• Chapitre 14

    Chapitre 14
     

    Dans la nuit du 11 décembre, à 2 h 30 du matin, je réussis à hisser Manote, qui était inconscient à cause de l'alcool, sur le lit. Pae, un autre de mes amis, aidait Bank, qui marmonnait quelque chose en état d'ébriété, à entrer dans la chambre.

    — Ces types ont bu comme s'il n'y avait pas de lendemain, dit Pae en posant Bank sur le lit à côté de Manote. Et voilà mon lit qui disparaît. Et si on les mettait en scène en train de se faire des câlins et qu'on prenait des photos  ?

    — Mon Dieu, non. Je me sentirais mal pour leurs femmes, rétorquai-je en laissant échapper un léger rire. 

    Moi aussi, j'étais en état d'ébriété. J'avais l'impression que la pièce se balançait. Oui, il valait mieux s'asseoir une minute. Je m'allongeai sur le sol au bout du lit et fermai les paupières. Depuis combien de temps n'avais-je pas bu autant ? Pae, l'homme le plus sobre de la pièce, s'approcha de moi et s'assit à côté de moi.

    — Nous n'avons pas eu beaucoup d'occasions de parler pendant que nous buvions. Comment va ta vie ces jours-ci  ? me demanda Pae. 

    Je rouvris les yeux et me tournai vers l'homme assis à côté de moi. Pae était un bel homme, grand et mince, avec des cheveux mi-longs.

    — Ça va... Mon école est en plein essor. Beaucoup d'étudiants se sont inscrits dans ma classe. Et toi, Pae ?

    — Je continue à errer. Après avoir quitté mon travail à Bangkok, je ne savais pas quoi faire ensuite. Il se peut que je doive y retourner un jour ou l'autre. Mais pour l'instant, je suis rentré à la maison pour me ressaisir. Heureusement, je suis revenu juste à temps pour le mariage de Jack.

    Pae remit en place une mèche de cheveux derrière son oreille. Sous l'emprise de l'alcool, son geste était bien trop mignon pour que je résiste à la tentation. Je rapprochai mon visage de Pae, mais sa main se pressa soudain contre ma poitrine. 

    — Woah ! Tann ! Calme-toi, mon pote.

    Je reculai à contrecœur. Pae poussa un long soupir de soulagement. 

    — Je suppose que tu n'as toujours pas de petit ami... ?

    — Aucun, répondis-je en secouant la tête.

    Pae rit un peu. 

    — Mais moi j'en ai un. Désolé, mon pote  ? dit Pae en me tapotant l'épaule. Ne sois pas triste.

    Je ne savais pas ce que j'étais censé ressentir face à cette nouvelle. Mais une chose était sûre : je n'étais pas dévasté.

    — Qui est-ce ?

    — Le chef du département de mon ancienne entreprise, dit Pae en sortant son téléphone. Super mignon. Il m'a pourri gâté. Le jour où il a su que j'allais démissionner, il a pleuré au téléphone.

    Il me tendit le téléphone qui affichait une photo de lui en compagnie d'un grand gaillard. Tous deux habillés en costume, des badges d'identification autour du cou.

    — On sort toujours ensemble.

    — Ah... ? 

    Je ne fis qu'acquiescer en marmonnant.

    Pae dut s'amuser de ma réaction. Il sourit, secoua légèrement la tête et remit son téléphone dans sa poche.

    — Rappelle-moi pourquoi on n'est pas sortis ensemble à l'époque ?

    — Ouais….hésitai-je en fixant le sol, les yeux dans le vide. Je ne sais pas.

    — C'est probablement mieux ainsi. Ce ne devait pas se faire. Nous étions des pièces incompatibles d'un puzzle. Ça n'aurait pas marché de toute façon. J'ai pensé qu'il valait mieux étouffer l'affaire dans l'œuf, sinon nous ne serions plus de bons amis aujourd'hui, tu n'es pas d'accord  ? dit Pae en se levant. Tu peux dormir sur le canapé. Je prendrai l'autre chambre. Je te donnerai un oreiller et une couette.

    Je hochai la tête. En réalité, je pourrais m'allonger par terre, mais mon ami, le propriétaire de la maison, n'apprécierait peut-être pas. Je me levai et me dirigeai vers le salon. Je m'installai sur le canapé avant de me rendre compte que j'avais oublié d'appeler Nath. Cependant, la tâche ne semblait pas très urgente. Elle pouvait attendre que je sois pleinement réveillé. Cette pensée évacuée, je sombrai dans le sommeil avant même que Pae n'ait apporté la couette.



    La sonnerie stridente de mon téléphone portable me réveilla en sursaut. Les rayons du soleil du matin pénétraient à l'intérieur de la maison. La couette sur moi chauffait mon corps jusqu'à l'ébullition. Je jetai la couette sur le côté et décrochai rapidement mon portable que j'avais sorti de ma veste. 

    — Oui ?

    — [Où es-tu ?] 

    Une voix grave se fit entendre, me réveillant complètement. J'avais complètement oublié d'appeler la fille Nath pour mon frère----Pert.

    — Chez mon ami… répondis-je en levant la main pour me masser la tempe. Tout va bien ?

    — [Tann... qu'est-ce que je dois faire ?] 

    Je pouvais détecter que sa voix avait changé - nerveuse et confuse.

    — Comment ça ? Je fronçai les sourcils. Pert, ressaisis-toi. Qu'est-ce qui s'est passé ?

    — [Eh bien... c'était un accident...]

    Plus j'écoutais, moins je comprenais le sens de ce qu'il disait.

    — Qu'est-ce que tu as fait ?

    — [J'ai accidentellement étranglé Janejira à mort...]

    Il me fallut plusieurs millisecondes pour assimiler chaque syllabe prononcée par mon frère. Une fois que j’eus compris, je me relevai, paniqué.

    — Quoi ?!?

    — [Oui, j'ai accidentellement tué Jane.] 

    Il émit un "tch" inaudible accompagné d'une note de mécontentement. 

    — [J'ai réagi de façon excessive. Je n'aurais pas dû faire ça.]

    — Putain... Pert !!! Qu'est-ce qui t'as pris !!! criai-je.

    — [Tu n'as pas le droit de dire ça ! Maintenant, tu ferais mieux de m'aider à réfléchir à ce que je suis censé faire ensuite.]

    — Quoi faire ? Il faut que tu préviennes la police tout de suite !

    Je parlai plus doucement, marchant rapidement hors de la maison de Pae pour que personne dans la maison n'entende cette conversation.

    — Pourquoi ? Pourquoi l'as-tu tuée ? N'était-ce pas la fille à laquelle tu tenais tant ? J'ai reçu des ordres de ta part, je l'ai véhiculée pour l'amour de Dieu. Comment as-tu pu faire ça  ? Putain de merde... dis-moi pourquoi, demandai-je en me pincant l’arête du nez.

    — [Eh bien, c'était une salope. Et elle m'a fait chier...] 

    Sa voix se transforma en une rage tonitruante. 

    — [Si tu ne m'aides pas, j'irai parler à Paul.]

    — Pert, tu ne vas donc pas te rendre ? Tu vas, quoi, étouffer l'affaire  ?

    C'était la première fois que je devais faire face à un meurtre commis par un membre de ma famille. Un incident similaire s'était produit - une seule fois - lorsque j'avais tout juste emménagé chez mon père.

    L'oncle Eid, le frère aîné de mon père, avait abattu son débiteur et s'était débarrassé du corps. Je ne me souvenais pas beaucoup des détails, mais je me souvenais que l'oncle Eid s'en était sorti facilement.

    — [Qui a parlé de me rendre ? N'oublie pas qui je suis.]

    Bien sûr, la nouvelle d'un procureur honorable qui mettrait fin à la vie d'une femme deviendrait sûrement un événement national. 

    — Pert, ce n'est pas bien. Je ne peux pas t'aider à t'en sortir. Va parler à Paul et donne-moi les ordres quand tu auras réglé le problème.

    — [Quelle merde inutile tu es. D'accord. Je t'appellerai quand j'aurai parlé à Hong.] 

    Puis, Pert raccrocha.

    Je levai les yeux au ciel, la main crispée sur le téléphone portable. Jane et moi nous sommes connus lorsque je donnais des cours particuliers aux élèves du lycée pour lequel Jane travaillait. Nous n'étions pas très proches jusqu'à ce qu'elle devienne l'une des filles de Pert. Il m'avait chargé de m'occuper d'elle, car je devais de toute façon donner des cours particuliers à ses élèves. Je la conduisais à l'école, si bien que tout le monde pensait que nous sortions ensemble. Jane aimait mon frère de tout son être. Elle me disait qu'il était le premier homme à l'avoir rendue heureuse. Mais je ne pouvais pas dire grand-chose sur le genre d'homme que Pert était vraiment. Un jour, Jane avait appris qu'elle n'était pas la seule fille dans la vie de Pert. Inutile de dire qu'à partir de là, tout s'était dégradé.

    Je décidai de dire au revoir à Pae, qui préparait du café pour nos amis. Je le serrai rapidement dans mes bras et me précipitai hors de la maison. J'allai directement chez moi, dans le centre ville. Il devrait y avoir beaucoup de choses à discuter et je pourrais être chargé de faire quelque chose.

    Après avoir évalué la situation, j'étais arrivé à la conclusion que le meurtre était une affaire sérieuse. Si la situation était jugée trop difficile à gérer pour moi ou s'il y avait de fortes chances que je me retrouve derrière les barreaux, ma mère et moi devrions peut-être trouver un moyen de partir d'ici.

    À peine rentré à la maison, j'appelai le numéro de Jane. Et bien sûr, personne ne répondit au téléphone. Je ne savais pas dans quel état elle était maintenant. La seule personne qui le savait était celle qui lui avait volé sa vie. Je ne pouvais même pas rester assis à cause de la peur.

    Que devais-je faire maintenant ? Je ne voulais pas être impliqué dans cette merde. Cependant, je devinais que c'était inévitable.

    Après une demi-heure d'agitation et d'attente, Pert me rappela finalement. Je m'empressai de prendre l'appel. 

    — Quoi maintenant ? Où es-tu  ?

    J’étais suspendu au téléphone.

    — [Je serai chez toi dans cinq minutes...] 

    Je perçus le flottement dans la voix de mon frère. Lui aussi était en état de choc. 

    — [Je veux que tu fasses quelque chose pour moi. On en reparlera plus tard.]

    Je soupirai, me préparant à la mission cruciale qui s'annonçait.

    — [On se voit bientôt.]

    Environ cinq minutes plus tard, j'entendis le bruit de la voiture qui se garait devant la maison. J'ouvris le portail, regardant l'exorbitante voiture européenne blanche qui bloquait le passage. Un homme grand et élégant descendit de la voiture et entra dans la maison. La porte était déjà ouverte, attendant son arrivée. La détresse se lisait sur son visage. Pert se dirigea vers le canapé et s'y installa, épuisé. Je m'assis sur le côté du canapé, regardant mon frère aîné qui remuait les jambes pour tenter de se débarrasser de son anxiété qui le tenaillait. Je le fixai du regard.

    — Explications, s'il te plaît....

    — Je ne veux pas donner beaucoup de détails. Ce qui est fait est fait. Nous devons nous tourner vers l'avenir.

    Pert commença à se ronger les ongles, fermant les yeux comme s'il essayait de se calmer.

    — Pourquoi as-tu tué Jane ? insistai-je.

    — J'ai dit que je ne voulais pas en parler !

    Il haussa le ton, ce qui me fit fermer la bouche, malgré mon désir sincère de connaître la raison et ce qui avait pu déclencher ces actions sauvages et barbares. 

    — Ecoute, Jane souffrait de dépression, il y a donc de fortes chances qu'elle se soit suicidée, n'est-ce pas ? Quand j'ai compris que Jane était morte, j'ai mis en scène une pendaison...

