• Chapitre 3

    Chapitre 3
    La Lumière Dans Le Noir

    La journée a été éprouvante et le client beaucoup trop pointilleux. Je ressors las à la nuit tombée, les épaules voûtées, fatigué par toutes les émotions qui m’ont maintenu sur le qui-vive à chaque instant. La seule chose positive pour moi, c’est que les heures de bureau sont passées et que, même s’il y a encore un peu de monde, je devrais pouvoir rentrer chez moi sans problème. 

    J’avance pour rejoindre l’arrêt des taxis, je pense déjà à ce que je vais acheter pour manger ce soir et à combien de câlins je vais devoir faire à Phuaan pour me faire pardonner ma journée d’absence.

    — Hey Sea !

    Je me fige en entendant quelqu’un m’appeler, ce n’est pas le genre de choses qui arrive tous les jours. Je peux même dire sans exagérer que cela n’arrive absolument jamais. Je tourne sur moi-même pour trouver d’où venait l’appelle, me disant qu’avec la fatigue, je l’ai peut-être tout simplement rêvé et cela aurait du sens. 

    Et puis sur ma droite, je le vois, installé confortablement, mon sauveur qui me sourit laissant de nouveau apparaître ses fossettes, faisant naître la chaleur au creux de mon ventre. Quand nos regards se croisent, il me fait un petit signe et je lui réponds timidement. 

    J’hésite un instant sur ce que je dois faire. Continuer ma route ? Aller le rejoindre ? Rester planter là bêtement en attendant qu’il vienne me voir ? Finalement mon corps décide pour moi, puisque je fais un premier pas dans sa direction, puis un deuxième et je me retrouve finalement planté face à lui. 

    — Tu m’attendais ?

    Il y a sûrement une autre raison qui expliquerait cette nouvelle coïncidence. Pourquoi m’aurait-il attendu ? Ça n’a aucun sens, on ne se connait pas et il n’a aucune raison de m’attendre sans savoir quand j’allais sortir. Pourtant, sa gorge laisse échapper un “Hmm” distinct alors qu’il hoche la tête. 

    Je suis sous le choc, ma bouche s’entrouvre et je ne sais pas quoi dire. Je l’observe en espérant trouver une réponse sur son visage, mais il se contente de sourire mystérieusement. Je me gratte la tempe, ne sachant pas si je dois me réjouir ou bien avoir peur de ce qui est en train de se passer. 

    — Allez, assieds-toi.

    Je suis debout, immobile devant lui depuis quelques minutes et il finit par perdre patience. Il attrape mon avant-bras et tire dessus pour me forcer à le rejoindre. Il me relâche et c’est un mélange très fort de soulagement et de déception.

    — Tu attends depuis longtemps ?

    Je m’installe confortablement, laissant une distance raisonnable entre nous deux. Il fait mine de réfléchir et moi je fronce légèrement les sourcils. Cet homme est étrange, il ne me fait pas peur, il ne me blesse pas quand il me touche, mais je ne comprends pas pourquoi il semble si intéressé par moi. 

    — Depuis que tu es descendu du taxi. 

    La réponse me donne une sensation étrange dans la poitrine alors que je m’étouffe soudain avec ma salive. Il m’a attendu là toute la journée. Je tousse en essayant de reprendre mon souffle, les larmes me montent aux yeux et quand il me tapote légèrement le haut du dos, j’ai l’impression que je vais vraiment mourir. 

    — Pour… Pourquoi ?

    Entre deux quintes de toux, j'arrive à lui poser la question. De nouveau, il semble y réfléchir et de nouveau son petit sourire apparaît sur son visage. Sa main frotte machinalement mon dos et je me surprends à apprécier ça.

    — Je n’ai pas pu te dire comment je m’appelle.

    Je le regarde en silence, la bouche entrouverte, et je ne sais pas s’il se moque de moi ou pas. Comment peut-on attendre une personne pendant toute une journée, juste pour lui dire son prénom. C’est… étrange.

    — Et comment tu t’appelles ?

    Je préfère ne pas lui poser de question sur son attitude qui pourrait être légèrement effrayante et le questionne plutôt sur son identité. J’avais moi-même regretté de ne pas lui avoir demandé plus tôt, alors c’est l’occasion de pouvoir enfin mettre un nom sur la personne qui hante mes pensées depuis que je l’ai rencontré. 

    — Jimmy

    — Et bien, enchanté Jimmy.

