• Chapitre spécial 3

    Chapitre Spécial 3
    La première rencontre

     

    La vie de lycéen était passée en un clin d’œil.

    Quand je rouvris à nouveau les yeux, j’étais sur le point de devenir un étudiant à l’université. 

    — Appelle-moi quand tu auras fini l’entretien, Kongpob.

    — Je vais bien, maman. Tu n’es pas débordée à l’usine ?

    Je protestais auprès d’elle car l’université dans laquelle je venais d’entrer ne se trouvait pas loin de chez moi. Pourtant, ma mère avait pris la peine de me conduire ici même si c’était complètement inutile. Mais elle avait insisté.

    — Allez, je n’aurai pas beaucoup d’occasions de faire ça. Tu restes au dortoir, non ?

    — Oui, maman.

    Je hochai la tête. Même si j’avais dit que l’université n’était pas loin de chez moi, j’avais demandé à ma mère de vivre seul. Elle avait accepté cette demande, et ce fut le premier pas pour elle de me lâcher la main afin que je puisse faire l’expérience du vaste monde - un oisillon qui s’envole du nid. C’était dans la nature d’une maman oiseau de s’inquiéter, je l’avais parfaitement compris.

    — Je t’appellerai quand j’aurai fini.

    Je changeais d’avis et sortit de la voiture une fois arrivé à destination. Elle me fit un léger sourire, comme pour me remonter le moral, puis s’en alla tandis que je restais là, à regarder.

    … Pour elle, peu importe mon âge, je serai toujours son petit garçon. Peut-être parce que j’étais le plus jeune de la famille, le seul fils qu’elle avait et qui venait d’entrer à l’université alors que mes deux sœurs aînées étaient diplômées. Elle s’occupait toujours de moi malgré son emploi du temps extrêmement chargé à l’usine.

    Notre famille était un fabricant et un exportateur de résine plastique. Bien qu’elle n’ait rien d’énorme, elle était stable, avec des commandes qui augmentaient chaque année et un grand potentiel d’expansion future. Il était naturel que quelqu’un prenne la relève et c’est pourquoi j’avais choisi de faire des études d’ingénieur.

    Je traversai les bâtiments et me dirigeai vers l’entretien de la faculté d’ingénierie. Une fois que je m’approchai, j’entendis le son de tambours et de chants provenant de sous le bâtiment où je me rendais. Je découvris rapidement la source de ce bruit.

    Une douzaine d’étudiants en t-shirts blancs et pantalons de pêcheur rouges étaient rassemblés et chantaient l’hymne de la faculté. Ils ne se contentaient pas de chanter à l’unisson mais dansaient comme des fous, sans se fatiguer, sous le regard des parents. Certains étudiants étaient tirés pour se joindre à eux dans cette “cérémonie d’accueil des nouveaux étudiants” que toutes les universités pratiquaient.

    … Je suis neutre par rapport à ces activités. Elles ne sont ni excitantes ni nouvelles pour moi, car j’avais déjà entendu parler de tels événements. Les nouvelles ne donnaient pas non plus une bonne image de cette “tradition”, surtout en ce qui concernait le “bizutage”.

    Je n’avais jamais compris le but de “SOTUS”. C’était juste un mot que les seniors utilisaient pour justifier leur abus de pouvoir envers leurs camarades plus jeunes, prétendant que c’était une tradition qu’ils devaient préserver alors que personne n’en connaissait la véritable signification. Parfois, cet exercice du pouvoir devenait excessif et violent. La faculté d’ingénierie était particulièrement connue pour cette pratique, étant la plus impitoyable.

    Lorsque je pensais devenir l’une des victimes de ce bizutage, je me sentais mal. Je détournais le regard de l’activité et me dirigeais vers la table d’inscription pour signer ma présence. Dès que je finis d’écrire mon nom, une voix se fit entendre derrière moi.

    — Kong !

    — M, quoi de neuf ?

    M était mon ami du lycée. Nous n’étions pas proches mais nous étions dans le même groupe, donc nous n’étions pas vraiment des étrangers. Il sourit largement, en voyant quelqu’un qu’il connaissait. Pourtant, son sourire changea lorsqu’il se souvint de quelque chose et il demanda, l’air surpris.

    — Tu t’es inscrit à ce cursus ? Tay m’a dit que tu allais faire de l’économie.

    Ce fut à mon tour d’être surpris et silencieux. Ce n’était pas seulement Tay ou M qui le savaient. Tous les amis de mon groupe savaient que j’aimais les chiffres, à en juger par mes excellentes notes en mathématiques. Bien que je me sois bien débrouillé en chimie, en physique et en biologie, en dépassant les scores moyens, un homme excellerait dans ce qui le passionne. Ainsi, les gens choisissent souvent leur domaine d’études en fonction de leurs préférences. Sauf… quand il y avait d’autres raisons, et c’était mon cas.

    — Je dois aider ma famille avec l’entreprise, donc l’ingénierie industrielle serait mieux pour nous.

    … La famille était la principale raison dans mon cas.

    L’activité de l’usine de granulés de plastique était en plein essor. Je n’étais pas étranger au mécanisme et au système de l’usine, mais ce que je savais ne pouvait pas être comparé aux connaissances sur l’ensemble du système industriel que j’étais sur le point d’apprendre pour pouvoir améliorer l’entreprise familiale. Je voulais aussi alléger leur fardeau quand ils me passeraient le flambeau.

    Mais au fond de moi, je ne pouvais pas nier le fait qu’il était difficile de laisser partir mon rêve. Parfois, j’avais encore en tête que je ne savais pas si j’avais fait le bon choix.

    M vit l’inquiétude sur mon visage et me tapa sur l’épaule pour me montrer son soutien.

    — Il faut que tu réfléchisses bien, mec. Quatre ans, c’est long quand tu fais quelque chose que tu n’aimes pas. Pourquoi tu n’en parles pas à ta mère ? C’est ton avenir.

    Le conseil de M me fit sombrer plus profondément dans mes propres pensées.

    … Je sais que si je lui disais, elle ne m’arrêterait pas. En premier lieu, elle ne m’avait pas forcé à faire des études d’ingénieur. C’est moi qui avait choisi, lors de la procédure d’admission, aucune des quatre facultés n’incluait l’économie. J’avais peur que si j’étais admis, je n’aie pas assez de cran pour suivre ma résolution. Cette peur pourrait être le témoin flagrant que je ne suis pas prêt à passer quatre ans comme étudiant à la faculté d’ingénierie.

    — Ceux d’entre vous qui viennent ici pour un entretien, une fois que vous avez fini de chanter, veuillez aller dans la salle d’attente.

    La voix d’une étudiante plus âgée traversa mon esprit alors qu’elle appelait les étudiants sous le bâtiment à se rendre à l’étage supérieur afin qu’ils puissent être interviewés par ordre alphabétique. Mon nom commençait par Kor Kai, la première lettre de l’alphabet thaïlandais, et j’étais donc l’un des premiers à être interrogé. Alors je me retournai pour le dire à M qui se tenait là, à attendre.

    — Montes en premier, je vais aux toilettes.

    — Ok. Ne sois pas en retard.

    M me regarda, inquiet, avant de monter à l’étage. Je m’éloignai du bâtiment, passant devant les élèves pressés de signer le registre de présence, et marchai paresseusement vers les toilettes, gagnant du temps. J’étais confus, debout à la croisée des chemins, ne sachant pas quelle direction prendre.

    Les toilettes à l’extérieur du bâtiment de la faculté étaient calmes. Il n’y avait qu’un seul type qui se lavait les mains. J’ouvris donc le robinet du lavabo pour me laver les mains à mon tour, avec l’envie de me passer de l’eau sur le visage, en espérant que cela me permettrait d’y voir plus clair. Je poussais un gros soupir, me sentant toujours accablé, et je m’arrêtai lorsque l’homme à côté de moi me demanda .

    — Tu es ici pour un entretien ?

    Je me retournai et regardai le type qui venait de fermer le robinet. Il avait un regard perçant et intense, mais son visage rasé de près le faisait ressembler à quelqu’un de mon âge. Pourtant, le tee-shirt rouge et les lettres sur la poitrine, prononçant “We are Engineers”, indiquaient qu’il s’agissait d’une personne plus âgée que moi dans la faculté. Il devait faire partie de l’équipe d’accueil des nouveaux étudiants que j’avais vue un peu plus tôt.

    — Oui.

    Je répondis et l’autre homme hocha la tête.

    — Ne t’en fais pas. Détends-toi et ne prends pas l’entretien trop au sérieux.

    L’autre en avait conclu que ma nervosité était due à l’entretien. Je n’étais pas du tout stressé à ce sujet. Avant que je ne puisse lui expliquer, il reprit la parole.

    — Quand je l’ai passé, les professeurs m’ont demandé si j’avais un animal de compagnie. Je leur ai dit que j’avais un Golden Retriever. Ils ont demandé le nom de l’animal, alors j’ai dit “Nok Yoong”. J’ai donné ce nom à mon chien lorsqu’il n’était qu’un chiot, parce qu’il avait plongé sa tête dans l’étang et mangé tous nos guppys. Ils ont ri et m’ont dit que j’étais accepté ! Puis ils m’ont dit d’attendre dehors… C’est tout.

    Le type qui partageait son expérience s’esclaffa et entreprit de me donner un conseil.

    — En fait, si tu as réussi les examens d’admission, tu peux te considérer comme admis. Cet entretien est juste un protocole pour s’assurer que tu vas étudier ici. Ne sois pas trop stressé.

    J’étais encore perplexe en écoutant l’histoire que je n’avais pas demandée. J’avais compris qu’il voulait bien faire, qu’il voulait m’aider à me détendre. De l’extérieur, il ressemblait à quelqu’un de sévère, mais il était bien plus gentil que je ne l’avais imaginé au départ. C’était peut-être cette gentillesse qui me poussa à lui demander ce qui me troublait à l’intérieur.

    — Euh, je peux te poser une question ? Pourquoi tu étudies l’ingénierie ici ?

    — J’ai réussi l’examen donc je suis là.

    La réponse franche ressemblait à une farce. Ça me fit changer d’avis. Je n’aurais pas dû attendre d’un étranger une solution à mon problème. Mais ma déception s’arrêta là lorsque l’homme commença les phrases suivantes qui formèrent un autre récit.

    — Lorsque j’ai passé les examens, j’ai choisi mes études au hasard. Je ne voulais pas étudier l’ingénierie. Pour moi, c’était pareil, peu importe ce que j’étudiais et où.

    Ces mots venaient de quelqu’un qui avait fait face à la même situation difficile que moi, alors, je lui demandai :

    — Tu n’aimes pas l’ingénierie ?

    L’autre gars secoua la tête et haussa les épaules.

    — Pas vraiment. C’était un peu difficile au début. Mais au bout d’un moment, je m’y suis habitué. Je pense que l’environnement m’a aidé.

    — L’environnement ?

    — Comment sont les choses ici. Le campus. La faculté d’ingénierie. Les amis et les professeurs. Les seniors et les juniors. C’est chaleureux et accueillant. Comment le dire… bien. On se sent comme à la maison.

    Cette perspective me fit réfléchir.

    … Ça devait être vrai. Maintenant que j’avais décidé de rester dans une résidence universitaire, cet endroit allait devenir ma seconde maison. Quatre ans. C’était aussi court que long. Assez long pour apprendre de nouvelles choses et acquérir de nouvelles expériences.

    L’environnement du campus ne me dérangeait pas. Il semblait convivial, peut-être à cause des activités que les étudiants plus âgés faisaient aujourd’hui. Ils s’occupaient de la surveillance et des activités récréatives. Bien que je ne comprenne pas le but de la cérémonie d’accueil des nouveaux étudiants, ce que je ressentais de leur part, c’est qu’ils avaient l’air ravis de nous accueillir au sein de la faculté.

    — … mais j’ai ensuite réalisé que ce que l’on choisit d’étudier et l’endroit où on le fait ont de l’importance. Chaque endroit a son propre plus, en fonction de ce que l’on choisit.

    La conclusion d’un homme expérimenté - du moins plus que moi - me sembla légitime et ne put être contestée.

    … On en gagne et on en perd. Si je choisissais la réalité, je devais renoncer à mon rêve. Peut-être que certaines personnes pouvaient faire les deux en même temps. Cela prendrait du temps et il ne m’en restait plus beaucoup. Maintenant, je devais décider de la direction à prendre.

    L’hésitation grandissante me fit peur et je ne pus m’empêcher de demander, confus.

    — Donc tu penses que c’est bien si je choisis d’étudier l’ingénierie ici ?

    — Eh bien. Je n’en sais rien. Tu pourrais ne pas aimer ça. Qui sait ce que l’avenir te réserve ?

    Cette suggestion n’était pas du tout utile. Elle me rendit encore plus confus et hésitant. Mais oui, qui sait ce que l’avenir nous réserve ? Si je marche sur le chemin dont j’ai rêvé, il me mènera au genre de bonheur dont j’ai besoin, n’est-ce pas ?

    Je soupirai et commençai à me pencher davantage vers l’économie, mais avant que je ne puisse rayer l’ingénierie de ma liste, l’autre homme poursuivit, et ce qu’il dit me surpris.

    — Si je devais choisir à nouveau, je choisirais encore de faire de l’ingénierie ici parce que je m’y plais.

    La réponse était simple mais différente, car son ton et ses yeux s’adoucirent, disant à quel point il “aime ça”. Je pouvais sentir qu’il le pensait vraiment sans aucune élaboration.

    TRRRRRRR !!

    La sonnerie du téléphone détourna son regard de moi alors qu’il décrochait son appel. Il semblait parler à un ami qui voulait le voir quelque part.

    — Quoi de neuf, Knot… C’est quoi ce bordel ? Les gars, vous pouvez commencer sans le chef. QUOI ? Phi… Tum est ici ? Ok, je suis en chemin.

    Le gars enfonça son téléphone dans sa poche, et fit un tour sur lui-même pour partir en vitesse. Mais je le retins.

    —  Attends ! Merci.

    Je le lui dis pour avoir de bonnes manières, mais je pensais que ce senior était assez gentil pour me donner des conseils, même si on ne se connaissait pas. L’homme qui avait atteint la porte se retourna et haussa les sourcils, l’air déconcerté, avant de dire d’un ton léger.

    — Pourquoi tu me remercies ? Tu es déjà mon junior. À plus tard.

    Il me sourit avant de quitter les toilettes tandis que je regardais son T-shirt d’ingénieur. Une fois de plus, il avait fait une supposition sans me demander d’abord.

    Je laissais échapper un léger soupir. Cette fois, ce n’était pas parce que je m’ennuyais, mais parce que je me sentais soulagé, comme si j’avais lâché quelque chose.

    Je sortis donc des toilettes et retournai dans le couloir qui y menait. Je me dirigeais vers le bâtiment où les étudiants attendaient pour leur entretien. Dès que M me vit, il me demanda rapidement, en partie paniqué, en partie soulagé.

    — Qu’est-ce qui t’a pris si longtemps ? C’est presque ton tour. Je pensais que tu t’étais enfui.

    Je secouai la tête en m’asseyant à côté de lui, et répondis fermement.

    — … Je ne fuirai pas. J’ai décidé d’étudier l’ingénierie.

    — Ah bon ? Pourquoi ? demanda M, surpris. 

    Pas seulement lui, même moi j’étais surpris par ma décision rapide. Mais je ne ressentis aucune hésitation ou confusion à cause de la raison que je m’étais donné.

    — Je pense… qu’un jour, j’aimerai être ici.

    Je ne sais pas si c’était une décision irréfléchie. Mais si la vie sur le campus passait aussi vite que ma vie au lycée, je voulais emprunter ce nouveau chemin.

    … Bien sûr, l’économie qui était mon rêve était toujours ma destination. Mais je pouvais peut-être faire un détour par l’ingénierie, ce serait bien. Peut-être que ce détour ne serait pas si mal que ça, alors quelqu’un m’avait déjà donné une réponse.

    Malheureusement, j’avais oublié de lui demander son nom. Je n’étais pas sûr que l’on se reconnaîtrait la prochaine fois qu’on se rencontrerait. Il y avait des tonnes de gens sur le campus, mais bientôt je serai un étudiant de première année sur le même chemin qu’il avait emprunté auparavant. Donc j’étais certain qu’un jour nous nous retrouverions quelque part.

    … Le sentiment de “bonheur” de se retrouver. 

     



  • Commentaires

    3
    Dimanche 30 Avril 2023 à 19:15

    merci pour ce chapitre

    2
    Mercredi 26 Avril 2023 à 20:59

    Parfois une rencontre, anodine, peut influencer toute une vie ^^

    Merci pour ce chapitre spécial !

    1
    Mercredi 26 Avril 2023 à 18:40

    J aimerais bien pouvoir retourner à cette periode Terminale/1ere annee d étude ^^ 

    Merci pour ce chapitre, bises <3

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