• Chapitre 16

    Chapitre 16
     

    La seule chose que je craignais que Bunn découvre dans mon bureau était l'année où j'avais obtenu mon diplôme.

    Je regardai le Dr Bunn monter les escaliers menant à mon bureau, au troisième étage de l'école de bachotage. Mon bureau aurait dû l'impressionner. J'avais l'habitude de me débarrasser de mes bibelots inutiles pour ne laisser qu'un espace de travail propre et bien rangé. Je préférais un lieu de travail propre et spacieux. Je savais bien que Bunn inspecterait ma chambre pour savoir qui j'étais. Cependant, j'étais certain qu'il ne trouverait rien d'autre que des photos et des piles de documents que je faisais pour mes élèves.

    La seule chose qui pouvait être considérée comme inhabituelle était une photo de fin d'études sur la vitrine derrière le bureau. Je ne savais pas si Bunn se méfierait du fait que je venais de recevoir mon diplôme l'année dernière, l'année de mes 25 ans, une fois qu'il l'aurait vue.

    Mais qui soupçonnerait quoi que ce soit au sujet de l'année d'obtention d’un diplôme ? Bunn ne savait probablement même pas quel âge j'avais. J'essayai de me débarrasser de cette inquiétude et me dirigeai vers la salle de classe. Je jetai un coup d'œil à travers la porte vitrée, voyant tous mes charmants élèves qui m'attendaient. J'avais presque dix minutes de retard. Je leur devais probablement de grandes excuses.

    Une fois à l'intérieur, les bavardages s'arrêtèrent progressivement. Les élèves se tournèrent vers moi et levèrent la main en guise de salut, le sourire aux lèvres.

    — Désolé d'être en retard, les gars.

    Je me dirigeai vers le tableau blanc à l'avant de la salle, mes yeux balayant mes élèves qui tournaient la page de leurs polycopiés. 

    — Aujourd'hui, nous allons terminer sur les biomolécules et je vous apporterai le test de quota pour que vous puissiez vous entraîner à la fin du cours. Si vous avez des questions sur quoi que ce soit, c'est le moment de les poser parce que le test approche.

    Je remarquai alors que le garçon, qui portait un uniforme d’école et qui était assis près de la fenêtre, était complètement ailleurs. Il reposait son menton sur sa main, ses yeux étaient rivés sur la fenêtre et il souriait sans cesse.

    — Sorrawit ! interpellai-je le garçon à la silhouette élancée. Oi, s'il te plaît, sois attentif en classe. Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu rêvasses à ta copine ?


    Sur ce, un éclat de rire retentit dans toute la classe. Sorrawit avait toujours été la cible de mon stratagème inoffensif pour ensoleiller la classe. La réaction du garçon qui recevait ma taquinerie était si attachante qu'elle nous aidait, moi et les autres élèves, à nous sentir plus détendus. Sorrawit tourna nerveusement la tête vers moi. Le rouge s'étendait de ses joues jusqu'au bout de ses oreilles.

    — P... Personne, monsieur, dit Sorrawit en se grattant la tête et en s'empressant d'ouvrir les documents. 

    J'avais rencontré ce garçon lorsque je m'étais rendu dans son école pour proposer une préparation à l'examen. Sorrawit était venu me voir et m'avait dit qu'il voulait faire des études de médecine. Je l'avais donc persuadé de s'inscrire à mon cours intensif de préparation à l'examen des quotas. Il était naïf et attentif. Je souhaitais qu'il soit accepté à l'école de médecine comme il l'espérait.

    — Regarde ton visage rouge. Bien sûr que si. Comment oses-tu te trouver une petite amie avant moi ? taquinai-je le garçon une fois de plus avant de reprendre mon cours. Bien, allez à la page 39 du manuel. La structure chimique des acides aminés...

    Le cours se déroula sans encombre et fut passionnant. J'adorais enseigner aux enfants. Jamais je n'aurais imaginé qu'un jour je deviendrais professeur. Pourtant, le destin avait semblé me mener tout droit sur cette voie par nécessité. Je devais remercier la personne qui m'avait incité à faire ce métier, car c'était un travail que j'aimais. Et le revenu était même excellent, si vous voulez mon avis.

    Mon objectif après ce cours était d'aller voir l'homme qui m'attendait dans mon bureau. J'avais réussi à convaincre Bunn de me faire confiance. Le plan visant à lui faire croire que l'intrus et moi étions deux personnes différentes avait amélioré nos relations. J'essayais de le convaincre de rédiger le rapport falsifié. Lorsque tout irait bien et que mon implication dans cet incident lui passerait inaperçue, je l'inviterais sérieusement à sortir avec moi.

    Oh, comme j'aspirais à ce jour. Le jour où nous serions libérés de cette folie et où nous vivrions une vie paisible ensemble.



    La lumière du soleil perçait l'épaisse brume matinale et pénétrait par la fenêtre de la chambre que nous partagions, Bunn et moi. Ma peau nue commença à se réchauffer avec la température qui augmentait dans la pièce. Le canon de l'arme qui me visait me donnait l'impression que le temps était figé. Mon cœur se serra douloureusement à la vue de l'homme qui tenait cette arme dans ses mains, les mains d'un excellent médecin légiste, les mains de l'homme que j'aimais.

    Je ne lui en voulais pas le moins du monde que la situation ait tourné ainsi. C'est moi qui avais commencé, je l'avais trompé et trahi. Pourtant, je ne voulais pas me retrouver dans cette situation. Cela signifiait que tout devenait incontrôlable et que Bunn serait en danger.

    — Bunn…, dis-je à voix basse à l'homme qui se trouvait devant moi, baisse ton arme...

    — Tu n'as plus à me dire ce que je dois faire, Tann.

    Bunn me fixa, son expression était impassible et inébranlable. 

    — Lève les mains, que je puisse les voir. 

    Je fis ce qu'il m'ordonnait. Bunn toucha mon pantalon avec son pied et s'accroupit lentement pour chercher quelque chose dans la poche, tout en pointant son arme sur moi, sans que son regard ne me quitte une seule seconde. En peu de temps, il trouva ce qu'il cherchait.

    Mon téléphone portable.

    Ses yeux se portèrent sur l'écran avec méfiance. Il fronça les sourcils en voyant que mon téléphone était verrouillé. 

    — Donne-moi le mot de passe.

    — Bunn, essayai-je de l'amadouer. Il faut qu'on parle.

    S'il parvenait à accéder à mon téléphone portable, il connaîtrait la vérité sur tout.

    — La seule chose que je t'autorise à dire, c'est d'expliquer toute l'affaire ; qui es-tu, pour qui travailles-tu, qui a tué Janejira. Ensuite, nous laisserons la police faire son travail. Malgré les relations que tu as, avec des preuves solides, tu ne t'en sortiras pas.

    Une nouvelle quinte de toux s'échappa de sa bouche après qu'il se soit exprimé. Je voulus en profiter pour m'élancer vers l'arme, mais Bunn se ressaisit rapidement et beugla. 

    — Reste là ! Ne t'approche pas !!!

    Je m'arrêtai, attendant une nouvelle opportunité. Je savais que Bunn n'était pas un bagarreur, il était tout en cerveau et pas en muscles, ce qui n'était pas suffisant pour vaincre un bagarreur aguerri comme moi. Il était vrai que l'arme qu'il tenait dans sa main était chargée, mais je savais que Bunn n'appuierait pas sur la gâchette.

    — Bunn, tu es toujours malade. Pourquoi tu ne te rhabilles pas d'abord  ?

    J'esquivai le sujet en lui montrant mon inquiétude.

    — Le mot de passe...

    — Mais il fait froid. Si ça continue, à ce rythme, tu vas...

    — Tu es sourd ?! Donne-moi ce foutu mot de passe !

    Bunn craqua, son visage était féroce et furieux. Je n'avais jamais vu ce côté de lui auparavant, et cette vision me rendit bouche bée.

    Un silence gênant s'installa peu à peu entre Bunn et moi. Ce ne fut pas notre voix qui brisa le silence, mais le son de mon téléphone qui bourdonnait dans la main de Bunn. Mes yeux s'écarquillèrent d'horreur.

    Seule une poignée de personnes m'avait appelé récemment.

    Bunn jeta un coup d'œil rapide à l'écran pour vérifier l'identité de l'appelant, sans rien dire, comme s'il n'avait pas la moindre idée de qui il s'agissait. Bunn s'approcha de moi, levant l'arme sur ma tête. Je jetai un coup d'œil à l'écran pour voir qui appelait. C'était un numéro inconnu. Cependant, je savais à qui ce numéro appartenait : mon frère aîné, qui était en fuite. C'était son nouveau numéro de téléphone.

