• Chapitre 13 : SUNSET GOLD

    Chapitre 13
    SUNSET GOLD

    — Tu n'as pas le moral ces derniers temps. Tu es à court d'argent ?

    Kita exprime son inquiétude et sa curiosité dès qu'il sort du dressing. Il est doué pour remarquer mes expressions, et je n'arrive pas du tout à cacher le stress refoulé sur mon visage.

    — Non. Je suis juste un peu inquiet.

    — Ton père te laisse faire ce que tu veux après ton diplôme. Tu n'as pas besoin de trouver un travail tout de suite. Pourquoi t'inquiéter ? 

    Je referme le magazine dans mes mains et le remets à sa place pour qu'il soit facile à trouver. Je me décale un peu pour laisser de la place sur le lit au grand type.

    Je sais que Kita n'est pas le meilleur pour donner des conseils. Mais après avoir vécu avec lui pendant un certain temps, j'ai découvert qu'il savait écouter. Encore une fois, j'ai envie de lui dire ce que je ressens vraiment.

    — Tu t'es déjà... senti possessif envers un de tes amis ? 

    — Non. Plus ces voyous sont loin, mieux c'est, répond Kita sans hésiter.

    — Sois sérieux.

    — Dis-moi ce qui s'est passé. 

    Chaque fois que la tête de Kita touche l'oreiller le soir, il joue au téléphone pendant environ une demi-heure avant de s'endormir. Mais ce soir, il jette son téléphone sur la table de nuit pour m'accorder toute son attention. 

    — Tu es possessif avec moi ? Nous avons dormi côte à côte toutes les nuits. Ce n'est pas suffisant ?

    Il est toujours aussi imbu de sa personne. Je n'aurais pas dû le complimenter dans mon esprit.

    — Je vais dormir.

    J'arrête de lui poser des questions, agacé.

    — Hé, allez. Pourquoi tu t'énerves facilement ces derniers temps ? 

    Une fois que je me suis allongé avec irritation, Kita secoue violemment mon corps. 

    — Tu ne pourras pas dormir même si la lumière est éteinte. Dis-moi ce qui te préoccupe.

    Je me retourne sur le côté pour faire face à Kita. Voyant son regard sérieux, je me redresse pour continuer notre conversation.

    Kita et Jo ont beaucoup de choses en commun. Ils sont enjoués et idiots. Mais lorsqu'ils sont sérieux à propos de quelque chose, ils sont extrêmement sérieux. Il en va de même pour leur sympathie. Ils se fichent éperdument des autres. Mais lorsqu'il s'agit de leurs meilleurs amis, ils sont totalement différents. C'est l'une des raisons pour lesquelles je n'ai pas peur de me mettre à nu devant eux.

    — Je me sens bizarre. J'étais très proche de cet ami. Mais ensuite, quelqu'un s'est joint à notre groupe et s'est bien entendu avec lui. Je ne savais pas comment agir. 

    Je suis mal à l'aise et j'ai peur...

    Je me contredis. C'est moi qui ai invité Pang dans le groupe. En plus de sa personnalité adorable et amicale et de ses conseils professionnels, elle pourrait être la personne que Tun recherchait. S'ils peuvent retourner dans l'autre univers, c'est une bonne chose, non ?

    Pourquoi n'ai-je pas la gentillesse d'être heureux pour eux ?

    — Tu as déjà ressenti ça ? demande Kita après avoir écouté.

    — Quand j'étais jeune, je crois. Je ne m'en souviens pas. Cela fait tellement longtemps que je n'arrive pas à croire que je me sens à nouveau comme ça à vingt-trois ans.

    — Quand on est proche de quelqu'un ou qu'on l'aime et que quelqu'un d'autre détourne son attention de nous, n'est-il pas normal de se sentir bouleversé ?

    — Comment je fais face à la situation ?

    — Accepte tes propres sentiments. Ton ami est une personne. Tu n'as pas le droit de le forcer à ne s'intéresser qu'à toi.

    — C'est vrai.

    Nous avons nos propres vies. J'ai besoin de me le répéter pour arrêter d'être égoïste.

    — Tess.

    — Hmm ? 

    J'entends son doux soupir.

    — Tu crois à la hiérarchisation des priorités ? 

    Quand je croise le regard de Kita, je vois clairement la sévérité de son visage. 

    — Un peu comme... si tu es sa priorité, il te choisira.

    — Qu'est-ce que c'est que ces sages paroles !

    — Ne le dis à personne. Une fois, j'ai beaucoup aimé quelqu'un, mais elle ne m'a jamais choisi. Jamais... 

    Son visage s'assombrit.

    — Tu veux un mouchoir ?

    — C'est bon. Ta taie d'oreiller fera l'affaire. 

    Il m'attaque avec sa blague nulle quand on est en train de s'émouvoir. Il loge chez moi et a le culot d'abîmer mes affaires. Connard.

    — Tu as dit qu'elle ne t'avait jamais choisi. C'est parce que tu l'as forcée ?

    — Non. Je ne l'ai jamais forcée à me choisir ou à choisir quelqu'un d'autre. C'est la pensée que j'avais en tête et que j'utilisais pour me dire si je devais continuer ou abandonner. Ce n'est pas facile de couper les ponts avec un ami, mais au moins tu sauras à quel point il tient à toi. Comme ça, tu ne t'attacheras pas trop.

    — Merci pour le conseil. 

    Même si je ne sais pas si je serai capable de le faire. 

    — De toute façon, avant de quitter cette personne, combien de fois tu t'es autorisé à ne pas être choisi ? Je vais l'adapter.

    Kita lève deux doigts.

    — Deux ? Pas beaucoup de fois, alors.

    — Non. Vingt !

    — Merde, tu n'as pas appris ta leçon.

    — Mon cœur espérait qu'elle me regarderait un jour. 

    Il va bientôt devenir émotif et pleurer. J'arrête de lui demander pour qu'il ne se sente pas blessé.

    Incroyablement, Kita, l'homme confiant qui utilise son visage comme étui de téléphone, qui a une fortune à dépenser, qui s'occupe bien des gens, a été rejeté si souvent qu'il en est devenu déprimé.

    — Et toi, Tess ? Combien de chances tu vas lui donner ?

    — Trois.

    — Pourquoi trois ?

    — Je ne sais pas. C'est la limite de ma patience, je suppose.

