• Chapitre 3 : CHOCOLATE CREMOSO

    Chapitre 3
    CHOCOLATE CREMOSO

    — Quand c'est arrivé, j'étais au concert de mon groupe indé préféré.

    La personne qui raconte cela est une femme de quarante ans qui parle comme une jeune fille, mais personne ne le mentionne. Nous savons que nous ne pouvons pas choisir notre corps.

    L'association des “Thaïlandais dans un univers différent” dispose d'une salle où l'on peut parler et se défouler. Au moins, nous ne sommes pas obligés de rester seuls avec nos pensées insensées.

    — Un lightstick dans ma main droite. Ma main gauche prenait des photos avec mon téléphone. J'ai chanté le refrain avec passion. 

    J'imagine la situation grâce à ses mots.

    — Savez-vous à quel point il a été difficile d'obtenir un billet pour assister au concert du groupe ?

    Tout le monde secoue la tête. Les visages restent compatissants.

    — Mais je m'en moque. Tout ce que je voulais, c'était voir de près la personne que j'aimais. Lorsqu'il s'est dirigé vers la partie la plus proche de la scène, se rapprochant de moi à chaque pas, qui aurait cru qu'il me regarderait et me ferait un clin d'œil ? Je criais déjà, mais j'ai crié encore plus fort. Tout ce que je savais à ce moment-là, c'est que ma vie était terminée. AHHHHHH !

    J'ai les oreilles qui se déchirent. Est-ce que tu vas bien ? Qui t'a fait du mal ?

    — Et puis… tout est devenu sombre. 

    Elle baisse la voix, marmonne en tremblant.

    — Je crois que j'ai eu une crise cardiaque à cause de sa coolitude.

    C'est vraiment triste. Au moins, son dernier moment était plein de joie.

    — Je veux y retourner. Un monde sans lui n'a pas de sens. Je n'ai pas acheté tous les vêtements du groupe et je ne leur ai pas donné assez d'encas. De plus, je ne peux pas accepter ma vie actuelle. Je suis dans le corps d'une mère célibataire de quarante ans avec deux enfants, que je dois élever à l'aveuglette. 

    Ses larmes coulent lentement. 

    — Je n'ai même pas d'argent pour payer le loyer. Le propriétaire essaie de nous mettre dehors tous les jours. Qu'est-ce que je dois faire ?

    — Tiens, dit une femme avec une queue de cheval avec sympathie.

    — Mer… hic… ci. 

    Elle accepte un mouchoir pour essuyer ses larmes. Son expression déprimée et ses faibles reniflements me font mal au cœur. J'ai terriblement pitié d'elle.

    — Tu as quel âge ? demande la propriétaire du mouchoir.

    — Vingt et un ans.

    — J'ai vingt-cinq ans. J'ai échangé mon corps avec une femme de trente-six ans. Il n'y a personne d'autre que moi à la maison. Je suis seule et j'ai beaucoup d'argent. Pourquoi tu n'emménages pas avec moi ?

    La plus jeune reste bouche bée et lance une question incrédule.

    — Tu es sérieuse ? Tu ne mens pas ?

    — Tu peux amener tes enfants.

    — Ce ne sont pas les miens. Mon âme sœur est l'artiste.

    Elle est encore coincée dans son rêve éveillé. Son univers doit être beau, contrairement au nouveau.

    — C'est quoi ton boulot là-bas, au fait ?

    — Je fais des reprises de chansons avec mes amis.

    — Incroyable ! 

    Elle doit être ravie, vu la façon dont elle s'exprime. 

    — Tu peux chanter 'Daily Status' de Sunshine, Daisies, Butter Mellow ?

    — Le groupe de Dim ? Bien sûr, je peux.

    Non seulement cela, mais elle se lève et chante avec sa belle voix. Tout le monde reste sans voix tandis que la fangirl applaudit seule, les yeux brillants, comme si elle avait trouvé la lumière de l'espoir.

    Telle est la bénédiction de l'Association des Thaïlandais dans un univers différent. Tout le monde s'entraide et trouve des solutions ensemble. Ce qui est sûr, c'est que nous ne nous sentons plus seuls ici.

    — Quant à moi, j'étais sur le point de me marier. Ma fiancée était mignonne, gentille et aimait sourire, commence un homme barbu une fois que la chanson de Sunshine and Daisies quelque chose est terminée.

    — C'est déchirant. Tu as été séparé de l'être aimé tout d'un coup, dit tristement l'un d'entre nous.

