• Chapitre 23

    Chapitre 23
     Dans la mesure où je devais rester enfermé dans ma chambre jour et nuit, il était indéniable que la seule chose que j'attendais était le retour de Tann.

    Une fois rentré à la maison, Tann faisait les cent pas dans la chambre, le téléphone à la main. Cela faisait déjà un moment que je l'observais en silence. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état d'anxiété. Cependant, après avoir écouté Tann raconter ce qui s'était passé, je compris pourquoi il agissait de la sorte. Le regard sur son beau visage était vulnérable et tendu par l'angoisse, de grosses perles de sueur s'accumulaient sur son visage. Sa main, qui tenait le téléphone portable, tremblait légèrement en permanence. Je me tournai vers les deux paniers repas que Tann avait achetés et qui n'avaient pas été touchés. Il prétendait avoir perdu l'appétit.

    Au fil des jours, la situation devenait de plus en plus tendue pour Tann. Depuis combien de temps ne l’avais-je-je pas vu sourire ?

    Le sourire qu'il m'avait donné lors de notre première rencontre me manquait, pensai-je.

    Je balayai rapidement les pensées distrayantes de ma tête, essayant de me convaincre que ce que Tann avait fait pendant tout ce temps n'était qu'un mensonge. 

    — Arrête de marcher et mange d'abord.

    — Je n'ai pas faim, répondit l'homme en s'asseyant sur une chaise devant le bureau. Je l'ai appris trop tard, sinon j'aurais agi plus tôt et j'aurais mis ma mère en sécurité, je l'aurais mise dans un avion pour qu'elle se réfugie dans une autre province.

    — Et pourquoi tu ne l'as pas fait dès le départ ? Pourquoi l'avoir laissée ici en tant qu'otage après tout ce temps  ?

     C'était une question que je me posais depuis longtemps, et Tann se contenta de secouer la tête.

    — Maman est heureuse d'être ici. C'est une personne ordinaire qui veut rester dans un environnement familier. D'ailleurs, mon père envoie régulièrement ses hommes rendre visite à ma mère depuis que je suis enfant. Si elle disparaissait soudainement, tout le monde saurait que quelque chose ne va pas. Ils sauraient que j'ai planifié une rébellion et que j'ai essayé de la faire sortir clandestinement. Je ne veux pas risquer sa vie en me cachant et en me faufilant partout, tu vois ? C'est le meilleur moyen de s'assurer qu'elle reste en sécurité. Mais maintenant, tout a changé. Paul va avoir ma tête, dit-il d’une voix tremblante.

    Je ne savais pas comment le calmer. 

    — Appelle pour demander à ta mère si elle a réussi à sortir.

    — Je l'ai appelée il y a cinq minutes. Elle se cache toujours chez ses voisins. Thad n'y est pas encore, dit Tann avant de se lever de sa chaise et se remettre à faire les cent pas. Bunn, penses-tu que Thad arrivera à temps ? Les hommes de main de Paul vont-ils l'attraper avant lui ?

    —  Tu dois te calmer. Attends que ce gamin revienne vers toi. Qui sait, peut-être que Paul ne…

    J'avais à peine fini ma phrase que Tann se dirigea directement vers moi et m'attira dans ses bras. Son énorme silhouette tremblait comme un oisillon sans plumes. Tann m'avait dit un jour qu'il pleurait lorsque la peur de perdre quelqu'un qu'il aimait profondément l'assaillait. Ce moment devait être l'un de ceux où il ressentait une telle émotion. Je levai lentement la main pour lui caresser le dos. 

    — Ce que tu as demandé tout à l'heure. A propos d'un moyen de tuer quelqu'un sans laisser de traces. En fait, c'est possible.

    Tann se détacha de moi, fixant mon visage avec des yeux pleins d'espoir. 

    — Comment ? Qu'est-ce qu'il faut pour ça ? Je vais le trouver.

    — L'administration de potassium par voie intraveineuse peut déclencher un arrêt cardiaque. C'est mortel. Même s'ils font un examen sanguin du cadavre, ils ne trouveront rien parce que le niveau de potassium dans le sang est généralement élevé après la mort, mais…

     Je poursuivis avant que Tann n'ait pu dire quoi que ce soit.