    Après avoir imaginé ce qui s'était passé, je fermai les yeux, consterné. J'essayais de calmer mon esprit. 

    — Tu as pendu le corps de Jane ? 

    — Oui, je devais le faire.

    —  Tu penses pouvoir tromper la police ? 

    — Ce n'est pas la police qui m'inquiète. Il serait facile de les tromper. En revanche, c'est le médecin légiste qui m'inquiète.

    Je haussai les sourcils. 

    — Le médecin légiste ?

    — Oui, celui de l'hôpital provincial. C'est mon ami, en fait, mais pas le genre d'ami à qui je pourrais demander une faveur pour des activités illégales. Il n'y a pas moyen de le tromper à propos de Jane, ça je peux le dire. Quelle que soit la façon dont j'ai mis en scène la mort, il saura qu'il s'agit d'un meurtre et non d'un suicide. J'ai beaucoup travaillé avec lui ; ce bâtard est trop intelligent pour son propre bien.

    — Que comptes-tu faire alors ? Il est clair que tu ne parviendras jamais à tromper le médecin.

    Je me frottai les mains sur le visage, un long soupir s'échappa de ma bouche. 

    — Pert, ce n'est pas bon du tout. Et qu'a dit Paul ?

    — C'est ce que je m'apprête à te dire, me dit Pert en pointant son doigt. Paul va s'occuper de ça et moi je vais m'enfuir.

    J'écarquillai les yeux. 

    — Tu t'enfuis ?! C'est encore plus suspect, non ?

    — Non, je vais faire croire que quelqu'un m'a kidnappé. Je m'absenterai jusqu'à ce que la situation s'améliore. L'affaire sera close si l'on détermine que la mort est due à un suicide, ce qui nécessite plusieurs facteurs. Néanmoins, le rapport d'autopsie constitue un élément de preuve important. Il ne doit pas laisser penser qu'il s'agit d'un meurtre…

    Les mains de Pert se rejoignèrent sous son menton, et son visage parut troublé. 

    — Un de mes amis est flic. Nous pouvons lui parler, il doit beaucoup à mon père. Il nous donnera les informations de la police. Quant à toi... 

    Pert leva les yeux vers moi. Je lui rendis son regard féroce. Je ne voulais pas du tout être impliquée dans cette histoire. Je ne pouvais que m'arracher les cheveux intérieurement. 

    — Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

    — Avant tout, va dans la chambre de Jane, fais en sorte d'être la personne qui découvre le corps et appelle la police. Fais en sorte que ça ait l'air spontané, dit Pert en se levant. Ensuite, attends que l'équipe médico-légale arrive. Tu verras ta cible, un médecin légiste nommé "Bunnakit". Fais tout ce qu'il faut pour qu'il écrive le rapport comme étant un suicide ; menace, chantage, kidnapping, torture. Tout ce que tu sais faire...

    Je ne voulais plus faire ce genre de choses déprimantes. Mais quand il s'agissait de la sécurité de ma mère, j'étouffais à contrecœur ces terribles sentiments. 

    —  As-tu plus d'informations sur la cible ? 

    — Bunn a un secret. J'ai découvert qu'il aime les hommes. Un peu comme toi, Tann.

    Soudain, Pert sembla se souvenir de quelque chose .

    — Et si tu le violais, en prenant sa photo pour le faire chanter plus tard ?

    C'était probablement le plan le plus infâme que j'aie jamais entendu. J'avais été habitué à cet environnement odieux au point de devenir insensible. La torture était une tâche qui m'avait été confiée à plusieurs reprises. Mais le viol était un peu trop ignoble. 

    — Pert... Je ne peux pas faire ça.

    — Tu dois le faire ; Bunn a un caractère bien trempé. Le menacer ne suffirait pas. Tu dois l'atteindre physiquement, dit-il en se levant. Tu dois me montrer les photos de ton travail. Tu sais ce qui se passera si tu ne le fais pas, n'est-ce pas ?

    La pression, quel psychopathe tordu...

    Je regardai mon frère, effaré. 

