• Chapitre 27 - Lovers

    Chapitre 27

    J’ai l’impression de sortir d’un mauvais rêve, l’angoisse est toujours présente et me serre la gorge. Je n’ai actuellement qu’une envie, celle de prendre Prem dans mes bras, de le sentir contre moi, de laisser sa chaleur se diffuser sur mon corps pour me rassurer. Est-ce que les histoires de Fluke me sont montées à la tête ? Ou bien c’est la tension qui règne à cause de la menace du tueur ? Je me retourne en soupirant pour chercher la présence de celui que j’aime et qui est le seul à réussir à calmer mes angoisses. 

    Une légère douleur sur ma hanche me fait grimacer et mes sourcils se froncent quand je comprends que j’ai roulé sur un caillou. Je ne suis pas dans mon lit, je ne suis même pas dans ma chambre. La réalité et les souvenirs me rattrapent comme un coup de massue. Mes yeux s’ouvrent en grand et la douleur à mon œil droit me fait gémir. Sans que je comprenne comment, je me retrouve assis droit comme un i, la respiration légèrement plus rapide.

    Je n’ai pas fait de cauchemars, ce n’est pas à cause des récits de Fluke. On est en train de vivre ce que lui a vécu sept ans plus tôt. On ne se pensait pas en danger en étant à deux, après tout, ce n’était pas une chose aisée de s’attaquer à deux personnes. Alors en rangeant les courses dans la voiture, on n’était pas vraiment attentifs, on riait d’une bêtise dite par Joong, quand Prem s’était brusquement arrêté, il s’était raidit et ses yeux s’étaient ternis comme si tout espoir avait disparu. Il m’avait fallu quelques secondes pour réagir, quelques secondes de trop, car la lame tranchante était déjà posée sur sa gorge délicate. 

    — Si tu veux qu’il vive un peu plus longtemps, ne fais pas le malin et va dans la camionnette.

    Je n’avais pas su le défendre, je n’avais pas su le protéger, tout ce que j’avais pu faire, c’est obéir aux ordres du monstre de Fluke. Je m’étais alors avancé d’un pas mesuré vers le véhicule, la porte était entrouverte et tout ce que j’avais réussi à voir, c’était qu’il y avait déjà du monde à l’intérieur avant que ce ne soit le trou noir après qu’une douleur fulgurante ait éclaté sur le côté droit de mon visage. La dernière chose que j’ai entendu avant de m’évanouir, c’est la voix de Prem appelant désespérément mon prenom.  

    Prem ! Mon ventre se contracte soudain car, dans la pénombre ambiante, je ne le vois pas. Je ne peux pas empêcher mon cerveau d’imaginer mille et un scénarios sur ce qui a pu lui arriver après que j’ai été assommé. 

    — Prem ? 

    Je me mets à genoux, ignorant le cliquetis métallique qui résonne dans toute la pièce et me donne la chair de poule. Je suis désespéré, je suis paniqué alors que la terreur de le perdre gonfle dans ma poitrine. 

    — Réponds-moi, tu es là ? 

    J’ai toujours du mal à montrer mes émotions. Habituellement, je suis celui sur lequel les autres se reposent, mais à cet instant, c’est moi qui ai besoin de soutien, mais je suis complètement seul. 

    Je deviens frénétique dans ma recherche, me cognant à plusieurs reprises, mes yeux sont baignés de larmes qui ne coulent pas encore pour le moment. Soudain je me fige alors que ma main vient de se poser sur quelque chose de mou et tiède. Je sais qu’il est trop tôt, mais mon coeur fait une embardée dans ma poitrine à cause du soulagement. 

    — Prem ! 

    Je réussis à distinguer une silhouette dans la pénombre, mes yeux se sont habitués à l’obscurité et je reconnais mon petit ami. Je m’accroche à son bras, commençant à le secouer doucement quand je n’obtiens pas de réponse.

    Il ne bouge pas, il reste immobile, allongé sur le ventre, son beau visage est tourné vers moi, il a les yeux clos, l’angoisse me donne la nausée alors que l’insupportable idée qu’il n’est peut-être pas en vie ne veut pas quitter ma tête. 

