• 22ème Chaos

    22ème Chaos
    La Chose Que L'on Peut

    C'est le matin, ce qui veut dire qu'on est encore plus près du tournoi qu'on ne l'était hier. Je fais les cent pas devant le bureau du conseil des étudiants en regardant mes chaussures. Je devrais peut-être juste ouvrir la porte et entrer. Ce ne serait pas trop bizarre ? Je continue à cogiter en tournant en rond, à un tel point que je commence à avoir des vertiges. Je devrais arrêter, à moins que je ne veuille laisser un petit cadeau devant la porte du bureau. Mais… Pourquoi est-ce que je marche en rond comme ça, de toute façon ? 

    Je peste après moi un moment avant que je ne décide de sortir mon portable et que je ne regarde l'écran. Bon, il faut que je parle à Phun du problème du budget, sinon je vais avoir des ennuis. Qu'est-ce que je devrais faire ? L'appeler ? Mais…

    Secrètement, j'ai un peu envie de le voir…

    Attendez ? Qu'est-ce que je viens de penser, là ? C'est vraiment débile ! Je me tape la tête contre mes poings pour avoir des pensées aussi déplacées au sujet du copain de quelqu'un d'autre. Je décide finalement de composer le numéro de Phun et lance l'appel.

     

    ♪ C'est déjà merveilleux qu'on soit amis

    Même si on ne peut qu'être dans l'entourage l'un de l'autre 

    Ça ne posera sans doute pas de problème à cette personne 

     On ne peut pas s'empêcher de tomber amoureux de quelqu'un 

    Il faut que je continue à cacher ce que je ressens 

    Pour que tu ne puisses pas le voir dans mes yeux ♪

     

    Mon dieu… Qu'est-ce que c'est que cette putain de sonnerie ? J'éloigne immédiatement mon portable de mon oreille quand j'entends les paroles. (Qui chante ? Je n'ai jamais entendu ce morceau). Je n'ai que très peu de temps à consacrer à cette réflexion avant d'entendre la voix profonde de Phun à l'autre bout.

    — Oui, qu'y a-t-il Noh ?

    Ne sois pas aussi poli, merde ! Ça me fait me sentir bizarre !

    — Où… tu es, bordel ?

    — Au bureau du conseil des étudiants. Et toi ? Tu veux que je te rejoigne quelque part ?

    Il est tellement conciliant. Je ricane avant de lever la tête pour regarder l'insigne sur la porte du bureau du conseil des étudiants.

    — A dans une demi-seconde.

    Il ne me faut en effet qu'une demi-seconde pour pousser la porte et entrer dans le bureau après avoir raccroché. Phun est très surpris de me voir. (Il a toujours son portable à l'oreille, hé hé hé). Mais il n'est pas tout seul dans la pièce. J'ai oublié que ce n'était pas son bureau personnel. Il y a Fi (le président du Conseil des étudiants), Bank (je ne sais pas quel titre il a), deux élèves de seconde et… Earn, le président des pom-pom boy. Tout le monde me regarde.

    — Hé, Noh ! Qu'est-ce que tu fais ici ? me salue Earn avant les autres. 

    Je vois un petit sourire sur le visage de Phun avant qu'il ne repose son portable.

    — Pourquoi est-ce que tu n'es pas simplement entré ?

    Hé hé hé. Je suppose qu'après la question de Phun, Earn sait maintenant ce que je fais là. 

    Je hausse les épaules de manière moqueuse vers Phun puis me retourne pour sourire à Earn qui semble classer des objets réunis dans un énorme tas. Bon, je suppose que mon gène fouineur est activé.

    — Qu'est-ce que c'est que ça, Earn ?! Ce sac est super grand !

    — Les souvenirs pour ceux qui travailleront aux stands, répond-il avec un petit sourire en sortant un du sac pour me le montrer. 

    Cette année, les souvenirs sont des colliers en argent façon plaques militaires avec le nom du lycée dessus. Derrière, il y a “ALL IN ONE” gravé. Putain, ça a trop la classe !

    — C'est trooooooop la claaaaasse ! J'en veux un ! Je pourrai en récupérer un s'il en reste ?

    J'ai littéralement sauté en direction des plaques une fois que je les ai vues tellement j'en veux une. (Vraiment, putain). Earn éclate de rire, sans doute parce que je m'accroche à son bras comme un chaton. 