    — Je... je trouverai un moyen de lui faire écrire le rapport.

    Pas de viol, j'en étais certain. Même si je savais que ma cible était gay comme moi, qui serait assez fou pour faire une telle chose ? Je devais l'approcher et l'intimider avec ma voix et mon attitude minable, ce que j'avais fait à maintes reprises, et plus souvent que jamais, cela avait fonctionné.

    — Tu ferais mieux de faire le travail, dit Pert en se dirigeant vers la porte. Va chez le Dr. Bunn ce soir. Je t'enverrai l'adresse.

    Il ouvrit la porte d'un coup sec et la claqua derrière lui.



    Ma voiture était garée sur le bord de la route, près de la forêt sombre, depuis un bon moment. J'avais roulé assez loin de ma maison, où j'avais attaché Bunn, sachant très bien que mon frère gardait un œil sur ma position. Je sortis de ma poche le smartphone blanc de mon frère et le regardai. En fouillant dans l'autre poche, ma main toucha un objet dur et froid qui pouvait mettre fin à la vie de quelqu'un en un clin d'œil.

    Je me demandais si je devais aller voir mon frère ce soir.

    Mon téléphone vibra dans ma poche - un message de mon frère sur Line Chat.

    — [Photos ?]

    Je pris une grande inspiration, faisant semblant de ne pas voir la notification. Je m'empressai de remettre mon téléphone dans ma poche. En même temps, je me dis que je devrais résoudre le problème de Bunn avant de passer à l'étape suivante. Tout d'abord, je devais trouver un moyen de convaincre mon frère que le Dr Bunn était mort. Cela faciliterait les choses.

    Peut-être devrais-je supplier Bunn de mettre en scène sa propre mort. Étant médecin légiste et tout le reste, il devrait facilement être en mesure de rendre cette chose réaliste et légitime. Mais comment allais-je le convaincre puisqu'il ne voulait même pas voir mon visage ? La façon dont le regard de Bunn me blessait et me brisait le cœur était gravée dans mon esprit. Je savais qu'il commençait à éprouver des sentiments pour moi. S'il n'y avait pas eu ce chaos, nous nous serions bien entendus et nous aurions pu développer notre relation de la meilleure façon possible.

    La deuxième option était de trouver un cadavre et de le faire ressembler à Bunn. Cependant, je ne savais pas où trouver un cadavre digne de ce nom, à moins de tuer quelqu'un et de modifier le corps, ce qui était peu plausible. J'éliminai donc facilement cette option.

    Mon téléphone portable vibra une fois de plus, accompagné du son assourdissant de la sonnerie. Inutile de le sortir pour voir qui appelait. Je le savais. C'était l'homme qui mourait d'envie de voir le cadavre de Bunn. Je pris l'appel. 

    — Qu'est-ce qu'il y a ?

    — [Qu'est-ce qui se passe ? Le Dr Bunn est-il déjà mort ? Pourquoi tu ne m'envoies pas les photos ?]

    — Je creuse une tombe… 

    Je fis semblant de baisser la voix. 

    — Hé, il y a quelqu'un ici... Je dois y aller, murmurai-je avant de raccrocher. 

    J'éteignis mon téléphone et celui de Pert. Je n'allais sans doute pas pouvoir gagner beaucoup de temps. Pour l'instant, je devais trouver un moyen de simuler la mort de Bunn. Et je devais le faire rapidement.

     

     

    Lorsque j'ouvris la porte, je vis Bunn assis sur le lit, sa main droite enroulée autour de ses genoux. Son autre main, qui était menottée à la tête de lit, était restée à sa place. Il leva les yeux vers moi avec inquiétude. Je vis que ma veste avait été jetée par terre.

    — Tu ne dormais pas ? 

    Je marchai jusqu'à m'asseoir sur le lit et me penchai pour ramasser la veste. Bunn essaya de s'éloigner de moi le plus possible. 

    — Et pourquoi tu n'utilises pas ma veste comme couverture ? Tu pourrais tomber malade.

    — Je croyais que tu avais dit que tu reviendrais demain, dit Bunn. 