    Je lui souris en faisant un petit signe de tête, mais une fois de plus, il se montre beaucoup trop amical et tactile avec moi. Il ne le fait pas exprès, ça semble faire partie de sa personnalité, mais quand il me tend la main, je me raidis et malgré moi, je colle mes mains contre mon torse pour me protéger. 

    Il m’observe un instant en fronçant les sourcils avant de baisser lentement sa main. Je m’humidifie les lèvres, un peu nerveux et n’aimant pas vraiment l’expression sur son visage. Il faut dire, toute la journée, il m’a touché, que ce soit pour me sauver la vie, me servir d’oreiller ou même m’aider à reprendre ma respiration. Seulement, à chaque fois, il y avait la barrière des vêtements et je ne sais pas comment je réagirais en touchant réellement sa peau. Est-ce que je serais déçu, si soudain les symptômes apparaissaient en lui serrant la main ?

    — Je suis désolé…

    Je murmure dans une ambiance largement refroidie et teintée d’embarras de notre part à tous les deux. Je me gratte nerveusement la nuque, hésitant sur ce que je dois faire. Une grande partie de moi pense qu’il vaudrait mieux que je me lève et que je fuis. Certes, c’est agréable de parler à quelqu’un, mais s’il connaissait la vérité, il me regarderait différemment. C’est ce que veut une plus petite partie de mon esprit, lui dire pourquoi j’ai refusé de lui serrer la main, mais c’est effrayant. 

    J’ai vécu dans la peur la plus grande partie de ma vie. Tant et si bien que je ne me souviens qu’à peine de ma vie quand je n’étais qu’un enfant insouciant qui bravait tout en riant. Ce petit garçon me semble être un autre, un rêve que j’aurais pu faire et qui n’est absolument pas moi.

    Je me redresse en me tournant légèrement vers lui et nos regards se croisent, mes mains tremblent et s’agrippent à mon pantalon, mais je suis déterminé. Oui, il m’intrigue, oui je me sens bien près de lui, en sécurité. Cependant je le connais à peine, alors s’il venait à quitter ma vie, ça ne changerait pas grand chose pour moi. Autant s’en assurer maintenant que souffrir plus tard. 

    — Je souffre d’une phobie… étrange. Je ne supporte pas que l’on me touche ou de toucher quelqu’un. 

    J’ai tout déballé d’un trait, rapidement, et maintenant je retiens presque ma respiration en attendant sa réaction. Dans ma vie, seuls ma tante, mon patron et le psychiatre qui me suit depuis mes douze ans sont vraiment au courant de mon trouble. 

    Il m’observe en fronçant les sourcils, la bouche entrouverte et je vois bien qu’il tente de donner un sens à mes paroles. Le silence s’éternise et je sens la nausée me serrer la gorge. Évidemment qu’il ne peut pas accepter ma bizarrerie, il doit certainement chercher une manière de me fausser compagnie. Pour ça je peux l’aider, je peux partir en premier, ce sera moins difficile pour nous deux. Au moment où je fais un mouvement, prêt à me lever, il reprend la parole. 

    — La petite fille te tenait la main… c’est pour ça que tu as réagi si vivement ?

    Je tourne timidement la tête vers lui avant de la hocher doucement. Cependant, il garde la même expression, les yeux perdus dans le vide comme s’il tentait de comprendre tout ce que cela impliquait.

    — Quand je touche quelqu’un ou quand quelqu’un me touche… je panique, j’ai du mal à respirer et j’ai la sensation que la zone touchée brûle et se couvre de boutons…

    C’est loin d’être glamour, je ne sais pas pourquoi je lui donne autant de détails, c’est ridicule. Je me lève brusquement et du coin de l'œil je le vois faire un geste pour me retenir avant qu’il ne se ravise. 

    — Mais… je t’ai tenu plusieurs fois… je t’ai fait mal ?

    Il se lève à son tour après avoir posé cette question et tente de croiser mon regard, mais je l’évite consciencieusement. Je n’ai pas vraiment de réponse à lui donner, ce n’était encore jamais arrivé et je ne sais pas si cela signifie que maintenant je peux toucher les gens si ce n’est pas en contact direct ou bien Jimmy ne serait qu’une étrange exception. 

    — Tu… tu ne m’as pas fait mal, mais je ne sais pas pourquoi.

    Il souffle de soulagement avant de retrouver le sourire et il se frotte rapidement les cheveux se décoiffant totalement, mais il ne semble pas s’en soucier. Sans y réfléchir, je lève la main pour remettre une mèche de cheveux qui est pratiquement droite sur sa tête. Nos regards se croisent et je deviens cramoisi. 

