• Chapitre 8 - Same Old Feelings

    Chapitre 8

    Le temps s’est arrêté, je n’arrive pas à détourner mon regard de l’homme en face de moi. J’ai même peur de cligner des yeux et de finalement me rendre compte que tout ça n’était qu’une illusion. 

    — Papa… j’ai faim. 

    Kyet qui me ramène à la réalité, quand il tire sur mes cheveux pour attirer mon attention. Les yeux de Frank s’écarquillent, comme s’il venait tout juste de se rendre compte de la présence de l’enfant sur mes épaules. Il panique et je le connais encore  assez bien, car je sais qu’il va tenter de fuir en se cachant dans les cuisines. 

    Il fait d’ailleurs un pas en arrière quelques secondes plus tard dans cette idée. Heureusement, je réagis plus vite que lui et j'attrape son poignet en douceur pour l’empêcher de le faire.  Il prend une profonde inspiration quand mes doigts touchent sa peau… la sensation est grisante et je ne peux pas m’empêcher de sourire en coin. Sans le lâcher, j’aide Kyet de ma main libre et en me penchant pour le faire descendre de mes épaules. 

    — Va t’asseoir à une place mon grand. Je dois parler avec mon ami. 

    Le petit garçon jette un œil à l’homme qui s’est mis à trembler légèrement, l’observant avec ses grands yeux puis il hoche la tête et trottine jusqu’à une table d’où il pourra me voir. Dès que je suis sûr que Kyet est tranquillement installé, je me tourne vers Frank qui tire sans conviction sur son poignet pour me faire lâcher, mais ça a l’effet inverse puisque je resserre ma prise avant de le tirer vers moi pour le rapprocher. 

    — S'il te plaît, ne pars pas... parle moi. Ne me laisse pas encore.

    Ma voix est suppliante et moi qui voulais rester fort et impassible, je sens mes yeux s'humidifier. Je sais que pour lui je me mettrais à genoux devant lui, devant tout le monde pour le supplier de rester. Frank doit sentir que je suis prêt à tout car il se rapproche de moi avant de jeter un coup d'œil autour de nous. Mon cœur se pince quand il fait inconsciemment ce geste, comme il le faisait autrefois. J’inspire profondément et je n’arrive pas à savoir si c’est une erreur ou pas quand son parfum envahit mes narines et me donne l’impression d’être un drogué qui prend une nouvelle dose après des années d’abstinence. 

    J’ai envie de le prendre dans mes bras, de pouvoir plonger mon nez contre son cou et ne plus en bouger, juste pour m’enivrer de cette fragrance qui me rappelle de nombreux souvenirs. Nos regards se croisent et je lis tellement de choses dans ses yeux, que cela m’apporte plus de questions que de réponses. 

    — Drake... je... je ne peux pas... pas maintenant, pas avec… Pas quand ton fils est avec toi. 

    Il regarde Kyet un instant qui nous observe curieusement en balançant ses petites jambes dans le vide et une intense douleur passe dans ses yeux. Je soupire, mais en même temps je le comprends, on a des choses à se dire et un enfant de trois ans n’a pas à les entendre. Même si Kyet sait que ses parents ne sont pas amoureux, il n’a pas à savoir qu'il n’a pas été désiré au départ. 

    — Promets-moi de ne pas fuir. Je vais appeler Aim, elle va venir le chercher et alors on parlera toi et moi, d'accord ?

    Je le fixe dans les yeux, le suppliant toujours du regard d’accepter. Au début, il me regarde et je sais qu’il avait espéré pouvoir me fuir rapidement, mais il finit par hocher la tête malgré tout. Seulement, quand j’évoque le nom de Aim, il baisse les yeux et ses poings se crispent fortement. Mon coeur accélère, s’il a une position résigné, entendre le nom de la jeune femme semble aussi le rendre jaloux. Je suis peut-être juste en train d’imaginer des choses parce que je suis face à l’homme que j’aime toujours.

