-
Chapitre 14
Chapitre 14Je ne voulais pas vraiment rentrer chez mes parents, je savais d’avance que les choses n’allaient pas bien se passer. D’ailleurs, si j’avais parlé d’y rester trois jours, je n’étais pas vraiment sûr de tenir. Khao et Dao me manquent déjà avec leur présence rassurante qui me donne l’impression que je peux soulever des montagnes.
J’entre dans la maison de mon enfance, mais qui ne me donne aucun souvenir doux et chaleureux. Comme toujours, un silence de plomb m’accueille quand j’ouvre la porte, mais je réalise que c’est le milieu de la matinée et que tout le monde doit être soit au travail, soit en cours.
Je monte aussitôt dans ma chambre, elle est restée telle que je l’ai laissée ce jour-là, mais il n’y a pas un gramme de poussière, ma mère a dû s’assurer d’y faire le ménage régulièrement. Elle ne m’a peut-être pas totalement renié, même si je me doute que ma décision risque de donner le coup de grâce à ma relation avec eux.
Je ne reste pas à me tourner les pouces, si je peux régler tout le plus vite possible et commencer ma nouvelle vie, ce sera pour le mieux. Rien que l’idée de commencer les cours de commerce dans quelques semaines me met dans un état d’excitation pas possible. Je vais étudier ce dont je rêve depuis mon enfance et je serai entouré de personnes qui me soutiennent dans mes choix.
Je sors mes deux gros bagages de mon placard et je commence à faire le tri dans mes affaires. Finalement, je prends les habits en priorité, mais quand vient le moment de choisir le reste, je me rends compte qu’il n’y a pas grand-chose qui me correspond vraiment. Tout était choisi par mes parents pour me permettre d’atteindre l’objectif qu’ils m’avaient fixé.
— First ! Tu es rentré !
L’exclamation me fait sursauter alors que ma mère entre soudainement dans ma chambre, les yeux écarquillés et je me sens choqué quand elle se précipite vers moi et qu’au lieu de me crier après ou de me faire des reproches, elle me prend dans ses bras.
— Je…
Je peux compter les câlins que ma mère m’a fait sur les doigts de la main. L’affection n’est pas dans nos habitudes et ça je n’en ai vraiment pris conscience qu’en vivant avec Khao et Dao. Je ne sais pas quoi dire à ma mère qui me tapote le dos dans une étreinte qui me met presque mal à l’aise.
— Je suis désolée First…
Je dois être tombé dans un univers parallèle entre l’appartement de Khao et ici, je ne vois pas d’autre explication pour expliquer ce que je suis en train de vivre. Elle se recule et me tient à bout de bras pour m’observer attentivement. Elle semble émue, mais il n’y a aucune trace de larmes ou autre dans ses yeux.
— Je vais te préparer une tasse de café, on pourrait discuter avant que ton père ne rentre.
Elle me lâche enfin et je vois clairement le mouvement de recul qu’elle a quand son regard tombe sur mes valises. Cependant, elle se reconstitue rapidement un masque de sérénité avant de quitter ma chambre pour se rendre dans la cuisine. Lentement, toujours un peu surpris par ce qui vient de se passer, je pose les livres que j’ai dans les mains dans ma valise, puis je la suis, curieux de savoir de quoi elle veut parler.
Quand j’entre dans la cuisine, elle est en train de préparer une assiette avec de petits biscuits qu’elle va déposer sur la table. Je reste figé une fois de plus en l’observant faire, car c’est bien la première fois que je la vois faire ce genre de choses pour l’un de ses enfants.
— Assieds-toi First.
J’ai l’impression d’avoir une tout autre personne en face de moi et c’est particulièrement troublant. Il ne me vient pas à l’esprit de lui désobéir alors je viens m'installer à la place qui a été la mienne depuis ma plus tendre enfance pendant que ma mère ramène un plateau avec deux tasses fumantes de café.
J’ai déjà une petite idée de ce dont elle veut parler, je suis juste surpris qu’elle mette autant les formes pour me couvrir de reproche. Je peux déjà l’entendre me dire combien je suis la honte de la famille et tout à l’heure, j’ai dû imaginer ses excuses. C’est la seule chose à laquelle j’arrive à penser alors que je bois une gorgée de café bien trop fort pour que je l’apprécie vraiment.
— Tu es en sécurité ?
— Pardon ?
D’accord, là c’est vraiment inédit, d’ailleurs, je ne peux pas m’empêcher de montrer ma surprise. Elle ne s’énerve pas comme d’habitude, elle se contente de reposer sa tasse avec un petit air contrit sur le visage.
