• Chapitre 13

    Chapitre 13

    — Ne bouge pas, je vais te faire mal sinon. 

    Il est encore tôt, pourtant First et moi on est en train de se préparer dans la salle de bain. Où plutôt, je me suis mis en tête que j'allais le raser. On est en couple depuis deux semaines maintenant et je ne peux absolument pas regretter d'avoir baissé mes barrières pour le laisser prendre une place importante dans mon cœur. 

    Il se fige, mais ses bras entourent mes hanches et me rapprochent de lui, ce qui me fait automatiquement sourire. J’essaie de me concentrer sur mon activité, plutôt que sur ses mains dont les caresses explorent ma taille et mes fesses. Depuis que l’on a fait l’amour ce soir-là, on est devenus assez tactiles l’un envers l’autre, c’est dur de ne pas être en contact avec lui. 

    Les sensations qu’il a éveillées en moi cette nuit-là sont ancrées en moi et j’aime particulièrement chaque petite attention qu’il peut avoir pour moi. Cependant ce matin, j’ai envie de prendre soin de lui même s’il me rend la tâche particulièrement difficile. Je sursaute brusquement quand il pince ma cuisse et je fais un petit bruit avec ma langue pour lui montrer ma désapprobation. 

    — First… 

    — Désolé… mais tu es trop appétissant. 

    Nos yeux se croisent et mon semblant de colère disparaît comme neige au soleil. Je ne peux faire qu’une chose, me pencher et déposer un baiser sur ses lèvres, me moquant de la mousse à raser qui se pose sur ma peau. 

    — Alors n’y va pas ce soir… reste avec moi.

    Je sais que je fais l’enfant, je sais qu’il va passer quelques jours chez lui pour mettre tout à plat avec son père, mais aussi récupérer ses affaires. Je sais que le fait qu’il vive déjà à la maison peut sembler précipité, mais l’avoir près de moi me semble déjà tellement naturel que je ne peux plus imaginer rentrer dans un appartement vide de sa présence. 

    — Tu veux que je reste ?

    Je soupire et pose le rasoir avant de m’asseoir sur ses genoux, je n’ai pas encore fini de le raser, mais pour l’instant, on doit discuter. Je passe un bras autour de son cou et aussitôt il m’entoure de son étreinte chaleureuse et rassurante. Je me doute que si je lui disais de rester, il le ferait, juste pour me faire plaisir. J’aimerais le lui demander, mais je sais aussi que ça ne l’aiderait pas à avancer, à quitter l’oppression de son père. 

    Je l’aime, je veux qu’il se sente heureux dans ce qu’il fait et pour pouvoir le faire pleinement, il doit faire face à ceux qui, depuis sa tendre enfance, le dirigent d’une poigne de fer. Je le regarde droit dans les yeux, voyant que lui aussi dans le fond voudrait que je lui demande de ne pas y aller.

    — Tu vas y aller et puis tu reviendras rapidement ici et alors… je ne te laisserai plus jamais aller nulle part sans moi.

    Ce n’est pas ce qu’il voulait entendre, mais on sait tous les deux que c’est la seule bonne chose à faire pour nous. Il me serre dans ses bras un moment sans rien dire, je ferme les yeux, le menton appuyé sur son épaule et j’éloigne l’angoisse de savoir qu’il ne sera pas là ce soir. 

    — Alors finis de me raser, comme on dit, plus vite je serai parti, plus vite je serai rentré.

    Je me redresse et l’observe avec un petit sourire amusé, je dépose un dernier petit baiser sur ses lèvres. Je quitte ses bras à regret avant de reprendre le rasoir que j’avais abandonné sur le lavabo quelques minutes plus tôt.

    — Trois jours ?

    Je ne peux pas m’empêcher de lui demander confirmation même s’il me l’a répété plusieurs fois déjà. Il sourit tendrement, replace une mèche de cheveux sur ma tête avant de caresser doucement ma joue comme pour me réconforter. 

    — Trois jours, pas un de plus. 

    Ma poitrine s’allège, je ne vais pas mentir, ces trois jours vont me sembler durer une éternité et je n’ose même pas penser à la réaction de Dao qui n’est pas vraiment au courant que First repart chez lui même si ce n’est que pour un temps assez court. Ma fille s’est prise d’affection pour lui et c’est comme s’il avait toujours fait partie de nos vies. 

    — Bien, maintenant ne bouge plus, laisse-moi finir. 