    Pourquoi diable Phun s'éclaircit-il la gorge, d'ailleurs ? Je suppose qu'il est encore malade.

    — Ya, tu n'as pas besoin d'attendre qu'il y ait des restes, Noh, dit Earn soudainement.

    Comme d'habitude, je ne comprends pas bien ce qu'il veut dire. Je lâche son bras quand je remarque qu'il fouille dans le sac.

    — Je t'en donne un maintenant.

    Non seulement il me le dit, mais il me tend une plaque aussi. Mes yeux sont presque aussi grands ouverts que quand il m'a proposé de me prêter l'argent pour la batterie. Mais même si je suis super excité, il me reste un peu de conscience quelque part.

    — Quoi ? Je ne peux pas accepter !

    J'esquive rapidement les mains du président des pom pom boy qui sont sur le point de mettre le collier autour de mon cou. Mon refus provoque un sacré boucan dans le bureau.

    — Hé, ces plaques sont pour les étudiants des classes inférieures qui travaillent aux stands. Je devrais attendre et voir s'il en reste et si c'est le cas, j'en prendrai une. Ça va faire tache, sinon, mec.

    Je pense ce que je viens de dire. C'est vrai que chaque année, je récupère un souvenir destiné au pom pom boy mais c'est uniquement parce qu'il en reste une fois que tout le monde a reçu le sien. Ce sont des cadeaux pour les lycéens de première année qui ont pris sur leur temps libre pour travailler avec ceux des classes supérieures. (Sans compter qu'ils se font constamment houspiller). Ils ne sont pas faits pour que les étudiants de dernière année se les distribuent comme ça. 

    Mais on dirait que Earn s'en fiche vu qu'il hausse les épaules.

    — Peu importe, il y en aura en trop, de toute façon. Je t'en donne un maintenant comme ça personne ne pourra l'avoir à ta place.

    Il essaie encore de mettre la plaque autour de mon cou. Bon dieu ! Quelle que soit la force que je mets à essayer de l'éviter, je n'arrive pas à échapper à Earn qui est fort comme un bœuf.

    — Je n'en veuuuuux paaaaas

    — Non, c'est un cadeau, je ne le reprendrai pas.

    Il finit par me mettre le collier autour du cou avec un grand sourire aux lèvres. Je sens le contact de la plaque sur ma peau comme si j'étais dans un rêve, j'ai l'impression d'être forcé à faire quelque chose une fois de plus.

    — Je reviens, Fi.

    Oh ! C'est la voix de Phun. J'avais presque oublié la raison pour laquelle je suis venu ici. Je me retourne rapidement pour faire face à Phun mais il évite mon regard, ce con. Il se dépêche de sortir du bureau. Purée, purée, purée !

    — Je te retiens, Earn, mais ce sera pour une prochaine fois ! Je reviens !

     

    — Phun ! Phun ! Phun ! Putain, Phun ! Merde, je suis crevé !

    Il trace devant moi. C'est déjà assez difficile comme ça de le suivre vu qu'il a de longues jambes mais en plus il se dépêche. On dirait que je poursuis un bison. Ça ne te dérange pas vis-à-vis de la personne qui te court après ?! Ce n'est pas comme si je faisais beaucoup de sport ! Tu ne sais pas à quel point c'est fatiguant ?

    — Hé, j'étais venu te parler du budget du club ! hurlé-je puisque je n'arrive pas à le rattraper. 

    Alors que je crie sur le chemin menant aux bâtiments, je réalise qu'il est étrangement désert. Ça marche. Phun s'arrête et me donne l'occasion d’arriver jusqu'à lui. En revanche, il ne veut toujours pas me faire face.

    — Qu'est-ce qui se passe ? Tu es bizarre. T'es malade ?

    Je tends le bras pour prendre sa température en posant le dos de ma main contre son cou. (Mais en fait, je ne sais pas s’il est censé être plutôt chaud ou plutôt froid en temps normal. Je fais ça uniquement parce que c'est ce que les gens font dans cette situation). Mais Phun esquive ma main en s'avançant rapidement avant de finalement se retourner.

    — Qu'est-ce que tu as à dire sur le budget ? J'essaie toujours de l'avoir. Désolé.