    Quand j'étais enfant, j'ai essayé un nombre incalculable de fois d'obtenir une récompense. C'est différent des relations. Vous n'obtiendrez rien si vous êtes le seul à essayer. Certains essaient pendant la moitié de leur vie et ne réussissent jamais.

    — Tu as été stressé ces derniers temps. Il y a une fête chez Mei. Tu veux te défouler un peu ?

    — Est-ce que toi et Fuse avez déjà arrêté de faire la fête ? Ça suffit.

    Ils ont tellement envie de faire la fête, d'une maison à l'autre. J'ai presque oublié qu'ils doivent planifier leur vie après l'obtention de leur diplôme dans les deux ans. Sinon, ils seront reniés.

    — Avant, tu étais le premier à y aller et nous ne disions rien. Tu as changé de manière radicale. 

    Qu'est-ce que ça donne de mieux ?

    — J'ai grandi. Comment je pourrais être le même qu'avant ? Dors.

    Je réponds et m'allonge. Kita arrête de discuter et éteint la lampe, puis prend son téléphone pour jouer dans le noir.

    Cela fait plusieurs nuits que je me force à dormir malgré tous les problèmes qui me rongent. J'aimerais pouvoir les ignorer, mais je n'ai pas la force de les laisser partir.

    Depuis que je me suis réveillé dans cet univers parallèle, je n'ai jamais rêvé. La personne que je cherche n'est pas apparue, alors que Tun et Pang se voient plus souvent.

    Mon espoir qu'il puisse retourner à sa vie dans l'autre univers commence à s'estomper. Je dois lutter contre ces pensées confuses dans mon esprit à plusieurs reprises. Que se passerait-il si je le retenais ? Mais cela ne vaut pas la peine qu'il abandonne tout pour m'attendre alors que je ne sais pas si j'aurai un jour l'occasion d'y retourner

    Et si mes sentiments pour lui sont de l'amour...

    Quand ce jour viendra...

    Est-ce que je le retiendrai avec moi ou est-ce que je le laisserai être heureux et faire ce qu'il aime ?

    Je n'en sais rien.


    — Les garçons, j'ai fait votre lessive.

    La mère de Tun se dirige vers la table à manger avec un panier tressé. Il est encore tôt dans la matinée. Au et Up mangent du porridge et travaillent à la table à manger à l'intérieur. Tun fait la vaisselle à l'évier pendant que j'étudie les couleurs des films dans cet univers. Une fois que nous l'avons vue, nous laissons tout tomber.

    — Maman… Tu n'es pas obligée.

    — Pas de souci. Je suis contente de le faire. 

    Elle pose le panier et tend les vêtements aux propriétaires un par un. 

    — C'est à Au. Ça, c'est à Tess. Et ça, c'est à Up.

    Elle se souvient à qui appartiennent ces vêtements. Elle est méticuleuse, comme l'a dit Tun.

    — Merci. Ils sentent si bon.

    Je la remercie et je prends mes vêtements préférés, lavés et propres.

    Le fait que je m'adapte progressivement à cet univers ne signifie pas que j'ai succombé au destin. Je le fais pour survivre, et cela n'a pas d'effet négatif. Au moins, cette amitié et cet amour me font sourire.

    Nous nous retrouvons chez Tun le matin et nous préparons nos affaires pour rentrer chez nous le soir. Si nous sommes trop paresseux, nous restons ici. Cela fait un moment que c'est comme ça, et je suis habitué à ce mode de vie maintenant.

    — J'allais te demander quand tu as quitté ta chambre. Tu as acheté un nouveau tee-shirt ? Tun ? Je n'ai jamais vu celui-ci auparavant. 

    La mère montre le tee-shirt que porte son fils bien-aimé. Personne ne le reconnaît, mais je m'en souviens bien, car c'est un des rares tee-shirts de couleur neutre que j'ai achetés pour correspondre à mon style d'origine. Je l'ai porté de nombreuses fois jusqu'à ce qu'il se déforme.

    — C'est celui de Tess. Je l'ai volé. 

    La mère secoue la tête avec lassitude à la réponse de son fils.

    — Tu as tes propres vêtements. Pourquoi prendre ceux de ton ami ?

    — Tess s'en fiche.

    — Il n'a jamais demandé. Il l'a pris même si j'aimais tellement ce tee-shirt, dis-je doucement pour tenter de convaincre la mère de prendre ma défense.

    — Arrête de jouer la comédie avec cette voix douce.

    — Maman, Tun m'a traité de menteur. J'ai mal au cœur...

    — Mauvais garçon. Ne dis plus jamais ça à ton ami, dit la femme plus âgée en haussant le ton.

    — Tu crois Tess ? Écoute-le.

    — Pourquoi je suis ici ? Mon Dieeeeeu. 

    Au secoue la tête et retourne à la table, résigné. J'éclate de rire après avoir réussi à faire en sorte que la mère gronde son fils tous les jours.

    DING

    — Ce doit être Pang.

    La sonnette est le signe de l'arrivée de quelqu'un.

    — Je vais y aller. Je vais lui ouvrir la porte.

    — Ce fichu Up-pree est rapide.

    Notre invitée régulière n'est autre que Pang. Lorsqu'elle est libre, elle nous rend toujours visite avec des tas d'en-cas. C'est grâce à sa beauté qu'elle est bien accueillie par tout le monde. Rien qu'en entendant la sonnette, les gars se battent pour être celui qui ouvrira la porte avec enthousiasme.

    — Hé, les gars, comment ça va ? 

    Sa voix unique et son visage lumineux apparaissent devant moi.

    Le plaisir que j'avais à plaisanter avec Tun disparaît, ne laissant qu'un sourire d'accueil sur mon visage.

    — J'ai le syndrome de la page blanche. Je n'ai aucune idée. 

    En fait, Au a eu le syndrome de la page blanche pendant toute la semaine.

    — Je vais m'améliorer.

    — Tu veux un petit-déjeuner ? lui demande Tun.

    — Non, merci. J'ai déjà mangé, dit Pang. 

    Elle se dirige vers le comptoir de la cuisine et dépose naturellement les snacks dans les assiettes. Au, qui se détend, rompt le silence.

    — Le film du dieu est sorti. Pourquoi on n’irait pas le voir pour nous remonter le moral ?