    Le silence retombe dans la salle de bain et je me concentre sur ma tâche. On n’entend que le clapotis de l’eau alors que je finis de le raser. Au moment même où je finis et que je lui sèche le visage, la porte s’ouvre sur une petite princesse encore à moitié endormie. 

    — Papa, Phi, pourquoi vous ne m’avez pas réveillé.

    Sans attendre, elle vient nous rejoindre et grimpe sur les genoux de First, se réveillant difficilement en frottant ses petits yeux. Je m’accroupis devant elle et caresse sa tête avec un amour filial inconditionnel. 

    — Il est encore tôt ma puce, c’est pour ça. 

    — Hmmm.

    Il ne faudrait pas grand-chose pour qu’elle se rendorme sur First, bien calée dans ses bras. Je regarde l’heure et effectivement, elle aurait pu dormir encore un petit moment, avant que je ne l’emmène à l’école pour ensuite me rendre à mon travail.

    — Prends ta douche, je vais m’occuper d’elle. 

    First se relève, emportant Dao avec lui. Avant de quitter la salle de bain, il n’oublie pas de m’embrasser. Au début, le fait de le faire devant la petite me gênait un peu, puis elle avait fini par nous surprendre alors que je préparais à manger et que First réclamait de la tendresse de ma part. 

    Sa réaction avait été surprenante et elle avait semblé aux anges pendant des heures, ayant de petits rires à chaque fois que l’un de nous deux avait un geste tendre pour l’autre. D’ailleurs, elle a passé un temps fou à scruter chacun de nos gestes juste pour être sûre de ne pas en louper un seul. Je fais un petit signe de remerciement envers mon petit-ami qui quitte la pièce et rapidement je range le rasoir avant de me glisser sous la douche. 

     

    Dire que la vision de First assis dans le canapé, avec Dao sur les genoux en train de finir tranquillement sa nuit, ne m’a pas touché serait faux. J’ai ressenti un élan de tendresse pour le duo qui m’a fait préparer ce qu’ils préfèrent pour le petit déjeuner. L’odeur alléchante de la nourriture a fini par tirer ma fille du sommeil et c’est finalement avec entrain qu’elle a fini de se préparer. 

    Avant de quitter la maison, je suis resté un long moment dans les bras de First sachant qu’il ne serait pas là ce soir. Finalement, c’est Dao qui m’a forcé à partir en râlant parce qu’elle allait être en retard à l’école. J’ai à peine le temps de dire une dernière fois au revoir à mon petit-ami qu’elle m’entraîne vers les escaliers que l’on dévale rapidement avant de se retrouver dans la rue qui commence lentement à s’animer. 

    — Papa, tu es un chewing-gum…

    Elle parle d’un ton boudeur, mais moi je ne peux que hausser un sourcil ne comprenant pas pourquoi elle me compare de cette manière. Elle tient ma main, marchant d’un pas rapide, et elle évite mon regard ce qui me fait me questionner encore plus.

    — Un chewing-gum ?

    J’ai du mal à me retenir de rire quand, à travers ma question, je lui demande plus d'explications. Elle soupire grandement et je me contente d’attendre qu’elle ait fini sa petite comédie et prenne enfin la parole. 

    — Et bah depuis que tu es amoureux de Phi… tu es tout élastique et tout doux. 

    J’avale ma salive de travers, alors qu’elle parle d’une voix forte faisant se retourner plusieurs passants vers nous. Je sens aussi mes joues qui chauffent car c’est vrai qu’elle n’a jamais eu l’habitude de me voir doux, tendre et câlin avec d’autres personnes. Elle est la seule avec qui je le faisais naturellement, enfin avant l’arrivée de First. Puis soudain j’éclate de rire quand je comprends ce qu’elle voulait dire dès le départ.

    — De la guimauve, ma puce. On dit que la personne est de la guimauve. 

    Elle fronce les sourcils un instant tout en réfléchissant à ce que je viens de dire puis son visage s’éclaire.

    — C’est ça, c’est ce que dit Phi Pink à l’école. 

    — Qui est Phi Pink ?

    Je la questionne l’air de rien, tout en me demandant quel genre de conversation elle peut bien avoir à l’école pour dire ce genre de chose. 

    — Elle est dans une classe supérieure et elle a déjà eu plein d’amoureux et elle dit qu’elle aime bien quand ils sont tout guimauve et lui font des câlins. 