    Phun a l'air de se sentir si coupable que j'ai besoin de le tapoter un peu sur l'épaule pour le réconforter. En tout cas, je me sens mieux maintenant que je l'ai entendu dire ça. Je sais qu'il est le genre de personne qui me viendra en aide, quel qu'en soit le prix. Je ne regrette pas de lui faire confiance. Je suis juste venu le voir pour être sûr, c'est tout. 

    — C'est urgent ? demande-t-il. 

    Je commence à me sentir bizarre. C'est comme si mes lèvres ne bougeaient pas comme je le voulais. Alors, comment je devrais lui répondre ?

    — Eh bien… ça l'était. Hia Pui a livré la batterie hier et il voulait avoir l'argent avant la fin de la semaine. Mais maintenant… eh bien… c'est toujours pressé, mais plus autant.

    Ça ne veut strictement rien dire, hein ? C'est juste que je suis aussi confus que ma phrase.

    — Comment ça ? Tu as besoin de l'argent avant la fin de la semaine, ou pas ? Si oui, prends le mien.

    Bordel. Notre lycée est rempli de gosses de riches, hein ?

    — Non, c'est bon, c'est bon. Je suis tombé sur Earn hier et il m'a transféré l'argent. Il faut juste que… je le rembourse. Je ne veux pas lui devoir de l'argent pendant trop longtemps, ça me gêne.

    Ma voix faiblit au fur et à mesure que j'explique la situation à Phun. Je remarque que son expression a changé.

    — Tu… as parlé de ça à Earn... ?

    — Oui… on s'est rencontré hier soir.

    — Et tu lui as parlé de tes problèmes de budget ?

    — Oui… Je lui ai juste demandé son avis.

    — Son avis ?

    À ce moment de la discussion, toutes ces questions commencent à m'agacer.

    — C’est quoi ton problème ? Pourquoi tu m'interroges comme ça ?

    Comme d'habitude, je me mets à lui crier dessus. Mais cette fois, il se retourne brusquement et me dévisage. Je sens mon corps entier se rétrécir jusqu'à avoir la taille d'une balle de tennis.

    Pourquoi a-t-il l'air aussi effrayant ?

    Je recule un peu devant l'expression méchante qui se dessine sur son visage mais à chaque pas que je fais en arrière, Phun en fait un en avant. Je finis par sentir un mur derrière moi. 

    Euh… Je ne peux plus fuir. Est-ce qu'il a l'intention de me tuer et de m'enterrer sous le béton pour se débarrasser des preuves ?

    Un son enroué s'échappe de sa gorge. Comme s'il venait de quelqu'un qui fait de gros efforts pour ne pas élever la voix.

    — Tu…

    Moi ? Quoi moi ?

    Nos regards se verrouillent l'un à l'autre, mais après un moment, il détourne le sien. Je ne peux retenir un soupir de soulagement. Je n'ai jamais vu Phun avec un regard aussi intense avant. J'en déduis qu'il s'est finalement calmé mais ensuite...

    BANG !

    Putain de merde ! Mais pourquoi a-t-il frappé le mur ? S'il est fissuré, le proviseur nous fera payer les réparations, tu sais ! J'essaie d'en rire à l'intérieur de ma tête même si je ne trouve pas ça drôle du tout. Je n'arrive pas à voir le visage de Phun, mais je sais qu'il bout. Il prend une longue respiration avant de commencer à dire quelque chose :

    — Pourquoi tu ne m'as pas… dit que tu avais besoin de quelque chose... ? demande-t-il sans me regarder. 

    Comme d'habitude, je ne saisis pas bien ce qu'il raconte.

    — C'est quoi le problème, Phun ?

    — Tu… Tu ne me fais pas confiance, hein ? dit-il avant de baisser son poing, qui était toujours contre le mur. 

    Je ne peux toujours pas voir son visage, donc je ne sais pas ce qui s'y lit maintenant. Il finit par s'en aller.

    Je ne te fais pas confiance ?

     

    Aujourd'hui a été un jour très fatiguant. Même si ce n'était pas à moi de superviser les répétitions de la fanfare, j'ai quand même des responsabilités et je dois m'occuper de la logistique du club. En plus, il faut que je répare quasiment la moitié des instruments que les membres utilisent. Je passe tellement de temps à les retaper que je crois que je pourrai ouvrir un commerce de réparation d'instruments de musique une fois sorti du lycée.

    Ma montre m'indique qu'il est 22h passées quand je rentre à la maison. Je jette mon sac sur le lit avant de m'affaler dessus et de pousser un long soupir. 

    Ce qu'il s'est passé cet après-midi avec Phun me travaille toujours. Il m'a dit que je ne lui faisais pas confiance… Je sais très bien ce qu'il a voulu dire par là. 

    Je reconnais que j'ai complètement merdé en ne l'appelant pas en premier. Je savais très bien au fond de moi qui serait le plus disposé à m'aider. J’avoue que j’ai fait une erreur. J’ai blessé Phun en permettant à quelqu’un d’autre de m’aider quand ça aurait dû être lui. 

    En réalité, je ne veux pas être un fardeau pour lui parce que je sais très bien que c’est la personne qui m’aidera le plus. Je sais très bien que la personne qui se précipiterait volontiers pour me donner l’argent une fois qu’il sera disponible serait Phun. Je lui fais confiance à 100 %. Je lui fais tellement confiance que je n’ai jamais essayé de le presser et je ne l’ai même pas harcelé pour l’argent. Je savais qu’il ne négligerait jamais les problèmes auxquels je fais face.

    Je n'ai pas voulu demander son aide à Earn, même pas un petit instant. La manière dont je lui ai parlé pourrait difficilement être qualifiée d'appel au secours. Je ne pensais pas qu'il m'aiderait à ce point non plus (vu qu'il a son propre budget à gérer avec les pom-pom boys).

    Je n'ai jamais voulu que quelqu'un se mette entre Phun et moi.

    — Merde, merde, merde.

    Ça ne sert à rien de rester là, à ressasser tout ça. Il est sûrement super remonté contre moi en ce moment. (Je le serais à sa place). Penser à cela me fait balancer mes chaussettes au loin et aller chercher mes clefs de scooter dans la seconde. 

    — M'man, je reviens bientôt.

    Je titube en descendant l'escalier et je vois mes parents regarder un film. Ils me font un signe comme quoi ils ont entendu, alors je prends mon fidèle scooter pour qu'on aille tous les deux affronter le monde une nouvelle fois.

    Mais je n'ai même pas l'occasion d'allumer le contact car j'aperçois un visage pâle appartenant à un certain connard. Il est assis à côté des pots de fleurs près du portail et me coupe de court. 

    — Putain, la trouille ! Qu'est-ce que tu fais assis là en silence ?!

    — Oh, qu'est-ce que tu fais ?

    Phun remarque que je m'apprêtais à partir avec mon scooter alors il s'est rapidement avancé vers moi pour me poser cette question. Qu'est-ce que je suis supposé lui répondre ?

    — Et toi ? Comment ça se fait que tu ne sois pas encore rentré chez toi ?

    Je l'observe de la tête aux pieds, il porte toujours son uniforme, y compris les chaussettes blanches, les chaussures en cuir et le sac de cours. Il est clair qu'il n'est pas rentré chez lui.

    — Je… commence-t-il à dire. 

    Mais ensuite, il reste silencieux. J'essaie de lire dans ses yeux vifs mais il persiste à détourner le regard. Il place son sac sur mon scooter comme s'il tentait de m'empêcher de partir.

    — Et toi ? Tu allais où ?

    En gros, des questions continuent d'être posées, mais aucun de nous deux n'y répond.

    Je jette un œil à son visage, qui affiche toujours une expression déplaisante. (Pourquoi diable tu es là si tu es toujours en colère contre moi ?). J'attrape son sac et lui redonne avant de brusquement tirer Phun vers le scooter. 

    — T'as faim ? demandé-je, il fait « non » de la tête. Ouais, ben moi si. 

    Peu importe ce qu'il dit, je le fais s'asseoir derrière moi et démarre. Je roule loin de la maison, avec le bruit des pétarades du scooter comme accompagnement.

     

    On quitte les rues désertes d'Ekamai Road (où je vis) pour Thong Lo Road (où Phun vit). Est-ce qu'on n'a pas la classe ? On ne porte même pas de casques et on est toujours en uniforme (ce qui indique qu'il n'y a aucun moyen qu'on ait notre permis) mais pas de problème, mon père a des relations (ou pas, en fait ?). Ah ah ah, je plaisante. Je m'arrête dès que j'aperçois un flic avec son casque blanc qui me fait penser à une balle de ping pong.

    On réussit finalement à échapper à la prison et on arrive à l'intersection entre Thong Lo Road et Sukhumvit Road. Je décide de m'arrêter devant un restaurant de congee. J'imagine que ça ne va pas faire du bien au physique de faire un aussi gros repas à 22h passées.

    — Si tu veux manger dans le coin, on pourrait aussi bien aller à Oishi Buffet, se plaint Phun en souriant après avoir lu l'enseigne « Thong Lor Congee ». 

    Je m'en fiche d'où on va vu que je suis pété de tunes, ah ah ah. Enfin, pas vraiment. Le truc, c'est que la fille du propriétaire est vraiment mignonne. Je viens souvent manger ici vu que j'aime bien la regarder, hé hé hé. 

     

    On mange nos bols en silence une fois la commande arrivée. Je jette un œil au bâtard qui disait qu'il n'avait pas faim mais a tout de même commandé un second bol de soupe. C'est le même bâtard qui s'est aussi plaint du prix, mais en a tout de même redemandé. Je ricane pour moi en le voyant manger. Il le remarque et me donne un coup de pied sous la table.

    — Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?

    — Je pense qu'il faut que j'aille me faire examiner les oreilles. J'ai cru que j'avais entendu quelqu'un dire qu'il n'avait pas faim tout à l'heure, dis-je, moqueur, en buvant mon Pepsi. 

    J'ai déjà fini mon bol de soupe mais Phun est toujours avec son deuxième.

    — Oui, je me demande comment tu peux être le président du club de musique alors que tu as des problèmes d'audition.

    Oh tu me tombes dessus alors que j'ai juste fait une petite blague ?

    — Connard.

    Je lui donne moi aussi un coup de pied sous la table. Il sursaute et manque de se brûler avec le congee. Je ne peux m'empêcher de rire.

    — Putain, t'es pas sortable. Regarde-toi, tu manges comme un gosse de maternelle. Prends ça, prends ça.

    Je sors un mouchoir et le tends à Phun. Je n'ai même pas essayé d'étouffer mon ricanement quand je l'ai vu tenter de se nettoyer avec le dos de sa main. Il prend le mouchoir, l'air légèrement ennuyé.

    — Et à qui la faute ?

    Hé hé hé. 

    On continue de manger nos congee (enfin, il mange et je bois mon Pepsi à la paille) et de se chercher mutuellement. Phun fourre finalement la dernière cuillère de sa soupe dans sa bouche. 

    — C'était bon. Je ne suis jamais venu ici avant. Pourtant, je passe souvent dans le coin, dit-il.

    — J'ai entendu dire que cet endroit était sur la même route que ta maison, dis-je avec sarcasmes avant de rapidement ramener mes jambes vers moi vu que j'ai le sentiment qu'il pourrait me donner un nouveau coup de pied.

    — Oh, je ne pensais pas que tu irais assez vite.

    Non mais, ce bâtard continue de m'insulter. 

    Je le regarde avaler son ultime bouchée de congee avant de prendre une grande lampée de boisson. Je peux voir son sourire à travers le verre.

    — Tu t'apprêtais à venir me voir, hein ?

    Humph, connard. Pourquoi remet-il ça sur le tapis, tout à coup ? 

    Je hausse les sourcils d'un air moqueur et sifflote au lieu de lui répondre. J'entends un petit rire qui ne fait qu'accroître mon agacement. J'ai vraiment envie de lui mettre un nouveau coup dans le tibia. 

    On reste assis en silence. Pendant un long moment, je ne le regarde pas vraiment.

    — Je suis désolé.

    Et la personne qui brise le silence n'est pas moi. Je me redresse de suite et le regarde. Pourquoi Phun s'excuse-t-il ?!

    — Pourquoi est-ce que tu t'excuses ?

    Les mots sortent de ma bouche aussi rapidement que je les penses. Je vois Phun serrer fortement ses lèvres comme s'il était sur le point de faire un long discours.