    — Mon service finit dans une heure… On pourra se voir à ce moment-là.

    Il regarde en direction des cuisines et je me demande ce qu’il peut bien chercher. Mon sourire s'agrandit quand il cède finalement et j’ai l’impression que je vais vivre l’heure la plus longue de ma vie. Il bouge lentement son bras et je me rends compte que je lui tiens toujours le poignet. Je le lâche à regret et il s’éclaircit la gorge. 

    — Vous voulez manger en attendant ? 

    Il reprend sa voix professionnelle, même si elle tremble légèrement et qu’au lieu de me regarder, il fixe Kyet qui nous observe curieux de ce qui s’est passé entre nous. Quand il entend parler de nourriture, il se redresse avec un grand sourire, s’appuyant sur la table pour se grandir. Il fait un immense sourire à Frank et ce dernier ne sait pas s’il doit lui répondre ou pas et il se retrouve à faire une drôle de grimace mignonne. Kyet tend la main et lui montre deux doigts d’un air très sérieux.

    — Deux Tom Yam pas épicés sinon papa et moi on n’arrive pas à le manger, s’il vous plaît.

    Je peux presque le voir saliver d’avance à l’idée d’en manger et je me retiens difficilement de rire, alors que Frank lève les yeux surpris vers moi. 

    — Je croyais que tu n'aimais pas ça ?

    Frank me questionne avant que son regard ne se tourne à nouveau vers l’enfant et je peux le comprendre. Kyet est la raison pour laquelle on s’est séparé, la raison qui nous a rendu malheureux à un moment de notre vie. Pourtant, c’est aussi l’être le plus adorable, mignon et drôle de la terre. C’est dur de résister à sa petite frimousse et de toute façon en général, je n’y arrive pas. Je comprends son trouble et je ne résiste pas à le pousser un peu plus loin en me penchant vers lui pour murmurer tout contre son oreille. 

    — Mais toi tu as toujours aimé ça. 

    Je le vois rougir et je suis satisfait de voir qu'il réagit toujours à ma présence. Il bredouille quelques mots que je ne comprends pas avant de se précipiter vers les cuisines. Je ris doucement en me sentant plus heureux que jamais avant de rejoindre Kyet. Je m'assois à côté de lui en caressant doucement sa tête et je sors mon téléphone. Je grimace quand je vois le nombre d’appels et de messages laissés par la jeune femme avant de l’appeller.

    — Drake… enfin tu me réponds. Tu n'imagines pas comment je commençais à m’inquiéter.

    Elle attaque dès qu’elle a décroché, je n’ai pas le temps de lui expliquer quoi que ce soit.

    — Désolé Aim, je n’ai pas vu le temps passer. Tu peux nous rejoindre là où on est en train de manger. 

    Le silence accueille ma déclaration et je peux sentir sa colère, rien qu’à sa façon de respirer. 

    — Je t’envoie l’adresse, rejoins-nous vite. 

    Je raccroche avant qu’elle ne puisse répondre, je sais que sinon, l’appel n’en finira plus jamais et si elle n’est pas contente alors elle arrivera plus vite ici. Je lui envoie rapidement ma localisation et je remets mon portable dans ma poche pour l’oublier aussitôt. Au même moment, Frank arrive avec deux bols fumants qu’il pose juste devant nous. 

    — Merci monsieur ! 

    Kyet lui fait un grand sourire avant de commencer à manger, ayant même oublié notre présence, comme à chaque fois qu’il est question de nourriture. Un petit sourire apparaît sur le visage de Frank et moi je me perds complètement dans ses yeux.

    — Merci Frank. 

    Il s’empourprent avant de me regarder et me faire un signe de tête timide qui me rappelle comment il était quand on s’est rencontré. 

    — Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à me demander.

    Il se rend compte de comment je pourrais interpréter sa phrase et il sursaute. 