— Depuis que tu es parti, tu as trouvé quelque part où vivre ?
— Oui, je ne suis pas dans la rue, je vis chez quelqu’un.
Elle hoche la tête comme si je venais sérieusement de la rassurer. Je fronce les sourcils sans vraiment comprendre ce qui se passe, mais maintenant que je prends le temps de l’observer, je remarque ses yeux sombres et ses joues légèrement creusées. Malgré moi, je me sens coupable, car je sais que c’est probablement ma disparition qui l’a mise dans cet état là.
— Le garçon avec qui tu étais au restaurant ?
— Oui… c’est une personne bien.
Aussitôt, je me sens obligé de défendre Khaotung alors même qu’elle n’a rien dit à ce propos. Je suis un peu plus nerveux cependant. Ce soir-là au restaurant, on n’a pas vraiment été discret et je sais que j’aurai du mal à le faire passer simplement pour mon colocataire.
— Tu l’aimes.
Ce n’est pas une question cette fois-ci, c’est une constatation. J'essaie de sonder son regard et son expression, mais comme souvent, elle arrive à garder son masque de neutralité, quelle que soit la situation.
— Oui et c’est lui qui m’encourage à suivre le chemin que je veux emprunter.
Elle évite de me regarder dans les yeux, mais j’ai l’impression de voir un éclair de culpabilité. Je ne sais pas vraiment où nous mène cette conversation, mais je ne me plains pas vraiment, parce que c’est la première fois que l’on a ce genre de moment mère/fils. On ne parle pas de combien je les déçois, de mon avenir ou même de ma future épouse, elle s'intéresse à moi, simplement.
— J’ai rencontré ton père quand j’étais encore au lycée. J’étais jeune, naïve et je rêvais d’un grand amour qui me ferait vibrer et me mettrait à l’abri du besoin.
Je sursaute presque quand elle évoque soudain les souvenirs de sa rencontre avec mon père, si je connais les grandes lignes, ce n’est pas quelque chose dont on discutait, bien au contraire. Sans la quitter des yeux, l’écoutant attentivement, je pioche un gâteau dans l’assiette et le grignote sans faire attention à autre chose qu’elle.
— J’ai toujours pensé que le rôle d’une femme était de supporter son mari, peu importe ses décisions, c’est en tout cas ce que ma mère m’a toujours mis en tête. Alors quand il a choisi cette méthode d’éducation, je ne m’y suis pas opposée, même si je n’étais pas toujours d’accord.
Elle tient fermement sa tasse à deux mains, alors qu’elle continue de parler d’un ton monocorde et j’ai du mal à imaginer que c’est ce genre de relation que partagent mes parents. Pourtant, dans le fond, je ne suis pas réellement surpris, mon père est un dominateur, il aime que les choses soient faites de la manière dont il le décide.
— Maman, je ne veux plus suivre ce que veut papa, je veux suivre mon propre chemin.
— Je sais et tu as raison, j’aurais dû m’opposer à ton père bien plus tôt.
Elle ne dit pas forcément tous les mots que je voudrais entendre de sa part, seulement, savoir que j’ai son approbation me fait déjà beaucoup de bien. Je me demande ce que ce moment va changer pour nous dans le futur. Est-ce qu’elle va s'opposer à mon père pour protéger ses enfants ? Est-ce qu’elle fera toujours partie de ma vie quand j’aurai passé le seuil de cette maison ?
Mes frères et soeurs rentrent pour le repas de midi et c’est assez étrange puisque personne ne semble surpris de me voir assis dans la cuisine, pire, ils font comme si je n’étais pas parti depuis plusieurs semaines sans donner de nouvelles. Aucune question, aucune discussion et à cet instant Khao me manque plus que jamais.
Je remonte d’un pas lourd dans ma chambre, je n’ai plus faim, l’appétit coupé par cette indifférence qui me pèse plus que je ne l’aurais pensé. Je me consacre alors pleinement à faire mes valises, au final je n’emporte pas grand chose et je me demande même si je ne pourrais pas partir dès ce soir, après ma conversation avec mon père.
— First, papa veut te voir.
Je tourne la tête pour croiser le regard de mon frère qui se trouve sur le pas de la porte. Il ne dit rien et je sais qu’une fois que j’aurai quitté la maison, je ne le reverrai plus. Mon grand-frère ressemble en tout point à notre père, le même caractère, la même façon de penser et soudain, je ne peux que plaindre sa fiancée.
— Merci, je vais arriver.