    Il consultait le site Internet du cinéma parce qu'il voulait qu'on aille voir un film ensemble, hein ? Ledit dieu est le meilleur réalisateur d'Hollywood. Il est très doué pour la mise en scène et l'écriture de scénarios.

    — À quelle heure ? 

    La question de Tun me réjouit.

    — Huit heures et demie.

    — C'est moi qui offre.

    Ce sentiment me pousse à leur proposer de les inviter. Je ne sais pas si c'est aussi de l'amour. Tant que je peux le voir et passer du temps avec lui, je me sens heureux.

    — Merde, notre sugar daddy Tess. Merci d'avance. 

    Je fais un signe de tête aux deux copains et me tourne vers la gentille fille.

    — Tu veux te joindre à nous ?

    — Je passe mon tour, mais j'irai avec vous la prochaine fois. Je pars maintenant. Travaillez bien, décline-t-elle poliment avant de se diriger vers le grand homme, de s'arrêter puis de reprendre. Tun, je peux te dire un mot ?

    — Bien sûr.

    Ils quittent la salle à manger en silence, laissant le reste d'entre nous avec des questions. Moi-même, je me demande ce qui est si important pour qu'ils aient besoin de le cacher à tout le monde.

    Je commence à m'inquiéter du temps qui passe. Je n'arrête pas de regarder l'horloge, distrait dans mon travail. Je n'arrive pas à me contrôler pour ne pas me tourner vers ces deux-là. J'essaie de deviner le sujet de leur conversation secrète.

    Peut-être qu'ils ont une correspondance ?

    Ils ont soudain rêvé ?

    Ils se consultent peut-être sur le retour ou autre chose...

    Je laisse toutes les spéculations à l'état de pensées idiotes. J'espère que si cela arrive un jour, Tun me le dira franchement.

    — Désolé.

    Lorsque Pang et Tun reviennent, mon cœur suspendu à un fil est enfin remis à sa place.


    On se retrouve le soir.

    J'ai passé deux heures dans le dressing, prenant la liberté d'essayer les vêtements de Tess devant le miroir pour faire bonne impression auprès de Tun. Je déteste le parfum, mais j'en ai mis un avec une odeur douce cette fois-ci.

    Après avoir vérifié mon apparence jusqu'à ce que je me sente en confiance, j'attrape la clé de la voiture et me dirige vers ma destination. Une fois arrivé, j'aperçois les deux copains qui attendent au guichet du cinéma.

    — Wow, regarde-toi. Comme tu es beau ! 

    J'accepte le compliment avec un sourire et jette un coup d'œil autour de moi, un peu surpris par l'absence de celui qui avait l'habitude d'être toujours le plus en avance.

    — Où est Tun ?

    — Il a soudainement dit qu'il ne pouvait pas se joindre à nous, disant qu'il avait une affaire avec Pang.

    — Pourquoi il ne m'a rien dit ?

    — Peut-être qu'il ne voulait pas que tu t'en mêles. 

    Je ne sais pas à quel point mon expression est déprimée, mais ils semblent l'avoir remarqué. Ils m'entourent rapidement de leurs bras et me poussent à l'intérieur. 

    — Je plaisante. Achetons les billets. Tu as dit que tu nous inviterais. Ne change pas d'avis.

    D'habitude, je me distrais rarement de l'écran, car les places de cinéma sont chères. Que les films soient bons ou mauvais, j'en profite au maximum. Mais cette fois-ci, j'ai du mal à me concentrer. Mes oreilles bourdonnent. Je regarde droit devant, mais ma vision se brouille.

    J'ai mal. C'est probablement le mot qui convient le mieux pour décrire ce que je ressens.

    J'ai l'impression de trop interpréter les paroles de Kita. Ces propos, “Si tu es sa priorité, il te choisira”, font que son absence soudaine sans prévenir affecte mon cœur plus que d'habitude. J'ai beau essayer de me rappeler que je suis raisonnable, et j'ai beau penser à des situations urgentes ou importantes qui auraient pu le pousser à la choisir...

    Cela fait toujours mal au plus profond de moi.

    Le film se termine après environ deux heures, et je dis au revoir à Au et Up. En conduisant, je me souviens que Kita m'a demandé d'aller faire la fête chez une fille. Après réflexion, je suppose que je réfléchirais trop, seul dans mon appartement. Je devrais faire la fête quand je suis émotionnellement instable. Sur ce, je fais demi-tour.

    — Je pensais que tu hibernerais une année de plus. Viens, mec. On t'a préparé des tonnes d'alcool.

    Ces buveurs fous m'accueillent tout de suite. À en juger par l'alcool, les lumières étourdissantes et la musique qui fait vibrer la voiture, je vais sans aucun doute me bourrer la gueule ce soir.

    — Oui, merci. Tu n'as pas amené ta copine ? 

    Je m'installe sur le canapé et retrouve Fuse, que je n'ai pas vu depuis longtemps.

    — Ugh, pourquoi on resterait tout le temps ensemble ? On a besoin d'espace. 

    Je sais qu'il ment, même sans plus d'explications. Je secoue la tête, lassé, et tourne mon regard vers Kita, qui fume confortablement les jambes croisées.

    — Tu veux fumer ? 

    Il lève un sourcil. D'habitude, je ne fume pas. Mais si je suis stressé, il m'arrive d'en allumer une pour me changer les idées. Je suppose que je vais en profiter aujourd'hui.

    — Oui.

    — Qu'est-ce qui ne va pas ?

    — Pourquoi ?

    — Tu as l'air bizarre.

    Kita me voit plus clairement de jour en jour.

    — Tu t'imagines des choses.

    — Ne me dis rien, alors. Voici ton verre. Bois jusqu'à ce que tu sois assommé.

    Aujourd'hui est un autre jour où j'ai envie de tout laisser derrière moi et où je ne me soucie pas de ce qui se passera à l'avenir. J'accepte donc une cigarette de mon ami et je bois sans interruption, sans regarder l'heure ni parler à personne. Je ne fais que boire... et boire.

    Ma vision commence à se troubler. Le hoquet est si fréquent que je n'arrive pas à reprendre mon souffle, mais je ne m'arrête pas. En un rien de temps, j'arrive à peine à me tenir droit.

    J'entends les voix étouffées des gens autour de moi. Incapable de comprendre leurs paroles, je dis oui à tout. Je les laisse m'emmener vers d'autres contrées. Après cela, je ne me souviens plus de ce qui s'est passé. Lorsque la lumière du soleil se pose sur mes yeux, je me réveille sur mon lit.