    — Enfin quoi que ce soit… à manger ou… à boire… enfin… n’hésite pas.

    De nouveau, il dit des mots que je ne comprends pas tout en se sauvant une nouvelle fois vers les cuisines et cette fois, je ne peux pas m’empêcher de rire pour de vrai. On mange tranquillement tous les deux, Kyet ne dit plus un mot, mais je sais qu’il apprécie vraiment ce qu’il mange et si je dois être parfaitement honnête, cette soupe est délicieuse.

    Je mange lentement, passant plus de temps à observer Frank qui fait des allers retours dans la salle, s’occupant des quelques autres clients et me jetant des coups d'œil fréquents en rougissant. Tout à mon observation, j’en oublie que j’attends l’arrivée de Aim, mais bientôt, elle vient troubler la tranquillité des lieux. 

    — Drake ! 

    Elle s’exclame fortement en me faisant signe avec un petit sourire boudeur avant de venir nous rejoindre et je suis soulagé que Frank n’ait pas assisté à son arrivée.

    — Je croyais que l'on devait passer du temps ensemble, Drake. Comment veux-tu que ça marche si tu ne restes pas avec moi ?

    Elle avance sa main pour la poser sur la mienne, mais je la recule brusquement.  Je suis fatigué de ses tentatives et plus encore maintenant que j’ai retrouvé Frank, je ne veux pas qu’il assiste à quoi que ce soit qui puisse être mal interprété.

    — Ne commence pas, Aim. Ce que je t'ai dit quand tu m'as annoncé attendre Kyet n'a pas changé.

    Je jette un coup d'œil au petit garçon, mais il est occupé à piquer dans mon bol et il ne nous écoute absolument pas. Pourtant, je parle à voix basse, ne voulant pas qu’il puisse m’entendre. Elle se renfrogne et croise les bras contre sa poitrine, elle espère toujours que ça marche, même au bout de trois ans, elle ne me connaît pas. 

    Je souffle pour me calmer et détourne la tête, Frank vient d'apparaître et soudain, plus rien ne me semble important. Je ne le quitte pas des yeux, je détaille son visage, son corps, sa manière de se déplacer et même de rosir en sachant que je l'observe.

    — Drake, je veux vraiment passer de bonnes vacances avec toi. Drake ?... Drake.

    Aim essaie d'attirer mon attention en vain. Elle finit par se retourner pour découvrir ce qui accapare mon attention de cette manière. Elle reste, elle aussi, un long moment à observer le jeune homme, les sourcils froncés avant de se retourner vers moi.

    — Ce n'est pas ton ami ? Celui qui est parti sans explications, il y a trois ans.

    — Hmm...

    Je ne l'écoute pas vraiment et je ne lui réponds que par un vague grognement. Je m'inquiète quand Frank lève les yeux vers nous, il me regarde en souriant avant de noter la présence de Aim en face de moi. Son sourire disparaît petit à petit et il a un léger mouvement de recul. J’ai peur que soudain, il ne change d’avis et ne veuille plus discuter avec moi. 

    — Occupe-toi de Ky', je dois discuter avec Frank en tête à tête de choses importantes.

    — Quoi ! Mais Drake non... tu as déjà été absent presque toute la journée et là, tu m'abandonnes pour un ami qui se fiche bien de savoir ce qui t'arrive et... 

    Ma mâchoire se crispe dès qu’elle prend la parole. Elle a sa voix aiguë capricieuse et elle commence à parler fort, ce qui m'irrite au plus au point. Je sais très bien qu'elle veut faire passer un message à Frank, car elle a au moins compris que le départ de Frank m’a fait du mal, même si elle ne se doute pas à quel point.

    Cependant, je ne suis pas d’accord, je refuse qu’elle se mêle de notre histoire. Surtout quand Frank l’entend et que je vois la tristesse passer dans ses yeux. Je tourne brutalement ma tête vers elle, le regard sombre et je l'interromps, ennuyé par sa mise en scène, en frappant brusquement sur la table, attirant ainsi l’attention sur nous.