Avant, il ne me serait pas venu à l’esprit de le faire attendre. J’aurais abandonné ce que j’étais en train de faire pour courir le rejoindre. Là, je prends le temps de finir avant de me relever, d'épousseter mon pantalon et me diriger vers le salon où mon père est installé dans son fauteuil, tel un roi sur son trône.
— Je vois que tu es revenu à la raison.
Il est égal à lui-même et son petit air satisfait m’horripile au plus au point. Je prends le temps de m’asseoir en face de lui, bien calé dans le deuxième fauteuil et je sais qu’il va falloir que je reste calme, que je ne m’énerve pas et surtout que je ne lui laisse aucune emprise sur moi.
— Je suis venu pour faire mes valises papa, je ne reste pas.
— Tu penses vraiment que ton histoire immorale va marcher longtemps ? Il t’abandonnera à la première occasion, dès qu’il croisera une jolie fille avec qui se poser.
Je me sens blanchir quand il attaque aussitôt Khaotung. Est-ce qu’il se doute qu’il tape pile à l’endroit le plus fragile. Cette peur, même si j’essaie de la museler, est bien présente dans mon esprit. Il aime les femmes, il a vécu une grande histoire avec sa petite amie de l’époque au point d’avoir Dao. Je sais qu’il m’aime, je n’ai aucun doute là-dessus, mais parfois, une petite voix s’élève, me disant qu’un jour, une femme entrera dans la boutique où il travaille et alors il m’oubliera et je serai seul à nouveau.
— Khaotung et moi, nous ne sommes pas immoral. Je l’aime et lui aussi.
Je lui réponds de ma voix la plus ferme, mais au lieu de l’impressionner, il a un petit rire dépourvu d’humour. Il se redresse bien droit et me parle d’une voix tellement froide que j’en frissonne.
— Quand il t’abandonnera pour retourner entre les cuisses de la première femme venue, il ne faudra pas venir pleurer ici.
Ma mâchoire se crispe, mais je décide de ne pas rebondir sur ses propos, au lieu de ça, je redirige la discussion, essayant d’en prendre le contrôle. Ce n’est pas un exercice facile, mais je ne veux pas laisser mon père gagner, je ne veux pas retomber dans ce vieux schéma qui nous colle à la peau.
— La semaine prochaine, j’ai rendez-vous à la fac pour me désinscrire.
Son regard s’assombrit aussitôt et je pense qu’il se retient de se lever pour me frapper alors que je suis en train de lui faire le plus gros affront de sa vie. Je vois parfaitement ses mains se crisper et je ne sais pas pourquoi, mais sa réaction me conforte dans l’idée que je fais ce que je dois faire.
— Et au début du prochain semestre, je vais entrer en école de commerce que je pourrais payer grâce à une bourse. J’ai décidé de faire ce que je veux vraiment faire papa. Pas pour toi, pas pour maman, pas pour la renommée de notre famille, mais pour moi, pour être heureux et bien dans mes baskets.
Ma voix n’a pas tremblé, au contraire, elle a pris de l’assurance et de la force au fur et à mesure que je parlais. On se scrute un moment dans un silence pesant, mais j’arrive à résister et à ne pas baisser les yeux comme un enfant pris en faute.
Cependant, il n’a pas dit son dernier mot et pendant des heures, il tente d’argumenter, de menacer et de tout faire pour me faire revenir à sa raison, à savoir suivre le chemin qu’il a choisi et tracé pour moi. J’ai l’impression de mener un combat à mort dans une arène de gladiateurs, c’est épuisant, mais je suis fier de moi, car je ne dévie pas un instant. Je reste ferme sur mes positions.
La nuit est tombée depuis plusieurs heures quand je me laisse tomber sur mon lit. Le repas a été tout aussi difficile que la conversation avec mon père et je suis complètement épuisé. Je n’ai même pas le courage de bouger et je finis par m’endormir sans même m’en rendre compte sur mes couvertures. Je n’ai même pas pensé à regarder mon téléphone, à appeler Khao et Dao comme je lui avais promis, je sombre juste dans l’inconscience.
Je me réveille en sursaut quand mes frères et sœurs se mettent à se disputer bruyamment juste derrière ma porte. Ce genre de réveil ne m’avait strictement pas manqué et je soupire en me frottant les yeux et en m’étirant. J’attrape mon téléphone pour regarder l’heure, même si je suis certain qu’il est encore beaucoup trop tôt.