    — Eh bien, je… je me suis énervé cet après-midi. Je suis désolé. Ça a dû beaucoup te surprendre.

    — Qu'est-ce qui t'est arrivé, alors ?

    À ce stade, il pousse un grand soupir. 

    — C'est parce que tu… Pourquoi tu ne m'as pas simplement dit que tu avais besoin d'aide, merde ? Et tu as été voir Earn à la place ? C'est qui, pour toi ? Ça ne m'aurait pas dérangé que quelqu'un de ton club te vienne en aide. Mais Earn ? Qui c'est, Earn, bordel ? Pourquoi est-ce qu'il a fallu que tu ailles le voir pour demander de l'aide ? Et moi, alors ? Est-ce que je ne te suis d'aucune utilité ? Est-ce que j'ai la moindre importance pour toi ?

    Argh...Ce mec ! On dirait qu'il a retenu tout ça jusqu'à présent. Comme il continue, je lui tends un verre d'eau, sa gorge doit devenir sèche. 

    — Putain, ne fais pas le malin avec moi. Réponds-moi juste.

    Bon dieu, je me montre gentil et il dit que je fais le malin avec lui ? C'est quoi son problème, bordel ?

    — Je n'avais pas l'intention de parler de ça à Earn, ce jour-là. Il m'a juste demandé comment ça se passait au club et j'ai commencé à râler sans réfléchir. Qui aurait pu penser qu'il allait me traîner à un distributeur pour tirer de l'argent à 20h ? Même moi, j'étais très surpris.

    — Alors pourquoi tu n'es pas venu me voir directement quand Hia Pui a livré la batterie ?

    Bon sang. Son ton commence à sonner vraiment agressif, les gens.

    — Parce que je savais que tu faisais déjà tout ce que tu pouvais. J'ai confiance en toi quand tu me dis que tu m'auras l'argent alors je ne voulais pas t'embêter avec ça. Je sais que tu me le donneras dès que tu l'auras.

    Je le vois sourire, apparemment content de ma réponse. Mais immédiatement, son expression redevient sombre.

    — Et pourtant tu te comportes comme un mendiant avec Earn ?

    — Putain, quoi ? Pas du tout !

    Il faut vraiment que je lui fiche un autre coup dans le tibia. Je le fais. 

    Il rit en essayant d’esquiver (mais échoue) avant de se lever et de sortir son portefeuille. 

    — C'est pour moi. Excusez-moi, l'addition s'il-vous-plaît

    Il murmure doucement la première partie avant de lever un doigt pour attirer l’attention du propriétaire. Je me lève aussi, puis je le suis dehors. 

    Voir son large dos devant moi me donne envie de dire quelque chose aussi.

    — Je suis...aussi désolé. Je ne voulais pas te blesser.

    Le grand sourire que fait Phun est ce que je voulais le plus voir. Je le lui rends avant qu'il ne mette ses bras sur mes épaules pour qu'on puisse marcher ensemble.

     

    On roule sur le scooter dans la nuit, se faufilant entre de nombreuses voitures sans doute remplies de personnes allant en boîte, avant d'arriver finalement devant le portail d'une énorme maison. (Il a fallu qu'on s'arrête pour éviter la police une ou deux fois). Je vois de la lumière dans quelques-unes des pièces, même s'il est près de minuit.

    — Tu as dit à quelqu'un que tu arriverais tard à la maison ?

    Je pose la question à Phun tout en garant le scooter.

    — Oui, j'ai dit à Pang que je sortais avec toi. Hé hé.

    — Tu ne fais que me poser des problèmes !

    Ce bâtard. Je lance ma jambe en avant pour lui mettre un coup de pied au cul alors qu'il descend du scoot, mais il arrive à l'esquiver et rit.

    — A bientôt.

    Bon, peu importe, je suppose. Je lui fais un signe de la main avant de me préparer à partir. Je me serais déjà dirigé vers la rue principale maintenant s'il n'avait pas appelé mon nom.

    — Noh…

    — Qu’est ce qu’il y a ?

    Je me stoppe et me retourne vers lui. Je n’entends pas de réponse venant de lui. Phun marche plus près de moi. Je fixe ses mains alors qu’il les tend autour de mon cou avec l’intention de faire quelque chose. 