    — Mais ce n'était qu'un mensonge ! J'ai découvert qu'elle m'avait trompé. Ils ont couché ensemble dans mon lit.

    Bon sang de bonsoir… C'est une intrigue à rebondissements.

    Au départ, il s'agissait d'un film dramatique à l'eau de rose, mais en fait, il s'agit d'une histoire de vengeance.

    — Je veux revenir en arrière pour faire couler le sang de leurs têtes.

    — Calme-toi, s'il te plaît.

    Nous sommes nombreux à nous précipiter et à lui tapoter le dos pour apaiser sa colère. Je suppose qu'il a quitté son univers parce qu'il a été choqué d'apprendre que sa femme l'avait trompé. J'ai de la peine pour lui.

    — Et toi ? 

    C'est mon tour maintenant, hein ?

    Comment je commence ? Pourquoi pas… 

    — Je me suis réveillé dans le corps d'un enfant d'une famille riche avec une maison, un appartement, des voitures, des vêtements. Tout, pour être exact.

    — Tant mieux pour toi. Beaucoup de gens viennent dans cet univers et ne veulent pas y retourner parce qu'ils apprécient la vie confortable qu'ils y mènent.

    C'est vrai. Beaucoup de gens sont heureux de vivre dans le nouvel univers, car leur vie était difficile dans l'ancien. C'est néanmoins égoïste de penser à ceux qui ont une vie confortable ici et qui doivent lutter dans l'autre univers. Comment font-ils ?

    Quoi qu'il en soit, même si ma vie n'est pas aussi luxueuse que celle de Tess, j'aime tout ce que je suis.

    — J'ai toujours ma famille, mes amis et mes rêves que cet univers ne permet pas.

    — Oh, Talay… 

    Je ne peux pas vivre sans mes amis et ma famille. Je ne peux pas vivre sans mon travail.

    Naître dans une famille avec des frères et sœurs brillants et ennuyeux est tragique. Qui leur a dit d'être d'aussi bons enfants ? Je me suis toujours senti obligé d'être aussi bon qu'eux.

    Quand j'étais enfant, j'étais bouleversé parce que j'avais échoué à l'examen d'entrée dans un collège. Ma mère m'a dit que ce n'était pas grave, mais son expression disait le contraire. J'ai détesté la déception évidente qui se lisait sur le visage de ma famille, alors j'ai redoublé d'efforts… encore et encore.

    Avant même de m'en rendre compte, j'ai commencé à profiter de la vie pour réaliser mes rêves et réussir. J'étais plein de passion. Chaque jour était bien rempli. Je dormais moins et je travaillais plus pour atteindre mon objectif le plus rapidement possible, à tel point que mes amis du même département m'appelaient l'homme à la détermination inébranlable.

    Quel dommage que j'aie été envoyé ici avant d'avoir pu atteindre mon but.

    — Je suis sûr que tu pourras y retourner. 

    Leurs paroles réconfortantes me rassurent quelque peu.

    — Merci.

    — As-tu trouvé quelqu'un qui pourrait être ta clé ?

    — Je crois que oui. C'est un ami de l'école primaire. 

    Je l'ai découvert par hasard dans un annuaire hier soir. Je crois que cette personne est destinée à être mon portoloin.

    — Oh, pourquoi tu traînes ici alors ? Va le rencontrer.

    Quelle impatience !

    — Je ne sais pas où il est en ce moment. Le contact n'est pas disponible. J'ai demandé à mes amis de l'université, mais personne ne sait rien.

    — Oh, Talay… 

    — Mais je vais essayer. Il doit bien y avoir des amis de l'école primaire que je peux contacter.

    — Nous sommes de tout cœur avec toi.

    — Merci. Je suis aussi de tout cœur avec vous.

    — … 

    — J'espère que nous nous reverrons dans l'autre univers.

     

    La mission de recherche de Pakorn commence une demi-heure plus tard.

    Je le cherche dans la liste des innombrables amis sur la plateforme de médias sociaux de Tess, mais je n'y parviens pas. N'a-t-il jamais pensé à contacter ses anciens amis ? Oh, attendez, peut-être que ses anciens amis ne veulent pas s'associer avec lui.

    Alors que mon espoir disparaît, la chance est soudain de mon côté car quelqu'un répond à l'appel. Il utilise toujours le même numéro après plus de dix ans. Respect.