    — Je… c’est que… tes cheveux…

    Il éclate de rire alors que je tente de me justifier sans y arriver. Il récupère son sac et le mien qui était toujours posé et commence à marcher vers les taxis alors que je tente de justifier mon geste, plus gêné que jamais. 


    Je me suis laissé guider. Jimmy nous a rapidement trouvé un taxi qui nous ramène maintenant vers chez nous. Il n’a pas vraiment demandé plus d’explications, il n’a pas cherché à savoir d’où ce mal me vient et j’en suis content, je n’ai pas envie de devoir mettre des mots dessus, surtout après cette journée éprouvante. 

    Seulement, l’idée de savoir si je peux le toucher ne me quitte pas, j’ai peur, mais la curiosité est bien plus forte. Imaginer avoir dans mon entourage une personne que je pourrais approcher sans crainte me donne un espoir un peu fou alors que je le connais à peine. 

    J’essaie de repousser l’idée en trouvant un sujet de conversation neutre, mais ce n’est pas vraiment facile, parce que je vis à l’écart de la société depuis bien trop longtemps. Je me tiens au courant de beaucoup de choses, mais ce n’est pas la même chose que de les vivre au quotidien alors que je suis enfermé dans mon donjon. 

    — Au fait, tu n’avais pas quelque chose de plus important à faire que de m'attendre aujourd’hui ?

    Il repose sa tête contre l’appui tête avec un petit sourire amusé, avant de sortir son téléphone et de rapidement envoyer un message. Puis il tourne la tête vers moi et mon cœur s’emballe. C’est ridicule, je ne le connais pas, alors pourquoi je semble un peu trop apprécier sa présence. 

    — Je devais retrouver ma sœur, elle va se marier bientôt et je devais l’aider à trouver un cadeau pour son futur mari. 

    Mes yeux s’agrandissent, je me redresse et je me sens coupable de l’avoir empêché de vaquer à ses occupations. D’accord, je ne l’ai pas obligé à attendre, mais je ne peux pas m’empêcher de culpabiliser en pensant à sa sœur en train de l’attendre alors qu’elle prépare le plus beau jour de sa vie. 

    — Mais pourquoi tu n’y es pas allé ?

    — Parce que tu m’intrigues et je ne savais pas comment j’aurais pu te revoir sinon.

    Il me répond du tac au tac comme s’il s’était préparé à cette question et c’est peut-être le cas, il a eu du temps pour réfléchir pendant qu’il m’attendait. 

    — Ta sœur a dû être déçue.

    — Ne t’inquiète pas, elle a compris. Tu as quel âge Sea ?

    Je fronce les sourcils, comment ça, elle a compris ? Qu’est-ce qu’il a pu lui dire pour qu’elle comprenne ? Il ne me laisse cependant pas vraiment l’occasion de chercher à comprendre, car il a aussitôt enchaîné avec une question me concernant.

    — J’ai 24 ans.

    — Oh, alors je peux t’appeler Nong.

    Il a un petit sourire en coin satisfait et au lieu de lui retourner la question, je me contente de le contempler. Je note chaque détail de son visage et l’envie de découvrir si je peux réellement le toucher sans être malade me revient en mémoire.  

    — Phi, est-ce que je peux te toucher ?

    Mais qu’est-ce qui me prend ? Je vois le regard du chauffeur à travers le rétroviseur, je sens celui de Jimmy alors que je baisse la tête en rougissant et me maudissant de ne pas avoir réussi à garder ma question pour moi. 

    — Je veux dire, je peux vérifier… que te toucher ne déclenche pas mes symptômes ?

    Je me mords la lèvre alors qu’en essayant de m’expliquer, je ne fais que compliquer la situation, la rendant encore plus déplacée et le reste du trajet se fait dans un silence pesant, même si régulièrement, j’entends Jimmy pouffer de rire. 

    Je bondis hors du taxi en laissant mon sauveur payer, je serais bien incapable de croiser le regard du chauffeur. Je me mets dans un coin éloigné, ne voulant pas me retrouver au milieu de la foule et risquer de me faire toucher par qui que ce soit. 

    Jimmy revient rapidement, les mains dans les poches, un petit sourire aux lèvres, il est beau. Je me mords l’intérieur de la joue, je dois vraiment arrêter de penser à des choses comme ça. Je me connais, je ne sais pas garder ce que je pense sur le moment pour moi et je ne peux pas en plus lui dire ce genre de choses, ce serait beaucoup trop pour une première vraie rencontre. 

