• Chapitre 26 : Vanishing

    Chapitre 26

    Boun et moi, on va aller acheter ce dont on a besoin pour ces prochains jours, n’hésitez pas à nous laisser la liste de ce dont vous avez besoin.

    La voix claire de Prem surplombe le brouhaha ambiant dans la cuisine où l’on prend tous ensemble le petit déjeuner. J’ai un petit sourire aux lèvres alors que tout le monde se met à parler en même temps pour demander ce dont il aurait besoin, ce qui devient incompréhensible. J’ai le cœur léger et même si on fait face à une situation difficile, j’ai l’impression que si l’on reste tous unis, alors on sera plus fort, on pourra faire face.

    Tu vas bien ?

    Une main se pose sur ma tête, caressant doucement mes cheveux et mon sourire s’agrandit quand je croise le regard de Ohm. Je me sens particulièrement heureux ce matin, me réveiller dans ses bras m’a aidé à oublier toutes mes peurs.

    Je vais très bien. Et toi ?

    Il hoche lentement la tête en se mordillant la lèvre inférieure et je me retrouve à rougir quand je repense à cette nuit. Sa main se pose sur ma nuque et j’ai soudain du mal à respirer et à penser clairement, cela ressemble à une crise de panique, mais c’est beaucoup plus doux et agréable.

    Ils vous arrivent quoi ? Vous êtes tout rouge ? 

    La voix de Joong me sort de ma contemplation pour me rendre compte que tous les regards se sont tournés vers nous et mes joues se mettent à me brûler. Est-ce qu’ils savent ce que l’on a fait hier soir ?

    De quoi tu parles Joong, on est beaucoup, il fait chaud et le repas de maman est épicé.

    La voix de Ohm s’élève, mais au lieu d’apaiser l’esprit de son frère et de toute les personnes autour de nous, c’est encore pire, car ils s’échangent de petits sourires en coin de connivence. Je voudrais pouvoir me cacher dans un trou de souris pour ne plus jamais en ressortir.

    C’est vrai que maman cuisine trop épicé, tu as raison, je lui ai déjà dit, après ça échauffe les esprits et c’est pas joli joli. Pas vrai Fluke ? 

    Pitié, achevez-moi, j’entrouvre la bouche alors que tout le monde éclate de rire. Je jette un petit coup d'œil timide à Ohm, mais je le surprends à rire avec eux, comme si tout cela était normal et ne le mettait pas mal à l’aise. Peut-être que ce n’est pas un problème finalement, est-ce que je dois me sentir honteux pour ce qui s’est passé ? La main totalement détendue de celui que j’aime caresse lentement ma nuque pour m’aider à me détendre.

    Alors Nine devrait faire attention à lui… il mange la même chose que Ohm tous les jours et il… 

    Je ne sais pas ce qui me prend de répondre, de le taquiner en insinuant pour eux deux, mais je m’interromps brusquement quand je comprends que j’ai peut-être mis le doigt sur quelque chose. Pourtant, je ne regrette pas, car je ne veux pas que Joong s’amuse de nous à nos dépens et je me dis que finalement c’est de bonne guerre.

    J’ai fait mouche, Nine qui souriait tranquillement, amusé, devient rouge pivoine, Joong ressemble à un poisson mort et les regards se tournent tous vers eux, nous oubliant instantanément. Des lèvres se posent sur ma tempe et son bras entoure mes épaules alors qu’il vient me chuchoter quelques mots à l’oreille. 

    Bien joué mon coeur.

    C’est à mon tour de rire et plus encore quand Chermarn prend la parole. 

    Alors mon deuxième bébé est amoureux. Les garçons, il va falloir que l’on ait une sérieuse conversation sur le sexe bientôt. 

    Ses yeux pétillent, amusés de les voir gênés comme ça, mais elle n’est pas surprise par ce qu’il se passe. Je me demande aussitôt, si elle n’était pas au courant qu’il se tramait quelque chose entre les deux.

    MAMAN !

    Joong la regarde, horrifié, avant de tourner la tête vers Nine qui ne semble plus du tout savoir où se mettre. 