    — Arrête Aim. Je ne te demande pas ton autorisation et je n'ai aucun compte à te rendre, tu te souviens ?

    On se fixe un moment droit dans les yeux et petit à petit elle comprend que cette fois, je suis très sérieux. Les quelques clients nous regardent, ils doivent me prendre pour un mari ignoble avec sa femme, mais si je laisse le moindre espoir à la jeune femme, alors elle deviendra ingérable. Je préfère couper court pour arrêter de mettre tout le monde mal à l’aise. 

    — On en discutera ce soir quand je viendrai coucher Kyet, j'y vais maintenant. 

    Je clôture la conversation de façon ferme. Je me tourne vers Kyet qui nous regarde avec de grands yeux, il n'est pas très à l'aise, comprenant que quelque chose de grave se passe. Je soupire, je n’aime pas quand Aim pousse jusqu’à ce qu’on en arrive à ce point là devant lui. Je caresse doucement ses cheveux pour le rassurer avant de l'embrasser sur la joue.

    — Tu vas passer une bonne fin de journée avec maman. Papa revient vite, d'accord ? Je dois discuter avec mon ami. 

    Ma voix se radoucit immédiatement, il lève la tête vers moi et me fait un grand sourire avant de me faire un petit signe de la main. Je me lève sans regarder Aim et me dirige vers Frank qui semble statufié près du comptoir alors qu'une personne d'un certain âge lui parle et qu'il hoche lentement la tête pour lui répondre. 

    La grand-mère est plus petite que Frank, mais je trouve de grosses ressemblances entre les deux. Je lui fais un Waii respectueux pour la saluer avant de me tourner vers l'homme que j'aime et qui semble sur le point de paniquer. 

    — On peut y aller ? 

    Mon ton est calme alors qu’intérieurement je bouillonne.

    — Oui...

    Sa voix n'est qu'un murmure. Je comprends également qu'il a peur car il jette un coup d'œil à la table derrière moi où Aim et Kyet sont encore installés et sur la vieille femme comme s'il espérait trouver une raison de ne pas me suivre. Cependant, la grand-mère m'offre un grand sourire avant de nous pousser gentiment mais fermement vers la sortie. On se retrouve à l'extérieur et il reste figé un instant en m'observant intensément.

    — Tu veux aller où ?

    Si sa voix est un peu plus assurée, elle tremblote légèrement.

    — Un endroit calme où on pourrait discuter tranquillement.

    Je ne connais pas suffisamment l'île pour décider d'où aller. Je m'en remets totalement à Frank qui réfléchit une seconde avant de se mettre en route. Il me guide à travers les rues de la petite ville et petit à petit on s'éloigne de la plage et donc les touristes se font plus rares. Il marche d'un pas tranquille, mais tout son corps est tendu. Je le suis quelques pas derrière lui et je remarque qu'il est plus fin qu'avant et je m'inquiète encore une fois pour lui.

    Il tourne à droite et on entre dans un petit parc. Il est quasiment vide et on entend juste quelques cris d'enfants qui jouent un peu plus loin. Il y a de nombreux bancs disponibles et pourtant il préfère aller s'asseoir dans l'herbe à l'ombre d'un grand arbre.

    Je le rejoins rapidement, la distance entre nous me paraît bien trop grande, mais je ne peux pas me rapprocher plus de lui. Je ne sais pas pourquoi il est vraiment parti. Peut-être que lui ne m'aime plus depuis longtemps et je dois respecter ça, même si l'idée me fait atrocement mal. Sans m'en rendre compte, je grimace en portant une main à mon cœur. 

    — Drake, ça va ? 

    Il pose sa main sur mon avant bras et une chaleur agréable se répand, ma peau se souvient de son toucher et de combien j'aime ça. 

    — Je vais bien, ne t'inquiète pas. 