Je fronce les sourcils quand en appuyant sur le bouton pour déverrouiller rien ne se passe. Plus de batterie, j’étais tellement fatigué que j’ai oublié de le mettre à charger avant de dormir. Je le branche rapidement, puis pour lui laisser le temps de se recharger, je file dans la salle de bain. Je prends une longue douche qui finit par chasser le sommeil, je me détends et…
— BON SANG FIRST GROUILLE.
Je sursaute quand ma sœur crie à travers la porte en la tambourinant de toutes ses forces. J’éteins l’eau, m’enroule dans ma serviette et vais ouvrir. Elle me pousse hors de la salle de bain sans même se préoccuper de savoir si j’ai terminé et s’enferme à l’intérieur tout en râlant de manière indistincte.
Je me retrouve comme un idiot au milieu du couloir encore dégoulinant d’eau. Non, jamais je ne pourrai supporter de revivre ça, je repars tout à l’heure, de toute façon, tout a été dit, mes valises sont faites et je sais que je pourrais rester dix ans ici, mon père ne me soutiendra jamais.
Je retourne dans ma chambre, m’habille rapidement avant de m’asseoir au bord du lit pour prendre mon téléphone et le rallumer. Je me mordille la lèvre quand je vois le message que Khaotung m’a envoyé dans l’après-midi et que, tellement pris par tout ça, je n’ai même pas vu.
First : Désolé, je viens seulement de regarder mon téléphone. Tu me manques aussi, je t’aime.
J’attends un moment en fixant mon téléphone, attendant sa réponse. Je sais qu’il est en train de se préparer avec Dao pour l’emmener à l’école avant de partir travailler. Il a toujours son téléphone près de lui et généralement, il répond rapidement. Alors quand au bout de dix bonnes minutes, je n’ai aucun retour, je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter.
J’appuie sur son contact et l’appelle, j’ai soudain le besoin irrépressible d’entendre sa voix. J’ai peur qu’il soit en colère contre moi et je ne veux pas rester sur un malentendu. Les tonalités résonnent et se succèdent jusqu’à ce que je tombe sur son répondeur. Un sentiment de peur m’étreint l’estomac quand la voix mécanique et féminine résonne dans mon oreille.
Je tente de l’appeler encore deux fois en vain et décide de partir tout de suite après le petit-déjeuner pour le rejoindre. Je descends et comme toujours, c’est le silence qui accueille mon arrivée. Mon grand-frère est déjà parti et comme toujours, les autres sont plongés dans leur propres activités. Mon père lit son journal et la seule qui a une réaction, c’est ma mère, qui me sourit.
Je bois machinalement mon café, tout en fixant mon téléphone qui reste désespérément silencieux. J’ignore les autres, mais je ne me rends pas compte que mon père me fixe par-dessus son journal avec un petit sourire aux lèvres.
— Un problème First ?
Je lève la tête, surpris par cette question avant de la rebaisser aussitôt vers mon téléphone.
— Je ne comprends pas… il ne répond pas.
Je réponds sans trop faire attention, laissant ma crainte s’échapper. Je suis d’ailleurs sur le point de leur dire que je pars dans la seconde pour aller rejoindre mon petit ami, mais mon père me devance et me paralyse.
— Je vois, ce garçon a pris la bonne décision. Maintenant tout va rentrer dans l’ordre.
J’essaie d’analyser ses paroles, mais malheureusement, il n’y a qu’un seul sens qui me vient en tête, mon père a fait quelque chose. Il ne pouvait pas rester passif en me voyant échapper à son emprise.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
— Ce que tout père aurait fait pour protéger ton avenir. Je suis allé voir ce vaurien, je lui ai donné de l’argent pour qu’il t’oublie et on dirait qu’il a fini par faire son choix.
Je ne comprends pas, ou plutôt j’ai peur de comprendre ce qu’il a réellement fait. Est-ce que Khao a vraiment pris l’argent et va maintenant me quitter ? Non, je ne veux pas y croire, je connais mon père, c’est un fin manipulateur et je ne dois pas prendre tout ce qu’il dit au pied de la lettre. Je dois en discuter avec mon petit-ami et rapidement régler ce malentendu.
— Je ne te crois pas.
Je me lève brusquement, malgré tout, je sens la panique courir sous ma peau, prête à jaillir à n’importe quel moment. Je me tourne vers ma mère, un instant je me demande si ses belles paroles de la veille n'étaient là que pour endormir ma vigilance. Non, vu le regard surpris et horrifié, elle n’était même pas au courant.
— Tu vas oublier ce minable et reprendre le chemin que je t’ai tracé, tu auras une vie acceptable, avec une femme que ta mère et moi auront approuvé, alors arrête de faire l’enfant.