    Nine, je… 

    Je suis un instant inquiet par la réaction de ce dernier qui semble sur le point d’exploser. Je perds petit à petit mon sourire, mais c'est à cet instant qu'un sourire en coin apparaît sur son visage et qu'il nous lance à tous.

    Bon d’accord… très bien… On… On sort ensemble. 

    Il lève alors sa main qui se trouvait sous la table et on peut voir qu’il tient celle de Joong, parfaitement entrelacée à la sienne. Boun laisse un sifflement s'échapper de ses lèvres et tout le monde se remet à parler en même temps et on finit de manger dans cette ambiance survoltée et paisible à la fois.

    Si vous avez oublié quelque chose, envoyez-moi un message. Je pense qu’on en aura pour un peu moins de deux heures. 

    Boun se trouve dans l’entrée, Chermarn et mon oncle finissent la vaisselle alors que Boun et Prem s’apprêtent à partir.

    Surtout, appelez s’il y a le moindre problème d’accord ? Joss ou moi viendrons vous retrouver. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas que je vous accompagne ? Peut-être que..

    Namtan ne semble pas être tranquille à l’idée de laisser les deux plus jeunes partir ensemble. Joss passe un bras autour de son épaule et la frotte doucement pour l’apaiser.

    Je suis sûr que tout se passera bien, ils seront en plein jour et dans un lieu public. Ne faîtes rien d’imprudent d’accord ? 

    Après avoir rassuré sa collègue, il lance un regard froid aux deux garçons et sa mise en garde me fait frémir. Il les avertit de ne pas le faire mentir, Joss est une personne qui semble froide et sans sentiment, pourtant, au fond, de par ses gestes et ses paroles, il prouve qu’il s’inquiète pour ceux qui comptent pour lui.

    Ne t’inquiète pas, on sera prudent et on rentrera vite. 

    Ils sortent tous les deux mains dans la main, après avoir rassuré la jeune femme encore une fois. Je soupire, mal à l’aise de les savoir loin de notre groupe, je suis sûr que tout ira bien, mais je me sentirai mieux quand ils seront rentrés.

    En attendant qu’ils reviennent, je vais préparer mes affaires pour les quelques jours que l’on va passer dans la zone où l’on m’a retrouvé. Je ne suis pas très confiant à l’idée de retourner là-bas, quand j’y suis allé avec Joong et Nine, c’était sur un coup de tête, je n’avais que cet objectif en tête. Là, j’ai un peu l’impression de me jeter dans la gueule du loup et j’espère juste être capable de les mener jusqu’à sa tanière.

    Je ne te dérange pas ? 

    La voix venant de ma porte de chambre me fait sursauter et j’ai l’impression que mon cœur s'est même arrêté de battre un instant. Je pose ma main sur ma poitrine, rassuré de le sentir battre fortement contre mes côtes. 

    Désolé. 

    Nine entre en s’excusant en voyant que j’ai eu peur, mais je souris pour l’arrêter.

    C’est plutôt moi qui devrais m’excuser. Je ne pensais pas que…

    Il rigole doucement en s’asseyant sur le lit pendant que je continue de ranger mes habits dans mon sac.

    Je devrais plutôt te remercier. 

    Il me parle sans vraiment me regarder et à la place, il me tend les habits qui se trouvent sur mon lit. Je les prends en silence, lui laissant le temps de trouver ses mots et la manière dont il veut me les dire. 

    — Je n’ai pas honte, mais… je ne suis jamais à l’aise pour parler de mes sentiments. Alors… je sais que j’aurais blessé Joong à force de repousser le moment de vous l’annoncer.

    — Je suis content que vous vous soyez trouvé alors.

    Il finit par me regarder dans les yeux et son regard s’illumine. 

    — En fait, là aussi je dois te remercier. Si on ne t'avait pas emmené dans les bois, alors peut-être que rien de tout cela ne serait arrivé.

    Mon sourire s’agrandit, moi qui me sentais encore coupable d’avoir été la cause de nombreuses disputes, je suis apaisé en sachant qu’au final j’ai contribué à l’évolution de leur relation. 

