Le vent joue dans mes cheveux, je ne bouge pas, j’observe l’horizon alors que petit à petit les familles commencent à quitter la plage. Kyet joue tranquillement dans le sable, il y a déjà un petit tas de trésors qui viendront rejoindre tout ce qu’il a dans ses valises. Je n'arrive pas à déterminer si je suis heureux ou malheureux alors que je regarde mon fils en tremblant sans réussir à me calmer.

Un mouvement sur la gauche me fait tourner la tête et je sens mon cœur bondir dans ma poitrine quand je reconnais cette silhouette familière que j’attendais avec impatience. Je lui souris tristement alors qu’il s’approche de moi. Du coin de l'œil, je le vois prêt à s'asseoir à côté de moi dans le sable et je le surprends en attrapant son poignet et en le tirant vers moi. Il se retrouve installé dos à moi entre mes cuisses et aussitôt il cherche à partir, mais mon étreinte se resserre autour de lui. 

— Drake ! Attends, on pourrait nous voir... 

Il tente de me résonner, mais je ne l’écoute pas. Il regarde partout autour de nous en s'inquiétant de ce que les autres pourraient en penser. Moi, je m'en fiche complètement, j'ai juste besoin de le tenir dans mes bras et savoir qu'il n'est pas un rêve. Je soupire en le maintenant contre moi et il se calme petit à petit. Je pose mon menton sur son épaule en fermant les yeux avant de lui chuchoter à l’oreille.

— Laisse-moi te serrer dans mes bras un instant, s'il te plait.

Je me sens triste, tellement triste face à tout ce gâchis. Il le comprend, car il se retrouve finalement totalement immobile et cherche au contraire à se fondre le plus possible contre moi, ses mains se posant sur mes bras et je me sens mieux. On reste un moment en silence, comme dans le passé, sa présence et sa chaleur m'aident à recharger mes batteries, à me sentir plus fort et à croire que je peux faire face à tout. 

— Qu'est-ce qui s'est passé ? 

Je sens l'inquiétude dans sa voix, il faut dire, je ne suis pas du genre à me laisser abattre comme je le fais actuellement, je suis plutôt du genre à voir le bon côté des choses. Je sais que je dois mettre des mots sur ce qui s’est passé, lui expliquer la situation et ensemble trouver une solution. Seulement, j’ai encore tellement de mal à y croire que je ne sais même pas par où commencer. Je m’humidifie les lèvres, observant Kyet qui creuse le sable au bord de l’eau.

— On est allés boire un café au restaurant de l’hôtel et au début je pensais qu’elle ne me regardait pas dans les yeux, car elle était gênée par ce qu’elle avait vu.

Je décide de commencer par le commencement. C’est la manière la plus simple pour qu’il puisse comprendre plus facilement l’horreur de la situation. Je le sens qui se crispe légèrement, mais il ne dit rien et ne fait rien, il m’écoute simplement.

— On a eu du mal à se lancer, je ne voulais pas la blesser, tu comprends ? Malgré tout, c’est la mère de Kyet.

Ses mains tracent des lignes imaginaires sur mes avant bras et je me focalise dessus pour pouvoir continuer de lui raconter toute l’histoire. Je prends un ton détaché, comme si cela ne me touchait pas, alors qu’au fond je suis complètement détruit.

— Quand elle m’a demandé si déjà à l’époque c’était de toi que je parlais, je lui ai tout raconté, je lui ai dit combien je t’aimais à l’époque et combien je t’aime encore aujourd’hui. 

Sur son profil, je peux voir un petit sourire apparaître et je comprends alors que même s’il avait peur d’annoncer notre histoire, le fait que j’annonce haut et fort que l’on s’aime, cela lui plait beaucoup. 

— Elle s’est soudain mise à pleurer et à s’excuser et je ne comprenais pas jusqu’à ce qu’elle m’avoue la vérité.

 Ma voix flanche légèrement et Frank se colle un peu plus à moi, rapidement je vérifie que Kyet n’est pas à portée d’oreille avant de lâcher la bombe. 

— Je ne suis pas le père biologique de Kyet.

— Quoi !!!

Frank se redresse brusquement dans mes bras sous le choc. Kyet se fige et nous observe un moment avant de reprendre son activité et je soupire doucement. Lentement et en douceur, je ramène Frank contre mon torse, l’empêchant de se retourner pour me faire face. L’histoire n’est pas terminée et je veux continuer à le tenir dans mes bras pour pouvoir finir. 

— Reste tranquille contre moi. 