    J’étais impressionné par l'état d'esprit du docteur. Il avait l'air plus lucide. Les rouages devaient tourner dans sa tête comme une machine. Sachant cela, je ne pouvais baisser ma garde. Mon frère m'avait prévenu de l'intelligence de Bunn. J’avais été convaincu de ses dires dès l'instant où Bunn m'avait gratifié de sa présence à l'école de bachotage, ce jour fatidique.

    Quelle personne saine d'esprit aurait fait cela - rendre visite à son agresseur quelques heures après avoir été agressé ? J'avais littéralement paniqué lorsque Bunn était venu me voir ce jour-là, ce qui m'avait empêché de le menacer moi-même. Il aurait su immédiatement qui était l'intrus. Pendant tout le temps où nous étions ensemble, je devais être constamment sur mes gardes. Le stress m'avait rongé en essayant de ne pas agir bizarrement.

    Il y avait pourtant une chose que je voulais savoir, alors je décidai de la demander à Bunn. Peut-être qu'une conversation l'aiderait à comprendre et à se montrer plus coopératif. 

    — Quand je suis rentré hier, tu essayais de t'enfuir. Tu savais donc que j'étais l'intrus, à ce moment-là ? Comment l'as-tu découvert ?

    Bunn me regarda fixement.

    — La note orange dans la poche de ta veste...

    J'arquai les sourcils, confus. 

    — Je ne vois pas de quoi tu parles...

    — La note avec le numéro de téléphone d'une femme nommée Nath… dit Bunn d'un ton impassible, … appartient à Pert.

    Je restai assis, stupéfait. La note avec le numéro de Nath ne semblait rien avoir d'important, mais elle s'avérait être la chose qui avait fait sauter ma couverture. 

    — Tu la connais, Nath ?

    — Non. Peu importe qui elle est. L'important, c'est que cette fichue note appartient à Pert. 

    Bunn laissa échapper une toux sèche. Il renifla une fois avant de poursuivre. 

    — Le numéro de l'autre côté du billet est le mien, je m'en souviens.

    Bunn me laissa une fois de plus sans voix. Qu'est-ce qu'il venait de dire ? Si le numéro au dos de ce bout de papier était le sien, alors la personne appelée accidentellement ce jour-là ne pouvait être que lui.

    Bunn étudia ma réaction avec attention. Ce regard m'était si familier. 

    — Où tu as eu ce billet ? Le procureur te l'a donné, ou tu le lui as volé ? C'est toi qui l'as kidnappé, n'est-ce pas ?

    Malgré la position désavantageuse du Dr. Bunn, il tentait sa chance en me bombardant de questions, me mettant au pied du mur. Je devais lui montrer qui était le responsable ici, à cet instant, afin de pouvoir gérer cette situation facilement. Je me retournai pour saisir les épaules de Bunn et les serrer fermement. Il sursauta, essayant de repousser mon bras. J'avais vraiment envie de lui annoncer que c'était son meilleur ami qui avait tout déclenché. Mais je ne voulais pas voir plus de douleur dans ses yeux. Si je lui avais dit que Pert était derrière tout ça, Bunn se serait sûrement énervé et se serait éloigné de moi pour prendre les choses en main. 

    — Tiens-toi tranquille, et écoute-moi…

    J'avais réussi à le faire taire.

    — J'ai des ennuis en ce moment. Mon patron veut que tu disparaisses, il veut voir que tu es vraiment mort. Tu dois m'aider à simuler ta mort.

    Bunn me regarda fixement, sans bouger. 

    — Simuler ma mort ?

    — Oui, tu devrais être mort parce que je t'ai tiré dessus. Mon patron voudrait voir ces photos. 

    Je le regardai dans les yeux avec anticipation. 

    — Quand il verra que tu es mort, je commencerai mon jeu.

    — C'est un ordre ou une demande  ? demanda Bunn en se détournant. Je n'ai pas le choix de toute façon, n'est-ce pas ?