    — Cela ne paraîtra pas suspect si Paul est hospitalisé d'une manière ou d'une autre et mis sous perfusion comme il se doit. Si nous le piquons imprudemment avec une aiguille en dehors de l'hôpital, ils trouveront probablement des marques d'aiguille sur son corps et cela pourrait éveiller les soupçons.

    — Il faut donc l'hospitaliser, n'est-ce pas ?

    — Oui, le plus simple est de lui infliger un traumatisme crânien, comme ce que tu m’as fait en fait.

    Un éclair de colère surgit dans mon esprit. 

    Tann marqua une pause. Je vis un regard coupable sur son visage, un regard qui atténua ma colère. 

    — Je suis d'accord. Faisons-le une fois que ma mère sera en sécurité.

    Le téléphone de Tann se mit à sonner. Il le prit rapidement, un air perplexe se dessina sur son visage avant qu'il ne me tende le téléphone portable. 

    — C'est le Dr Boonlert.

    Je pris rapidement l'appel.

    — Allô ?

    — [Bunn ?]

    — Hé, tu es déjà rentré ?

    — [Je suis à Bangkok, mais je suis d'abord allé voir l'inspecteur Anuchart. Je lui ai raconté tout ce qui s'est passé.]

    — Quoi ? ! m'exclamai-je, ce qui amena Tann à se tourner vers moi nerveusement. Comment peux-tu croire qu'il n'est pas de leur côté ? Tann et moi sommes condamnés s'il y a un informateur qui fait remonter toutes les informations jusqu'ici !

    — [Attends ! Calme-toi ! Anuchart est un de mes amis. Nous pouvons lui faire confiance. Il m'a dit de lui envoyer une preuve et qu'il trouverait un moyen de nous aider. Et il informera les hauts responsables pour qu'ils inspectent la police locale là-bas.]

    — Quelle preuve  ? demandai-je en fronçant les sourcils.

    — Tout ce qui pourrait être utilisé contre Paul, le procureur ou les crimes précédents commis par cette famille. Tann devrait pouvoir les trouver.

    Je fixai le visage de Tann, mon cerveau essayant tant bien que mal d'assimiler ce qui venait de se passer. Était-ce une bonne décision de mettre Boon au courant ? Mon frère aimait agir seul, sans rien dire à personne. Heureusement, Boon était intelligent, et ses actions se soldaient rarement par une erreur.

    — [Bunn...] 

    Boon s'adressa à moi après avoir gardé le silence pendant un long moment. 

    — [Tann ne pourra rien faire à cause de sa mère. Et toi, tu es bien moins en état d'aider qui que ce soit puisque tout le monde te croit mort. Pour l'instant, je suis un outsider. Je peux bouger autant que je veux. Demander de l'aide à la police pour mon frère disparu n'est pas quelque chose d'inhabituel. Laisse-moi t'aider. Et en plus... écoute-moi attentivement.]

    — Quoi ? soupirai-je.

    — [Peux-tu juste... arrêter de penser que tu es seul dans cette histoire ? N'oublie pas que tu m'as toujours à tes côtés. Si quelque chose arrive, n'oublie pas de me demander de l'aide. Tu sais que quand maman a vu la nouvelle à la télé, elle a regardé ta photo de fin d'études et elle a pleuré ? Et Papa ne peut plus rien manger depuis]. 

    Je restai pétrifié en entendant cela.

    — [Il se peut que tu veuilles t'isoler de ta famille et t’en sortir seul. Mais n'oublie pas que tu as toujours ta famille. Alors, fais ce que je te dis, et ça se terminera plus vite.]

    Je serrai les poings. D'un ton de baryton profond et féroce, typique des professeurs, la déclaration de mon frère m'avait frappé en plein cœur, comme si mon être avait été secoué.

    — Je... je transmettrai ton message à Tann.

    — [Bien. Envoie-moi toutes les preuves que tu peux trouver. Plus il y en a, mieux c'est. Mets en évidence tous les délits dans lesquels Tann a été impliqué. J'essaierai de négocier avec la police.]

    — D'accord… répondis-je doucement.

    — [Hum, prends soin de toi. Je reviendrai aux nouvelles dans la soirée.]

    Sur ce, Boon mit fin à l'appel.

