• Chapitre 23

    Chapitre 23
    Le poinçon des montagnes et des rivières

    Les quelques fois où ils s'étaient rencontrés, Zhao Yunlan avait toujours ressenti l'affection contenue de Shen Wei à son égard. Mais dès que Zhao Yunlan commença à lui rendre la pareille, Shen Wei se comporta comme le moine du Voyage en Occident confronté à une succube : il se tut et commença à faire le vide dans son esprit.

    Zhao Yunlan n'avait jamais rencontré quelqu'un comme Shen Wei ; il était doux et bienveillant, il ne se disputait jamais avec personne et traitait tout le monde avec gentillesse, peu importe qui il était.  C'est comme s'il s'agissait d'un gentilhomme sorti des histoires pieuses du passé, figé dans ses habitudes antiques.

    Zhao Yunlan n'arrivait pas à le cerner.

    À l'origine, Zhao Yunlan pensait l'emmener dans un club de luxe avec un restaurant occidental : l'endroit idéal pour une soirée romantique, car la nourriture occidentale était raffinée. Mais Shen Wei aurait certainement refusé, et personnellement, Zhao Yunlan n'était pas fan de la nourriture grasse et des légumes crus et froids.

    Ce n'était pas tous les jours qu'une telle occasion se présentait, alors Zhao Yunlan était bien décidé à ne pas la laisser passer. Il prit un air décontracté et ramena Shen Wei à l'auberge où il avait déjà commandé. Il ajouta à sa commande un bol de wonton et quelques plats populaires ; bientôt, toute la table fut remplie de nourriture fumante.

    À cette heure-ci, la boutique était vide, il n'y avait qu'eux. Shen Wei ne s'était pas encore assis qu'il se montrait déjà nerveux et tendu.

    Zhao Yunlan fit la conversation et mentionna Li Qian.

    — Elle a avoué avoir tué sa grand-mère ; nous suivons la procédure judiciaire habituelle. Son père l'a reniée, et j'ai entendu dire que sa mère avait pleuré et s'était évanouie deux fois au procès. Je ne sais pas pourquoi ils ont laissé les choses se dégrader à ce point. Espérons que le tribunal sera clément ; elle s'est rendue et a avoué, elle pourrait donc bénéficier d'une réduction de peine.

    Shen Wei resta silencieux pendant une minute, puis soupira.

    — J'aurais dû mieux l'éduquer.

    Zhao Yunlan qui était affamé engloutit son repas à pleines dents. La bouche pleine de riz frit, il ne pouvait pas parler, mais il regarda Shen Wei d'un air incrédule, ses yeux disant : "Quel est le rapport avec toi ?".

    Shen Wei baissa les yeux et but distraitement une cuillerée de sa soupe. 

    — Dans le passé, quand un élève commettait un crime, le professeur était considéré comme tout aussi coupable ; après tout, le but de l'éducation est d'enseigner une bonne morale, et pourtant, l'un de mes élèves...

    La suite de la phrase n'était sans doute pas très agréable. Shen Wei marqua une pause, fronça les sourcils et ne termina pas.

    C'était quoi ces conneries, ce n'est pas du tout comme si on était toujours dans une société féodale ! pensa Zhao Yunlan.

    Mais bien sûr, il voulait paraître civilisé devant Shen Wei, alors il avala cette pensée en même temps que le riz frit.

    Bien que Shen Wei ait manifestement évité Zhao Yunlan du mieux qu'il pouvait, maintenant qu'il était assis avec lui, il n'avait pas l'air pressé, mais plutôt à l'aise. De plus, Zhao Yunlan remarqua qu'il était prévenant et attentionné ; lorsque les baguettes de Zhao Yunlan s'approchaient du même plat trois fois de suite, il le poussait simplement vers lui. Il s'occupait également de la théière et leur versait du thé à tous les deux.

    — Je peux le faire moi-même, dit rapidement Zhao Yunlan.

    — C'est chaud, ne le touchez pas. dit Shen Wei en esquivant sa main et en lui versant du thé fumant. Vous mangez trop vite, ce n'est pas bon pour votre estomac.

    Zhao Yunlan s'essuya la bouche et fit semblant d'être délicat. 

    — Je n'ai pas dîné, alors j'ai un peu faim ; d'habitude, je mange très lentement.

    Shen Wei sourit, et Zhao Yunlan y vit là l'occasion de continuer à parler ; mais soudain, la table vacilla, et un bol vide tomba. Zhao Yunlan s'empressa de le ramasser ; une lampe se balançait doucement au-dessus d'eux.

    — Un tremblement de terre ? demanda Shen Wei.

    Les secousses s'arrêtèrent rapidement et Zhao Yunlan s'apprêtait à parler quand, brusquement, il fut pris d'une peur inexplicable, comme s'il se réveillait en sursaut après avoir fait un cauchemar de mille lieues.

    Il se passait quelque chose... quelque chose.

    Zhao Yunlan ne savait pas quoi ni pourquoi, mais une voix d'avertissement résonnait dans sa tête.

    Peut-être que le riz frit était un peu froid, ou peut-être que le congee était un peu chaud ; mais après avoir rapidement englouti toutes sortes de nourriture, son estomac se sentait encore plus mal qu'avant. Une fois l'étrange sensation passée, il eut l'impression que ses entrailles étaient transpercées par des aiguilles.

    — Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda Shen Wei.

    — Ow... gémit Zhao Yunlan en se recroquevillant, les coudes tapant sur la table.

    Shen Wei lui soutient l'épaule.

    — Où avez-vous mal ? C'est l'estomac ?

    Même s'il n'était pas bien, Zhao Yunlan n'oublia pas de profiter de la situation ; il saisit Shen Wei par le poignet et lui effleura subrepticement le dos de la main, ni doucement ni lourdement, un peu de manière séduisante mais pas trop visiblement, et lui dit d'une voix nasillarde : 

    — Un peu, vous avez porté la poisse.

    Shen Wei ne savait pas quoi répondre, il retira rapidement sa main. 

    — Je vais vous apporter de la soupe chaude.

    Zhao Yunlan ne savait pas si Shen Wei était timide ou désintéressé, alors il se redressa avec un doux sourire, faisant semblant d'être décent. Mais bientôt, le karma le frappa, et son mal d'estomac s'intensifia ; il ne put s'empêcher de se recroqueviller sur lui-même, et son front se couvrit de sueurs froides.

    Bien sûr, il réussit quand même à appeler furtivement la serveuse pour lui demander l'addition.

    Shen Wei rapporta une soupe de wontons chaude, mais Zhao Yunlan n'en mange qu'un peu, puis agita la main ; il ne pouvait vraiment plus rien avaler. Même ses lèvres pâlissaient.

    Shen Wei étudia son expression.

    — Je devrais peut-être vous emmener à I'hôpital.

    Zhao Yunlan força un sourire sur son visage.

    — Ce n'est rien, pourquoi aurais-je besoin d'aller à l'hôpital ? J'ai des médicaments à la maison.

    Il tenta de se lever en s'agrippant à la table, mais retomba rapidement sur la chaise.

    L'expression de Shen Wei devint sérieuse. 

    — Non, vous devez aller à l'hôpital.

    Zhao Yunlan appuya sur son estomac d'une main, et tira Shen Wei vers lui de l'autre. 

    — Ils vont me faire avaler du baryum au goût de peinture, ou me faire subir une gastroscopie, ce qui est pire que la mort. S'il vous plaît, ne les laissez pas me torturer.

    Shen Wei fronça les sourcils.

    — De plus, je voulais vous emmener voir une pièce de théâtre demain, j'ai déjà acheté...

    — Rendez-les, l'interrompt Shen Wei, qui l'aidait à se lever avec précaution. Je n'irai pas... Excusez-moi, puis-je avoir...

    Shen Wei n'avait pas encore dit "l'addition" que la serveuse lui tendait le ticket de caisse et la monnaie.

    Ces tours de passe-passe... Shen Wei lança un regard à Zhao Yunlan et pensa : Tu mérites de souffrir.

    Zhao Yunlan contempla ses chaussures et sourit.

    Finalement, face au refus et à la résistance de Zhao Yunlan, Shen Wei n'eut d'autre choix que de le ramener chez lui.

    C'était la première fois qu'il entrait dans l'appartement de Zhao Yunlan. Les lumières étaient éteintes et il trébucha sur un parapluie ouvert. L'hiver dans la Cité du Dragon n'était pas particulièrement pluvieux ; la dernière fois qu'il a plu, c'était il y a plus d'un mois. Seule une personne aussi paresseuse qu'un chien laisserait un parapluie sur le sol aussi longtemps.

    Sur le meuble à chaussures se trouvait un sac de vêtements provenant du pressing ; il avait été livré il y a deux jours.

    Shen Wei regarda autour de lui. Des chemises, des pantalons et un manteau de laine étaient empilés sur le canapé, tandis que des livres et un ordinateur portable étaient éparpillés sur le lit ; il n'y avait même pas de place pour s'asseoir, et encore moins pour s'allonger.

    Shen Wei regarda silencieusement Zhao Yunlan, avant de l'installer sur le seul coin inoccupé du canapé et commença à nettoyer le lit.

    Zhao Yunlan se recroquevilla sur le canapé, regardant avec douleur et bonheur les belles jambes de Shen Wei ; il en avait l'eau à la bouche.

    Shen Wei se retourna. 

    — Où est-ce que vous les mettez d'habitude ?

    — Sur le lit la journée, par terre la nuit.

    Shen Wei soupira ; il le faisait souvent en présence de Zhao Yunlan.

    Il débarrassa rapidement le bureau, y empila les livres et posa l'ordinateur portable sur la table de nuit. 