    Ma voix est douce, mais mon ton un peu sec. Il tressaille légèrement avant de retirer lentement sa main, ce que je regrette aussitôt. Je m'éclaircis la voix, pour la détendre. Je suis heureux de le revoir et je ne dois pas laisser la colère sous-jacente prendre le dessus.

    — Et toi ? Comment tu vas ? 

    Je fais plus d’effort à lui parler sur un ton neutre quand je reprends finalement la parole.

    — Je vais bien… je suis juste surpris…

    Il répond avec hésitation, mais je ne dis rien. Je tourne la tête pour le regarder et je sais qu'il ment. Il ne va pas si bien que ça, mais je ne sais pas s'il ne va pas bien parce que je lui manque ou parce que je suis devant lui. Je rêvais de le retrouver. Dans mon esprit, c'était toujours un beau moment rempli de joie et de tendresse. Je l'aurais pris dans mes bras, l'embrassant de tout mon saoul et on se serait dit combien on s'aimait. Une douce chimère qui m'a permis de tenir pendant trois ans, mais qui ne reflète pas la réalité. 

    Le moment est plein de doute, de joie douce amère et d'incertitude, c’est assez étrange et pourtant je ne voudrais pas être ailleurs. Pendant des heures on parle de tout, de notre passé, de nos camarades de classe, de la météo et des films que l’on a pu voir récemment. Pendant un moment, c’est comme si on ne s’était pas quitté, puis petit à petit les silences deviennent de plus en plus longs et pesants et je sais que l’on a épuisé toutes les banalités possibles.

    — Tu es ici depuis longtemps ? 

    Je n’ai plus le choix que de le lui demander quand tous les autres sujets ont été épuisés. Je crois qu’au final, ça a été une des choses les plus difficiles à vivre. Ne pas savoir où il se trouvait. Même si je me doutais que ses parents ne l’auraient pas laissé partir dans un endroit où il aurait été en danger, c’est un soulagement de savoir qu’il n’était pas sous un ciel grisâtre, mais sur une île paradisiaque.

    — Trois ans. C'est le restaurant de mes grands-parents. 

    Je ressens de la fierté dans ses paroles quand il me répond. J'ai un petit sourire triste et je prends une profonde inspiration alors que le silence retombe. Je ne veux pas lui parler du reste, je ne veux pas l’entendre me parler de son départ. Je sais que l’on devra y venir, mais je m'assombris rien que d’y penser. 

    Alors, je sursaute quand je sens quelque chose crocheter mon petit doigt et mon cœur bondit dans ma poitrine quand je comprends. Frank vient d’accrocher son doigt au mien, surement en sentant mon humeur devenir plus maussade. 

    Je ne fais aucun commentaire, mais un léger sourire apparaît sur mon visage et je savoure juste l’instant. Même si ça ne veut rien dire de plus qu’une forme de soutien de sa part, j’ai l’impression de revivre juste par ce petit geste.

    — Tu n’as pas pu faire tes études. 

    Je reprends la parole sans même y penser. Frank était un excellent élève et je me sens vraiment coupable qu’à cause de moi, il ait mis son brillant avenir de côté. Il me jette un petit coup d'œil avant de sourire en coin et de se frotter les mains l’une contre l’autre.

    — Je voulais faire des études de commerce pour pouvoir aider mes grands-parents à développer leur restaurant. La concurrence est dure ici et… 

    — Pourquoi tu ne m’en as jamais parlé ? 

    Je l’interrompt brusquement en fronçant les sourcils et en me redressant. Je savais qu’il était sérieux dans ses études, qu’il avait pour projet de rejoindre une grande université à Bangkok. Pourtant, jamais il ne m’avait expliqué que c’était dans l’idée d’aider le commerce de ses grand-parents alors que c’est une chose que je trouve admirable.

    — Je ne sais pas, j’avais un peu peur que tu trouves ça ridicule.