    Nous avons convenu de nous retrouver au Starbucks du centre commercial. Je suis en avance, comme d'habitude. Après avoir siroté mon café quelques instants, la personne que j'attendais est là.

    — Tess, mon pooote, je n'arrivais pas à croire que j'allais te revoir. 

    Un homme grassouillet s'approche de la table en trottinant, le visage ravi, contrairement à de nombreux autres amis qui avaient l'air de ne rien vouloir savoir de Tess.

    Je le salue à mon tour.

    — Hey, Pramote. 

    Ses yeux s'écarquillent.

    — Whoa, pourquoi ce ton si formel ? Tu ne m'as jamais appelé comme ça.

    — Comment je t'appelais ?

    — Tu m'appelais “mangeur de poulet” et je t'appelais “diable de l'enfer”. Haha. 

    Merde, il ne va pas me laisser quitter l'enfer ?

    — Appelons-nous par nos noms. On est des adultes maintenant.

    — D'accord.

    — Pourquoi tu es autant en avance ?

    — Mon bureau est là-bas.

    D'après ce que je sais, Pramote est responsable marketing.

    — Je veux commander un café d'abord !

    — Bien sûr.

    Nous nous retrouvons une fois la commande passée. Pramote dit que Tess ne l'a jamais contacté pendant toutes ces années, mais qu'ils savaient tous les deux comment allait l'autre. C'est donc une sorte de retrouvailles.

    — Pourquoi tu voulais me voir ? 

    Maintenant que nous en venons au fait, je pose immédiatement des questions sur l'autre personne.

    — Tu connais Pakorn, notre ami de l'école primaire ?

    — Tun ? répond aussitôt Pramote.

    J'avais presque oublié que, d'après l'annuaire, il s'appelle Tun.

    — Oui.

    — Pourquoi je ne le connaîtrais pas ? C'est un ami, pas une merde de chien qu'on oublie facilement.

    — Où est-ce que je peux le voir ?

    — Chez lui.

    — Je… 

    — Ne me dis pas que tu ne te souviens pas. Putain, espèce de diable de l'enfer. 

    Ses mots me piquent au vif. Pourquoi est-il à fond là-dedans ?

    — J'ai beaucoup de choses en tête.

    — C'est une excuse.

    — Envoie-moi sa localisation.

    — Tun ne s'est installé nulle part ces derniers temps. Parfois, il n'est pas chez lui. Tu as plus de chances de le voir là où il travaille.

    — Indique-moi l'endroit où il se trouve.

    Pramote secoue la tête mais épingle tout de même l'emplacement du lieu de travail de Tun et me l'envoie. La première notification est attendue, mais pourquoi la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième ?

    — Attends. Pourquoi tu m'en envoies autant ?

    — Les lieux de travail de Tun, répond-il sans ambages.

    — Mais putain ? Il est endetté ou quoi ? Il a des tonnes de boulots. 

    — Non, il est… 

    Pramote pointe du doigt l'affiche numérique à l'extérieur. Elle montre un homme avec un visage angélique au centre.

    — Je… C'est l'acteur principal ?

    — Non. Il a écrit le scénario de ce film. 

    Pour être honnête, cela m'excite plus que le fait qu'il soit acteur.

    — C'est vraiment cool.

    — Le film est un flop, cependant.

    — Erm… 

    — Je ne peux vraiment pas accepter que tu ne puisses pas retrouver ton ami. Tu as déjà lu les critiques du film de Tun ?

    — Non. Il n'est probablement pas si mauvais que ça, n'est-ce pas ?

    — On ne trouve pas d'éloges.

    Pramote m'aide à en savoir plus sur Pakorn, même si je ne l'ai pas rencontré en personne. Comme j'ai un peu de temps, je consulte quelques interviews sur Internet. Tun était un diplômé passionné qui a eu l'occasion d'écrire les scénarios de deux films à petit budget. Cependant, sa passion s'est heurtée aux critiques négatives.

    Malgré cela, il travaille sans relâche sur le scénario d'un nouveau film. Maintenant que j'ai lu cela… 

    j'ai plutôt envie de faire la connaissance de ce Pakorn.

     

    En direct avec Pakorn dans un bar à cocktails

    — Bienvenue, monsieur.

    Je pénètre dans un petit bar rustique situé dans une ruelle. La première chose qui attire mon attention est le mobilier brun foncé et les arbres qui décorent chaque coin. Des plantes sont même suspendues au plafond.