— Je ne veux pas de ta voie, je ne veux pas d’une femme, je veux Khaotung. Papa, je l’aime, lui et sa fille vont devenir ma famille que cela te plaise ou non.
Il ne savait pas pour Dao, j’en ai trop dit et quand il se lève aussi blanc qu’un linge, je sais que les choses risquent de vite dégénérer. D’ailleurs, j’ai à peine le temps de comprendre ce qu’il se passe qu’il me gifle avec un bruit sourd et une douleur vive se répand sur ma joue.
— Parce qu’en plus tu as trouvé le moyen de faire ces choses honteuses avec un homme marié et père de famille ?
Il lève à nouveau la main pour me frapper une nouvelle fois, je ne cherche pas à le contredire, quoi que je dise, il le retournera contre moi. Je m'apprête juste à encaisser le coup, mais ma mère surprend absolument tout le monde.
— Si tu oses encore frapper mon fils… je te jette dehors sans aucun regret.
Mon petit frère qui était figé en nous observant la fourchette à la main la fait tomber dans son assiette dans un bruit de ferraille qui semble assourdissant dans l’épais silence qui s’est installé dans la cuisine.
— Je t’ai trop laissé faire en pensant que c’était normal, que je n’avais pas mon mot à dire. Mais j’ai mon mot à dire et je t’assure que les choses ne vont plus se passer comme ça. Je veux que mes enfants soient heureux et prennent leurs propres décisions.
Ma mère, bien que toute petite, semble puissante à cet instant et plus grande que mon père qui n’en mène pas très large. Elle se tourne vers moi et je la découvre, elle qui vivait avec des yeux ternes et semblait toujours froide et distante, semble rayonnante, chaleureuse et libérée d’un poids.
— First, va le retrouver et t’expliquer avec lui. On en rediscutera plus tard.
Je lui fais un sourire, mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine et je n’attends pas de voir la suite. Je me précipite dans l’entrée, enfile mes chaussures et sors de la maison pour chercher un taxi. Le trajet semble durer une éternité, je me dirige vers son appartement, je sais pourtant qu’à cette heure-ci, il doit être en route pour le travail, mais j’ai l’intuition que c’est là que je dois aller.
Je descends à moitié du taxi après lui avoir sûrement donné beaucoup trop d’argent, mais je n’ai pas le temps d’attendre qu’il me donne la monnaie. J’ai ce besoin de voir Khaotung, d’être sûr que tout va bien entre nous et que mon père n’a rien gâché.
J’ai le souffle court, du mal à respirer alors que j’arrive devant la porte. La veille, je serais entré sans me poser de question, mais là, je ne sais pas quoi faire. Je ferme les yeux une minute, essayant de retrouver une respiration correcte avant de finalement frapper à la porte.
L’attente est en train de me tuer, je tends l’oreille sans rien entendre à l’intérieur de l’appartement et je commence à me demander si mon instinct ne m’a pas joué un mauvais tour. Heureusement à cet instant, la porte se déverrouille et un Khao un peu trop pâle et aux yeux rouges m’ouvre la porte.
— Je t’en prie… n’accepte pas ce que mon père t’a demandé.
Ma supplication est la première et seule chose que j’arrive à dire. La tension est bien trop forte et je ne sais pas comment je ferai si jamais notre relation prenait fin. Mes yeux se voilent de larmes alors qu’il se fige, surpris, avant de se détendre.
— Il n’a jamais été question de l’accepter.
Le soulagement est brutal et sans attendre je l’attire dans mes bras, on se serre l’un contre l’autre ou plutôt on s’accroche à l’autre. Mon père n’aura pas réussi à me l’enlever, je ne vais pas perdre la seule personne qui m’a permis de me trouver moi-même et avec qui je veux avancer dans la vie.
— Merci de ne pas l’avoir laissé t’éloigner de moi…
Sa main se pose sur ma nuque et je soupire de bien-être. Je ferme les yeux et savoure juste son étreinte et la chaleur qui prend naissance dans ma poitrine. Même si on est toujours sur le pas de la porte, on ne se sépare pas, il semble que les dernières vingt-quatre heures ont été difficiles pour nous deux et que l’on a besoin de la présence de l’autre.
ChapitrePrécédentSuivant
-
Commentaires
Wouah, j'avoue que le coup de la mère qui prend son parti, je l'espérais (car bien souvent ce sont les mères qui comprennent plus vite et se soucient un peu plus des sentiments de leurs enfants) mais j'y croyais pas trop... mais SI, elle a osé le défendre \ (^_^) /
Merci pour ce beau chapitre, hâte de lire le suivant !