    — Venez tous au salon, j’ai quelque chose à vous dire.

    La voix claire de Chermarn résonne dans la maison et je fronce des sourcils. Aussitôt, je pense à Boun et Prem qui sont partis depuis un petit moment et une vague d’inquiétude me submerge. On va retrouver tout le monde dans le salon et je peux lire la même angoisse sur le visage de tout le monde.

    — Il y a un problème à mon travail. Une de mes collègues ne s’est pas présentée et ils ont besoin de moi quelques heures. 

    Je souffle de soulagement quand Chermarn annonce la nouvelle, on est tous dans le même état d’anxiété même si on essaie de la cacher derrière nos sourires et nos plaisanteries.

    — Même si tu vas à ton travail, il serait plus prudent de ne pas y aller seule, je… 

    — Je vais aller avec elle, ça fait longtemps que l’on a pas passé du temps ensemble.

    Joong interrompt Namtan et se propose pour accompagner sa mère. Je ne peux pas m’empêcher de pousser un long soupir, je n’aime pas que l’on se disperse de cette manière. Aussitôt, des bras m’entourent et je me fonds dans son étreinte. Je dois me calmer, je ne dois pas laisser le stress créer de la panique chez moi. 

    — Je dois passer chez ma mère, je veux essayer de comprendre. Je vous dépose à l'hôpital et je viendrai vous chercher après. 

    Joss me jette un rapide coup d'œil et la tristesse au fond de son regard se fait plus intense avant qu’il ne se ressaisisse et ne porte à nouveau son masque de froideur. 

    — Joss…

    Namtan fronce des sourcils, elle voudrait lui dire quelque chose, mais notre présence l’en empêche. Ils se regardent fixement un moment et je sais qu’ils communiquent silencieusement entre eux. Joss se passe nerveusement la main dans ses cheveux puis il soupire.

    — Je ferai attention à ne pas éveiller les soupçons, promis.

    Il lui fait un petit sourire avant de tapoter sa tête, ce qui la fait râler. L’ambiance se détend soudainement et, après avoir promis d’être prudents, ils quittent la maison à leur tour. 

    — Tu veux aller te reposer en attendant leur retour, ta nuit a été courte. 

    Ohm est toujours à côté de moi, alors que les autres sont repartis vaquer à leur occupation. Je fais la moue un instant en réfléchissant à ce que je veux faire. Finalement, je pose ma tête contre son épaule. 

    — Restons ici, je n’ai pas envie de bouger. 

    Il a un petit rire avant de me serrer un peu plus fort contre lui et il ne faut pas longtemps pour que je me mette à somnoler dans ses bras. Enfin, je pense que je finis même par m’endormir car, quand j’ouvre à nouveau les yeux, je peux sentir que l’ambiance douce et apaisante a complètement disparu.  

    Nine est assis dans un fauteuil juste en face de moi, il est droit, le visage fermé et oscille entre envoyer des messages et appeler quelqu’un. A chaque fois qu’il raccroche ou qu’il envoie son message, son visage se ferme un peu plus. Je tourne la tête et assiste à la même scène du côté de Namtan et de mon oncle. 

    Mon cœur s’emballe aussitôt, la crainte revient en force, je me redresse et me tourne vers Ohm pour obtenir des réponses, mais il a exactement la même expression sur le visage que les autres. 

    — Qu’est-ce qui se passe ?

    Ils sursautent tous quand ma voix, pourtant basse, s’élève dans la pièce. Ils sont tendus, inquiets et un instant, je me demande s’ils vont me répondre.

    — Personne n’est rentré et aucun d’eux n’est joignable. 

    Mon oncle finit par me répondre, mais il reste fixé sur son téléphone, comme s’il avait peur de louper la moindre information. Instinctivement mon regard se porte sur l’horloge qui est accrochée au mur et mes yeux s’écarquillent, j’ai dormi longtemps. J’ai dormi un long moment, Boun et Prem sont partis depuis bientôt trois heures… Mon cœur accélère brutalement, je me redresse et quitte les bras de Ohm qui ne cherche pas à me retenir. 