    Il me répond sans me regarder cette fois, un peu gêné. Je soupire, un peu trop fort peut-être, ces retrouvailles me font prendre conscience que même si on passait tout notre temps ensemble, même si on pensait bien se connaître, il y avait encore des barrières à l’époque et c’est ce qui a aidé à nous séparer.

    Il y a de nouveau un long silence, on se contente de rester assis l’un à côté de l’autre, en étant reliés que par nos petits doigts. De nombreuses personnes passent devant nous, beaucoup saluent Frank, mais aucune d’entre elles ne vient nous déranger. Timidement, il relance la conversation quand le silence se fait un petit peu trop génant.

    — Ton fils est vraiment mignon. 

    — Il est adorable, une petite boule d’énergie. 

    Mes yeux se mettent à briller quand je parle de Kyet. C’est facile de parler de mon fils, c’est d’ailleurs le rare sujet de conversation où je peux me montrer intarissable. D’ailleurs, là je me force à ne pas en dire plus, à ne pas lui raconter ses bêtises, ses maladresses et toutes ses petites choses qui ne sont intéressantes qu’aux yeux d’un parent.

    — Vous avez l’air heureux tous ens…

    — Arrête… je ne suis pas heureux Frank. 

    Je l’empêche de finir en utilisant une voix dure car je ne veux pas qu’il ose m’imaginer heureux. Je tourne la tête vers lui, son visage s’est assombri face à ma réponse et je comprends que l’on est en train de se diriger lentement mais sûrement vers le sujet qui fâche. Je sais que l’on devra y faire face, que l’on ne pourra pas éternellement faire comme si tout était normal. 

    Seulement, je ne veux pas le faire maintenant, je veux juste pendant quelques heures garder l’espoir que notre histoire n’est pas finie, qu’il m’aime encore et que lui et moi, nous avons encore une chance. Si maintenant, il me dit qu’il avait prémédité son départ, qu’en fait il ne m’aime plus je ne sais pas comment je pourrais me relever… il ne me restera plus rien.

    — Il commence à être tard. 

    Je reprends d’une voix plus douce en regardant l’horizon. Le temps près de lui est passé à une vitesse, j’ai l’impression que l’on est arrivé ici, il y a à peine cinq minutes. Pourtant, la journée tire à sa fin et le soleil commence sa lente course descendante.

    — Je dois aller aider mes grands-parents, ils doivent avoir beaucoup de clients. 

    — Et j’ai promis à Kyet d’être là pour le coucher. C’est la première fois qu’il ne dort pas dans sa chambre.

    On a tous les deux des impératifs, pourtant, on reste assis sans bouger d’un pouce. Frank prend de nouveau l’initiative en prenant totalement ma main dans la sienne. J’ai l’impression d’être de retour au lycée, quand on a commencé à sortir ensemble et que l’on n’osait pas faire les choses. Pourtant, le fait qu’il cherche mon contact nourrit l’espoir et je me sens soudain plus léger. 

    — Passe la journée avec moi, demain. 

    Je sais que je ne pourrais pas le quitter sans avoir l’assurance de le revoir.J’ai peur qu’il ne dise non et je ne pourrais rien dire ou faire pour qu’il change d’avis. Mon cœur s’emballe, mais il ne me laisse pas vraiment le temps d’y penser. Il hoche vigoureusement la tête, son visage se détendant brusquement comme si lui aussi avait peur de ne pas me voir demain.

    — D’accord. 

    On se sourit en même temps et je le trouve encore plus beau qu’avant. On se regarde un instant dans les yeux et l’envie de l’embrasser se fait sentir. Je rêve de le coller contre moi et de retrouver la douceur de ses lèvres. Seulement, je dois me contrôler, je ne dois pas céder à cette impulsion alors que pour le moment on est plus rien lui et moi, même si ça me fait mal de me le dire.