    Mes comportements sauvages de la nuit dernière ont laissé un effet durable sur mon état actuel. Le mal de tête atteint mes yeux. Ma gorge est desséchée comme si j'avais avalé une poignée de sable. Ces légers symptômes me font regretter de ne pas pouvoir remonter le temps pour me prévenir de ne pas refaire une chose aussi stupide.

    — Putain... 

    Il me faut une éternité pour me redresser. Mon colocataire, qui est habituellement à mes côtés, n'est nulle part. Je ne suis même pas sûr de l'avoir ramené à la maison.

    Je cherche mon téléphone à tâtons dans mon lit et ne trouve rien, alors je me traîne jusqu'à la salle de bains.

    Je me tiens en équilibre instable devant le lavabo pendant un moment et je me sens soudain nauséeux. Je me jette de l'autre côté et vomis dans les toilettes comme un fou.

    Je pensais que cela m'aiderait à me sentir mieux, mais non. Il y a les deuxième et troisième rounds. La force que j'ai utilisée pour me rendre aux toilettes a été aspirée, et je m'allonge, impuissant, en haletant.

    Je n'en peux plus...

    Ces mots résonnent dans ma tête. J'espère que cette sensation de tourment va bientôt s'estomper, mais mon corps se moque de moi. J'ai de nouveau la nausée. Je monte aux toilettes et vomis à plusieurs reprises tout ce que j'ai dans l'estomac.

    Lorsque je me sens mieux, je me lave le visage et cherche mon téléphone une dernière fois. Je le trouve sur le tapis devant la chambre. L'écran affiche les appels manqués de Friend Credits et une douzaine d'autres de Kita et Fuse.

    Je touche les notifications d'une main tremblante. Je m'inquiète pour ces fauteurs de troubles, mais une autre partie de moi veut informer quelqu'un de mon état actuel pour apaiser son inquiétude. Alors que je réfléchis à la personne que je devrais appeler en premier, la personne familière m'appelle. Je n'ai plus à choisir.

    Tun.

    L'homme dans mes pensées qui m'a fait trembler toute la nuit.

    — Allô. 

    Je décroche et m'assois par terre, essayant d'avoir l'air normal même si cela ne semble pas fonctionner.

    — Ça va, Talay ? Tu n'es pas venu. Je suis inquiet.

    J'aime sa voix. Elle me met à l'aise quand je l'écoute.

    — Désolé. Je me suis réveillé un peu tard.

    — Un peu, mon cul. Il est deux heures de l'après-midi. 

    La réponse me choque. Je n'ai pas regardé l'heure depuis mon réveil. 

    — Tu es malade ? Ta voix est rauque.

    — Un peu. Je prends un jour de congé.

    — Tu veux voir un docteur ? Tu as mangé ?

    — Ce n'est pas si grave. C'est juste...

    — Hé, attends, quelqu'un m'appelle. Je te rappelle plus tard. 

    Il coupe et raccroche sans attendre ma réponse.

    J'avoue que c'est trop soudain pour moi. Je ne peux que tenir mon téléphone comme ça et me demander ce que je suis censé ressentir.

    — D'accord.

    Je réponds, en espérant qu'il me rappellera pour me demander comment je vais. Une minute... deux minutes... trois minutes se sont écoulées.

    Je n'ai jamais été comme ça auparavant. Je suis mal à l'aise, confus, j'attends, j'espère énormément. Je m'apitoie sur mon sort, car je n'en serais pas arrivé là si je ne m'étais pas laissé séduire par quelqu'un. J'aurais été l'ancien moi qui n'était attaché à personne et qui était libre de toute action et de tout sentiment.

    Quinze minutes se sont écoulées, mais c'est insupportablement long pour moi. Finalement, je n'ai rien reçu de l'homme que j'attendais. En revanche, le nom qui apparaît à l'écran est celui de mon colocataire temporaire.

    — Tu décroches enfin. Tu vas bien ?

    Je tiens mon téléphone en silence, laissant Kita pester jusqu'à ce qu'il ait fini, puis je réponds.

    — Je viens de me réveiller.

    — Qu'est-il arrivé à ta voix ? Une gueule de bois ? 

    En plus de vomir, je crois que j'ai mal à la tête et un peu de fièvre.

    — Je suis un peu malade. Tu as dormi où la nuit dernière ?

    — Chez Mei. Je n'ai aucune idée du moment où j'ai été assommé. Tout ce que je sais, c'est qu'un ami a dit que tu te plaignais de ne pas vouloir rester ici et qu'il t'a ramené chez toi.

    — J'étais si ivre que ça ?

    — Ouais. 

    J'espère juste que personne n'a filmé ce qui s'est passé hier soir pour me faire chanter. 

    — Tu as mangé quelque chose ?

    — Non.

    — Je vais t'acheter de la nourriture et des médicaments.

    — D'accord. Merci.

    Encore une fois, même si quelqu'un se soucie de moi, je suis toujours blessé.

    — Je serai à la maison dans une demi-heure. Tu peux tenir jusque-là ?

    J'ai l'habitude de la solitude. J'ai été blessé par la déception. J'ai été ignoré. Et je me suis habitué à tout cela. Ce n'est pas différent. Ça va aller mieux. Je vais être capable de l'accepter.

    — Bien sûr...

    Ça passera.

    — Kita, la fille que tu aimais... 

    Avant de raccrocher, je veux stupidement lui demander quelque chose. 

    — Quand tu n'as pas été choisi la deuxième fois, comment tu t'es senti ?

    — Rien. J'avais juste un petit faible pour elle.

    — Et la dernière fois ? 

    J'entends son petit rire, puis il se tait, s'arrêtant pour réfléchir.

    Kita joue à la guerre des nerfs.

    — Je ne sais pas. Je ne sais pas trop comment le décrire. Peut-être que j'étais triste de ne pas avoir eu juste un petit faible pour elle.

    — … 

    — C'est que je suis tombé amoureux de quelqu'un comme ça.

    Le temps que je me débarrasse des mots douloureux de mon ami, il a déjà raccroché.

    Je m'assois sur le canapé, regardant mon téléphone et le balcon, m'enfonçant dans mes pensées, laissant le temps passer pour rien. La vibration de mon téléphone attire mon attention vers quinze heures.