    — Je ne veux pas que tu penses qu'il s'agit d'un ordre. Je ne pourrais pas faire ça tout seul, mettre en scène ta mort, je veux dire.

    — Tu t'attends à ce que je coopère en me laissant dans l'ignorance comme ça ?

    Bunn utilisait à nouveau mes mots contre moi. Je me demandais si je devais tout lui dire pour qu'il comprenne la situation, ou compter sur d'autres moyens pour le persuader, ou encore si je devais le contraindre à m'obéir.

    Je décidai d'essayer la deuxième méthode.

    — Tu ne comprends peut-être pas encore tout, mais je voulais que tu saches que tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour toi.

    — Ne dis pas que tu fais ça pour moi alors que tu m'as visiblement kidnappé et emprisonné. Je serais damné de te croire.

    Comme je le pensais, Bunn ne céderait pas si facilement. 

    — Si mon patron n'obtient pas ces photos d'ici demain matin, ma mère malade sera en danger. Je dois travailler pour eux parce qu'ils la retiennent en otage. Si je désobéis à leurs ordres... Je ne sais pas ce qui arrivera à ma mère.

    Bunn demeura stupéfait. Nous restâmes tous deux silencieux pendant un long moment. Enfin, Bunn s'éclaircit la gorge. Je venais de remarquer qu'il semblait avoir attrapé un rhume. — 

    — Trouve du sang de porc. Il ne devrait pas être difficile d'en acheter dans les villages ou au marché rural à l'aube. La mise en scène dans la forêt est sans doute la plus réaliste car tu m'as emmené loin de la ville. Fais croire que tu m'as forcé à me mettre à genoux et que tu m'as tiré une balle dans la tête par derrière, avec une tombe à proximité... Ou as-tu d'autres suggestions ?

    Je le regardai, totalement impressionné. Son idée correspondait à l'ensemble du plan que j'avais imaginé. 

    — On va suivre ton plan. 

    Bunn tira brutalement sur son poignet, faisant délibérément claquer la menotte. 

    — Si tu veux mon aide, tu dois me détacher.

    Un compromis astucieux. 

    — Si je te détache, tu t'enfuiras ?

    — Tu as dit que si je mettais un pied dehors maintenant, je mourrais, n'est-ce pas  ? 

    Bunn se mit de nouveau à tousser sèchement. 

    — Si tu peux m'assurer que je serai plus en sécurité avec toi, je n'irai nulle part.... Mais maintenant, je n'en suis pas si sûr parce que je ne sais pas qui tu es...

    Non seulement il m'obligeait à lui enlever les menottes, mais Bunn me contraignait aussi à lui dire la vérité. Je décidai de lui donner ce qu'il voulait en échange de sa coopération dans la mise en scène de sa mort.

    Je fouillai dans la poche de mon pantalon, j'en sortis la clé et je lui enlevai les menottes. Je ne laissai pas Bunn se réjouir longtemps de sa liberté. Dès qu'il eut les mains libres, je m'empressai de le plaquer sur le lit. Bunn poussa un cri de panique avant que je ne m'allonge à côté de lui, en passant mon bras autour de lui par derrière.

    — Il va falloir attendre plusieurs heures avant que le jour ne se lève. Permets-moi de rester dans cette position pendant un moment, dis-je en lui caressant la nuque. Si t'essayes de t'enfuir, je le saurais.

    Étrangement, Bunn ne résista pas ; au contraire, il resta immobile dans mes bras.

    — Tann...souffla-t-il. C'est vrai ? A propos de ta mère ?

    — Inutile de mentir pour l'instant. Je n’ai juste pas dit encore toute la vérité. 

    Je resserrai mes bras autour de lui, de peur que Bunn ne disparaisse quelque part. 

    — Alors je me réveillerai vers quatre heures. Et faisons ça rapidement.



  • Commentaires

    2
    Jeudi 28 Septembre 2023 à 18:47

    Merci pour ce nouveau chapitre =)

    1
    Mercredi 27 Septembre 2023 à 20:43

    merci pour ce chapitre que se soit en lecture ou en visionnage j aime toujours autant cette histoire

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