    Je m’éclaircis la gorge vivement pour reprendre un semblant de contrôle et je me lève, l’entrainant avec moi. On se tient la main jusqu’à ce que l’on sorte du parc, puis on se lâche comme si ce parc était une parenthèse où on avait le droit de se toucher.

    Le retour se fait en silence et on se retrouve bien trop rapidement devant le restaurant où effectivement, il y a beaucoup de monde. Je soupire, je n’ai pas vraiment envie de partir, j’aimerais m'asseoir dans un coin et juste pouvoir le regarder travailler. Seulement, j’ai un devoir, un fils qui m’attend sûrement impatiemment pour pouvoir s’endormir. 

    On se fait face, je lui offre un petit sourire en coin et même si je ne peux pas l’embrasser, je pose ma main sur sa joue et caresse sa pommette de mon pouce avec tendresse. Il ferme les yeux un instant en soupirant de bien-être, appuyant légèrement sa joue contre ma paume et mon ventre se contracte. 

    — A demain Frank.

    Ma voix craquelle sous l’émotion et je ressens déjà le manque quand je retire ma main. 

    — A demain.

    La sienne vacille aussi et sa main bouge vers moi comme s’il voulait me retenir. Je recule d’un pas, puis de deux et je m’éloigne de lui petit à petit. On ne se quitte pas des yeux et à plusieurs reprises je veux juste aller le rejoindre, le serrer dans mes bras, m’agripper à lui pour l’empêcher de s’éloigner et juste lui dire que je l’aime, que je ne veux que lui et le supplier de m’aimer lui aussi.

    Je vais craquer je le sens, alors il faut que je fasse un énorme effort pour réussir à faire demi-tour et prendre le chemin de l'hôtel. Je marche les mains dans les poches et même si je sens quelques larmes passer la barrière de mes yeux, j’ai un petit sourire aux lèvres, je l’ai retrouvé. 

    Je me souviens à peine du trajet que j’ai emprunté, je suis complètement dans la lune et je suis surpris de me retrouver soudain devant la porte de Aim. Je prends une grande inspiration avant de toquer. Il ne faut que quelques secondes pour que la jeune femme vienne ouvrir la porte et je vois bien qu’elle ne sait pas si elle doit m’accueillir joyeusement ou bien en faisant la tête. 

    — Il t’attend.

    Elle choisit de rester neutre et ça me convient parfaitement. Elle s’efface en faisant une petite moue boudeuse, je sais qu’à un moment, elle reviendra à la charge. En attendant, je rentre dans la chambre et je rejoins le petit lit où Kyet est déjà couché, il serre son doudou dans ses bras en se frottant les yeux.

    — Papa.

    — Hey mon chéri, tu as passé une bonne journée ? 

    Je m'assois au bord du lit et ébouriffe ses cheveux en souriant. Il ne semble plus sur le point de s’endormir quand pendant les dix minutes qui suivent, il me raconte absolument tout ce qu’il a vécu aujourd’hui. J’ai un petit sourire en coin, l’écoutant religieusement, même si la majorité de ce qu’il raconte sont des moments passés avec moi.

    — Il est tard, il est l’heure de dormir maintenant. Bonne nuit. 

    Je le coupe quand il se met à bailler à s’en décrocher la mâchoire. Je lui embrasse le front et il me fait un gros calin avant de s’installer confortablement en soupirant de bien-être et en fermant les yeux. Je reste un instant à l’observer, en fait, je ne bouge pas lui caressant lentement les cheveux, jusqu’à ce que je sois sûr qu’il soit bien endormis. Je me lève, quittant son chevet et me tourne pour faire face à Aim.

    — Je ne serai pas là demain, je passe la journée avec Frank. 

    Je la préviens d’une voix calme, pensant déjà à retrouver ma chambre, épuisé par la journée. Seulement j’aurais dû me douter qu’elle ne le prendrait pas bien, elle est frustrée depuis qu’elle nous a rejoint au restaurant en début d’après-midi. Et même, si je sais que j’ai une grosse part de responsabilité dans son humeur, l’entendre souffler fortement par le nez en croisant les doigts m’énerve.