    — Réponds au téléphone. Reste décontracté.

    Avant que je puisse protester, Bunn décrocha et mit le haut-parleur pour qu'il puisse entendre la conversation à venir. Je fermai les yeux, me préparant à la calamité imminente.

    La vérité était sur le point d'être révélée. Dès que Bunn entendrait la voix de son interlocuteur, il comprendrait tout. Je ne pouvais qu'imaginer ce qui se passerait ensuite.

    — Allô… répondis-je d'une voix à peine plus forte qu'un murmure.

    — [Paul m'a montré la photo. Tann, tu as tué Bunn !?]

    L'homme au téléphone cria d'une voix assourdissante. Je vis Bunn tourner la tête vers le téléphone qu'il tenait à la main, abasourdi.

    — [J'ai dit de faire tout ce que tu peux pour qu'il falsifie le rapport, mais je ne t'ai pas dit de le tuer, putain. Va te faire foutre ! Tu as tué mon ami !]

    — Paul m'a dit de le faire, expliquai-je à Pert, en prenant le ton le plus décontracté possible.

    — [Putain de merde !] 

    La voix de Pert se remplit de dépit. 

    — [Paul, tu... Je n'ai jamais voulu que cela arrive. Je ne voulais pas qu'il meure aussi]. 

    Sa voix laissa échapper quelques sanglots. Cependant, j'étais devenu insensible aux sautes d'humeur de Pert. Je gardais un œil vigilant sur la réaction de Bunn, voyant ses yeux s'agrandir sous l'effet du choc, et sa main, tenant le revolver, se mettre à trembler.

    — Mon frère... Je ne peux pas parler pour l'instant. Je te rappelle.

    Je coupai court à la conversation en regardant Bunn, qui n'en croyait pas ses yeux.

    — [Rappelle-moi d'ici une heure, d'accord ? Il faut qu'on parle. C'est à propos de Paul.]

    Sur ce, il mit fin à l'appel. Après que Pert ait raccroché, le silence s'installa dans la pièce. Bunn laissa tomber la main qui tenait mon téléphone sur le côté. À cet instant, j'avais une occasion de reprendre le revolver.

    Bunn avait commis une erreur en se tenant près de moi. Je pensais pouvoir récupérer l'arme en un clin d'œil, étant donné mes capacités de combat supérieures. De plus, l'état d'esprit instable de Bunn à ce moment précis lui ferait naturellement baisser sa garde.

    A présent, j'attendais le bon moment. Je devais trouver un moyen de le désarmer sans lui faire de mal, ni à moi d'ailleurs.

    — Cette voix... c'est celle de Pert, n'est-ce pas  ?

    L'expression confuse de Bunn me plongea dans un profond sentiment de pitié. 

    — Il est toujours en vie. Il était dans l'ombre, commandant tout en coulisse.

    Bunn récitait ce que je lui avais dit un jour. La raison pour laquelle je l'avais mentionné à l'époque était de détourner l'attention de Bunn de moi. 

    — Tu l'as appelé "Frère". Quel est son lien de parenté avec toi ? Ne me dis pas que c'est parce que ta mère était une maîtresse...

    Je savais que Bunn finirait par faire le rapprochement tout seul. 

    — Je suppose que je n'ai pas besoin de développer.

    — Tu es son frère, n'est-ce pas ? 

    Bunn appuya le canon de l'arme sur mon front, et d'un ton dur, il ordonna : 

    — Réponds-moi !

    — Oui, je suis le demi-frère du procureur Songsak, né d'une autre mère, dis-je en fermant les yeux.

    — Raconte-moi tout. Que s'est-il passé exactement ? Pourquoi Pert t'a envoyé me menacer ? Qui a tué Janejira ? Et qui est Paul  ?

    À ce moment précis, Bunn avait l'air si intimidant.

    Son visage serein commençait à se dissoudre en rage et en ressentiment.

    Quelque chose me disait que Bunn avait déjà la réponse, mais ne la formulait pas. À ce moment-là, l'air froid et sec était de mon côté ; Bunn grimaça avant de tousser. En l'espace d'une milli-seconde, j'attrapai le poignet droit de Bunn et le lui tordis violemment. Je savais que je lui faisais très mal, mais je n'avais pas d'autre choix évident.

    — Ugh !

