’angoisser en permanence, de me dire que la prochaine femme qu’il croisera me ravira son coeur. J’ai le souffle court alors que lui semble sous le choc.

    — Alors c’est comme ça que tu me vois, comme quelqu’un qui profite de toi en attendant mieux.

    Je suis paralysé par les paroles qui viennent de sortir de sa bouche, on se regarde un instant en silence, je ne sais plus quoi dire, je ne voulais pas le dire comme ça, je ne voulais pas… 

    — Si tu as si peu confiance en moi, si tu vis tellement dans la peur, alors… on ferait mieux de faire une pause quelque temps pour faire le point sur ce que l’on veut vraiment.

    J’ouvre la bouche, mais aucun son ne sort alors qu’il me quitte au milieu de cette place bondée et ensoleillée, mais qui me paraît froide et terne dès qu’il tourne le dos et s’éloigne de moi. Je n’arrive pas à réagir, à le rattraper, je me contente de regarder son dos disparaître dans la foule. 

    Je ne sais pas depuis combien de temps, je suis assis sur la pierre froide de la fontaine, un long moment car le soleil est beaucoup plus bas dans le ciel. Je ne veux pas partir, je veux être là quand Billkin reviendra, alors j’attends, les yeux perdus dans le vide, rejouant la scène un million de fois dans ma tête, le retenant, l’empêchant de partir et m’excusant. Je lutte contre les larmes, je ne veux pas m'effondrer, je veux juste Billkin. 

    Je sursaute et mon cœur bondit dans ma poitrine quand une main se pose en douceur sur mon épaule. Je me redresse et me tourne vers ma personne, sans réussir à effacer la déception, mais aussi la douleur sur mon visage. 

    — Phi ?

    Mon menton tremble et la tristesse que je retiens depuis le départ de Billkin passe enfin la barrière de mes paupières. Il n’hésite pas une seconde, il pose sa main sur ma nuque et m’attire contre lui, m’offrant une étreinte fraternelle que seul un grand frère peut donner.

    — Il m’a appelé pour me demander de venir te chercher. Qu’est-ce qui s’est passé ?

    Je voudrais lui répondre, mais seul un sanglot sort de ma gorge et je m’accroche un peu plus fort à mon grand frère. 

     

    — Est-ce que je dois encore te faire un câlin ?

    Je sursaute et cligne des yeux, gêné par un rayon de soleil, avant de sourire quand, devant moi, se trouve Phi New, mon grand frère. Je lui souris difficilement, être ici tout seul, sans lui, me donne l’impression de faire un bond en arrière dans le passé, de me retrouver de nouveau quatre ans plus tôt, quand il m’a quitté.

    — Pourquoi me faire venir ici ? demandé-je en soupirant et en essuyant nerveusement mes mains sur mes cuisses. Je veux juste oublier ce jour-là et faire comme si les jours d’après n'avaient jamais existé.

    Sans me répondre, il sort sa main de derrière son dos et me tend une glace. J’adore ça, tout le monde le sait et mon regard s’illumine avant de la prendre après l’avoir remercié. Il s’assoit à côté de moi et on reste un instant en silence, moi en train de manger ma glace et lui en train d’observer la foule. 

    — A ton avis, où est-ce que vous en seriez Billkin et toi sans cette journée ?

    Je prends une grande inspiration essayant d’imaginer notre relation si je n’avais pas explosé ce jour-là. Je me mordille la lèvre un instant avant de hausser les épaules négligemment. 

    — Je ne sais pas.

    — Tu as énormément souffert tout le temps où vous avez été séparés et je sais que tu ne veux pas t’en rappeler. Mais si, au lieu de te souvenir de ta souffrance, tu repensais plutôt à tout ce que cette séparation a apporté à votre couple.

    Je reste un moment immobile, c’est vrai que j’ai tendance à me focaliser sur moi, sur la tristesse profonde que j’ai ressenti, mais je ne dois pas oublier que grâce à ça, Billkin a remis beaucoup de choses en question et…

    — Si on est heureux aujourd'hui ensemble, c’est parce qu’on a été malheureux ce jour-là.

    Il hoche doucement la tête avec un petit sourire fier, comme à chaque fois que j’arrive à comprendre l’un de ses raisonnements. Il pose sa main sur ma tête et je me retrouve avec l’impression d’avoir à nouveau six ans et qu’il me félicite pour avoir été capable de prononcer un mot compliqué.

    — Tu sais où tu dois aller maintenant ?

    Je hoche lentement la tête avant de sourire, nostalgique, puis je me lève lentement. 

    — Merci Phi.

    Je ne peux pas dire que j’aime être ici, que j’arrive à ressortir le positif de ce qu’il s’est passé sur cette place, mais au moins, je me sens un peu plus en paix avec moi-même quand, après avoir fait un waii à mon frère, je quitte la place pour me rendre à l’endroit où notre couple est devenu ce qu’il est aujourd’hui. 



  • Commentaires

    1
    Dimanche 5 Décembre 2021 à 11:08

    Toujours aussi prenante leur histoire cool, j'ai hâte de savoir comment ils se sont réconciliés à l'époque!

    Bisous, bon dimanche et à demain ^3^

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