    “Désolé de ne pas t'avoir rappelé. J'avais une course à faire. N'oublie pas de prendre soin de toi.”


    Un message de Tun.

    Je m'allonge et le relis plusieurs fois. Il est peut-être court, mais il contient tout. Des excuses. Une explication. Une remarque bienveillante.

    … Aucune voix que je veuille entendre, cependant.

    Un jour, je me suis demandé pourquoi les humains enduraient la douleur et se mettaient dans un état pitoyable. Pourquoi nous noyer dans la tristesse alors que nous pourrions aller de l'avant ? J'ai même ri de certaines scènes de mélodrames et d'actions idiotes surréalistes.

    Pleurer dans la baignoire. Courir sous la pluie. Se saouler.

    Mais maintenant que j'ai connu cette douleur, je réalise que je veux faire tout cela. Les émotions humaines sont tout sauf simples.

    Il n'est pas facile de forcer un sourire.

    Il n'est pas facile de rire.

    Il n'est pas facile d'arrêter d'attendre et d'exprimer l'abattement...

    … quand on a si mal à l'intérieur.


    Salon de Friend Credits

    Up-pree

    Tu es absent depuis deux jours. Tu te sens mieux ?

    Tess

    Oui, je suis juste un peu malade.

    Adisorn

    C'est bien que ce ne soit pas grave. J'ai entendu dire que tu étais épuisé.

    Tess

    Qui te l'a dit ?

    Adisorn

    Tes photos sont partout sur Instaqam. Dis-nous ce qui te stresse.

    Tess

    Je voulais juste me saouler.

    Up-pree

    Tu étais triste à cause du film ? C'est pour ça que tu as bu tout de suite après !

    Tess

    Vous ne comprenez rien à rien.

    Je peux séparer ma vie des films.

    Up-pree

    Si ce n'était pas la raison...

    Je parie que tu étais contrarié que Tun soit avec Pang.

    Laisse-moi taguer @Pakorn

    Adisorn

    Oublie ça. Il s'en fout complètement.

    Il nous a laissé tomber au cinéma, et aujourd'hui il a quitté son travail pour être avec elle.

    Il a oublié ses amis.

    Pakorn

    Pourquoi est-ce que tu me harcèles ? C'est embêtant.


    C'est à ce moment-là que j'ai découvert pourquoi il m'a raccroché au nez sans hésiter. La raison est que l'autre personne est plus importante.

    Pensez-y. Cela fait environ un mois, mais je suis toujours blessé.

    Je ne peux même pas me forcer à arrêter de lire la conversation dans la discussion de groupe, comme si je voulais la souligner et me rappeler d'arrêter d'attendre quelque chose qui n'est pas à ma portée.

    Je reste le même, n'exprimant pas ma tristesse et n'évoquant pas le passé. J'y arrive... très bien. Personne ne le remarque. Tout est normal, comme les autres jours.

    — Vous avez fait vos valises ?

    La question de Tun fait sursauter tout le monde. Je verrouille rapidement l'écran de mon téléphone et lève les yeux en souriant, sans répondre.

    Cela faisait déjà un moment que Friend Credits travaillait sérieusement à l'élaboration du scénario. Tout semblait aller comme sur des roulettes. Mes amis se sont relayés pour collecter des informations hors site jusqu'à ce que nous en ayons assez. Néanmoins, nous manquons encore de nouveauté. C'est pourquoi nous avons prévu de nous déplacer tout en écrivant avec notre bus dans quelques jours. Nous espérons que ce voyage nous fera vivre des expériences extraordinaires.

    — Nos valises, mon cul. Il nous reste trois jours, grommelle Au en levant les yeux de son ordinateur portable.

    Nous sommes toujours dans le studio-bus, comme d'habitude. La différence, c'est que je n'ai rien à faire, alors je cherche de multiples références pour faire de la mise en couleur près d'eux.

    — Je n'aime pas cette scène. Est-ce qu'on devrait la supprimer ?

     Up change immédiatement de sujet. Il a l'air sérieux avec la partie qu'il est en train d'écrire sur son ordinateur portable miteux.

    — Qu'est-ce qui ne va pas ? C'est romantique, lance Au.

    — L'amour est un sacrifice. Permets-moi de lever les yeux au ciel.

    — Hein ?! Quand tu aimes quelqu'un, tu souhaites son bonheur même sans toi dans sa vie.

    — C'est trop optimiste. Crois-moi. Au fond de lui, le protagoniste espère être choisi. Il perd simplement parce qu'elle choisit quelqu'un d'autre. D'où le sacrifice.

    Pourquoi cela ressemble-t-il à mon histoire au fur et à mesure que je l'écoute ? Peut-être est-ce vrai que le mot “sacrifice” est utilisé pour réconforter ceux qui ne sont pas choisis.

    — Et alors ? 

    Ils ont chacun leur propre opinion. Et à chaque fois qu'ils s'opposent, c'est une tierce personne qui décide.

    Même s'il s'agit d'une des premières versions, je ne peux m'empêcher de me demander quelle sera la réponse.

    — Ma réponse ?

    — Oui.

    Tun me regarde après avoir entendu la question. Je n'arrive pas à comprendre ce que ces yeux essaient de transmettre. Il veut peut-être mon avis ou simplement regarder. Finalement, je reste silencieux alors qu'il ne dit rien.

    — Tun !

    Après une longue pause, les deux copains lui tapent sur la tête.

    — Efface-le. Si tu veux mon avis…

    Nous obtenons enfin la réponse.

    — Je ne suis pas assez gentil pour laisser cette personne aimer quelqu'un d'autre.

    DING

    Les gars sont tout excités en entendant la sonnette. Chaque fois que Pang se présente, la tension retombe car elle vient toujours avec de délicieux en-cas, de la musique unique et des activités divertissantes qui nous encouragent à travailler.

    Cette fois-ci, c'est pareil.

    Je reste à la table du studio-bus, écoutant de temps en temps mes amis à l'extérieur. Je ne m'attendais pas à ce que Pang monte dans le bus pour me saluer dix minutes plus tard.

    — Occupé ? 

    Le sourire sincère qu'elle me donne toujours rend difficile le fait de penser à elle de manière négative.

    — Ouais. Désolé de ne pas vous avoir rejoints.

    — Ce n'est pas grave. Je ne fais que passer. Je vais bientôt partir. 