Il hésite un dixième de seconde avant de se laisser aller contre moi. Il prend juste ma main et la porte en douceur à ses lèvres essayant de me réconforter du mieux qu’il peut et je souris doucement car à cet instant, il a complètement oublié qu’il reste du monde sur la plage. 

— Le père du bébé, elle a couché avec lui quelques jours après… notre dernière fois sans aucune protection. Au début, il lui a promis qu’il serait présent, qu’ils se marieraient et elle l’a caché à ses parents aussi longtemps que possible. 

Même si je savais que nous n’étions pas exclusifs, qu’elle avait d’autres amants, quand elle était venu me voir en déclarant que j’étais le père, les dates coïncidaient tellement bien que je ne me suis pas posé de questions. Je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse mentir à ce point. 

— Mais alors pourquoi elle a fait passer Kyet pour ton fils ?

Il se pose exactement la même question que moi plus tôt et je lui réponds d’une voix basse et pleine de colère. 

— Ce mec l’a planté quand elle était enceinte de six mois. Ses parents l’ont découvert peu de temps après et ont commencé à lui mettre la pression pour qu’elle leur révèle qui était le père. 

Je soupire car d’un côté, j’ai presque pitié d’elle, malgré le mal qu’elle a pu faire, elle s’est retrouvée acculée et a juste trouvé la solution la plus simple pour elle.  Mais de l’autre côté, la colère me submerge quand je pense à toutes les épreuves que l’on a dû subir à cause d’elle et de ses choix et j’ai du mal à contenir mes larmes. 

— Elle me voyait encore comme le gars gentil avec elle et elle s’est persuadée qu’elle était amoureuse de moi. Elle s’est dit que le bébé ferait le reste et que l’on formerait une belle et heureuse famille. 

Je suis heureux d’avoir Kyet dans ma vie, il m’a apporté énormément de chose, même si l’avoir a signifié en perdre d'autres.

— Je comprends pas, tu lui as dit que tu aimais quelqu’un, que tu n’étais pas seul. Pourquoi elle a quand même insisté ? 

Frank est autant en colère que moi, son corps s’est raidi au fur et à mesure de mon explication et sa voix est blanche et dure. 

— Elle a cru que je mentais parce que… je ne lui ai jamais présenté la personne que j’aimais tellement. 

Il frissonne entre mes bras et je sais déjà ce qu’il est en train de penser. J’embrasse tendrement sa tempe et caresse ses cheveux doucement avant de parler à son oreille. 

— Ce n’est pas de ta faute mon coeur. Tu n’es pas responsable de ses choix. Elle aurait pu accepter que je ne l'aime pas et arrêter cette comédie, d’accord ? 

Il hoche lentement la tête et je craque, je le force à tourner la tête et je l’embrasse doucement. Son corps se détend petit à petit contre moi jusqu’à ce qu’il soupire contre mes lèvres. 

— Drake… 

Le silence retombe, il n’y a pas grand chose à dire de plus. Frank est complètement avachi contre moi sans prendre en compte ce qui nous entoure. Il réfléchit sûrement à tout ce que je viens de lui dire, il doit prendre le temps de digérer les informations. Un éclat de rire nous fait tourner la tête, Kyet est en train d’observer un coquillage qu’il a levé vers le soleil et soudain, Frank se redresse et se tourne vers moi pour me regarder, les yeux écarquillés. 

— Elle ne va pas t'empêcher de le voir, n'est-ce pas ? 

Sa question est légitime, après tout, je l’ai reconnu, mais il suffirait d’un simple test de paternité pour qu’un tribunal m’en enlève la garde. Seulement, elle a fait bien pire que de me priver de mon fils. Rien que d’y penser, la colère déferle dans mes veines une nouvelle foi et je cache un moment mon visage contre sa nuque pour prendre le temps de me calmer et je commence à lui expliquer sans bouger.

— Après s'être excusée pendant un très long moment, elle m'a expliqué qu'elle... qu'elle... elle ne supporte plus son rôle de maman. Elle ne le désirait pas vraiment, elle l’aurait sûrement abandonné, si elle n’y avait pas vu une manière de se rapprocher de moi. 

Je le sens se tendre à nouveau contre moi alors qu'il comprend petit à petit ce que je suis en train d'expliquer. Je n’ai jamais levé la main sur une femme, pourtant tout à l’heure, quand j’ai compris qu’elle comptait abandonner Kyet, j’ai eu envie de la gifler.

— Elle est en train de faire ses valises pour rentrer à Bangkok. Elle va abandonner ses droits sur Kyet et m’en laisser la garde.