    Déjà je suis soulagé de savoir qu’il s’agit simplement d’une de ses camarades d’école et pas un adulte lui fourrant des idées étranges dans la tête. Malheureusement, cette information entraîne une sueur froide le long de mon dos. 

    — Et toi… tu as déjà eu des amoureux ?

    Loin de moi l’idée de faire mon papa surprotecteur qui empêchera sa fille de vivre sa vie. Pourtant, elle reste mon bébé et l’idée qu’elle fasse des bisous à un garçon me crispe légèrement. Elle lève les yeux vers moi et secoue lentement la tête comme si ma question semblait la plus idiote du monde. 

    — Pas d’amoureux… mais une amoureuse.

    Bon d’accord, je dois bien avouer que sur ce coup-là, elle m’a bien eu. Je me retrouve un peu bête et je reste silencieux en essayant de trouver la meilleure manière de répondre. Enfin, rapidement, je comprends qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, je dois juste lui donner tout mon soutien. 

    — D’accord.

    Je lui souris et elle se met à sautiller toute heureuse en me tenant la main. On marche un moment en silence, mais je sais que je vais devoir lui annoncer que First ne sera pas à la maison pendant trois jours. J’ai un peu peur de sa réaction, mais je ne veux pas non plus qu’elle le découvre au dernier moment. 

    — Ma puce, je voulais te prévenir que… First ne sera pas là pour quelques jours. 

    Dao s’arrête brusquement et m’observe en fronçant les sourcils. Comme je le pensais, la nouvelle ne la rend pas du tout heureuse. Elle lâche ma main et croise les bras et à cet instant, j’ai l’impression d’être l’enfant pris en faute et pas l’adulte responsable. 

    — Et pourquoi ? Tu lui as dit quelque chose pour qu’il parte ?

    Je reste interdit un instant qu’elle puisse imaginer que c’est moi qui l’ai mis dehors alors que j’ai dû prendre sur moi pour ne pas l’empêcher de partir. Je finis cependant par sourire et me pencher vers elle avec un regard doux. 

    — Non, rien de tout ça mon ange. Il doit aller dans sa famille pour régler certaines choses. Ensuite, il reviendra et ne partira plus, d’accord ? 

    Je vois très bien son menton trembler, comme si l’idée qu’il puisse ne plus jamais revenir la blessait d’avance et quand je lui ouvre les bras, elle n’hésite pas une seconde et se précipite vers moi. Je la soulève et elle m’offre un câlin qui m’apaise aussitôt, je me remets en marche pour éviter qu’elle n’arrive en retard.

    — Je n’aime pas ça papa.

    — Moi non plus, mais tu dois laisser Phi régler ses problèmes avec son père. Comme ça, il ne sera plus triste quand il reviendra.

    Elle hoche la tête contre mon cou et je soupire, j’aimerais être confiant, mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir peur que son père ne brise ses résolutions et qu’il m’abandonne. Je sais qu’il m’aime, je sais qu’il est heureux avec nous, mais est-ce que ces quelques semaines en notre compagnie peuvent vraiment gommer plus de vingt ans d’obéissance aveugle. 

    — Papa, je veux que Phi soit aussi de ma famille.

    Je dépose un gros baiser bruyant sur sa joue, ce qui la fait pouffer de rire et se débattre dans mes bras. J’envie l’innocence et la confiance de cet âge, celui où une simple promesse efface la peur qui continue de m’étreindre le cœur, le rendant plus lourd. 

    — Alors il faudra que tu lui demandes quand il rentrera. 

    Son regard pétille et j’ai un peu peur de la manière dont elle va lui demander de faire complètement partie de nos vies. Connaissant Dao, ça risque d’être énorme et bruyant, mais tant que First est là, je suis prêt à subir toutes les idées étranges de ma fille. 

    — A ce soir papa.

    Elle m’embrasse la joue, puis s’échappe de mes bras avant de courir pour rejoindre l’école, perdu dans mes pensées, je ne m’étais même pas rendu compte que l’on était arrivé. Je reste à l’observer jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière la grille, retrouvant ses camarades, et je ne peux pas m’empêcher de me demander qui est Pink et surtout cette mystérieuse amoureuse. 

    Finalement, je fais demi-tour et d’un pas rapide, je reprends ma route pour rejoindre mon boulot. Je sais que là-bas, pour quelques heures, je vais oublier mes tracas pour me plonger dans le monde des fleurs. 