    Elle entre à l'intérieur jusqu'à ma table avant de me tendre un sac contenant quelque chose. 

    — Je t'ai acheté de quoi grignoter.

    — Tu n'es pas obligée, dis-je, mais j'accepte quand même.

    — J'ai entendu dire que vous alliez écrire à l'extérieur, dit-elle en entamant une autre conversation, s'asseyant sur la chaise de Tun à côté de ma table.

    — Ouais. Ça t'intéresse ?

    — J'ai des tonnes de travail. Je vais passer mon tour cette fois-ci. Bon voyage. 

    Avec ça, c'est comme si nous étions déconnectés. C'est gênant quand on ne sait pas quoi dire.

    Pourtant, quand je la vois et que je la regarde en face, les dernières paroles de Tun résonnent dans ma tête. Sur le fait qu'il n'est pas assez gentil pour laisser sa bien-aimée aimer quelqu'un d'autre. Pourquoi ai-je l'impression qu'il a subtilement parlé de Pang ?

    Maintenant que j'y pense, le picotement dans ma poitrine s'amplifie. Même si cela les regarde, je suis curieux. Je rassemble enfin mon courage pour demander.

    — Pang, je peux te demander quelque chose ?

    — Hmm ?

    — J'ai eu cette conversation avec Tun. Il pensait que tu étais peut-être la personne qu'il cherchait. Je ne sais pas si… 

    Elle se tait en entendant cela. 

    — Tu penses la même chose ?

    Je veux être sûr avant qu'il ne soit trop tard pour me défiler.

    — Je ne sais pas. On en a parlé plusieurs fois.

    — … 

    — Plus je passe de temps avec lui, plus je pense qu'il pourrait être le bon.

    Toc, toc, toc.

    Avant que mon cerveau n'ait pu tout assimiler, les coups frappés à la fenêtre m'interrompent. La confusion des sentiments qui m'habitent ne se lit pas sur mon visage, du moins en apparence.

    Pang croise le regard de la personne qui se trouve derrière la fenêtre. Elle esquisse un doux sourire et s'excuse. Je ne peux pas nier que ces deux-là sont parfaits l'un pour l'autre.

    Tun est celui que Pang cherchait, et Pang a trouvé Tun.

    Je me sens à nouveau comme ça...

    Je n'ai rien à faire avec lui.


    — Avant de partir, laisse-moi distribuer ça.

    Comme prévu, tout le monde se rassemble devant la maison du célèbre ancien directeur graphique. L'ambiance est animée et assez chaotique.

    — Trop booooon.

    Je porte un tote bag et distribue des jus de fruits à tout le monde comme s'il s'agissait d'un camp d'étudiants bénévoles. Je dois les distribuer parce que le jus d'orange est un cadeau de Jubjang, la responsable de l'Association des Thaïlandais dans un univers différent. De plus, il y a actuellement des morceaux de poulet grillés, grâce à la gentillesse de Puwadol, l'infirmier.

    En plus du cadeau offert par amour, Jubjang s'attend à ce que je prenne des photos pour elle. Si un jour le film devient célèbre, elle aura du contenu à publier pour le montrer.

    Bien sûr, je ne mentionne jamais les noms à Au et Up. Ils savent seulement que ça vient de mes amis.

    — Cette plante prend trop de place. Elle est inutile. 

    Après avoir pris le goûter, Au écarte l'arbre à trompettes roses et lève les yeux au ciel, comme si cela l'ennuyait vraiment.

    — Sa signification est belle, argumente Tun en boudant. 

    Il pense que c'est mignon ?

    — Arrête de te voiler la face, espèce de voyou.

    Comme c'est à moi de m'en occuper, je vais blesser la personne qui me l'a donné si je ne l'emporte pas avec moi. Je réfléchis à la façon de la rendre utile, et j'ai une idée.

    — Que diriez-vous de ceci ? Puisque c'est une plante qui représente l'amitié des Friend Credits, écrivons nos trois souhaits pour cette année. Dès que l'un d'entre eux se réalise, nous l'enlevons.

    — Oui, c'est beaucoup plus utile maintenant, lance Up avant de murmurer. Je suis sarcastique.

    — Hé, j'ai entendu, aboie-je.

    — Très bien, alors. Allons-y.

    — Prends notes. Les jaunes sont ceux de Up. Le violet c'est ceux de Au. Toi... 

    Je tends les notes roses au gars à côté de moi. Au lieu de les prendre, il reste immobile, comme pour m'énerver.

    — Prends-les. 

    Je baisse la voix en insistant sur chaque mot.

    — Pourquoi tu me parles rarement ces derniers temps ?

    — Qui ? Je suis toujours le même.

    Non, je ne le suis pas. L'incident d'il y a quelques jours est la raison pour laquelle je m'éloigne lentement de Tun. Je pensais que c'était facile. Je ne m'attendais pas à ce qu'il le remarque.

    — Non. Tu as changé.

    — J'ai été stressé par ma famille.

    — Tu te sens mieux maintenant ?

    — Pourquoi tu t'inquiètes ? Prends ça. 

    Je lui fourre les notes dans la main pour mettre fin à la conversation. Je me tourne alors vers la mère, qui sourit en tenant dans ses mains d'énormes boîtes repas pour quatre personnes.

    — Faites bon voyage. Voici votre nourriture. Mangez-en quand vous aurez faim. 

    Elle est toujours aussi mignonne.

    — Merci.

    Nous partons tôt le matin pour arriver à destination avant la nuit. Comme la maison de plage que nous avons réservée a une vue qui vaut un million malgré son faible prix, c'est un bon signe pour ce voyage délicieux.

    Une autre chose amusante est que c'est un voyage dans la ville natale d'Au, mais il n'a pas du tout l'intention de rentrer chez lui. C'est fou.

    Monsieur l'acteur est notre chauffeur. S'il est fatigué, je peux le relayer. Alors que je suis assis sans but à côté de Tun, ne voulant pas le distraire, je sors les notes de couleur œuf pour écrire mes souhaits afin de tuer le temps.

    — Qu'est-ce que tu écris ? 

    La personne dont je souhaite le moins l'attention se tourne vers moi.

    — Les yeux sur la route.

    — Laisse-moi voir.

    — Tu comprends ce que ça veut dire “souhaits personnels” ? 

    Je couvre le texte de la note comme si c'était top secret.

    — Ton souhait, c'est de trouver ton portoloin, c'est ça ?

    — M. Je sais tout.

    — Je lis dans tes pensées. 

    Non. Il ne sait rien.

    — Ça ne te regarde pas.

    — Et l'autre note ?

    — J'espère que notre film aura du succès. 

    J'ai écrit mes souhaits sur deux notes, car c'était ce qui me venait à l'esprit à ce moment-là. Je ne sais toujours pas quelle est la dernière chose que je souhaite.

    — Tu ne vas pas écrire le dernier ?

    — Je le ferai quand je saurai ce que c'est.

    — C'est toi qui vois. Écris-le avant que l'arbre à trompettes roses ne dépasse les dix mètres.

    — Espèce de...

    Je serai peut-être encore là quand l'arbre atteindra cette hauteur, et il sera probablement retourné dans l'autre univers. Putain !

    J'aimerais parfois pouvoir arrêter le temps maintenant, laisser derrière moi mes soucis et les mauvais moments des autres jours pour être avec Tun et nos amis.

    La lumière chaude du soleil, le vent sur mon visage lorsque j'ouvre les fenêtres et la vue des deux côtés apaisent mon cœur. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil à l'homme à côté de moi de temps en temps.

    Le studio-bus arrive à destination en début de soirée. Nous avons l'impression d'être libérés de tout fardeau. Nous ne travaillons pas et nous nous amusons à jouer dans l'eau. La première journée se termine rapidement et la deuxième matinée commence.

    — Vous savez pourquoi nous sommes ici, n'est-ce pas ? 

    La question d'Au, le local, nous laisse perplexes.

    — C'est toi qui as suggéré qu'on vienne ici, espèce de crétin, s'emporte Up-pree.

    — Écoutez, les mecs. Il y a une île remarquablement belle dans ma ville natale. C'est une île secrète. Pas très fréquentée. Seuls les gens du coin la connaissent. Le plus beau, c'est qu'elle est paisible, parfaite pour trouver des idées.

    — C'est la première fois qu'on te voit faire preuve de bon sens.

    — Je parle avec bon sens tous les jours. C'est juste au-delà de votre compréhension.

    — Comment y arriver ? demande Tun.

    — Prendre un bateau est la seule option. C'est un peu dur, mais ça en vaut la peine.

    Avant de partir, nous préparons une couverture, de la nourriture, des boissons, des livres, du matériel de travail et de petits ordinateurs portables. Nous imaginons un voyage merveilleux, mais nous sommes confrontés à des difficultés.

    Si c'était un film, ce serait la scène la plus pourrie.

    — Où se trouve ton île remarquablement belle ?

    Dès que je pose le pied sur le sable blanc, mon esprit se remplit de questions. Cet endroit n'est pas différent des îles que nous avons visitées auparavant. Aucune zone n'est propice au travail parce qu'un groupe de personnes se promène sur la plage.

    — Là-bas. Tu vois ? 

    Au pointe du doigt vers notre droite, et je découvre qu'il existe une petite zone de sable blanc. Merde, je suis désolé de l'avoir maudit dans mon esprit pendant environ deux lignes.

    — Où se trouve l'embarcadère pour louer un bateau ?

    — Louer un bateau, mon cul. On va marcher.

    — Ça va aller ? demandé-je pour m'en assurer.

    — L'eau nous arrive à la cheville. De quoi tu as peur ?

    Sur ce, Au nous fait avancer sans crainte. Je mesure la distance avec mes yeux. L'île est à une centaine de mètres. C'est facile.

    Nous marchons en ligne lentement jusqu'à ce que nous découvrions que seuls quelques premiers mètres nous arrivent à la cheville. L'eau devient de plus en plus profonde. Je pense que l'eau nous arrivera bientôt au cou, espèce d'idiot.

    Nous devons soulever nos affaires au-dessus de nos têtes tout en marchant. Quel état pitoyable. Il y a toutes sortes d'obstacles sur le chemin pour nous mettre à l'épreuve. Les rochers qui nous barrent la route. Les vagues qui s'abattent constamment sur nous.

    Je pensais que ce serait facile. Maintenant, j'ai l'impression de ne plus pouvoir continuer.

    Mon souffle s'accélère. Mes mains et mes jambes tremblent tellement que je manque de tout laisser tomber dans l'eau. Mais je ne laisse pas cela se produire. Je m'arrête simplement et je regarde tranquillement les trois autres s'éloigner de moi.

    Je ne peux pas dire un mot. L'incident de la noyade défile dans mon esprit, scène par scène. Je n'aurais jamais cru que je me sentirais aussi terrifié au fond de moi. Je me demande si je dois continuer à avancer ou faire un pas en arrière lorsque le type qui se trouve à une courte distance se retourne.

    — Qu'est-ce qu'il y a ?

    — … 

    Il marche vers moi sans attendre la réponse. Il m'atteint en un clin d'œil.

    — N'aie pas peur. 

    Sa voix douce et grave et ses yeux doux soulagent considérablement mon anxiété.

    — C... C'est facile pour toi de dire ça. Et si je glisse et que je suis emporté par l'eau ?

    — Accroche-toi à moi.

    — Et si tu es emporté par l'eau ? Je ne serai pas entraîné avec toi ? 

    Je reconnais que je suis paranoïaque. Je préfère faire demi-tour.

    — Je te promets que tout ira bien. Donne-moi la couverture et ton sac. Je vais les porter.

    Il prend tout et place mes poignets tremblants sur ses épaules.

    — Merci.

    — Suis-moi lentement.

    Au début, j'ai trop peur de bouger mes jambes, mais après quelques pas, je me sens à l'aise. Tun ne dit plus rien, mais ses gestes me rassurent et je m'en remets à lui. Finalement, j'arrive à me débarrasser un peu de ma peur.

    — Bienvenue dans cet endroit merveilleux !

    Au crie et court sur la plage comme un gamin.

    Heureusement que nos appareils électroniques sont emballés dans des sacs en plastique étanches, sinon nous n'aurions rien eu d'autre que nos yeux pour immortaliser cette beauté.

    — Vous avez une heure pour prendre des photos en guise de souvenir, puis nous nous mettrons au travail.