    — Allez, allongez-vous, je vais chercher les médicaments... où sont-ils ?

    Zhao Yunlan désigna une petite boîte située sous le bureau.

    Shen Wei dit simplement : 

    — Mettez-vous au lit et enlevez vos vêtements.

    Zhao Yunlan hésita.

    — Si je les enlève, vous pourriez dire que j'ai profité de vous.

    Shen Wei toucha le front de Zhao Yunlan, qui était couvert de sueur froide. Il imaginait à quel point c'était douloureux, et son cœur se serra ; il aurait préféré endurer la douleur à sa place. Mais l'abruti qu'il tentait de soigner ne savait que plaisanter.

    Il avait vraiment l'impression de gaspiller son affection. Le visage de Shen Wei devint sévère. 

    — Arrêtez ces bêtises et enlevez-les.

    Zhao Yunlan n'hésita pas plus longtemps et arracha son manteau et son pantalon sans retenue. Apparemment indifférent, il se tenait devant Shen Wei vêtu d’un pyjama, la moitié de son torse découvert.

    Le visage de Shen Wei rougit en un instant.

    Zhao Yunlan montrait son physique sans vergogne. 

    — Vous m'avez dit de les enlever.

    Shen Wei détourna rapidement le regard, gonfla l'oreiller et étendit la couette enroulée.

    — Donnez-moi la tasse, je vais vous aider à... Zhao Yunlan, pourquoi êtes-vous pieds nus ?

    Lorsque Zhao Yunlan s'assit sur le lit et retira ses chaussures, Shen Wei vit ses pieds gelés.

    Zhao Yunlan dit dédaigneusement : 

    — Je sortais juste pour un repas rapide, si je portais des chaussettes, je devrais les laver...

    Shen Wei saisit ses pieds, et même si ses mains étaient froides, elles étaient bien plus chaudes en comparaison. Zhao Yunlan sursauta et tenta de se dégager, mais Shen Wei s'accrocha et commença à masser un point d'acupuncture.

    — Non non non... attendez, je... je... Je ne me suis pas lavé les pieds... AH !!

    — Vous vous rendez compte que c'est douloureux ? dit Shen Wei en fronçant les sourcils. Votre qi est bloqué. Vous ne prenez jamais soin de vous ; vos mauvaises habitudes vous donnent un estomac fragile, et vous...

    Il réalisa soudain que son ton était trop intime, baissa la tête et se tut.

    Les pieds de Zhao Yunlan lui faisaient tellement mal qu'ils commençaient à s'engourdir, mais il devait garder son sang-froid devant Shen Wei, alors il ravala ses injures et fit semblant d'être calme. Miraculeusement, ses pieds commencèrent à se réchauffer et à se détendre, et Shen Wei les mit sous la couette.

    Shen Wei lui donna le médicament, lui versa une tasse d'eau chaude et le regarda l'avaler.

    Pendant un moment, ils ne dirent rien, l'atmosphère devint plutôt gênante.

    Le pyjama de Zhao Yunlan lui allait à ravir : il n'y avait qu'une poignée de boutons, et le col était ouvert jusqu'en dessous de son sternum. Il appuya sa main sur son ventre, ce qui permit à Shen Wei d'apercevoir ses magnifiques abdominaux.

    Il se força à se détourner et commença à inspecter la pièce ; il vit les restes de l'emballage du pain dans la poubelle et demanda : 

    — Qu'avez-vous mangé aujourd'hui ?

    Zhao Yunlan s'allongea sur le lit et montra la poubelle du doigt.

    — Juste ça. Pour toute la journée ? questionna Shen Wei dont le visage s'assombrit. Et hier soir ?

    — Hier soir, je suis sorti avec des amis ; nous avons beaucoup bu, je ne me souviens pas.

    Shen Wei n'arrivait presque pas à contrôler sa colère ; il resta silencieux pendant une demi-minute, et se força à baisser la voix pour ne pas paraître trop furieux. 

    — Vous vivez comme ça tous les jours ?

    — Oui, et alors ?

    Shen Wei lui lança un regard noir et se dirigea sans mot dire vers la cuisine. Il ouvrit le réfrigérateur et regarda l'espace vide qui s'y trouvait. Puis il sortit une brique de lait périmée... et la moitié d'un sac de nourriture pour chats entamé.

    Shen Wei sentit qu'il était sur le point de perdre son sang-froid avec Zhao Yunlan. Des veines apparaissaient sur le dos de sa main et il s'agrippait si fort à la porte du réfrigérateur qu'elle grinça.



  • Commentaires

    2
    Mercredi 10 Mai 2023 à 20:30

    Ils me font bien rire Shen Wei & Zhao Yunlan, Shen Wei est vraiment attentionné envers lui ^^

    Merci pour la traduction de ce chapitre =)

    1
    Mercredi 10 Mai 2023 à 19:38

    Une vraie tanière de vieux garçon he 

    Merci pour ce chapitre <3

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