     

    — Phi, qu’est-ce que tu en penses si je mets des fleurs de vigne pour l’effet tombant demandé par la mariée ?

    Je lève les yeux vers Nong Som qui est en train de confectionner un bouquet pour une mariée et j’observe un instant l’ensemble automnale rouge et orange et avec ces branches de vigne qui l’entourent avant d’élégamment retomber vers le sol. 

    — C’est superbe Nong. Il faudrait juste raccourcir les vignes, il ne faudrait pas que la mariée se prenne les pieds dedans. 

    Son regard s’illumine, Nong Som ne travaille pas ici depuis très longtemps, mais elle a vraiment une vision de l’arrangement floral unique en son genre. Elle propose toujours des bouquets sophistiqués mais avec une petite touche en plus qui les rendent uniques. Je suis certain qu'elle ira très loin.

    Elle retourne tout de suite à son travail et je fais de même, penché sur un bouquet qui sera offert à l’occasion d’une naissance, j’utilise des couleurs tendres et douces. Je dois le finir avant d’aller chercher Dao à l’école et que l’on rentre à la maison. Je ne suis pas vraiment pressé et j’envisage de lui proposer d’aller manger au restaurant. La clochette au-dessus de la porte résonne et je lève la tête pour accueillir le client. 

    C’est un homme d’un certain âge qui avance dans la boutique, les mains derrière le dos. Il observe intensément chaque détail et je me demande si ça ne pourrait pas être un inspecteur venu contrôler notre marchandise. Cependant, les propriétaires ne m’ont pas mis au courant et sans quoi, ils seraient présents pour l’accueillir et le guider dans sa visite. 

    — Bonjour monsieur, je peux vous aider ?

    Je m’approche de lui avec un sourire, prêt à le servir du mieux que je pourrais, mais quand ses yeux se posent sur moi, je sens un mépris total de sa part qui me fait quelque peu perdre mes moyens. Je me frotte nerveusement la nuque alors qu’il me regarde de haut en bas silencieusement. 

    — Alors c’est vous…

    — Pardon ?

    Je ne comprends absolument rien à ce qui se passe, ni pourquoi cet étranger semble sur le point de me cracher au visage. Je jette un coup d'œil à Som qui se trouve derrière moi et qui est tout autant figée que moi par le comportement du client. 

    — Celui qui a détourné mon fils de sa voie.

    Oh !

    Je sursaute presque quand il reprend d’une voix froide et que cette fois, je comprends qui se trouve devant moi, le père de First. Je me demande comment il a fait pour connaître mon existence et surtout pourquoi il vient me voir ici. Quoi que je préfère ici que devant Dao, je n’aurais vraiment pas aimé qu’elle assiste à ça.

    — Je n’ai détourné personne monsieur… maintenant si vous ne souhaitez pas acheter de bouquet, je vous prierai de quitter la boutique.

    Je tente de le mettre dehors de la manière la plus polie et courtoise possible, mais au fond je sais déjà qu’il ne se contentera pas de ça. S’il est venu ce n’est pas pour faire demi-tour juste parce que je lui demande gentiment. 

    — J’aimerais avoir une discussion avec vous au sujet de mon fils. 

    J’hésite un instant, mais je prends rapidement ma décision, il ne partira pas tant qu’il n’aura pas déversé son venin. Je ne veux pas qu’il le fasse ici, pas alors que ça pourrait porter préjudice à mes patrons. Je fais un petit signe d’apaisement à ma collègue qui ne sait pas vraiment sur quel pied danser puis après une grande inspiration, je fais face à l’homme qui a élevé mon petit ami. 

    — Il y a un café à deux pas, allons-y.

    Je ne lui laisse pas vraiment le temps de répondre quoi que ce soit, je retire mon tablier et le pose sur le bouquet à moitié terminé puis je récupère mes affaires et me dirige d’un pas décidé vers la porte de la boutique. J’essaie de garder la face, de me montrer fort et sûr de moi, alors qu’intérieurement je tremble de peur. 

    On est assis en silence devant nos tasses de café depuis au moins dix minutes et le stress va finir par me tuer. Il me regarde fixement en prenant une gorgée de sa boisson et j’essaie de résister à la tentation de parler le premier. Je ne sais pas vraiment pourquoi il est là, comment il m’a retrouvé et je ne veux pas commettre d’impair en disant n’importe quoi. 