    — Est-ce que l’on doit prévenir la police ? Vous croyez que quelque chose de grave s'est passé ? 

    Je les regarde un à un, j’espère juste qu’ils vont se mettre à rire, je ne leur en voudrais même pas si c’était juste une mauvaise blague. Seulement, aucun d’eux ne se déride, au contraire, leurs visages deviennent plus sombres et je me mords la lèvre inférieure très fort pour ne pas pleurer.

    — La police ne fera rien pour le moment, ils sont majeurs et… il n’y a rien d’inquiétant pour eux à leur retard ou leur silence.

    La voix de Namtan est mécanique alors qu’elle me répond le téléphone de nouveau collé contre son oreille dans l’espoir que Joss décroche pour la rassurer. 

    — On doit les chercher… Jamais ils ne nous laisseraient sans nouvelle comme ça…

    Nine se lève subitement, prêt à foncer sans réfléchir. On ne doit pas céder à la panique, je sais combien ça peut faire des ravages et là on a besoin de réfléchir avant d’agir.

    — Est-ce que vous avez essayé d’appeler l'hôpital ? Peut-être que l’on ne capte pas bien là-bas. Joss est sûrement avec sa mère et ne voit pas son téléphone. Et puis s’il y a du monde, Boun et Prem sont juste en retard.

    Même moi, je ne crois pas à mes explications, mais je veux essayer de rationaliser autant que je peux parce qu’alors, ça voudrait dire… J’avale ma salive nerveusement en regardant chacun d’entre eux, mais ils ne sont pas plus convaincus que moi.

    — Fluke, l'hôpital a appelé, maman et Joong ne se sont pas présentés à l'hôpital.

    Ma bouche s’ouvre, mais la phrase de Ohm finit d’achever le moindre petit espoir que je pouvais essayer d’entretenir. 

    — Je vais aller voir au centre commercial, puis à l’hôpital, ensuite, selon ce que je trouve, je préviendrai la police. 

    Namtan a le visage fermé, elle se lève, s’apprête à quitter tout de suite la maison, mais mon oncle lui barre la route.

    — On ne se sépare plus Nong, je sais que tu es capable, mais je ne serai pas tranquille de te laisser y aller seul. Alors, on part tous avec toi, d’accord ? 

    J’ai l’impression d’être dans du coton, je n’arrive pas à savoir ce que je ressens et comment je dois réagir. En fait, je me sens totalement vide à l’idée que le monstre ait pu faire du mal à ceux qui sont devenus ma famille. 

    Je me lève quand il est temps de partir, je réponds quand on me pose une question, je tente de montrer un visage serein alors qu’au fond de moi, je suis en train de hurler. Je veux me convaincre qu’il s’agit seulement d’un cauchemar, que je vais me réveiller en entendant Joong parler trop fort, en croisant le regard un peu froid de Joss et le sourire tendre de Chermarn. Je veux me dire que j’irai ensuite étudier et que Prem viendra me tenir compagnie avant que Boun ne nous apporte des encas.

    Ma poitrine se serre, la douleur est bien trop présente, je ne rêve pas, ils ont disparu et plus le temps passe, plus il est difficile de se dire que c’est juste un retard, la coïncidence est bien trop grande pour y croire. Le trajet en voiture se fait dans un silence de plomb, je regarde le paysage défiler derrière les vitres alors que Namtan roule légèrement trop vite en direction du centre commercial. 

    — Boun se gare toujours sur le troisième parking. 

    La voix de Nine s’élève quand, au bout de vingt minutes d’angoisse grandissante, on arrive en vue du centre commercial. Le parking est plein à cette heure-ci, alors Namtan remonte chaque allée au ralenti ignorant totalement les gens qui klaxonnent derrière elle. 

    Je me ronge les ongles nerveusement en scrutant chaque voiture, espérant reconnaître celle de mon aîné, mais rien, on a presque parcouru tout le parking et je commence à perdre espoir, quand soudain mon cœur fait une embardée. 

    — Là ! 

    Namtan freine brusquement et heureusement car je bondis hors de la voiture et cours rapidement vers le véhicule.

    — Fluke ! 

    Ils doivent être là, ils sont encore en sécurité à l’intérieur et… un bras s’enroule autour de ma taille et me retient alors que mes yeux s’écarquillent et que je sens mes barrières craquer. Une portière entrouverte, les courses renversées sur le sol et surtout du sang… 

    — Ohm, occupe-toi d’eux d’accord ? J’appelle des renforts. 

    Namtan se glisse sans hésiter dans son rôle de policière. Elle fait preuve de sang froid et je me laisse entraîner à l’écart sans chercher à résister, mon regard fixé sur ces gouttes de sang qui me font retrouver mon état de petite chose prête à fuir le danger. Si j’étais reparti à Bangkok, si je n’avais pas écouté mon oncle, alors rien de tout cela ne serait arrivé. Ils ont été enlevés, ils sont aux mains du monstre… 

    Il va les tuer à cause de moi, une plainte sort de ma poitrine alors que la réalité me revient en pleine face. Absolument tout cela est de ma faute, je cause la souffrance des autres, si j’étais mort ce jour-là, alors tout le monde aurait une bonne vie sans danger maintenant. Deux bras fort m’entourent, mon nez est collé contre un torse large et réconfortant, mais ce n’est pas assez pour me faire reprendre pied.

    Mes yeux bougent dans tous les sens, comme si soudain le monstre allait surgir pour nous attaquer, je veux leur hurler qu’il faut rentrer à la maison, se cacher sous nos couettes, ne plus bouger, ne plus parler et se faire le plus petit possible pour qu’il ne puisse pas nous trouver.

    Mon corps tremble tellement que j’ai l’impression de convulser et je me demande comment Ohm réussit à me maintenir dans son étreinte. Est-ce que trop de chocs peut vous faire perdre la tête ? C’est l’impression que j’ai en tout cas. Deux autres bras entourent ma taille, un corps se colle contre mon dos et un visage humide se pose contre ma nuque.

    — Fluke, calme-toi, tu n’es pas tout seul. Ce n’est pas de ta faute.

    Nine se retrouve dans cette étrange étreinte, Ohm et lui me serrent tous les deux dans leur bras, une manière de se soutenir alors que maintenant on sait qu’au moins deux membres de notre famille sont portés disparus. Contre toute attente, ainsi entouré, j’arrive à me calmer, j’arrive à me maîtriser, je me sens à la maison, en sécurité et quand j’ouvre de nouveau les yeux, je me rends compte que ma crise a duré plus longtemps que je ne le pensais.

    La police est déjà là, un troupeau de curieux se masse un peu plus loin et semble chercher à comprendre ce qui se passe. 

    — Est-ce que… est-ce que vous avez réussi à rejoindre les autres ?

    L’étreinte se resserre autour de moi et je sais que les nouvelles ne seront pas bonnes. 

    — Une patrouille a trouvé la voiture de Joss sur le parking de l'hôpital, le moteur tournait encore… 

    Un glapissement sort de ma gorge, une plainte douloureuse qui ne semble pas vouloir s’arrêter alors que les larmes se mettent finalement à couler le long de mes joues.  Je savais que la menace du monstre était sérieuse, mais, je ne voulais pas croire qu’il passerait à l’action si vite, je pensais pouvoir le battre, mais encore une fois, je ne suis pas assez fort et mon entourage est celui qui souffre. 

    — Je suis désolé…

    Ohm pose ses lèvres sur le sommet de ma tête en soupirant. 

    — Tu n’as pas à t’excuser, ce n’est pas toi le responsable. Je t’interdis de penser ça. 

    Je ne réponds pas, je n’arriverai pas à lui faire comprendre ce que je ressens au plus profond de moi. Je ne suis pas sûr de le comprendre moi-même, mais je suis certain que j’ai une dose de responsabilité dans cette histoire. Si j’avais fait les choses différemment, alors nous n’en serions pas là.

    Le silence retombe entre nous et on se contente de rester là, immobile près de la voiture de Namtan, en se serrant tous les trois dans les bras des autres. Il y a du mouvement autour de nous, mais j’ai l’impression d’être dans une bulle, c’est comme si je voyais toute la scène de derrière une vitre épaisse. Tout est flou, trouble et même les sons me semblent étouffés et je perds complètement la notion du temps.

    Est-ce que l’on reste quelques minutes ou bien des heures avant que Namtan et mon Oncle ne reviennent vers nous, les traits tirés et soucieux. 

    — Rentrons à la maison, on ne peut rien faire de plus pour le moment. 

    Il nous parle d’un ton bas, il est éprouvé et a les épaules basses, comme si soudain, il portait le poids du monde. Je somnole tout le temps du retour, ma tête appuyée contre l’épaule de Ohm, je me réfugie dans le sommeil. C’est plus facile de ne pas penser, plonger dans un demi-sommeil, de faire comme si rien de tout cela n’était arrivé, ainsi je peux imaginer qu’ils sont simplement à la maison en train de nous attendre. 

    — Mon coeur ? On est arrivé, réveille-toi.

    J’ouvre les yeux difficilement pour croiser le regard inquiet de l’homme que j’aime, j’essaie difficilement de lui sourire pour le rassurer, mais je vois bien à son expression que je n’y arrive absolument pas. Ma grimace meurt sur mon visage et je baisse les yeux car je sais qu’il arrive très bien à lire en moi.

    — Il y a une enveloppe.

    Je me raidis quand la voix de Namtan s’élève.Aussitôt, la main de Ohm se pose sur ma cuisse, comme pour m’empêcher de bouger. Seulement, je ne pourrais pas bouger, pas même sous la menace. Je suis paralysé par la terreur alors que je peux appercevoir le rectangle blanc coincé dans la porte.

    On sort tous de la voiture et je n’arrive pas à la quitter des yeux, grandissant de plus en plus au fur et à mesure que l’on se rapproche. J’ai l’impression qu’elle va me dévorer, plus encore quand j’arrive à lire mon prénom écrit sur le papier, une écriture brouillonne et qui me donne la nausée. On laisse Namtan la prendre après avoir enfilé des gants puis elle nous guide vers la cuisine qui semble froide et inhospitalière alors que ce matin, elle me semblait chaleureuse et agréable. 

    Je suis dans un état second, je n’arrive pas à réagir et mon visage reste sans expression quand elle lit la lettre à haute voix après avoir réussi à l’ouvrir. On le savait déjà, cette lettre confirme juste le pire qui vient d’arriver. Le monstre nous a battus de vitesse et a réussi à enlever plusieurs d’entre nous. 

    Fluke,

    Je t’avais prévenu, je ne reculerai devant rien pour t’avoir et finir ce que j’ai commencé. Maintenant c’est à toi de choisir. Ta vie contre la leur.

    A très bientôt.

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    La douleur pulse dans mon crâne, je n’arrive pas à savoir d’où elle peut venir, je suis pourtant persuadé que je n’ai pas bu hier soir. C’est impossible, pas alors que l’on est en pleine mission avec Namtan. Je fronce les sourcils et la douleur s’accentue, j’étais sur le parking de l'hôpital, je venais de déposer Chermarn et Joong, j’étais sorti de la voiture pour un instant, pour leur faire mes dernières recommandations.

    La surprise s’était peinte sur le visage de Chermarn et puis il y avait eu un choc sur le côté de ma tête, un éclair de douleur et le noir complet. Je prends une profonde inspiration pour essayer de me réveiller et j’ai un haut le cœur à cause de l’odeur nauséabonde qui se dégage. J’ouvre les yeux difficilement, je suis dans une sorte de salon sombre et crasseux. 

    Ma vue est légèrement trouble et la douleur se fait plus intense quand j’essaie de m'asseoir. Je suis allongé dans un canapé, j’ai les poings et les pieds liés et je comprends rapidement la situation. Je passe en mode agent sans attendre, je fais fi de la douleur, de la peur et de la sensation de danger qui m’entoure, je cherche à me libérer.

    Je ne suis pas seul, je dois aller voir Joong qui se trouve au milieu du salon, il est attaché à une chaise, sa tête retombe sur son torse et même si son visage est à moitié caché, je sais qu’il est inconscient et surtout, une traînée de sang le long de sa joue m’inquiète. 

    — Joong !

    Mon appel ne le fait même pas réagir et je me démène comme un beau diable pour me défaire des cordes qui enserrent mes poignets. Parce qu’il y a un autre point qui m'inquiète plus que le reste, c’est l’absence de Chermarn, la mère de Joong n’est pas dans la pièce avec nous. 

    — Joong, j’ai besoin que tu te réveilles maintenant.

    Je ne peux pas parler trop fort pour ne pas alerter notre ravisseur, mais assez fort pour, normalement, réveiller quelqu’un. 

    — Et merde ! 

    Je reprends ma mission, à savoir me libérer, mais c’est un échec cuisant quand je finis par basculer hors du canapé et tomber lourdement sur le sol en laissant échapper un souffle de douleur. Je reste un moment immobile sur le sol, la tête posée sur le sol tout aussi crasseux que le canapé.

    J’essaie de reprendre mon souffle, j’attends que la pièce arrête de tanguer et je me tourne sur le côté. Heureusement, mes mains sont liées devant moi alors, à la vitesse d’un escargot, j’arrive à basculer sur le ventre et lentement, je rampe pour rejoindre le jeune homme qui n’a pas bougé d’un pouce depuis que j’ai ouvert les yeux.

    Il me faut un long moment pour arriver jusqu’à lui, un moment angoissant où chaque craquement dans la maison trop silencieuse fait arrêter mon cœur. Quand j’arrive près de lui, j’ai parcouru à peine cinq mètres et pourtant, j’ai l’impression d'avoir couru un marathon, j’ai le souffle court, de la transpiration coule le long de mon dos et ma gorge est sèche comme si je n’avais pas bu depuis plusieurs jours. 

    — Joong ! 

    Je lui secoue fortement la jambe, angoissant de plus en plus de ne pas le voir réagir. J’ai envie de lui hurler dessus et de le secouer dans tous les sens juste pour le faire réagir, alors quand il sursaute soudain en laissant un grognement enroué s'échapper de sa gorge, c’est une bouffée de soulagement qui me transperce. 

    — Tu m’entends ?

    Il lui faut quelques secondes pour réagir et finalement hocher la tête. 

    — Phi ? 

    Je peine à reconnaître la voix du jeune homme plein de vie que j’ai découvert pendant ces quelques jours. Il est somnolent et la peur s’échappe à travers ce simple mot. 

    — Où est-ce que l’on est ?

    Je soupire, même si j’ai bien ma petite idée, je dois dire qu’elle n’est pas rassurante et je n’ai pas vraiment envie de le lui expliquer, de lui faire comprendre aussi combien nos vies sont en danger. 

    Heureusement ou pas, je n’ai pas le temps de lui répondre, car une porte à l’intérieur de la maison s’ouvre à la volée et on sursaute tous les deux. J’arrive à me contorsionner pour voir une silhouette plongée dans l’obscurité, sortir de ce qui semble être la cuisine, un verre à la main, et un rire grinçant s’élève soudain me faisant grimacer.

    — Et bah alors vous n’avez toujours pas deviné ? Je vous pensais intelligent. 

    La lumière s’allume dans la pièce à ce moment-là, une exclamation sort de la bouche de Joong qui est maintenant parfaitement réveillé et mes yeux s’écarquillent au point qu’ils semblent prêts à sortir de mes orbites. Je n’arrive pas à croire que celui qui se tient devant moi, est celui qui a fait toutes ces atrocités… Je sens mes lèvres se mettre à trembler un instant. 

    — Pourquoi ?

    Son rire étrange accueille mon exclamation, me faisant frémir de peur. 



  • Commentaires

    1
    Samedi 10 Juillet 2021 à 17:16

    Oh purée, il est vraiment passé à l'action. Je pense que Fluke va se rendre à lui car il pense beaucoup à ses amis....

    Et aussi, nonnnnnnnnnn c'est pas possible de nous laisser sur une fin comme ça, vite, vite la suite.......

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