    Tann me regarda avec des yeux pleins de questions. Je lui répétai ce que m'avait dit Boon, et il prit un air pensif. 

    — Je pense qu'il est hors de question d'entrer dans la maison de mon père pour récupérer des preuves. Il serait difficile de le faire.

    Je me souvins alors de quelque chose. 

    — La photo ! La photo de mon pseudocide ! Tu l'as envoyée à Paul, n'est-ce pas ?

    — Oui, répondit Tann en écarquillant les yeux.

    — Et comment as-tu reçu son ordre ? Par message ou par appel téléphonique ?

    — Paul m'a ordonné de te tuer par téléphone, mais j'ai envoyé la photo de ton corps via la boîte de messages. Paul a seulement tapé un message, [Photos ?] avant que je ne lui envoie la photo.

    Tann me montra l'écran du téléphone. Mon cœur s'emballait.

    — Prends une capture d'écran et envoie-la à Boon.

    — Mais Paul n'a rien envoyé d'autre. Je ne sais pas si le mot [Photos ?] suffirait à le faire condamner pour ta mort.

    — Nous pourrions au moins dire qu'il était au courant, dis-je en pointant du doigt le mot ‘lu’ qui apparaît à côté de la photo. Ou ce serait encore mieux si on arrivait à voler le téléphone de Paul.

    Tann se tut comme s'il réfléchissait à quelque chose. Je m'apprêtais à lui parler d'un plan pour mettre fin à la vie de Paul, mais Tann me coupa la parole. 

    — Et la capture d'écran que Paul a envoyée à Pert ?

    Je haussai les sourcils.

    — Il serait évident que Paul est impliqué dans ma mort. Ce qui veut dire que nous devons voler son téléphone portable.

    Tann secoua la tête, ce qui me surprit encore plus. 

    — … Bunn, s'il te plaît, ne me crie pas dessus. 

    — Pourquoi je ferais ça ?

    Me cachait-il quelque chose ? Faisait-il encore ce genre de choses ?

    Tann fouilla dans sa poche et en sortit quelque chose. Un téléphone portable. 

    — J'ai essayé d'appeler Pert à plusieurs reprises. Si la police jette un coup d'œil à son téléphone, elle trouvera des tonnes d'appels manqués de ma part, dit Tann en posant le téléphone dans ma paume. C'est le téléphone que j'ai trouvé à côté de son corps. Je l'ai pris avec moi.

    Mon cœur faillit s'arrêter, ne sachant pas que Tann avait emporté quelque chose du cadavre.

    — Pourquoi ne m'as-tu rien dit jusqu'à présent ? Et... et comment peut-on l'allumer ? Faut-il une empreinte digitale ?

    — Il faut entrer le code d'accès. Pert avait l'habitude de m'ordonner de passer des appels téléphoniques pour lui. Il utilisait le même code d'accès sur chacun de ses téléphones, indiqua Tann en montrant le téléphone que je tenais dans ma main. Et celui-ci n'est pas différent. En plus, il y a un message de Paul qui envoie ta photo à Pert.

    À ce moment-là, je vis quelque chose défiler devant mes yeux, comme si une lueur venait percer les sombres nuages. C'était quelque chose que j'appelais ‘espoir’.



    Je ne savais pas combien de temps s'était écoulé depuis l'appel du Dr Boonlert. Avec l'angoisse, le temps semblait dix fois plus lent.

    Comment va ma mère en ce moment ?

    Thad l'a-t-il déjà fait sortir ?

    Paul sait-il où elle se trouve ?

    Ces questions tournaient en boucle dans ma tête depuis dix bonnes minutes. Finalement, je décidai d'appeler à nouveau ma mère, même si le dernier appel remontait à moins de dix minutes.

    Maman était toujours chez l'oncle Berm. Thad n'était pas encore arrivé.

    Je pressai la touche de fin d'appel et soupirai de soulagement. Je levai les yeux vers Bunn, qui était occupé à faire quelque chose avec le téléphone que Pert lui avait donné et celui que j'avais trouvé à côté du corps de mon frère. 

    — Les photos, l'historique de Line Chat et le fichier audio de la conversation entre toi et Pert, je les ai tous envoyés à Boon, dit Bunn avant de se lever, l'air pensif. Nous prenons un risque. Même si l'inspecteur est un ami de Boon, je ne veux pas lui faire entièrement confiance.

    — Parfois, nous devons prendre quelques risques. On ne peut pas rester éternellement dans la malchance, le rassurai-je, en espérant lui offrir un peu de réconfort. 

    Cependant, il se contenta de me regarder en silence et ne dit rien de plus. Je me rendis compte que Bunn avait pris le risque de me faire confiance une fois et je me sentis mal à l'aise.

    — Si quelque chose se produisait, Boon nous le ferait savoir. Si nous en arrivons là, ta mère et nous devrons faire nos bagages et nous enfuir, dit Bunn en gardant son air sérieux. 

    Bunn n'était pas du genre à ressasser son passé futile. Il allait toujours de l'avant, ce qui me terrifiait, car parfois je ne savais pas ce qu'il avait en tête.

    Je ne savais pas comment les personnes qui entretenaient des relations amoureuses avec lui géraient cette facette de sa personnalité. J'aimerais vraiment me pencher sur la question.

    — Espérons que nous n'en arriverons pas là...

    Buzz...

    Mon téléphone portable vibra, interrompant notre conversation. Je le retournai rapidement. Finalement, je recevais l'appel que j'attendais depuis longtemps. Je répondis d'un seul geste.

    — Thad, tu es déjà arrivé ?

    — M. Black, murmura Thad, je suis déjà là, mais...

    Mon cœur se mit à battre la chamade. 

    — Mais quoi ?

    — Les hommes de Zom sont là aussi. J'ai à peine eu le temps de faire une embardée dans la ruelle. Heureusement que je n'ai pas pris ma moto.

    — Quoi  ? m'exclamai-je. Tu veux dire que Zom est arrivé avant toi  ?

    Zom était l'un des hommes de main de Paul.

    — Oui, ça ne sent pas bon du tout, mec. Paul va sûrement trouver ta mère. Zom et ses hommes entrent et sortent de toutes les maisons du coin.

    — Merde ! jurai-je bruyamment, dans un mélange de colère et de désarroi. 

    Bunn tressaillit légèrement à ma réaction, m'observant avec une expression nerveuse sur le visage. 

    — Est-ce que tu vois un accès à la maison au toit bleu sur la photo que je t'ai envoyée ?

    — C'est bien pire pour cette maison. Il y a peut-être trois ou quatre types qui bloquent la porte, M. Black, me signala Thad. Je n'ai aucune idée de la façon dont ils savent que votre mère est ici. Je n'ai pas pu venir assez vite. Je suis désolé.

    Tout mon être tremblait comme une feuille. J'avais à peine la force de répondre, ma vision se brouillait. 

    — Tu ne te moques pas de moi, n'est-ce pas ?

    — Pourquoi diable ferais-je ça ? C'est sérieux, me répondit Thad d'une voix ferme, ce qui était son ton habituel. Je me cache dans ma voiture en ce moment. Si quelque chose change, je t'appelle.

    Bunn s'approcha de moi. Ma réaction semblait lui donner une idée de la situation. Le médecin légiste tendit la main et serra mon bras, ce qui eut pour effet d'apaiser temporairement mon tremblement. La main qui tenait le téléphone tomba mollement sur le côté. L'engourdissement se répandit dans tout mon corps comme si on m'avait jeté un seau de glace. Puis, mon téléphone vibra à nouveau - une courte vibration, indiquant que quelqu'un avait envoyé un message. Je rassemblai toutes mes forces pour soulever le téléphone portable.

    — [Es-tu dans ta classe en ce moment  ?]

    — [Appelle-moi quand tu as fini.]

    — [Frère.]

    Frère ?

    Depuis que nous nous connaissons, jamais Paul ne m'avait appelé ainsi. Je sentais qu'une sorte de moquerie émanait de ce mot. Je recomposai le numéro de Paul et pressai lentement le téléphone contre mon oreille.

    Bunn me regarda comme s'il voulait savoir ce qui se passait. 

    — S'il te plaît, laisse-moi écouter.

    Je mis le haut-parleur en marche et la musique ne sonna que deux fois avant que quelqu'un ne réponde à l'appel. 

    — [Oh, tu es vraiment rapide.]

    —  Qu'est-ce que tu veux ? 