    Mais ce qui m'impressionne le plus, c'est l'agencement judicieux des lumières. L'iris et le magenta-violet dégagent une atmosphère mystérieuse, contrastant avec la lumière jaune du bar à cocktails. L'endroit se démarque ainsi.

    Le bar est fantastique. Ce qui est étrange, c'est qu'il n'y a pas de client

    — Le gérant est là ? demandé-je à l'homme qui m'a accueilli. 

    Il sourit et se gratte timidement la nuque.

    — C'est moi. Je suis le propriétaire, le gérant et le serveur. 

    Tu n'es vraiment pas malin, Talay. 

    — L'économie est mauvaise. Je n'ai pas beaucoup de clients et je ne peux même pas payer mes employés. Si je pouvais cuisiner moi-même, je le ferais.

    C'est une longue plainte.

    — J'aimerais savoir si le chanteur Tun travaille toujours ici ?

    — Ohhhhh, Tun, dit-il avant d’acquiescer. Il travaille ici tous les samedis. Qu'est-ce qu'il y a ?

    — Je suis son ami. J'ai quelque chose à lui dire. 

    Heureusement que j'ai demandé tous les détails à Pramote. Ce voyage n'est pas inutile. Nous aurons l'occasion de parler ce soir.

    — Vous pouvez vous asseoir et attendre. Il sera là vers vingt-et-une heures quarante-cinq.

    — Merci.

    — Voulez-vous commander quelque chose ? Vous voyez… je n'ai pas eu de clients aujourd'hui. Je dois payer les factures d'eau et d'électricité, etc. Ma femme a donné naissance à notre enfant récemment. Je me demande comment je vais nourrir mon bébé. 

    Quelle scène émouvante ! Qui resterait assis ici après avoir entendu tout cela ? Je commande beaucoup de choses avec l'argent du jeune maître Tess.

    Je sirote divers cocktails jusqu'à ce que le propriétaire me fasse signe du regard. Lorsque je me retourne vers la porte vitrée, j'aperçois la grande silhouette que je cherchais.

    Pakorn arrive sur une moto classique, un étui à guitare sur le dos. Il gare la moto et en descend d'une manière cool.

    PAF !

    Zut… Il trébuche sur son propre pied juste après que je l'ai complimenté. Bon sang… 

    — Tun, l'homme en chemise bleue est là pour te voir.

    — Qui ?

    L'homme en chemise brune salue l'homme plus âgé. Quand il tourne la tête et croise mon regard, il se dirige vers l'autre côté du bar sans me saluer. Sa maladresse éveille ma curiosité. Attendez, est-ce que Tess lui a fait quelque chose de terrible ? C'est pour ça que Pakorn avait l'air de ne pas vouloir lui parler ?

    Lorsque je me lève pour le saluer, il se précipite dans la cuisine à l'arrière. Pakorn réapparaît à l'heure du travail. Je reste à la petite table, sans partir. Je lui parlerai quand il aura fini de chanter, quoi qu'il arrive. En attendant, je sirote les cocktails et j'écoute la musique pour tuer le temps.

    — Bonjour à tous. Aujourd'hui est un jour solitaire.

    Pakorn fait à peu près la même taille que moi. Je veux dire, à la fois mon corps d'origine et mon nouveau corps. Il mesure environ un mètre quatre-vingts. Il n'est ni gros ni mince, il a les cheveux noirs et la peau bronzée. Il est plutôt beau. Dommage que son caractère atténue son charme. Qu'est-ce qui lui donne l'air si peu sûr de lui dans chacune de ses actions ?

    — Je veux chanter cette chanson pour illuminer l'humeur de tout le monde.

    Tu veux dire moi ? Je suis le seul client ici.

    Je vais lui donner une chance. Certaines personnes n'ont aucun charme lorsqu'elles ne font rien, mais deviennent soudain attirantes lorsqu'elles sont passionnées par quelque chose.

    L'amurrr est brillant. Mon cœur… 

    Dès que ses lèvres parfaitement formées se déplacent sur le micro, je découvre une autre chose à son sujet.

    Tun est vraiment nul en chant.

    J'ai envie de lui dire de s'en tenir à l'écriture ou à autre chose que le chant. Il joue aussi avec les mauvaises cordes. Pourquoi chante-t-il une chanson d'amour avec des yeux pleins de douleur ? Il a dit qu'il chanterait pour le client, mais je pense qu'il est devenu incontrôlable.

    Malheureusement, je suis le seul à penser ainsi. Le propriétaire fait comme si de rien n'était. De plus, il sort son téléphone pour enregistrer la performance avec passion.

    — Beau travail. Notre page va être très appréciée.

    J'en doute. C'est pour ça qu'il n'y a pas de clients le samedi soir ?

    C'quoi l'amurrrr ?

    — Plus haut. Va plus haut.

    Quooooooi ?

    S'il vous plaît, ne me faites pas mal indirectement comme ça. C'est plus douloureux que de se faire piétiner par dix paires de pieds. J'aimerais me cacher dans les toilettes, mais j'ai peur que Tun ne soit plus là quand je reviendrai. Je me force à écouter sa voix angélique dans la douleur.

    Il me faut tout ce que j'ai en moi pour survivre à sa tempête de fausses notes. Il chante seul pendant une heure.

    — Tun.

    Mes jambes faiblissent. Incapable de me lever, je crie son nom à haute voix. Je pense que nous allons enfin pouvoir discuter, mais Tun fait le contraire. Au lieu de répondre, il s'enfuit. 

    — … 

    — Tun. Pakorn.

    Je m'élance à la suite de mon ami de l'école primaire. J'arrive un peu trop tard, car il enfourche sa moto et s'enfuit à toute allure.

    Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

    Je n'ai eu aucune chance. Il a couru plus vite que Vif-Argent de Marvel. Putain de merde !

     

    En direct avec Pakorn à l'atelier des plantes.

    Ne croyez pas que quelqu'un comme Talay abandonnera si facilement.

    Je veux rentrer chez moi, alors je parlerai à Pakorn quoi qu'il m'en coûte. Je me suis levé tôt pour m'inscrire à l'atelier sur les plantes. Heureusement, il est encore possible de s'inscrire, sinon je n'aurais pas pu le faire.

    Je sens que Pakorn n'est pas comme tout le monde. Peut-être possède-t-il la réponse que je cherche.

    — Hé, Pakorn.

    — Hé. 

    Comme il s'agit d'une petite classe de dix élèves seulement, nous n'avons pas d'autre choix que de nous asseoir à proximité l'un de l'autre. Mon grand ami me salue inévitablement.

    — Tu te souviens de moi ? Je m'appelle Tess.

    — Oui, répond-il brièvement en baissant la tête.

    — Je suis ton ami de l'école primaire.

    — Oui.

    — C'est quoi cette plante ? 

    Je change de sujet en montrant la plante dans un pot en terre cuite sur la table

    — Aucune idée.

    — Et ça, c'est quoi ? 

    Son regard se tourne vers un autre pot, puis il répond doucement.

    — Le conifère chinois.

    — C'est Linden & André. Ce n'est pas grave. Nous en apprendrons plus sur eux aujourd'hui.

    Wah… L'instructeur n'aurait pas dû le corriger aussi rapidement. Pakorn baisse encore plus la tête, son menton touchant presque la table. Quelques minutes plus tard, il chuchote.

    — Excuse-moi.

    — Où tu vas ?

    — Aux toilettes. 

    Doit-il apporter son sac ?

    Malgré ma question, je ne demande pas et j'attends en plantant. Ce qui est triste, c'est qu'une fois que Pakorn est parti… 

    il ne revient jamais.

     

    En direct avec Pakorn au Marché Chic.

    Il y a tellement de marchés artisanaux dans l'univers. Celui où je me trouve est aussi un endroit populaire où de nombreux artistes vendent leurs œuvres. Bien sûr, Pakorn fait partie des vendeurs qui ont leur propre petit stand.

    Il s'agit d'un stand de dessin de portrait (vraisemblablement). Il faut attendre deux heures pour se faire dessiner. C'est tellement long que vous pouvez aller acheter des saucisses et ce n'est toujours pas votre tour. Y a-t-il beaucoup de monde ? Non, Pakorn met une éternité à dessiner.

    — Hey, Pakorn. 

    C'est enfin mon tour.

    — Bonjour, monsieur. 

    Qu'est-ce qui se passe avec cette manière distante de s'adresser à quelqu'un ?

    — Dessine-moi.

    — Je… 

    — Si tu t'enfuis, je te suivrai. 

    Je m'assois sur le petit tabouret en bois avant qu'il ne puisse protester, fixant son visage sévère sans cligner des yeux. Voyons ce qu'il va faire.

    — Je ne vais pas m'enfuir. 

    Mais il a l'air prêt à le faire. Je suis tellement curieux de savoir ce qui s'est passé entre lui et Tess.

    — Dessine-moi, alors. Tu dessines des portraits, hein ?

    — Oui.

    La grande main s'empare d'une feuille de papier Canson et d'un crayon alors que je m'apprête à entrer dans le vif du sujet.

    — Eh bien, je suis venu te voir parce que… 

    — J'ai besoin de me concentrer. On en reparlera plus tard.

    — Bien sûr.

    Ce visage sérieux est sacrément agaçant. Je reste assis, laissant le soi-disant artiste dessiner mon visage. Dessiner demande des compétences. Je me demande ce que Tun sait faire d'autre que sa passion pour l'écriture de scénarios.

    — N'oublie pas d'ajouter mon nom sous le dessin pour que je puisse l'encadrer sur le mur, lui dis-je pour le réconforter un peu. 

    S'il se sent heureux, il coopèrera peut-être avec moi et répondra à toutes les questions.

    — D'accord.

    — Rends-moi beau. 

    Il acquiesce. Une demi-heure plus tard, il me tend le morceau de papier Canson.

    — C'est fait.

    Je le prends avec excitation. Je regarde le dessin et l'artiste, et je ne peux m'empêcher de demander.

    — C'est qui ?

    — Toi.

    Le style unique de l'art me fait pleurer. La pression de sa main, son âme, ou même son attention forment une question dans ma tête. C'est moi que tu as dessiné ou quelqu'un d'autre, espèce de salaud ?

    Je respire profondément et me conforte dans l'idée que tout va bien avant de changer instantanément de sujet.

    — Maintenant que tu as fini de dessiner, on peut parler ?

    — Désolé. J'ai une course à faire.

    — Quelle course ? Admets simplement que tu m'évites.

    — Allo. 

    Sans répondre, il sort son téléphone de sa poche et y répond. Personne ne l'a appelé. Parle-t-il à un esprit ?

    Alors que je suis perplexe, Tun prend ses affaires et s'enfuit sans dire au revoir.

    Il ne laisse que son dessin qui me hantera pendant des nuits.

     

    En direct avec Pakorn au mariage d'un ami

    — Hey, Pakorn. 

    C'est devenu notre formule de salutation habituelle.

    — Tu es photographe ?

    — Oui.

    C'est le mariage d'un ami, et je me suis présenté sans vergogne pour ne voir qu'une seule personne, celle qui a un secret que je dois connaître.

    Aujourd'hui, ce grand gaillard maigre porte un costume marron, probablement taillé pour s'intégrer aux autres invités. Tout le monde ici est habillé en carmin et en brun chocolat. Je suis le seul à être en blanc, volant la vedette au marié et à la mariée.

    — Je suis venu ici pour te voir. Il faut qu'on parle.

    — Mais je n'ai rien à te dire. 

    C'est méchant.

    — Ne sois pas arrogant.

    — Qui est l'arrogant ici ?

    — Photographe…, appelle une voix aiguë. 

    Tun saisit l'occasion pour se retourner et suivre la voix dans la foule, me laissant seul.

    — Espèce de diable de l'enfer. 

    Les mots familiers attirent mon attention sur le propriétaire de la voix. Pramote était aussi invité, apparemment.

    — Hé, mangeur de poulet.

    — Tu es là aussi ? Am a dit que tu avais refusé l'invitation.

    — J'ai changé d'avis.

    — Ça a dû être soudain, hein ? Ton costume est en contradiction avec le thème. 

    Bon sang, j'étais tellement pressé que j'ai oublié de vérifier le code vestimentaire sur le carton d'invitation. Le résultat est comme vous pouvez le voir.

    — Arrête de me le rappeler. Je suis gêné. 

    Il glousse, puis se tait en voyant que je suis sur le point de pleurer.

    — Tu as vu Tun ?

    — Oui, je l'ai vu. Je ne sais pas ce qui lui arrive. Il n'a pas voulu me parler.

    — Il doit encore être en colère. C'est difficile d'oublier ce que tu as fait.

    — Qu'est-ce que j'ai fait ?

    — Je n'arrive pas à croire que tu aies oublié toutes les vacheries que tu as faites aux autres. 

    Aïe, j'ai l'impression d'avoir reçu un coup de couteau dans la poitrine. Mes journées dans le corps de Tess sont pleines de surprises.

    — Dis-moi, c'était si grave que ça.

    — Ce n'est pas grand-chose. Tu as dragué son crush.

    — Hein ?!!!

    — Aussi, tu es sorti avec cette personne.

    — Hein ?!!!

    — Si c'était moi, je couperais les ponts avec toi.

     

    Tess est la pire définition de l'irrécupérable. Lorsqu'il a su que son ami craquait pour quelqu'un, au lieu de rester à l'écart, il a dragué cette personne et a fini par sortir avec elle. De plus, il a largué cette personne et est sorti avec quelqu'un d'autre sans aucune honte. Quelle que soit votre force, vous pouvez facilement mettre fin à une amitié profonde en étant traité de la sorte.

    Je veux faire de Tess une meilleure personne pour tout le monde, mais je n'ai aucune idée du nombre de personnes qu'il a blessées pendant plus de vingt ans. Quoi qu'il en soit. Avant d'en arriver là, je dois d'abord m'occuper de moi. Il y a un gros problème en ce moment. Je N’AI JAMAIS PENSÉ en arriver là.

    Je n'ai plus d'argent !

    Mon portefeuille est vide. Le solde de mon compte est nul. Il y en avait beaucoup avant ? Non. Seulement quelques milliers. Je ne sais pas combien Tess a dépensé avant d'être battu à plate couture. Je ne peux même pas utiliser sa carte de crédit parce qu'elle a été gelée par le personnage le plus puissant de la famille

    J'ai envie de hurler de frustration. La situation m'oblige à faire quelque chose. Et le but principal du grand patron doit être… Je dois vraiment rentrer chez moi.

    Agis normalement. Aussi normalement que possible.

    Je me le répète pour la millionième fois alors que je pénètre pour la première fois dans la gigantesque maison. Pendant un instant, je suis jaloux de Tess. Il n'a jamais eu à se préoccuper des repas ou à se sentir stressé à l'idée de trouver un emploi après l'obtention de son diplôme. Il est né avec une cuillère en argent dans la bouche. Le monde est injuste.

    Quelqu'un issu d'une famille de classe moyenne comme moi doit s'élever et se battre pour décrocher un emploi stable et gagner de l'argent pour se nourrir, moi et ma famille, juste pour fuir une vie inconfortable. 

    — Tess.

    Je maudis mon destin pendant un moment avant qu'une voix ne me sorte de mes pensées délirantes. Je crois que c'est une domestique. J'en profite pour respirer profondément. D'accord, je dois être Tess maintenant.

    — O… Où est ma mère ? 

    Foutu. Non seulement ma voix tremble, mais aussi mes jambes. J'ai peur de me cogner contre quelque chose et de le casser.

    — Madame est allée au spa. 

    Je pense soudain à ma mère. Elle doit être en train de cuisiner pour ses clients. Sa viande sautée au basilic est la meilleure de Nakhon Pathom.

    — Et mon père… ?

    — Il s'est enfin pointé à la maison, hein, espèce de sale gosse ingrat ! crie de loin la personne en question. 

    Son visage acerbe me pousse à prendre le taureau par les cornes et à me précipiter avec le sourire.

    — Je suis ici parce que tu me manques. Et j'ai quelque chose à te dire.

    — Quoi ?

    Je n'ai jamais été aussi impudique depuis que je suis né, mais je dois le faire pour survivre.

    — Je n'ai pas d'argent. Tu peux m'en donner ?

    — Tu es né juste pour ravager, espèce de voyou ingrat. Au lieu de rentrer à la maison parce que tu t'inquiètes pour ton père, tu demandes de l'argent sans vergogne. 

    Il reprend son souffle. Je crois qu'il a fini, mais non. L'homme devant moi rassemble toute son énergie pour m'engueuler à nouveau. 

    — J'ai passé quelques coups de fil. Tu n'as pas suivi les cours. Tu continues à redoubler et à traîner avec tes amis. Tu fais des bêtises tous les jours. Combien de temps encore tu vas m'humilier ?

    Il s'acharne, ne me laissant aucune chance d'argumenter.

    — Ne te mets pas en colère, papa. Cela va nuire à ta santé. 

    Heureusement, Dieu envoie le frère aîné pour apaiser les tensions. Je me cache dans son dos, sans perdre une seconde.

    Ce frère est calme, gentil et raisonnable. Je le vois rarement se mettre en colère. Chaque fois que je me dispute avec le père, il est le médiateur qui nous aide à nous réconcilier.

    — Regarde ton frère. Serait-il rentré à la maison si je n'avais pas gelé sa carte ?