    Bunn cria de douleur, son visage se contorsionnant tout en restant capable de me résister, implacable. Son autre main se transforma en poing et se porta contre mon estomac. Je ne pensais pas qu'il avait encore autant de force, mais heureusement, j'avais réussi à bloquer l'attaque à temps. Ensuite, je tendis le bras pour attraper l'arme. Sachant qu'il était désavantagé, Bunn préféra lâcher l'arme plutôt que de me la laisser, et heureusement, le coup ne partit pas. Je tentai de la récupérer sur le sol, mais Bunn la renvoya d'un coup de pied dans l'autre sens.

    Non seulement j'étais épuisé par l'effort, mais je devais aussi me creuser les méninges pour lire dans l'esprit de cet homme. Parfois, l'esprit de Bunn était plus rapide que mon niveau d'intelligence ne pourrait jamais suivre. Ce qui était arrivé dans la salle de bains m'avait servi de leçon, me rappelant que je devais réfléchir attentivement à ce que je devais faire.

    Bunn tenta de m'asséner un coup de poing au visage, mais j'esquivai juste à temps, le faisant légèrement trébucher. Je l'attirai contre moi par la taille et le plaquai contre le mur. Bunn n'aurait pas pu me battre en termes de force, cependant, saisir son bras et le maintenir immobile s'avéra être une tâche difficile - la plus difficile, en fait. 

    — Bunn !

    Bunn cessa de se débattre, cherchant désespérément de l'air. J'exerçai une pression pour l'emprisonner dans mes bras. 

    — Pert a tué Janejira, c'est bien ça  ? demanda-t-il d'une voix sèche. 

    Je n'aurais pas été surpris si Bunn était parvenu à trouver ce qui était proche de la vérité sans mon intervention.

    — Si je te dis tout, tu me laisseras finir mon histoire, n'est-ce pas ?

    Bunn me répondit par une forte toux. Je sentais bien que son corps était plus chaud que d'habitude. Je resserrai mon étreinte autour de lui, en état de choc. Ça ne pouvait plus continuer comme ça.

    — Il faut que tu t'habilles.

    J'essayais de me creuser les méninges pour éviter qu'il ne s'enfuie pendant que je retournais lui chercher des vêtements. 

    — Je n'utiliserai pas d'arme. Je ne te mettrai pas les menottes. Mais je veux que tu restes ici. Je vais t'apporter des vêtements et tu sauras tout. Tout de suite. On est d'accord ?

    Bunn tourna la tête pour me regarder. 

    — Je ne te crois pas. Tu vas chercher l'arme ?

    — Je jure sur ma vie que non, dis-je fermement. Plus de secrets. Ce que je vais te dire à partir de maintenant, c'est la vérité. Ce que j'attends de toi, c'est que tu restes avec moi. Ne va nulle part tant que je n'ai pas fini... Tu peux faire ça  ?

    Je relâchai progressivement ma prise, m'éloignant lentement, craignant que Bunn ne s'enfuie de la pièce. Mais cela ne se produisit pas. Il resta immobile, face au mur. Je pris les vêtements qui s'empilaient sur le sol et les tendis à Bunn. Il enfila la chemise. Le froid avait dû aggraver sa maladie.

    Après avoir fini de nous habiller sans un mot, je le pris par la main et le raccompagnai jusqu'au lit. Bunn se laissa tomber dessus, les yeux dans le vague. Son visage était hagard et épuisé.

    — Bientôt, on apprendra la disparition mystérieuse du Dr Bunnakit, dit Bunn. Si je sors, je serai tué, n'est-ce pas ?

    Son regard se porta avec circonspection sur le pistolet intact dans le coin de la pièce.

    — C'est exact. Pour l'instant, tu dois faire le mort.

     Je me baissai lentement vers le sol, juste à côté de Bunn.

    — Alors vas-y, crache le morceau. Qu'est-ce qui se passe, bordel ?

    Je pris une grande inspiration et expirai lentement pour relâcher la tension. Si c'était ce qu'il fallait pour que Bunn reste ici avec moi, je devais sans doute tout lui dire.

    — Pert est celui qui a tué Janejira.... 



  • Commentaires

    2
    Vendredi 27 Octobre 2023 à 20:37

    Merci pour ce 16ème chapitre, toujours aussi intéressant à lire

    Bon courage pour la suite de la traduction

    1
    Jeudi 26 Octobre 2023 à 08:39

    Merci pour cette suite ,je l attend à chaque fois avec impatience merci

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