    Ma voix était loin d'être habituelle.

    — [Tu as une minute ? Rencontrons-nous.] La voix de Paul débordait de satisfaction. [Je suis venu rendre visite à ta mère. Tu vois, je veux lui annoncer la nouvelle à propos de Pert. J'ai failli la rater parce qu'elle n'est pas chez elle. Mais elle est au courant maintenant. Nous irons à l'enterrement ensemble aujourd'hui.]

    Ma colère jaillit comme une explosion. 

    — Oh, arrête de me traiter avec condescendance. Qu'est-ce que tu veux !!!

    — [Pourquoi tu t'énerves ? Il doit bien y avoir une raison...]

    — Où est ma mère, putain !  ? hurlai-je dans le téléphone, faisant sursauter Bunn par ma réaction agressive.

    Un rire froid retentit dans mes oreilles. 

    — [Quel est le problème ?]

    — Qu'est-ce qu'il va se passer, Paul  ?

    Je ne pouvais plus contrôler mes émotions.

    — [Rendez-vous à l'entrepôt. Tu demanderas le pardon de Pert pour que son esprit repose en paix. Ensuite, je t'emmènerai à la police. Dis-leur que tu as tué Pert et ce médecin. Ta mère sera en sécurité. Qu'en penses-tu, mon frère  ?]

    — JE - NE - L'AI - PAS - TUÉ, dis-je en soulignant chaque syllabe. Laisse ma mère partir maintenant.

    — [Ne me fais pas répéter. Sois là à 19 heures précises. Ce n'est pas grave si tu te dégonfles. J'aimerais savoir ce qui se passera si je ne l'amène pas à la dialyse pendant une semaine.]

    Et puis l'interlocuteur raccrocha avant même que j'aie pu répondre. Je jetai un coup d'œil à l'heure sur l'écran du téléphone. Il était 17 h 30.

    Bunn m'attrapa rapidement les deux bras, nerveux. 

    — Calme-toi. Réfléchis bien. Maintenant, nous avons l'avantage. Si nous attendons encore un peu...

    La voix de Bunn ne pouvait plus m'atteindre. Je dégageai sa main, me dirigeai directement vers le bureau et saisis la clé de ma voiture. Je tournai les talons et pris la direction de la porte. Quelqu'un me saisit le bras gauche, m'arrêtant une fois de plus. 

    — Tann !

    — Lâche-moi, dis-je d'un ton impassible. Je dois aller voir ma mère.

    — Comment peux-tu faire ça ? Tu vas mourir.

    — Si je n'y vais pas maintenant, alors quand  ? hurlai-je en me retournant vers Bunn qui était abasourdi. Plus de réflexion, plus de planification. C'est une perte de temps ! Je ne sais même pas si elle va bien. Combien de temps veux-tu que j'attende, hein ? Tu prendras la responsabilité si elle meurt  ?

    Je retirai mon bras de son emprise, pointant mon doigt vers le lit. 

    — Tu ne viens pas avec moi. Retourne te coucher et ne bouge pas. Si tu ne m'écoutes pas, je te remets les menottes.

    Bunn semblait choqué par mon emportement, il y avait de l'horreur dans son regard, comme s'il avait peur que je le frappe. Il reculait au fur et à mesure que je lui parlais. 

    — Je ne veux pas que tu partes maintenant. C'est peut-être un piège.

    — Je me fiche de savoir si c'est un piège. Mais je sais que ma mère est avec Paul en ce moment. Je dois y aller quoi qu'il arrive.

    Je fixai Bunn. Je n'allais pas retomber dans le même piège. Je voyais dans son attitude un acte d'acquiescement, un acte pour me faire baisser ma garde. 

    — Je sais qu'une fois que je me serai retourné et que j'aurai quitté cette pièce, tu trouveras un moyen de me suivre, n'est-ce pas ?

    — Reprends-toi d'abord !

    Bun avait l'air en colère. Je secouai la tête. La situation de ma mère était déjà assez grave, et maintenant je devais penser à l'homme dont j'étais profondément amoureux. Je ne pouvais pas laisser quelque chose arriver à l'un ou à l'autre.

    — Retourne là-bas, lui ordonnai-je en me dirigeant vers le sac en bandoulière. Son regard me suivit.