    — Ce sont des vacances en famille Drake et tu n’es jamais avec moi.

    Je me pince le nez avec les doigts quand elle lance les hostilités, en essayant de ne pas oublier que Kyet dort à quelques mètres de nous. On ne doit pas se hurler dessus, je ne veux pas qu’il se réveille et nous découvre en train de nous disputer. Je ne veux pas apporter encore plus d’incertitude à ce petit bout de chou. Notre mode de vie n’est déjà pas simple pour lui, alors s’il comprend que ses parents ne s’entendent pas, ce sera encore plus difficile pour lui.

    — Aim, j’en ai marre de te le dire. Je ne t’aime pas de cette manière, j’aime une autre personne et la seule chose qui fait que l’on se parle toi et moi, c’est parce qu’il y a Kyet. 

    J’ai toujours essayé d’arrondir les angles, d’être le plus doux possible et de ne pas la blesser. Seulement, j’ai retrouvé Frank et je me dis qu’avoir pris des gants tout ce temps avec elle a été une erreur. Parce que finalement, malgré mes paroles, elle pense toujours qu’il y a une chance pour nous et que la patience me fera soudain tomber dans ses bras.

    — Ah oui ? Et elle est où cette mystérieuse personne dont tu parles depuis trois ans hein ? 

    Sa voix se fait moqueuse et elle me regarde méchamment. Je sais que je l’ai blessée et elle cherche tout simplement à me rendre la pareille. Je sais que je ne dois pas perdre patience car elle est toujours persuadée que j’ai inventé cette histoire d’amour. 

    — Tu…

    — Même si je n’avais personne dans ma vie, tu n’aurais jamais cette place, Aim. On s’est rencontré quand on faisait la fête et tout ce qui nous a rapprochés, c’est la baise. Il n’y a jamais rien eu d’autre et il n’y aura jamais rien d’autre.

    Je finis par craquer et l’interrompt alors qu’elle s’apprête à cracher plus de venin. Ses yeux s’écarquillent quand je finis par dire crûment les choses. Je n’avais jamais employé de mot aussi grossier pour parler de notre relation, seulement cette fois je n’en peux plus de lui redire jour après jour que ce n’est pas elle que je veux. 

    Le silence retombe et je tourne la tête autant pour ignorer ses larmes, que pour m’assurer que Kyet dort toujours profondément. Je n’ai aucun geste, aucune parole pour la réconforter et peut-être que finalement elle comprend. Elle se dirige vers la porte en reniflant et l’ouvre brusquement.

    — Bonne journée demain. 

    Sa voix tremble quand elle me congédie froidement. Je me contente de hocher la tête et quitte sa chambre, le cœur battant à tout rompre. Je n’aime pas la blesser, je n’aime pas lui dire ce genre de chose, mais je n’ai pas le choix. Je veux juste qu’elle refasse sa vie de son côté et comprenne une bonne fois pour toute qu’avec moi c’est impossible.

    Je rejoins rapidement ma chambre et vais prendre une longue douche chaude. J’oublie facilement ma dispute avec Aim à chaque fois que je repense au visage de Frank, à nos mains liées et à la journée que l’on va passer ensemble demain.



  • Commentaires

    3
    Vendredi 4 Mars 2022 à 21:12

    Oh c'est mignon mais ils ont toujours pas eu LA discussion.......

    j'espère vraiment que Aim a compris cette fois car sinon elle va se faire encore plus de mal mais quand même  depuis 3 ans elle devrait se douter qu'il ne se passerait rien de plus.

    J'ai hâte de lire la suite pour voir leur journée "retrouvaille"

    2
    Mercredi 23 Février 2022 à 20:28
    Merci pr ce nouveau chapitre. C'est vraiment 1 chouette histoire, j'ai hâte de lire la suite ;D
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :