• Scène Vingt-et-un

    Scène Vingt-Et-Une
    Pran

    Pat est parti, mais son expression est encore présente dans mon esprit. Je serre les poings, incapable de supporter ce sentiment d'étouffement. Je voudrais pulvériser ce fichu mur, briser les préjugés stupides de ces adultes qui m'enchaînent la jambe, et courir pour attirer dans mes bras le type qui était sur le point de pleurer. C'est la faute à qui ? Quand cette guerre sans fin a-t-elle commencé ? Et combien de temps devrons-nous attendre pour qu'elle se termine ?

    — Pourquoi tu ne nous as jamais dit que tu vivais au même endroit que lui ?

    Mes lèvres sont pressées si fort qu'elles me font mal lorsque mon père pose la question de manière abrupte. Je garde les yeux rivés sur la porte et compte silencieusement de un à dix pour dissiper la fureur qui couve dans ma poitrine. "Pran ! Je te pose une question !"

    Ma patience s'effrite lorsque mon père crie et me tire l'épaule pour me faire face. Je me dégage de son emprise, montrant ainsi mon mécontentement. Papa semble décontenancé par ma réaction.

    — Je ne vois pas en quoi c'est mal.

    — Qu'est-ce que tu as dit ? murmure papa tout bas en serrant les dents.

    Maman m'appelle par mon nom pour tenter de me retenir. Mais je ne crois pas que ce soit moi qui doive me calmer.

    — J'ai dit, je ne vois pas en quoi c'est mal.

    — En quoi ce n'est pas mal ?! C'est pour ça que tu n'es pas rentré à la maison récemment ?!

    — Ça n'a rien à voir avec ça papa, répliqué-je alors que le niveau de colère de mon père monte. J'ai travaillé sur mes devoirs ici et j'ai géré mes responsabilités. Je ne me suis jamais mal conduit comme vous le croyez tous les deux. Et Pat n'a rien fait de mal. Qu'y a-t-il de mal à ce que nous soyons des amis ou des connaissances ?!

    — Pran !

    — Vous détestez tous les deux les parents de Pat, mais qu'est-ce que ça a à voir avec moi ?!

    — La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre !

    — Il ne vous a rien fait !

    Nous tremblons tous les deux, nos visages se tordent de rage. Nos mots ne veulent rien dire pour l'autre, et nous devenons de plus en plus bruyants à mesure que nous nous disputons. Nous ne pouvons rien faire d'autre que de crier parce que mes arguments ne collent pas avec leur ressentiment envers cette famille.

    — Je t'interdis de le voir.

    — Je m'en fiche.

    — Pran !

    — Quand est-ce que tu vas mettre tes préjugés de côté, papa ? Si tu ouvres ton cœur pour une fois, tu verras que Pat n'est pas si mauvais.

    — Je le sais maintenant. Tu n'as jamais répondu comme ça avant. De qui d'autre tiens-tu ce comportement, si ce n'est de ce sale gosse ?

    — Je ne peux plus supporter ces absurdités.

    — Je crois qu'il faut qu'on parle sérieusement des études à l'étranger. 

    La voix de mon père devient froide, et mon expression devient sévère. Je me souviens des paroles de papa pendant la première année de Pong en Angleterre. Il avait dit qu'il m'enverrait là-bas pour être avec lui. Je ne m'en souciais pas vraiment à l'époque puisque mes parents m'ont toujours laissé la liberté de décider de mon éducation, et je n'ai jamais voulu être loin de la maison. En plus, j'ai Pat maintenant.

    Je sais très bien que papa me menace… 

    — Qu'est-ce que tu veux dire ? 

    Bien que je sache exactement ce qu'il veut dire, je ne peux que poser la question d'une voix plus douce.

    — Ne m'oblige pas à faire ce que je ne veux pas faire. 

    Papa me regarde dans les yeux en silence. Quand il est sûr que je ne dirai plus un mot, il dit à maman, qui se tient à ses côtés, qu'il est prêt à partir. Papa sort de la pièce sans dire au revoir.

    La porte est claquée. Je ne bouge pas, regardant toujours devant moi l'endroit où se trouvait mon père. Un contact chaleureux se pose sur mon épaule, et je lève les yeux pour croiser le regard de maman.

    — Tu le comprends, n'est-ce pas ? Tout ce que ton père a fait, c'était pour ton bien. Cette famille est pleine de déshonneur. Je ne veux pas que tu les fréquentes.

    — …  

    Ça ne sert à rien de discuter.

    — Je vais partir maintenant. N'oublie pas les paroles de ton père, Pran.

    Je ne parle ni ne hoche la tête, je reste là jusqu'à ce que je sois seul dans la pièce. Je soupire et je m'écroule sur le canapé.

    Mes larmes sont si près de couler… 

     

    — Je suis désolé.

    Des excuses prononcées d'une voix coupable au téléphone, sans une once d'espièglerie, me font mal à la poitrine. Ça ne ressemble pas du tout à Pat.

    — Pourquoi tu t'excuses ? C'est moi qui ai tort.

    — Non, Pran.

    — Si je n'avais pas été déraisonnablement en colère contre toi, tu n'aurais pas insisté pour me voir.

    — Tu t'inquiétais pour moi. En quoi c'est mal ? J'ai agis comme un idiot.

    — … Tes parents ont dit quoi ?

    — Ils ont piqué une crise comme prévu. Rien de nouveau.

    — Hum… 

    — Tu fais quoi ?

    — Je vais me coucher. 

    Je lui dis la vérité en remontant la couverture au-dessus de ma taille pour couvrir ma poitrine. La chambre est étrangement froide. 

    — Et toi ?

    — Je suis sur mon lit. Ce n'est même pas un grand lit, mais il semble vide.

    — Je ressens la même chose. Mon lit est grand, mais maintenant il semble vraiment grand.

    Nos rires doux et sans joie se transforment rapidement en silence. Nous écoutons tous les deux la respiration de l'autre pendant un moment avant que Pat ne reprenne la parole.

    — Tu me manques, Pran.

    — … Hum, marmonné-je en agrippant la couverture.

    — J'ai tellement envie de te serrer dans mes bras.

    — J'ai aussi… 

    — … Pat !

    Je fais une pause, en entendant un cri distant de l'autre côté.

    — Je dois raccrocher. Je t'appelle plus tard. Ma mère frappe à la porte… 

    — Pourquoi tu n'ouvres pas la porte, Pat ?! 

    — Dans une seconde, maman ! Je t'appelle plus tard.

    Pat explique la situation à la hâte tandis que sa mère continue de crier. Après qu'il a raccroché, je pose mon téléphone tranquillement. Je regarde le plafond, en attendant que mon téléphone vibre à nouveau. Finalement, je m'endors et me réveille le matin pour constater qu'il n'y a pas d'appels manqués.

     

    — Qu'est-ce qui ne va pas, Pran ? demande Wai en tapant doucement sur mon genou. 

    Je lève les yeux du bureau. 

    — Rien… 

    — Rien, mon cul. Ça fait une semaine que tu as le moral à zéro. Tu t'es disputé avec Pat ?

    Je secoue la tête en guise de réponse. Les choses auraient été plus faciles si c'était juste une dispute avec Pat.

    — Est-ce que Pat s'est enfui avec quelqu'un d'autre ?

    — Putain, ça va pas ? Je vais te virer de la chaise.

    — Aw, tu es inquiet maintenant. 

    Analyse l'humeur, Wai, connard.

    — Tais-toi.

    Wai rit, heureux de réussir à me taquiner. 

    — Il s'est passé quoi ?

    — Je suis juste fatigué.

    — Qu'est-ce qui te rend si fatigué ? Tu as rattrapé ton manque de sommeil.

    — Ce n'est rien.

    Je m'allonge et pose mon visage dans le creux de mes bras sur la table. Wai soupire, mais je n'ai pas l'intention de poursuivre la conversation. Je ferme les yeux et me renferme sur moi-même. Je n'ai pas parlé avec Pat depuis cette nuit-là, et je n'ai pas réussi à le joindre du tout. Nos horaires de cours ne correspondent pas et il n'est pas facile de se croiser par hasard sur le campus.

    — Pran !

    SLAP !

    — Putain ! Ça fait mal ! 

    Je me relève d'un bond alors que Wai crie dans mes oreilles et me donne une claque dans le dos.

    — Je t'ai appelé plusieurs fois. Tu ne t'es pas relevé.

    — Qu'est-ce que tu veux, bordel ? dis-je en grimaçant et me frottant le dos. C'était ta main ou ton pied ?

    — Pat est là.

    — Hein ?

    Wai plisse les yeux et fait un geste vers la porte. Je suis son regard et vois le type en question qui se cache derrière l'entrée. Il tend le cou et me fait un sourire. Je me redresse et presse mes lèvres l'une contre l'autre, sentant à quel point son sourire est différent. Je sens un pincement dans ma poitrine, trop anxieux pour me mentir. J'expire et chuchote à mon ami.

    — Je reviens tout de suite… 

    Je fais semblant d'aller aux toilettes et traîne le gars d'une autre faculté vers un coin isolé près des escaliers.

    — Qu'est-ce que tu fais ici ? On est en plein cours. Tu auras des problèmes si quelqu'un te voit.

    — Tout le monde sait que toi et moi avons arrêté de nous battre.

    — Tout le monde ne le sait pas. Tu portes même ta chemise d'atelier. Les professeurs pourraient venir te trouver.

    — Je voulais te voir.

    Son expression déprimée quand il murmure ces mots m'arrête net. Je souris, renonçant à le réprimander. 

    — Vraiment.

    — En te voyant sourire comme ça, ça ne me dérange pas de me faire sermonner pendant trois jours.

    — Tu exagères.

    — Pran… 

    — Hmm ?

    — Je suis désolé de ne pas t'avoir contacté. Ma mère m'a surveillé. Elle a commencé à écouter aux portes récemment. Certains jours, elle a même pris mon téléphone.

    — Ce n'est pas grave. Par m'a envoyé un texto. Et je ne suis pas en colère contre toi.

    — Mais je suis en colère.

    — Pourquoi ?

    — Je suis en colère contre tout ce qui m'empêche d'entendre ta voix, d'être avec toi, de te câliner pour dormir.

    — … 

    — De te voir rougir et froncer les sourcils comme ça.

    — Tu t'es trompé de pilule ou quoi  ? demandé-je en repoussant sa main quand il touche ma joue. Tu es bizarre. 

    Mon visage est chaud à son contact.

    — Je n'ai pas pris de pilules. C'est pour ça que je me sens mal. Quand est-ce que je pourrai prendre ma pilule ?

    — Pat.

    — Je vais mourir.

    — Toujours en train de plaisanter. 

    Je ne parviens pas à étouffer mon sourire, me sentant un peu mieux puisqu'il peut encore faire des blagues. J'ai été inquiet pendant des jours parce qu'il était horriblement abattu. Pourquoi me regarde-t-il comme ça, d'ailleurs ? 

    — Qu'est-ce que tu regardes ?

    — Mon petit ami. Ça fait des jours que je n'ai pas eu l'occasion de te voir. Laisse-moi te regarder. Tu ne seras pas souillé par mon regard.

    — Quelle plaie.

    — Quoi ? Je parle gentiment et tu m'engueules. Je te taquine et tu m'engueules.  Tu es si difficile à satisfaire.

    — Retourne dans ta classe.

    — Je n'y retournerai pas. Je vais rester avec toi.

    — Ne sois pas ridicule, Pat.

    — Je dois rentrer à la maison juste après les cours. Je ne pourrai pas te voir à ce moment-là.

    — Pat, nous sommes à l'université.

    — Juste un bisou.

    Ce chien sauvage et malade se penche plus près et plisse les lèvres, ce qui ne va pas du tout avec son visage. Je garde mes lèvres fermées, ne le laissant pas me toucher comme il le désire, mais le gars devant moi n'abandonne pas. Il s'approche, braque son regard sur moi et gémit un peu. Mes sourcils se froncent. Je détourne les yeux, essayant d'ignorer son miaulement dans mes oreilles. Finalement, je cède. Je pose mes lèvres sur les siennes pendant un bref instant, puis je me recule.

    — Voilà. T'es content maintenant ?

    Pat lève un sourcil, incapable de cacher son sourire en coin. Je commence à rougir. 

    — Non, mais c'est suffisant pour l'instant, murmure-t-il à voix basse avant de se reculer. 

    Je recule immédiatement et regarde autour de moi, inquiet que quelqu'un puisse nous voir. 

    — Je m'en vais.

    — Ok. On en reparle plus tard.

    Pat acquiesce et m'envoie un baiser, puis il descend lentement les escaliers. Je le suis du regard, et il se retourne pour me faire un signe de la main.

    J'attends qu'il soit parti et je retourne dans la salle de cours. Mes amis agaçants me demandent avec un air taquin si je suis sorti pour faire caca, mais je m'en moque.

     

    Après notre rendez-vous imprévu, Pat m'a envoyé des textos de temps en temps. Il restait simple, me demandant seulement ce que je faisais, et Par me parlait en son nom quand il ne pouvait pas le faire lui-même. Ils doivent le surveiller de près. Cette pensée me dérange. Un gars qui aime autant la liberté que lui doit se sentir étouffé en étant ainsi enfermé.

    De plus… une des raisons pour lesquelles Pat a choisi de déménager est qu'il s'inquiétait de ma charge de travail et de mes déplacements. Après tout, c'était lui ou moi. Et je m'en voulais d'être aussi inutile.

    — Merci, dis-je en tendant l'argent au chauffeur du taxi vert garé devant chez moi. 

    Je sors de la voiture et je jette un coup d'œil furtif à l'autre maison tout en me dirigeant vers la mienne. Je n'ai pas dit à Pat que je rentrais chez moi puisqu'il n'a pas répondu à mon texto hier soir.

    — Je suis rentré.

    Je salue mon père, qui est en train de lire un livre sur le canapé. Il me regarde et replonge son regard dans le livre. Nous n'avons pas beaucoup parlé depuis ce jour-là, alors l'atmosphère autour de nous est tendue.

    — Oh, tu es rentré, Pran. 

    La voix de maman vient de la cuisine avant qu'elle n'apparaisse. 

    — Tu as mangé ?

    — Oui.

    — Mets tes affaires dans ta chambre et descends pour manger des fruits.

    — D'accord… 

    Ma réponse est simple. Papa et maman ne me regardent plus et ne me disent plus un mot. C'est gênant de se tenir ici, et je suis mal à l'aise pour entamer une conversation. Je n'ai jamais été dans ce genre de situation. Maintenant que j'y pense, je ne me suis jamais disputé avec mes parents au sujet de cette famille. Ça va être difficile.

     

    Je vérifie mon téléphone une fois que j'ai changé de vêtements. Pat ne répond toujours pas et ne lit pas mes textos. Sa mère a probablement pris son téléphone. Il n'y a personne en vue quand je jette un coup d'œil à l'autre maison, alors je sors sur le balcon. Je pose mes yeux sur le mur qui sépare nos deux résidences, plongé dans mes pensées. N'est-ce pas bizarre ? Deux familles se détestent alors qu'elles utilisent le même mur. C'est encore plus bizarre que Pat et moi ayons des sentiments l'un pour l'autre. Pourquoi devons-nous être liés l'un à l'autre ? Les choses auraient été plus faciles si nous avions ressenti la même haine que nos parents.

    Je reste là, à profiter de la brise du soir et de la vue sur les oiseaux et le ciel. Une Audi blanche flambant neuve s'arrête bientôt dans la cour de l'autre maison. Je regarde avec curiosité jusqu'à ce que Pat descende du siège conducteur. Son père est allé jusqu'à lui acheter une Audi en échange du fait qu'il reste à la maison et qu'il coupe les ponts avec moi.

    Mon sourcil s'agite, repérant quelqu'un d'autre dans la voiture. Mon cœur se serre car c'est une fille, apparemment. Pat n'a jamais eu d'amie féminine et n'en a jamais invité à la maison.

    Cela ne me dérangerait pas trop si Pat n'ouvrait pas la portière pour elle et n'attendait que la fille dans une robe aux couleurs douces en sorte. J'ai les jambes lourdes pendant qu'ils discutent et se sourient. C'est peut-être parce que je suis trop loin d'eux pour lire la signification du regard et du sourire de celui que j'appelle mon petit ami.

    Néanmoins, le fait qu'il l'ait emmenée chez lui est incontestable.

    Je sursaute lorsque Pat me remarque. Nos regards se croisent, mais je n'arrive pas à y voir clair. Il me semble qu'il est en état de choc. Pat s'agite comme s'il voulait dire quelque chose. La fille lui tape sur l'épaule et fait un geste vers sa maison. Sans réfléchir, je me retourne, rentre dans ma chambre et claque la porte du balcon.

    La pièce retombe dans le silence après une détonation retentissante. Je m'appuie contre le mur, confus, incapable de comprendre ce que je viens de voir. Mais qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi n'ai-je rien su de tout cela ? Est-ce la raison pour laquelle Pat semblait avoir beaucoup de choses en tête ces derniers temps ? Ma tête est submergée de suppositions négatives. Je commence à croire qu'il ne m'a pas contacté depuis des jours à cause de la fille.

    Que dois-je ressentir maintenant ? Que dois-je croire ?



  • Commentaires

    2
    Jeudi 20 Octobre 2022 à 11:56

    Merci pour ce nouveau chapitre, j'ai hâte de lire la suite, pauvre Pran :'( 

    Et je rejoins Yu9, les parents sont vraiment égoïstes et étroits d'esprit. 

    1
    Mercredi 19 Octobre 2022 à 18:31

    Les pauvres, séparés tout ça à cause d'une broutille et de l'égoïsme de leurs parents -_-

    Et un malentendu par dessus tout ça ^^'

    Merci pour ce nouveau chapitre !

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