    — Je t’en prie mon amour, réveille-toi. 

    J’avance une main tremblante vers son nez, retenant mon souffle pour être sûr de ne pas me tromper. Je ferme même les yeux, totalement concentré, et le temps semble soudain se suspendre alors que j’attends juste un signe, même léger. J’ai l’impression que je vais exploser quand je ne sens rien dans un premier temps, avant de souffler longuement de soulagement quand sa respiration vient percuter mes doigts. 

    Je m’assois juste à côté de lui, passant mes mains dans mes cheveux, je ferme les yeux un moment pour essayer de me calmer. Je dois aussi analyser la situation, même si dans le fond je sais déjà où nous sommes et avec qui. J’inspire à plusieurs reprises et, petit à petit, mon corps arrête de trembler. Je finis par poser mes bras sur mes genoux avant d’y poser le menton et d’oser observer l’endroit où l’on est enfermés. 

    Cette cave, même si c’est la première fois que j’y mets les pieds, je la reconnais facilement, premièrement parce que Fluke nous l’a décrit dans les moindres détails depuis son arrivée et surtout parce que je l’ai vu en photo quelques jours plus tôt. Et même dans la pénombre, il n’y a pas d’erreur possible. C’est ici que Fluke est resté et a entendu sa famille mourir.

    Sous le choc, mon pied ripe et le bruit métallique s’élève à nouveau. Curieux, je baisse les yeux qui se figent d’horreur, je suis directement attaché au mur par une lourde chaîne qui est reliée à ma cheville. Je passe la main sur la chaîne, ébahi. Je n’arrive pas à croire que ce soit vrai, mais maintenant je comprends ce que Fluke a pu ressentir en restant là, seul, pendant ses jours de captivité. Malgré moi, je m’imagine à sa place, perdant ceux qui me sont cher et je me sens blanchir, car je ne sais pas comment je pourrais continuer à vivre s’ils quittaient ma vie, plus encore s’il s’agissait de Prem.

    Le besoin de le sentir près de moi devient impérieux, je suis assis tout contre lui, mais ce n’est pas assez, je veux le tenir contre moi. Alors avec d’infinies précautions et, avec une montagne de douceur, j’arrive à le déplacer et à poser sa tête contre mes cuisses. Je lui caresse lentement les cheveux, attendant nerveusement son réveil et essayant de ne pas penser à ce qui va nous arriver après.

    — Hmmm ! 

    Mon cœur bondit quand enfin, après un temps qui m’a semblé interminable, il commence à revenir à lui. Ma vue s’est habituée à l’obscurité et j’arrive assez bien à le voir. Il fronce les sourcils et je ne peux pas m’empêcher de caresser cette zone juste au-dessus de son nez. Il se détend légèrement avant de brusquement ouvrir les yeux en se relevant pour regarder autour de lui, complètement paniqué. Avant qu’il ne réussisse à se lever, je l’attrape par les épaules et le serre contre moi. 

    — Chuuut… calme-toi, je suis là. 

    Je lui caresse le dos tout en murmurant des mots apaisants à son oreille. J’aimerais pouvoir lui dire qu’on est en sécurité, que tout ira bien et que bientôt on sera dehors en pleine forme, mais il sait très bien qu’on se trouve dans une situation critique, il n’est pas bête, il a déjà vécu la violence avec son père. Sa respiration se fait haletante, il est terrifié, il panique et quand ses mains s’agrippent sur mon t-shirt, tirant sur le tissu, je sais que le calme sera difficile.

    — Phi… 

    Sa voix me serre la poitrine et je sens des larmes remonter. Je dois me contrôler, je ne peux pas craquer moi aussi, sinon nos chances de survie seront amoindries. Je ferais tout pour lui, je l’aime tellement, plus que j’aurais été capable d’imaginer, je ne peux plus imaginer ma vie sans lui et je ferais absolument tout pour qu’il vive une longue vie heureuse. Je saisis son visage entre mes mains, le forçant à lever les yeux vers moi et je lui offre un sourire tendre et doux. 