    — Tu es sérieux ?! se plaignit Bunn en se tenant le poignet. 

    Lorsque je sortis du sac l'étui en cuir contenant les menottes, je jetai un coup d'œil à Bunn et vis qu'il avait sorti le pistolet, le tenant dans ses mains.

    — Bunn... on ne va pas faire ça, dis-je d'une voix froide alors qu'il tenait toujours l'arme dans sa main droite.

    Bunn leva la main dans laquelle il tenait l'arme, et au début, je crus qu'il allait me viser avec son arme. Mais l'instant d'après, l'arme vola de sa main vers moi. Je tendis la main vers l'arme du crime. Le feu qui couvait dans ma poitrine fit place à la perplexité. Bunn avait toujours l'air contrarié, mais il parvenait à contrôler sa colère, bien mieux que moi. Son attitude à ce moment-là m'aida à me calmer un peu.

    — Prends-le avec toi, dit Bunn en regardant l'arme dans ma main. C'est mieux que rien.

    Mes yeux se portèrent sur le revolver argenté dans ma main. Je vérifiai que les balles étaient bien chargées à l'intérieur avant de le mettre dans ma poche. 

    — Peux-tu me promettre de rester ici, de ne pas me suivre ?

    — Seulement si tu me promets de revenir sain et sauf, souffla Bunn, et mon cœur battit plus vite à ses mots. Je ressentis une pointe de culpabilité à l'idée précédente de lui infliger un traitement sévère.

    — Je suis désolé. Je n'ai pas... J'avais peur que tu me suives... et que tu sois en danger.

    Je levai ma main droite et pris son visage dans ma main. 

    — Tu restes ici. Ne va nulle part, tu m'entends ?

    J'essayais de parler d'une voix douce. Bunn ferma les yeux et hocha lentement la tête en guise de réponse.

    — Je reviens vite...

    Je m'éloignai précipitamment de Bunn, ouvris la porte d'un coup sec et quittai frénétiquement la pièce. J'avais encore beaucoup de temps devant moi avant l'heure du rendez-vous. J'attendrai Paul dans l'entrepôt. Je n'avais pas de plan sophistiqué en tête pour le moment. Tout ce que je savais pour l'instant, c'est que je ferais tout ce qu'il faut pour que ma mère soit en sécurité.

    Et je ferais tout ce qu'il faut pour que le coup de feu tue mon grand frère… de façon permanente.

    Il n'était pas rare que le soleil se retire tôt en hiver à l'arrivée du crépuscule. Une fois la chaleur du soleil disparue, l'air froid intervint, faisant pâlir mes mains, surtout celle qui tenait le revolver, qui s'engourdit jusqu'à ce que je ne la sente plus. Je m'assis sur une caisse en bois, observant les alentours - ce vaste espace dans lequel la lumière diminuait de minute en minute.

    Avant de venir ici, je m'étais précipité chez le voisin du cousin de ma mère, dans la maison duquel je lui avais dit de se cacher. Le propriétaire de la maison m'avait dit que quelqu'un était venu la chercher en disant qu'ils se rendaient à l'enterrement. Les personnes qui étaient venues la chercher étaient toutes des hommes grands et costauds, et l'un d'entre eux était l'homme que tout le monde connaissait - le fils aîné de M. Odd, Paul.

    18 h 50

    L'heure du rendez-vous se rapprochait au fur et à mesure que les minutes passaient, mais je ne voyais toujours personne arriver.

    Je regardai le sol à l'endroit où le corps de Pert avait été trouvé. Etait-il encore là ? Il devait être le seul à savoir qui lui avait fait ça. Ce serait plus facile si je pouvais communiquer avec lui.

    Mes pensées vagabondes s'interrompirent lorsqu'une lumière orange s'infiltra à travers le portail, accompagnée du grincement des roues sur l'asphalte. Je rangeai mon arme dans ma poche et fixai intensément le portail. En quelques secondes, une paire de phares s'alluma devant le véhicule avant qu'un groupe d'hommes ne franchisse la porte de l'entrepôt, avec à sa tête un homme de grande taille vêtu d'une chemise à manches courtes et d'un pantalon noir. Je pouvais voir ses yeux acérés me fixer avec ressentiment à travers la pénombre. L'homme s'arrêta à dix mètres de moi.

    — Tu sais, je l'ai dit si souvent à papa, te garder c'est comme nourrir une vipère en son sein. Paul commença par cette phrase. Elle mordra la main qui l'a nourrie. Serpent ingrat. Il n'y a pas de loyauté dans ses os.

    — Où est ma mère  ?

    J'allai droit au but, ignorant le préambule de mon interlocuteur.

    Paul rit et se retourna pour faire un signe de tête à Zom, son homme de main. Zom sortit de l'entrepôt et revint avec une femme grassouillette, vêtue d'un costume blanc. Je me levai, regardant ma pauvre maman avec des yeux inondés de sollicitude. Je vis un pistolet dans la main droite de Zom, le canon était pointé sur son torse.

    — Tann ? appela ma mère d'une voix tremblante.

    — Oui, maman... répondis-je d'une voix tremblante et me tournant vers Paul avec colère. Qu'est-ce que tu veux ?

    — Comme je l'ai dit, va là-bas, dit Paul en désignant le sol où le corps sans vie de Pert avait été trouvé. Implore son pardon, dis-lui que tu seras puni pour le crime que tu as commis. Dis à mon frère que son esprit peut maintenant se reposer. Ensuite, tu viendras au poste de police avec moi. Dis-leur que tu as tué Pert, cette femme et le docteur. Et ne dis jamais mon nom. Si je découvre que tu l'as fait... Eh bien, tu sais ce qui arrivera.

    — Très bien, répondis-je sans hésiter. Paul eut l'air surpris. Si tu laisses partir ma mère.

    Paul haussa les épaules. 

    — Je ne pensais pas que ce serait aussi facile. Mais ce n'est pas si grave, on peut en finir rapidement. Allez, vas-y. Qu'est-ce que tu attends ?

    Je marchai jusqu'à l'endroit où Pert était mort et regardai la zone impeccablement nettoyée, comme si rien ne s'y était passé. Je restai un long moment à fixer cet endroit.

    — Vas-y, fais-le ! Fais-le, prosterne-toi ! Tu dois te prosterner et demander le pardon de mon frère !

    Paul était furieux. Sa voix résonna dans tout le bâtiment.

    — Savais-tu que… dis-je d’un ton impassible. Ce que Pert a dit avant de mourir  ?

    J'entendis ma mère pleurer. Paul serra les poings, ses yeux se plantèrent dans les miens. 

    — Il a dit que j'avais pris l'homme qu'il aimait, gloussai-je. Pert était tellement en colère de savoir que j'avais assassiné le docteur, son meilleur ami, ou il pourrait être plus que ça...

    — Qu'est-ce que tu as dit ?

    — Ça m'a fait un choc à moi aussi, tu sais ? Je ne savais pas que Pert était comme moi, qu'il aimait aussi baiser les hommes, dis-je en me tournant vers Paul. J'ai donc dû le tuer avant qu'il ne puisse dire à quelqu'un d'autre que c'était moi qui avais tué le Dr Bunn. C'est le procureur, pour l'amour de Dieu, mais il est assez stupide pour boire le café que je lui ai donné de toute façon. Il a souffert, il a suffoqué en rampant. Et il est mort. Ici même.

    Comme si la patience de Paul avait fini par céder, il se rua sur moi et son poing s'abattit sur mon visage. Le coup brouilla ma vision pendant un instant et je titubai sur le côté. J'étais allongé sur le sol, recroquevillé en position fœtale. Je portai ma main à ma tempe. Mon autre main se plaça devant ma cuisse, mes yeux suivant chaque mouvement de Paul.

    C'était le moment que j'attendais.

    Au moment où Paul fouilla dans sa poche, je portai ma main à l'arme qui se trouvait dans la poche de mon pantalon, prêt à appuyer sur la gâchette.

    Puis, le premier coup de feu retentit, détruisant le silence de la nuit.



  • Commentaires

    2
    Jeudi 15 Février à 12:10

    Merci beaucoup pour cette suite ,quelle angoisse vivement la suite

    1
    Mercredi 14 Février à 20:15

    Oh, Tann est en mauvaise posture...

    Heureusement je connais la fin XD

    Merci pour ce nouveau chapitre !

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