    — Qu’est-ce que tu fous ?

    — Ne bouge pas.

    Ses mains se déplacent autour de mon cou pendant un certain temps. Je réalise enfin ce qui se passe lorsque la plaque est retirée de mon cou. 

    — Tu n'as pas honte de porter quelque chose qui appartient aux pom-pom boys ? me dit-il et je suis d'accord avec lui, en fait.

    — Si. J'ai oublié de l’enlever, j'étais trop occupé. Merci de me l'avoir rappelé.

    Je tends le bras pour reprendre les plaques que Earn m'a données cet après-midi mais Phun les flanque dans la poche de sa chemise. Ce connard se croit tellement malin.

    — Je les redonnerai moi-même à Earn.

    Mais ça le fichera mal ! Ma bouche est grande ouverte, dans l'incompréhension totale.

    — Je lui retournerai moi-même.

    C'est ainsi que la Guerre des Plaques a commencé. Je me penche vers lui pour attraper le collier mais il se rebiffe brusquement et me repousse en posant sa main sur ma tête. Ce con ! Est-ce qu'il croit qu'il peut faire tout ce qu'il veut parce qu'il est plus grand que moi ?!

    — Tu n'arrives pas à dire non aux gens. Tu continueras à le porter s'il insiste. C'est moi qui les lui rendrai, dit-il en tapotant sa poche pour me faire savoir que les plaques resteront là. 

    Il a raison, cela dit, maintenant que j'y pense. Je ne suis pas du genre à trop batailler. Quand quelqu'un me force quasiment à faire quelque chose, généralement je le fais. Je veux dire, prenez Phun, par exemple. C'est pour cette raison que je me suis retrouvé dans cette situation à l'origine.

    — D'accord, je te laisse t'en occuper, alors.

    — Et n'accepte pas n'importe quoi de n'importe qui. Surtout venant d'Earn.

    Ce que Phun me dit me fait me sentir étrange. C'est comme si… il était plus mécontent du fait que j'ai accepté des plaques de la part d'Earn que de savoir qu'elles étaient légitimement destinées à la team d’encouragement.

    — Phun…

    Je l'ai appelé avec douceur. Il se retourne pour me regarder.

    — Qu’est ce qu’il y a ? répond-il si gentiment que j'en éprouve des difficultés à parler.

    — Je ne suis pas à toi et tu n'es pas à moi, tu sais…

    Même si c'est moi qui ai prononcé ces mots, je sens ma poitrine se serrer. Et Phun, alors ? Ça l'affecte sans doute plus que moi. 

    Néanmoins, il faut que je continue à dire ces choses. On a tous les deux besoin de s'en rappeler aussi souvent que possible. En vérité… c'est ce que je me dis à moi-même, juste pour accepter le fait qu'il n'y a pas de « nous ».

    Un sourire solitaire se dessine sur les lèvres de Phun avant qu'il ne s'approche de moi. Il me regarde en tendant la main et me caresse gentiment la joue.

    — Ce n'est pas parce que nous avons déjà parlé de ça que… je suis capable de t'oublier du jour au lendemain.

    Il me regarde intensément tout en me souriant. Je ne peux pas m'empêcher de m'interroger, est-ce que ce serait trop demander que l'on reste amis, simplement comme ça ? 

    Avant que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, le visage familier de Phun se rapproche du mien. Je peux sentir sa respiration. Je me tends soudainement et clos mes yeux avec fermeté. Je sens une chose douce et rebondie, pleine de chaleur, sur mon front. Cela dure un moment avant qu'il ne s'éloigne.

    Je hausse un sourcil de manière moqueuse pour cacher mon embarras. 

    — C'est probablement tout ce qu'on pourra faire, maintenant, hé hé.

    — C'est toujours mieux que rien, répond Phun avant de me faire un signe de la main m'indiquant qu'il retourne chez lui. Fais attention sur la route, d'accord ?

    — Ouais. A bientôt.

    Je ne sais pas ce que signifie cette douleur acérée qui est en train de me gagner.

    Honnêtement, je ne sais pas.

     



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    Samedi 24 Juillet 2021 à 17:50

    Noh dit qu'il ne s'appartiennent pas l'un l'autre mais je pense le contraire.....En tout cas Phun est bien jaloux

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