    — Je suis là, je vais bien. Respire avec moi d’accord ? 

    Ses yeux n'arrivent pas vraiment à se fixer sur quelque chose, il alterne entre le côté droit de mon visage, mes yeux et la cave derrière moi, il ne m’écoute pas vraiment. 

    — Prem ! 

    Je hausse le ton en appelant son prénom, mon ton se fait moins doux, mais ça a le résultat escompté, il se focalise sur moi et je me radoucis aussitôt. 

    — Inspire. 

    Cette fois il m’écoute, il prend une première inspiration difficile, il connaît l’exercice, ce n’est pas la première fois que je calme une de ses crises de panique. Une fois qu’il a gonflé ses poumons, il retient sa respiration et je lui souris en caressant ses joues en douceur. 

    — Bien, expire doucement.

    Il expulse l’air par la bouche et recommence encore et encore sous mes indications. Il tremble encore, mais petit à petit, il arrive à reprendre le contrôle de lui-même. 

    — Tu… tu vas bien, tu es sûr ?

    Du bout des doigts, il touche sous mon œil droit et, vu comment il me regarde, ça doit être bien plus moche que ce que je pensais. Je capture sa main et embrasse chacun de ses doigts, ce qui finalement finit par le faire sourire.

    — Je vais aussi bien que possible. Et toi ? Tu te sens mieux ? 

    Il hoche rapidement la tête, mais je sais qu’un rien le fera craquer à nouveau. Je soupire et l’attire tout contre moi. Je respire profondément, je dois lui changer les idées, je dois l’empêcher de penser à ce qui nous attend et au risque que l’un de nous ne survive pas. 

    — Mon coeur, tu sais depuis quand je t’aime ? 

    On est ensemble depuis plusieurs mois maintenant, mais lui et moi on n’a jamais vraiment parlé de ce qui nous a poussé dans les bras l’un de l’autre. Il secoue la tête avant de la pencher sur le côté. Il me fixe, sans même cligner des yeux. Malgré tout, j’ai piqué sa curiosité et maintenant il attend une réponse de ma part. J’ai un petit sourire gêné avant de m’humidifer rapidement les lèvres. 

    A vrai dire, je n’y ai jamais réellement réfléchi. Ce jour-là, pendant que je lui donnais des cours, ça m’a juste semblé une évidence. Seulement, si je prends le temps de le faire, alors la réponse me semble aussi claire que de l’eau de roche.

    — Dès que Joong et Nine t’ont ramené, je ne t’ai pas considéré comme un ami ou un petit frère. Tu as toujours été plus que ça, mais j’étais trop jeune pour comprendre que c’était parce que ce que je ressentais pour toi était plus fort que de l’amitié. 

    Je me frotte rapidement la nuque, je suis un peu gêné de me livrer, mais au fond de moi, je ne peux pas m’empêcher de penser que je dois le faire maintenant, peut-être que plus tard je n’en aurais plus jamais l’occasion. 

    — En grandissant c’est devenu beaucoup plus évident pour moi, je te cherchais dès que j’entrais dans une pièce. Je faisais toujours en sorte d’être assis à côté de toi. Et puis d’autres ont commencé à te tourner autour et… je n’ai jamais été aussi jaloux de ma vie que lorsqu'ils approchaient. Je voulais te garder pour moi tout seul. 

    J’ai un petit rire gêné alors que je me livre complètement à lui, ce n’est pas forcément le lieu pour le faire, mais son sourire m’indique qu’il s’en fiche, il boit mes paroles. 

    — Pourquoi… pourquoi tu n’as rien dit à ce moment-là ? 

    Sa voix est hésitante, faible, mais sa respiration s’est calmée. Je ne pourrais pas le détendre complètement, mais au moins, pour le moment, il ne pense plus à ce qui nous attend derrière la porte de la cave, il est concentré sur nous et ça me convient parfaitement.

    — Je ne voulais pas te perdre. Tu étais mon ami depuis des années, on évoluait dans le même groupe et… c’était plus facile de rester ton Phi, que de te voir t’éloigner. 

    Je me mordille la lèvre inférieure, je me souviens de ce qui a tout fait basculer, de ce qui m’a fait tout risquer. 

    — Quand j’ai commencé à te donner des cours, j’avais l’impression que tu faisais tout pour me faire craquer et puis il y a eu ce jour-là. Tu étais tellement  mignon, concentré sur tes devoirs, tu n'arrêtais pas de laisser le bout de ta langue sortir et…

    Je prends une profonde inspiration pour tenter de contrôler la vague d'émotions qui me submerge quand j’y repense, exactement ce que j’ai ressenti pour lui. Je pose ma main sur sa nuque et le force à se rapprocher de moi et il ne m’offre aucune résistance. 

    — Je n’ai plus réussi à te résister. 

    Et comme le jour où on a commencé à sortir ensemble, je dépose mes lèvres sur les siennes. Notre histoire a démarré simplement comme ça, pas de long discours, pas d’émotions hurlées au monde, juste nos lèvres l’une contre l’autre.

    — Si j’avais su que le bout de ma langue suffirait à te faire craquer… je n’aurais pas perdu des mois à te rendre jaloux.

    Il pouffe avant de cacher son visage contre mon cou et je reste un moment interdit. Me rendre jaloux ? Alors… Un petit sourire apparaît quand je comprends pourquoi, soudainement, il s’était retrouvé avec tant de prétendants. Non pas que ce soit bizarre, mon petit ami était l’homme le plus beau de la terre et je n’étais vraiment pas le seul à m’en être rendu compte. 

    — Tu n’as pas perdu ton temps. Chaque fois que je voyais quelqu’un t’approcher et te sourire, j’avais l’impression de devenir fou. 

    J’embrasse le sommet de sa tête et le silence retombe un moment entre nous. Mes doigts se perdent dans ses cheveux et je lui masse tranquillement le cuir chevelu. Petit à petit, il se détend contre moi et pour un peu, il serait facile de nous imaginer partout sauf ici.

    — Je ne savais pas comment te faire comprendre que je voulais être plus pour toi. J’avais peur aussi de te perdre si je t’en parlais et… je ne l’aurais pas supporté. 

    Prem se livre complètement à moi, je suis surpris de savoir qu’il s’est rendu compte plus tôt de ce qu’il ressentait pour moi et qu’il a essayé de m’ouvrir les yeux. 

    — C’est Joong qui m’a conseillé de te rendre jaloux.

    Je lève les yeux au ciel. Pourquoi ça ne m’étonne même pas venant de lui ? Dans un coin de ma tête, je me note quand même que je dois le remercier, car je veux croire que l’on sortira d’ici et que tout ira bien pour nous.

    — Je t’aime Prem.

    Il quitte enfin sa cachette et avant qu’il ne puisse remettre ma déclaration en question, je capture doucement ses lèvres. Il m’aime, je l’aime, mais il semble avoir constamment du mal à croire que je puisse avoir de tels sentiments pour lui. Il se dénigre tout le temps, pensant qu’il ne mérite pas de recevoir de l’amour. Son père l’a tellement rabaissé qu’il est long pour moi de l’aider à guérir et à prendre confiance en lui.

    C’est un baiser simple, doux, une promesse que seuls nous deux pouvons comprendre. 

    — Je t’...

    Alors qu’il allait me le dire à son tour, un bruit sourd juste au-dessus de nous, nous fait tressaillir. Comme un corps qui chute lourdement au sol, puis quelque chose qui rampe et cela suffit à faire perdre tout le contrôle qu’il avait réussi à retrouver. 

    — Il faut se cacher…. 

    Il se redresse aussitôt, avant de reculer dans l’ombre pour tenter de se cacher et je sais que dans sa tête, ce n’est même pas le monstre, c’est son père.

    — Prem… attends. 

    Je me redresse et cherche à le suivre, je ne veux pas être séparé de lui. Comment je peux rester fort s’il n’est pas à mes côtés ? Je fais un pas, puis deux, je me guide au bruit de sa respiration haletante. Je veux le rejoindre, je n’ai que cette idée en tête, mais soudain la chaine se tend, elle mord la peau de ma cheville et je tombe sur les genoux en grimaçant de douleur. Nos chaînes ne sont pas attachées au même endroit, je ne peux pas le rejoindre et je ne suis pas loin de craquer à mon tour.

    — Prem… reviens… 

    Je me retourne en tirant de toutes mes forces sur la chaîne, espérant faire céder le métal pour pouvoir le rejoindre. Le son de sa respiration se fait de plus en plus difficile, je pousse un cri de rage quand la douleur dans mes mains m’oblige à abandonner. 

    — Je ne peux pas te rejoindre mon coeur…

    Ma voix se brise et je finis par craquer, ma poitrine se resserre et les larmes que je retiens depuis que j’ai réalisé où l’on se trouve finissent par couler. Je tente d’être discret, je ne veux pas l’inquiéter, il doit me savoir fort pour pouvoir toujours compter sur moi. Je suis son ancre, si je m’effondre, alors plus rien ne pourra lui garder la tête hors de l’eau et… un poids s’abat sur mon dos, deux bras m’entourent et pour la première fois depuis que l’on se connaît, il est celui qui me console, qui essuie mes larmes en se maintenant derrière moi. Il me berce lentement alors que je laisse la peur, la colère et la tristesse s’évacuer hors de mon corps 

    — Si tu ne peux pas le faire, alors c’est moi qui viendrais à toi. 

    Ses lèvres se posent sur ma nuque et je prends une longue respiration tremblante, je veux positiver, imaginer que Fluke se souviendra à temps de là où on se trouve, qu’ils nous sortiront de là. Je ne peux pas m'empêcher d’avoir peur cependant, pas pour moi, mais j’ai peur que Prem ne soit blessé. Je sais déjà que je peux supporter la douleur, mais je ne supporterai pas de le voir souffrir.

    — Boun… qu’est-ce que l’on fait maintenant ?

    Je m’essuie rapidement les joues en reniflant avant de me tourner, je lui saisis la taille et l’attire contre moi. Il se retrouve assis de côté entre mes jambes, les siennes par-dessus ma cuisse droite. Mon menton se pose sur son épaule et j’essaie de retrouver de l'énergie. Le silence retombe, il n’y a plus de bruit venant de l’étage. 

    — On doit rester calme, on ne doit plus paniquer. 

    Je caresse lentement son bras et petit à petit, il s’appuie davantage contre moi.

    — J’ai peur… et si on ne sort pas vivant d’ici. Je ne veux pas mourir, je ne veux pas te perdre. 

    Je soupire longuement, je ne peux pas lui mentir, il n’est pas stupide, mais je veux le rassurer. Je veux qu’il garde confiance, qu’il puisse lutter contre ce qui nous attend et pour ça, je dois lui donner l’envie de le faire.

    — Tu ne dois penser qu’à une chose, nous après ça, à tous nos projets.

    J’embrasse sa joue. Notre avenir, on n’en a jamais réellement parlé, pourtant, je ne l’imagine pas un instant sans lui. 

    — Tu vas venir vivre avec moi, comme c’est prévu, peut-être même plus tôt que tu ne le penses, parce qu’après tout ça, je ne veux plus passer une seconde sans toi.

    — Il ne te laissera pas faire. 

    — Si on est capable de vaincre le monstre de Fluke, alors je te promets que je pourrais battre le tien. 

    Il tourne la tête vers moi, surpris par mes paroles, mais une fois encore, c’est lui qui me surprend le plus quand il m’embrasse soudain comme si sa vie en dépendait.

    — Alors on le fera ensemble. On le battra tous les deux et on ne parlera plus jamais de lui.

    Son sourire à cette idée est immense et mon cœur bondit dans ma poitrine comme à chaque fois qu’il sourit de cette manière. A cet instant bien précis, il semble fort et fragile à la fois, un mélange de crainte et de détermination que je ne lui connais pas, mais qui me plait vraiment beaucoup.