    — Tess sera meilleur quand il sera grand.

    — Ne le protège pas, Thanin. Si seulement il pouvait être à moitié aussi bon que toi, je ne dirais pas un mot. 

    Après avoir parlé à son fils aîné, il tourne son regard féroce vers moi. 

    — Si je sais que tu n'assistes pas à tes cours demain, prépare-toi à dormir ailleurs.

    — J'irai, mais tu peux me donner de l'argent ?

    — Espèce de sale gosse ! Tu as encore le culot de demander de l'argent. 

    Qu'est-ce qu'il y a ? Je suis confus. Je croyais qu'on était sur la même longueur d'onde.

    — Je m'occupe de Tess.

    — Tu le gâtes trop. Ne lui donne pas d'argent.

    — Il m'aidera pour mon projet, et je le paierai en échange. Ne t'inquiète pas, papa.

    — Comment peut-il être utile ?

    — Si tu ne lui fais pas confiance, fais-moi confiance.

    Sur ce, la colère du vieil homme s'apaise lentement. Il ne dit plus rien et monte simplement à l'étage, nous laissant, le frère et moi, le regard résigné.

    — Suis-moi.

    Je suis le frère dans son bureau avec la question de la récente conversation en tête.

    — De quel genre de projet s'agit-il ?

    — Peu importe. Je ne te laisserai pas le faire. J'ai dit ça pour rassurer papa. 

    Tess est toujours aussi inutile et indigne de confiance. Bon sang. 

    — J'ai entendu dire que tu trainais.

    Cette famille doit avoir un espion. Ils connaissent mes moindres faits et gestes.

    — J'essaie de trouver quelqu'un. 

    J'ai le vertige rien qu'en pensant à ce qui s'est passé, alors je m'assois sur le canapé.

    — Qui ?

    — Je ne dirai rien.

    — Ne cause pas d'ennuis.

    — Je ne cause pas d'ennuis. Bon, je peux t'emprunter de l'argent ? J'en ai vraiment besoin. Quand j'aurai trouvé un travail à temps partiel et que j'aurai de l'argent, je te rembourserai.

    Thanin rit d'incrédulité.

    — Tu vas travailler ?

    — Je ne suis plus la même personne, tu sais.

    — Ne pense pas à trouver un emploi à temps partiel pour l'instant. Assiste à tes cours demain matin pour rassurer papa.

    — Fastoche.

    — Il te faut combien ? Je le transfère sur ton compte.

    — Peut-être cinq… 

    Dois-je demander cinq mille ? Est-ce trop ? Une fois, j'ai emprunté trois mille à mon frère lorsque j'étais au chômage. Il m'a harcelé jusqu'à ce que mes oreilles s'engourdissent parce que je l'avais remboursé quatre jours plus tard que promis.

    — Cinq cent mille ? Bien sûr. Donne-moi une seconde.

    Quoi ? Cinq cent mille ? Tess… tu es le fils préféré de Dieu.

    — Tu es sérieux ?

    — Tu ne peux pas demander plus que ça. D'ailleurs, c'est ce que maman a laissé pour toi, au cas où.

    — Non. Je veux dire, tu vas me donner autant… 

    Le frère fronce les sourcils, sans répondre. Il se lève alors de sa chaise et me lance une pile de papier.

    — C'est le projet que nous envisageons de faire. Lis-en un peu, au cas où papa poserait des questions à ce sujet. 

    Je feuillette chaque page. D'après ce que j'ai vu, il semble qu'il s'agisse d'informations sur le personnel de la première période de production cinématographique.

    — Nous financerons le projet s'il est approuvé ?

    — Tu poses une drôle de question. Qu'est-ce qu'on va faire d'autre ? 

    J'avais presque oublié que la famille de Tess avait une part dans une maison de production.

    Mon excitation augmente lentement. C'est la liste des nombreuses parties concernées. Mon cœur bat la chamade dès que j'aperçois un nom familier.

    Pakorn Lea-angkun

    Au milieu des obstacles qui s'accumulent, la chance est enfin de mon côté.

    — Thanin, je veux participer à ce projet.

    — Ce n'est pas nécessaire.

    — Je veux vraiment aider. Je ferai n'importe quoi. Cela peut être la plus petite tâche. Je ne demanderai qu'une chose… 

    — Quoi ?

    — Laisse-moi rencontrer le scénariste.



  • Commentaires

    1
    Dimanche 30 Avril 2023 à 19:27

    merci pour ce chapitre

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