    — Tu as mangé ?

    Il secoue la tête et je soupire. Évidemment, il est resté assis toute la journée à m’attendre, il n’a pas dû oser s’éloigner de peur de me louper. C’est vraiment n’importe quoi ! 

    — Laisse-moi t’inviter à manger, alors.

    — Chez toi ?

    — Hmm

    — Tu ne vas pas en profiter pour essayer de me toucher ?

    Je me sens rougir alors qu’il se moque ouvertement de moi. Il éclate de rire et je ne peux pas m’empêcher de le suivre. Après tout, maintenant que j’ai fait cette bêtise, autant l’assumer et en rire, non ?

    — Je suis d’accord, mais à une condition ?

    Une condition ? Je l’invite à manger, mais il a une condition. Il est peut-être allergique à quelque chose et alors oui, il vaut mieux qu’il me le dise, ce serait malheureux que je le tue en tentant de le nourrir. Et puis, je ne suis pas sûr de pouvoir survivre à une arrestation. J’ai un violent frisson rien que d’y penser. 

    — Tu as des allergies ?

    — Quoi ?

    Il me regarde sans comprendre et on reste un moment à s’observer, essayant chacun de deviner à quoi pense l’autre. Je ne suis pas très doué à ce jeu en tout cas, car tout ce que je vois, ce sont ses yeux sombres fixés sur moi. 

    — Viens avec moi samedi, faire une sortie.

    — Non… ce n’est pas une bonne idée… C’est…

    Il attrape la manche de mon sweat et la secoue doucement, faisant bien attention à ne pas me toucher alors qu’il me regarde, presque suppliant de dire oui. 

    — S’il te plaît… Nong, viens avec moi. 

    Je me mordille la lèvre nerveusement, une fois de plus, mon esprit est scindé en deux, entre la partie qui veut foncer et l'accompagner et celle qui veut se réfugier en sécurité sous ma couette. Encore une fois, je me trouve plus courageux que je ne le pensais car je hoche la tête. 

    — D’accord.

    Aussitôt, Jimmy soulève mon avant-bras et avant que je ne puisse comprendre ce qui se passe, ma paume se pose sur sa joue. Je prends une profonde inspiration alors que ma paume semble irradier de chaleur. 

    Il y a un instant de silence puis j’ai un petit éclat de rire alors que les étranges picotements dans ma peau sont agréables. Sans trop réfléchir, je pose ma deuxième main sur sa joue, mon pouce caresse le haut de sa joue. Je suis trop focalisé sur ce qui est en train de se passer pour voir le regard tendre que Jimmy me porte. 

    — Est-ce que ton invitation tient toujours ?

    Sa voix me sort d’un doux rêve, je serais sûrement resté ici des heures à caresser ses joues s’il n’avait pas parlé. Je réalise alors que je suis trop proche de lui, dans une position qui pourrait porter à confusion pour les passants. Je retire brusquement mes mains, les cachant derrière mon dos en rougissant. 

    — Bien sûr, suis moi. 

    Je pars d’un pas vif, en serrant mes mains l’une contre l’autre pour tenter de conserver la sensation de la douceur de la peau de Jimmy sous mes doigts le plus longtemps possible. Mes joues me font mal à force de sourire, mais cette journée qui avait si mal commencée, se termine sur une note d’espoir de retrouver un semblant de normalité grâce à la présence de Jimmy.



  • Commentaires

    4
    Samedi 3 Décembre 2022 à 16:14

    Trop mignon (✿◠‿◠)

    3
    Samedi 3 Décembre 2022 à 15:04

    Ah oui quand même!!!!!! Rester toute une journée pour être sûr de ne pas le louper et sans manger, ça y est il est déjà en loveyes

    Le pauvre Sea, avoir une phobie comme ça doit vraiment être épuisant, il faut faire attention à chaque fois que tu sors.....

    C'est trop mignon le fait que Sea puisse toucher Jimmy....

    J'ai hâte de lire la suite et en plus ça doit être une première d'inviter quelqu'un chez lui....

    Et petite supposition, samedi est-ce que ce ne serait pas le mariage de la soeur de Jimmy? Quoi que non je pense que c'est encore trop tôt....je ne sais pas.....

    En tout cas j'ai quand même une question : Quel est le titre de cette histoire?? L'histoire de Sea et Jimmy?

    2
    Samedi 3 Décembre 2022 à 11:05

    Eh bien... j'aime vraiment beaucoup cette petite histoire !

    Merci pour ce nouveau chapitre =)

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