    — Et alors on aura la vie devant nous. Quand tu auras fini tes études, on prendra une année sabbatique et on visitera le monde. 

    Aucun de nous deux n’a jamais quitté la ville, on ne connaît le monde qu’à travers les médias et je veux que l’on puisse dire qu’on l’a rencontré pour de vrai. Il se redresse, intéressé par mes paroles. J’ai déjà ma petite idée de ce qu’il va répondre et un petit sourire apparaît sur mon visage. 

    — Tu veux dire que l’on pourra aller en France, en Italie, en Irlande ou aux USA ?

    Je n’ai aucun mal à imaginer ses yeux qui brillent d’excitation à l’idée de visiter tous ces pays qui le font rêver depuis qu’il est tout petit.

    — On pourra aller où tu veux, on n’aura aucune limite. 

    Cela fait du bien de rêver, de s’imaginer dans un café français, dans les landes irlandaises ou bien de suivre la célèbre route 66. Aucune limite, aucune contrainte. 

    — Et puis, quand on sera dans un pays où c’est possible, je te demanderai en mariage.

    Il sursaute brusquement quand j’évoque notre mariage. C’est vrai que l’on est jeune, que notre histoire est récente, mais je suis sûr de nous, de notre force et du fait qu’il est le bon. 

    — Tu… tu es sérieux ? Je veux dire.. je ne suis… 

    — Tu n’es pas quoi ? 

    Je le questionne doucement en l’interrompant avant qu’il ne commence à dire des bêtises. 

    — En tout cas, je peux te dire tout ce que tu es. Tu es l’homme le plus doux et attentionné que je connaisse. Tu te soucies toujours des autres et tu aides sans jamais rien attendre en retour. Tu es beau, drôle, sexy, adorable et je veux qu’un jour tu sois mon mari.

    Sa bouche est entrouverte tout au long de ma déclaration, je vois bien qu’il lutte pour ne pas m’interrompre et me contredire. Seulement, quand j’ai fini, il reste silencieux et malgré la pénombre autour de nous, j’ai l’impression qu’il a rougi. 

    — Alors… on sera une famille toi et moi ?

    Je le considère déjà comme ma famille, mais oui, on va se marier et même si en Thaïlande, cela n’aura aucune valeur, ça n’a aucune importance, on aura notre famille à nous. 

    — Bien sûr que l’on sera une famille. D’ailleurs, une fois notre tour du monde terminé, on trouvera tous les deux un bon boulot et alors on pourra envisager…..

    — D’avoir des enfants ? J’aimerais bien. 

    C'est à mon tour d’être surpris quand il m’interrompt pour rêver notre avenir avec moi. J’allais lui proposer d’adopter un chien, mais le voir vouloir des enfants avec moi gonfle ma poitrine de joie. Je n’ai aucun mal à nous imaginer pères.

    — J’aimerais bien aussi et tout ça on l’aura d’accord ? 

    C’est beau de rêver, c’est agréable d’imaginer notre futur, mais pour cela on doit rester fort aujourd’hui face à cette épreuve. 

    — Alors fais-moi une promesse. 

    Je tends mon petit doigt vers lui en le fixant dans les yeux. J’attends sans bouger, sans parler jusqu’à ce qu’il entoure mon doigt du sien. 

    — Promets-moi qu’à partir de maintenant tu vas être fort, tu ne vas pas montrer ta peur et que si l’occasion se présente, tu fuiras le plus loin possible d’ici.

    Son sourire disparaît quand je finis de parler, quand il comprend que je lui demande de m’abandonner si jamais il en a l’occasion. Je ne veux pas qu’il risque sa vie pour sauver la mienne, il doit être égoïste et vivre. 

    — Je pourrai m’en sortir si je sais que tu es en sécurité.

    Au début, je pense qu’il va refuser, qu’il va m’envoyer balader et finalement, je le comprendrais. Je lui demande quelque chose de difficile et j’en ai parfaitement conscience. Pourtant, une nouvelle fois il me surprend, son menton tremble, mais il prend une profonde inspiration pour rester calme. 