    — Mon fils est promis à un brillant avenir, jeune homme. 

    Il entame enfin la conversation tout en reposant sa tasse et le moins que l’on puisse dire c’est que sa voix est glaciale. Je ne peux pas m’empêcher de me demander s’il parle ainsi à ses enfants ou bien s’il la réserve seulement pour les personnes qu’il ne pense pas digne de son intérêt.

    — Je n’ai aucun doute là-dessus monsieur.

    Je le pense vraiment, First est travailleur et s’il fait quelque chose qui lui plaît vraiment, alors je suis certain qu’il pourrait construire un empire. L’homme en face de moi hoche la tête, visiblement ravi de ma réponse, même si je me doute à cet instant que l’on ne pense absolument pas à la même chose. 

    — Alors pourquoi est-ce que vous vous entêtez à lui mettre des bâtons dans les roues ?

    — Pardon ?

    Un instant, je pense que j’ai mal compris ce qu’il vient de dire, mais vu son regard, il est clair qu’il me prend pour le responsable des changements chez son fils. Alors oui, peut-être que j’ai été le déclencheur, mais ce désir, First l’a depuis de nombreuses années.

    — Vous et votre comportement immoral, à mettre des idées bizarres dans la tête de mon fils. 

    Ma bouche s’ouvre un instant avant de se refermer tout aussi vite. J’aimerais pouvoir le contredire et lui expliquer que je ne suis qu’une personne normale, un père élevant sa fille du mieux qu’il peut et aimant profondément son fils. Je ne fais rien de tout cela, parce que je suis bien trop surpris par ce qui est en train de se passer. 

    — Je ne sais pas par quel maléfice vous l’avez fait tomber dans vos filets, mais mon fils n’est pas de ce bord là. Encore moins à l’exposer aux yeux du monde dans un restaurant comme vous l’avez forcé à le faire. Si une rumeur venait à se répandre, alors il pourrait dire adieu au journalisme. 

    Le restaurant ? Mes yeux s’écarquillent soudain, le seul moment possible où il aurait pu nous voir, c’est ce fameux soir, il y a deux semaines. Je me souviens encore qu’au moment de partir First s'était brutalement figé et renfermé avant de partir comme s’il avait le diable aux trousses. Maintenant que j’y pense, j’avais trouvé ça étrange, mais il avait su taire mes peurs et je m’étais laissé entraîner par la magie de l’instant. 

    — Ma relation avec First ne vous regarde pas et il est, je pense, assez adulte pour faire ses propres choix. 

    J’ai envie de taper sur la table pour lui faire rentrer dans la tête l’idée qu’il n’a aucun droit de regard sur la vie de son fils et cela même s’il lui a donné la vie et l’a élevé. Cependant, je m’exhorte au calme pour ne pas envenimer la situation.

    — Les relations entre hommes sont une aberration et je refuse que mon fils ne soit montré du doigt et que cela n’entache la réputation de notre nom que notre famille s’évertue à élever à un haut niveau. 

    J’ai un petit rire désabusé, je me fiche totalement de la façon dont il peut me voir ou bien ce qu’il pense de mon histoire avec First. Cela dit, ce n’est pas non plus ce qui compte vraiment pour lui, il ne se préoccupe que de ce qui peut être bénéfique pour lui et de la manière dont les autres le voient.

    Il soupire avant de sortir un enveloppe de sa besace et mes yeux s’agrandissent soudain quand je comprends ce qu’il s’apprête à faire. Il la pose bien au milieu de la table et croise ses mains sous son menton avant de m’observer avec un petit sourire. Il semble terriblement sûr de lui, condescendant et il me donne la sensation d’être un moins que rien. 

    — First est peut-être une personne passionnée, mais il reste fidèle à sa famille. Vous pensez vraiment que vous êtes le premier à qui il s'intéresse. Vous pensez être exceptionnel et unique parce que soudain il dit que vous êtes le centre de son univers. 

    Ses paroles sont acerbes et même si je veux croire l’homme que j’aime, il réussit par ses mots bien choisis à ébranler ma confiance. Je tente de le cacher, mais je sais qu’il voit bien mon trouble, qu’il sait exactement quoi dire pour me blesser et me faire douter. 

    — Combien de temps à votre avis avant qu’il ne se lasse de votre histoire ? Combien de temps avant qu’il ne revienne à la raison et vous abandonne sans un mot ? 