— Comment est-ce qu'elle peut faire ça... 

Il est ébahi par ce qu’il entend, comme moi il ne comprend pas qu’elle puisse abandonner son fils. Il se met sur ses genoux pour me faire face puis il me prend le visage entre ses mains. 

— Je serai là, avec toi Drake, je te soutiendrai quoi qu'il arrive d'accord ?

Son ton confiant me redonne le sourire et je pose mes mains sur sa taille alors qu’il m’attire et m’embrasse à nouveau. Je me perds contre ses lèvres, je le laisse effacer la tristesse, la colère et la peur sous ses baisers et pendant quelques secondes, on semble être dans une bulle à l’écart du monde. 

— Pa ! Pa ! 

On sursaute tous les deux, surpris d’entendre la voix de Kyet juste à côté de nous. Frank cherche à s’éloigner, mais je le ramène rapidement dans mes bras car il est hors de question de cacher quoi que ce soit au garçon. Ce dernier nous regarde la tête légèrement penché sur le côté comme s’il essayait de comprendre puis un large sourire vient orner ses lèvres. 

— Pa est amoureux de tonton. 

Frank rougit alors que moi, mon sourire s’agrandit et je l’attrape pour le prendre dans mes bras. On se retrouve dans un calin collectif et là tout de suite, je me rends compte combien je suis heureux de pouvoir serrer les deux hommes de ma vie dans mes bras. Rapidement, j'entrevois notre avenir et il est radieux. 

— Oui mon chéri, Pa aime énormément tonton. 

Frank est gêné et inquiet de la réaction du petit, surtout que celui-ci devient particulièrement sérieux.

— Mais moi tu m’aimes le plus ? 

Il semble légèrement inquiet, il n’a jamais eu à partager mon amour et même s’il aime déjà beaucoup Frank, il veut me garder pour lui. 

— Je t’aimerai toujours grand comme la mer. 

Je lui montre l’océan du doigt et ses yeux pétillent de malice et de soulagement. 

— Et tu sais quoi, je suis sûr que tonton t’aime aussi énormément.

Le garçonnet se redresse pour regarder Frank, attendant vraisemblablement qu’il lui annonce à quel point il l’aime et moi je dois me mordre la lèvre pour ne pas rire. 

— Je t’aime comme… le ciel. 

J’aime sa comparaison et je ne peux pas m’empêcher de sourire. Je suis la mer, il est le ciel et on se retrouve à l’horizon ensemble, indissociable. Les yeux du petit garçon se posent sur le ciel et ses yeux pétillent alors qu’il se redresse pour faire face à Frank.

— Tu aimes Pa aussi ?

Je me retiens difficilement de rire alors qu’il semble vouloir s’assurer qu’il ne me blessera pas. Frank est surpris, il me lance un petit regard en coin avant de hocher la tête.

— J’aime très fort ton Pa et je t’aime très fort aussi. 

Il caresse la tête de Kyet avec douceur et tendresse et le sourire du garçon s’agrandit avant qu’il ne lui saute au cou. Je les observe, un peu en retrait, laissant les deux s'apprivoiser, mais je n’ai aucun doute sur le fait que bientôt, on formera une famille unie. 

— Tiens, mon trésor, parce que je t’aime aussi. 

Très sérieusement, Kyet tend un coquillage en forme de spiral, aux couleurs dans un dégradé de marron irisé. Frank le prend avec délicatesse avant de se pencher pour embrasser la joue rebondie du garçon. 

— Merci.

Kyet rit avant de se lever pour repartir en courant sur le sable afin de creuser pour découvrir d’autres beaux trésors à offrir. Frank reste silencieux, tournant le coquillage entre ses doigts, un air mystérieux sur le visage. 

— Il est vraiment adorable.

— Il est heureux ici. 

Il était heureux aussi à Bangkok, mais le voir jouer tranquillement sur la plage, me donne à penser qu’ici le départ de sa mère sera moins douloureux. On pourrait être heureux ici, vivre une belle vie et alors... 

— Je n’ai pas envie de retourner à Bangkok.

Frank, qui s’est réinstallé dans mes bras, lève les yeux vers moi et sourit tendrement. 

— Tu pourrais venir vivre chez moi. Mes grand-parents adorent Kyet et ils seraient heureux de vous avoir à la maison.

L’idée est plaisante, mais je me renfrogne rapidement.

— Tu veux aller à l’université à Bangkok, je ne veux pas que tu mettes encore tes rêves de côté pour moi. 