    — Je te le promets.

    Heureusement, il ne me retourne pas la demande, peut-être qu’il sait que je serais incapable de le laisser derrière moi. Au moins, je n’ai pas à lui mentir et c’est tout ce qui compte. Je prends une profonde inspiration avant de l’attirer contre moi, c’est une étreinte douloureuse, elle a un goût d’adieu, comme si dans le fond on savait que tous ces rêves d’avenir et toutes les promesses du monde ne nous sauveront jamais.

    — Je t’aime tellement Prem.

    Ses bras s'agrippent à moi, je sens ses lèvres se poser sur mon cou et je fais comme si, je ne sentais pas ses joues humides. Finalement, il a craqué. 

    — Je t’aime aussi Phi.

    On a tout dit, on trouve une forme de paix dans les bras l’un de l’autre et il ne reste rien de plus à faire qu’attendre. Je me disais que c’était ce qu’il y avait de pire, l’attente, ne pas savoir quand l’horreur viendrait, ne pas savoir quelle forme elle prendrait. Il s’est passé peut-être quelques minutes ou bien plusieurs heures, mais elle finit par prendre fin et je sais alors qu’il y a pire que l’attente. 

    C’est un bruit sourd en premier, puis un autre, on frémit tous les deux. Ce sont des pas, en train de descendre l’escalier, il arrive, il est là. Je me lève en tanguant, mon corps raide d’être resté si longtemps dans la même position, mais je n’y pense pas. J’entraine Prem avec moi et je n’hésite pas une seconde avant de le faire passer derrière moi, le cachant avec mon corps comme si cela pouvait lui sauver la vie.

    Mon cœur bondit à chaque impact des chaussures, j’ai l’impression de le vivre en double, maintenant en direct, mais également à travers le récit de Fluke dans ma tête, quand il décrivait exactement cet instant. C’est un véritable enfer, je ne sais pas comment il a fait pour ne pas devenir fou. 

    Le cliquetis des clés fait un vacarme du diable et je ne peux pas m’empêcher de reculer de quelques pas pour nous fondre dans la pénombre. C’est malheureusement inutile, car dès qu’il ouvre la porte, on est éblouis par la lumière provenant de l’extérieur et qui nous éclaire comme deux biches prises dans les phares d’une voiture. 

    — Désolé les amoureux, ce n’est pas encore pour tout de suite. Il va falloir patienter encore un peu pour le grand show.

    La silhouette est difforme et il me faut quelques secondes pour comprendre qu’il porte quelqu’un sur son épaule comme un vulgaire sac à patates. Je ne le quitte pas des yeux, prêt à nous défendre, même si je sais que c’est complètement dérisoire. Il ne s’occupe pas de nous, il nous ignore complètement. Il avance dans la cave en chantonnant avant de laisser tomber sa charge contre le sol. Charge qui s’avère être Joss, son visage est ensanglanté et il grogne sous l’impact sans pour autant reprendre connaissance.

    — Je vous ramène bientôt d’autres colocataires, alors tenez-vous bien.

    Il attache rapidement la cheville de Joss avant de se redresser en faisant craquer son dos et en s’étirant avant de s'agenouiller auprès de l’inspecteur et de lui caresser doucement les cheveux. 

    — J’espère que vous êtes croyants, il va falloir prier très très fort pour que Fluke vienne vous sauver, sinon… je ne donne pas cher de votre peau.

    Il se redresse puis, sans nous jeter un seul coup d'œil, il reprend le chemin de la sortie. Il claque la porte derrière lui, nous laissant de nouveau dans le noir et dans l’attente. 



  • Commentaires

    1
    Samedi 10 Juillet 2021 à 17:31

    Oh on a pu voir comment à commencer le couple Prem-Boun mais par contre on est toujours dans l'attente.....J'espère vraiment que ça finira bien et qu'ils pourront faire leur tour du monde et se marier......

    NB : je ne pense pas que le père de Joss puisse faire ça à son fils donc.......

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