    Mon cœur accélère, la peur, qui me tenaille depuis qu’il a parlé de rentrer chez lui pour discuter avec sa famille et faire ses valises, me serre brusquement la gorge m’empêchant de respirer convenablement. 

    — Cette histoire ne vous mènera nulle part, bientôt vous serez à nouveau seul, vous n’aurez de lui que de sombres souvenirs qui vous tourmenteront alors que First vous oubliera tout comme il a oublié les autres. 

    Je baisse la tête, ployant sous ces mots qui me blessent comme des couteaux bien aiguisés. Je veux repousser le doute qui soudain grignote mon bonheur, le remplaçant par une ombre pesante et malaisante. Il continue de m’observer avant de soupirer et de pousser l’enveloppe plus près de moi. 

    — Prenez cet argent, quittez-le avant qu’il ne vous blesse pour de bon et recommencez votre vie avec un autre. First ne vous rendra jamais heureux. 

    Je dois lutter contre les larmes, car en plus du doute, il m’humilie en pensant que je suis achetable, qu’il peut tout régler contre une somme d’argent. Pire, que je suis cupide au point de laisser cette mystérieuse enveloppe me faire obtempérer. 

    Lentement, je me penche et pose ma main sur l’enveloppe blanche et froide et du coin de l'œil je peux voir son sourire triomphant. Il pense avoir gagné la partie, il s’imagine déjà rentrer chez lui et raconter une histoire sordide à First pour le faire rentrer dans le rang. Sans lever la main, je fais glisser l’enveloppe loin de moi, la rapprochant de nouveau de son père. 

    — Monsieur, je ne sais pas ce que vous imaginez de moi et je m’en fiche. Cela ne vous regarde pas, c’est mon histoire avec First et je n’ai pas besoin de votre argent. Maintenant merci de ne plus venir m’importuner.

    Je me lève, espérant avoir été clair et me dirige vers la sortie. Seulement, son père n’est pas le genre d’homme à quitter une bataille sans avoir le dernier mot.

    — Il ne faudra pas venir pleurer le jour où il vous abandonnera et que vous vous retrouverez seul. 

    Je me fige un instant le cœur battant, oui, peut-être que ce jour arrivera, peut-être qu’il quittera ma vie du jour au lendemain et alors je serai sûrement inconsolable un long moment. Mais, il se trompe sur une chose, c’est que malgré tout ce qu’il pense, je ne serai jamais seul. Je prends une profonde inspiration pour ne pas lui annoncer que ma fille restera près de moi, je ne veux pas lui donner une nouvelle arme pour me faire du mal. 

    Au lieu de ça, je reprends ma marche et sors rapidement du café dont l’air me semblait irrespirable. Je fais quelques pas avant de m’arrêter, fermer les yeux et de prendre une profonde inspiration. Je ne veux pas donner de l’importance à tout ce qu’il a pu dire, mais malgré moi, de nombreuses questions viennent tourner dans ma tête. Les mains un peu tremblantes je sors rapidement mon téléphone pour lui envoyer un message, j’ai juste besoin de savoir qu’il m’aime. 

    Khaotung : J’espère que ta journée se passe bien. Tu me manques, je t’aime. 

    Je ne m’attends pas à ce qu’il me réponde dans la seconde, mais quand plusieurs heures plus tard je me retrouve allongé dans mon lit et qu’il ne l’a toujours pas fait, je sens mon cœur se serrer douloureusement. Je me tourne sur le côté, collant mon téléphone contre ma poitrine comme si cela pouvait le pousser à me répondre et des larmes, que je retenais depuis mon entrevue avec son père, commencent à couler librement sur mes joues. 


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  • Commentaires

    3
    Samedi 24 Décembre 2022 à 12:22

    Punaise, j'ai eu envie de le taper moi-même le père ᕦ(ò_óˇ)ᕤ

    Merci pour ce chapitre, vivement la suite ^^

    2
    Samedi 24 Décembre 2022 à 11:06

    Quel con le père de First, tsss, le genre de crétin qui pense toujours avoir raison et pouvoir avoir ce qu'il veut avec de l'argent -_-

    Merci pour ce nouveau chapitre.

    Hâte de lire le suivant ;0)

     

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    1
    Samedi 24 Décembre 2022 à 10:23
    Merci pour ce chapitre et bonne fête
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