Je suis sûr que l’on peut garder l’idée d’origine, vivre encore quatre ans à la capitale, puis revenir ici une fois que Frank aura eu son diplôme. Frank quitte soudain mes bras et se relève en me tendant la main. Je fronce un instant les sourcils avant de la saisir et de le laisser m’aider à me relever. J’enlève le sable collé sur mon pantalon et on rejoint tranquillement Kyet en se prenant la main. 

— Je voulais aller à Bangkok pour être avec toi, mais je n’abandonnerai pas mon rêve si tu restes, il y a une très bonne université à Phuket, c’est à une heure de ferry d’ici.

— Pa ! Tonton ! J’ai faim !

On éclate de rire quand le ventre de Kyet nous rappelle à l’ordre et il court vers nous. Sans hésiter, il se met entre nous et prend chacun nos mains.

— Alors, allons chercher nos affaires à l’hôtel et commençons dès maintenant notre nouvelle vie. 

Frank est heureux et on se regarde un long moment avec amour alors que l’on fait se balancer Kyet entre nous deux. On m'interpelle quand on arrive à l’accueil de l’hôtel, je laisse un instant Frank et Kyet ensemble et rejoint le personnel qui semble un peu perplexe. 

— Mme Darunee nous a demandé de vous transmettre sa clé afin de pouvoir récupérer les affaires de votre fils. Elle a également réglé la note et vous a laissé cette lettre.

Je récupère la clé magnétique et l’enveloppe en prenant une profonde inspiration. 

— Merci, nous allons rendre les chambres dès ce soir. 

Je m’incline légèrement avant de rejoindre mes deux hommes d’une démarche de somnambule. Frank me saisit la main et me guide jusqu’à l’ascenseur. On reste silencieux alors que je fixe l’enveloppe où mon nom est écrit de l’écriture fine de Aim.

— Donne-moi la clé de la chambre, je vais récupérer les affaires de Kyet, occupe-toi de tes valises, d’accord ? 

Je hoche la tête, un peu dans la lune, et remarque à peine qu’il s’agenouille à côté du petit pour lui parler. 

— Tu veux bien venir avec moi pour ranger tes affaires ? Ça m'aiderait beaucoup.

— Oui. 

Il ne comprend pas bien ce qui est train de se passer, on lui avait dit que l’on ne partait que demain et soudain on fait nos valises pour quitter l'hôtel. L’absence de Aim doit l’intriguer, même si pour le moment, il n’a posé aucune question, il faudra bien que j’y réponde à un moment donné. 

Frank s’éloigne et pénètre dans la chambre qui était celle de Aim en questionnant Kyet sur un sujet que j’ignore. Je prends une profonde inspiration avant de pénétrer à mon tour dans ma chambre. Le ménage a été fait, tout a été rangé et je ne peux pas m’empêcher de rougir en me souvenant de l’état dans lequel on a mis les draps la nuit dernière. 

Cependant, l’enveloppe que je tiens dans mes mains coupe court à toutes idées sexuelles avec Frank. Je m’assoie au bord du lit et l’ouvre les mains tremblantes et si l’enveloppe est grande, la feuille qui tombe sur mes genoux à plus la taille d’un post-it. 

Je suis encore une fois désolée. J’espère que tu seras heureux maintenant.
Je ferai tout pour l’être à partir d’aujourd’hui.
Adieu
Aim

J’ai un rire nerveux alors que le papier s’échappe de mes mains. J’arrache presque l’enveloppe en deux pour vérifier qu’il n’y a rien à l’intérieur, mais rien, même pas un courrier pour Kyet plus tard, pas un mot à propos de son fils. Elle est égoïste, elle ne pense qu’à elle, à son bonheur et n’hésite pas à blesser les gens autour d’elle pour l’obtenir. 

Je pourrais rester un long moment à la maudire, à pester contre son comportement, mais cela ne la ferait pas devenir une bonne mère pour autant. Je me lève alors soudainement, je jette les feuilles et l’enveloppe à la poubelle et sors alors ma valise que je commence à remplir avant de quitter la chambre sans un regard en arrière. Dans le couloir, Frank et Kyet m’attendent en riant tous les deux et ils tournent la tête dans un même mouvement quand ils m’entendent. 

— Tu es prêt ?

Frank se redresse en me souriant et je me précipite vers lui, je l’attire contre moi et l’embrasse tendrement, scellant ainsi notre avenir et abandonnant le passé qui me met encore trop en colère. 

— Allons-y. 

Je porte Kyet d’un bras et tire ma valise de l’autre, suivant Frank qui nous guide pour rejoindre notre nouveau chez nous.