    Si nous étions dans l'autre univers, les enregistrements vidéo seraient montés et étalonnés magnifiquement avant d'être téléchargés sur YouTube pour être montrés à mes amis. Tout ce que je peux faire maintenant, c'est photographier quelque chose, puis je passe le temps qu'il me reste à regarder la nature pour m'imprégner de l'atmosphère.

    Je suis tombé amoureux de la mer, mais elle m'effraie aussi. J'en garde de bons et de mauvais souvenirs.

    — Tu te sens mieux maintenant ?

    — Oui, réponds-je au grand type.

    Il hoche la tête en signe de compréhension, s'allonge sur le tapis et ferme confortablement les yeux. Je jette un coup d'œil furtif à Tun. Voyant qu'il dort profondément, je le fixe et me perds dans mes pensées.

    Une petite heure s'est écoulée. On prend tous nos outils de travail et passe en mode sérieux. La situation est totalement différente de celle d'avant.

    — Où en étions-nous ? 

    Tun bâille malgré la sieste.

    — Au début !

    Nous travaillons tous dur comme si nous n'allions jamais nous réveiller demain. Je pense que c'est dû à la tranquillité et au fait que nous avons quitté la ville animée pour travailler ici. Ils nous aident à trouver une conclusion et à corriger les parties sur lesquelles nous étions bloqués en peu de temps.

    Quelques heures plus tard, nous faisons nos bagages. Up ne veut pas partir maintenant, nous avons donc le temps de profiter de la nature.

    — Ils sont à cran quand ils travaillent, mais leur humeur change du tout au tout quand ils jouent. 

    Je regarde les deux copains qui sont trempés. Ils jouent dans l'eau avec plaisir de l'autre côté de la plage.

    Je m'assois sur le sable et je regarde les vagues s'écraser sur la plage avec l'homme à côté de moi.

    — C'est comme ça.

    — Tu t'y es fait ? 

    L'acteur doit travailler avec l'équipe de scénaristes en coulisses, et les personnalités de ces deux-là sont aussi un peu bizarres. Je ne peux m'empêcher de demander.

    — Bien sûr, nous avons eu le déclic, répond Tun en souriant. Et toi ? Comment vont Fuse et Kita ?

    — Ils sont fous. En fait, ces deux-là sont très gentils. Ils ne passent pas leur temps à se disputer.

    — Et nous ?

    Nous ?

    Cette question est vraiment difficile. Il n'est pas difficile d'y répondre, mais il est difficile... de le lui dire.

    — Je ne sais pas.

    — On se connaît depuis presque un an.

    C'est pour ça que je suis perdu.

    — Comment dire ? J'aime quand on est ensemble. Je me sens vraiment seul quand on est séparés. Mais quand on est ensemble, on se prend la tête.

    La vérité, c'est que je suis tombé amoureux de lui, mais qu'il me considère comme un ami.

    Notre relation semble tantôt proche, tantôt hors de portée, si bien que je ne sais pas si je dois me rapprocher ou m'éloigner, comme j'essaie de le faire.

    — C'est bien. J'adore ton visage agacé.

    Il prend une expression moqueuse.

    Pourquoi ne peux-tu pas aimer tout ce qui me concerne ? Pourquoi tu ne peux pas m'aimer plus que comme un ami ?

    — Tais-toi.

    — Tu t'appelles Talay(1) et tu aimes la mer. Dis-moi quel est le voyage à la mer qui t'a le plus impressionné. 

    Je réponds presque immédiatement.

    — Quand je suis allé à la mer dans un film avec mes amis et que je me suis évanoui. Ils m'ont porté dans la panique.

    — C'est drôle, s'amuse Tun. Tu étais si fatigué que ça ?

    — Mon estomac était vide et il faisait très chaud, alors je me suis évanoui.

    — Heureusement que tu as mangé un grand bol de porc à l'ail avec du riz aujourd'hui, et que le temps n'est pas étouffant.

    — Tu te souviens de ce que j'ai mangé ?

    — Allez, tu as aussi mangé les desserts thaïs qu'ils ont servis et plusieurs verres de jus de pois chiches.

    — Tu t'en souviens bien.

    — Parce que je m'en soucie.

    J'essaie d'étouffer mon sourire et de laisser tomber mon regard sur le sable pour que Tun ne le remarque pas. Il ne dit rien, laissant le temps passer jusqu'à ce que le ciel change de couleur. Le soleil va bientôt se coucher.

    J'étire mes jambes sur le sable, sentant les vagues s'écraser plus profondément sur la plage. Mais ce qui me choque le plus, c'est que l'homme à côté de moi appuie son pied sur le mien.

    Ses yeux brillent et il serre les lèvres sans explication. Je ne pose pas de question, j'obtempère. Je n'entends rien d'autre que mon cœur qui bat à tout rompre.

    Le ciel vanille. Les vagues. Le sable blanc.

    Notre contact.

    Les battements incontrôlables de mon cœur.

    Avec tout cela combiné, je me rapproche lentement de lui. Je peux sentir son souffle chaud dans la courte distance qui nous sépare, et nous pourrons partager notre premier baiser si...

    … il ne s'éloigne pas.

    — … 

    Je reste sans voix après avoir été repoussé. Il me ramène à la raison.

    J'ai envie de me gifler. Qu'est-ce qui m'a fait croire que Tun pourrait me rendre la pareille ? Je m'engourdis en me faisant rejeter.

    — Désolé, dis-je en faisant semblant de rire. 

    Je me lève et m'éloigne.

    Je repense à ma conversation avec Kita. Trois fois... les chances de ne pas être choisi.

    La première fois, il n'a pas regardé un film avec moi pour sortir avec Pang.

    La deuxième fois, il m'a raccroché au nez quand j'étais malade parce que Pang l'avait appelé.

    Et la troisième fois, même s'il n'avait personne d'autre, il ne m'a toujours pas choisi.

    Je n'aurais jamais cru que l'amour pouvait nous faire perdre autant de choses.

    Je perds qui je suis.

    Je perds le contrôle.

    Je perds mon cœur pour lui.

    “Ne laisse pas les choses commencer.” Je devrais m'arrêter, mais il est trop tard.

    … Tout a déjà commencé.


    Notes
    (1) Talay veut dire mer.


  • Commentaires

    2
    cass
    Lundi 22 Avril à 08:39

    Talay ,mon bébé

    1
    Vendredi 23 Février à 18:37

    Merci Johanne pour ce nouveau chapitre.

    Mon petit cœur s'est serré pour Talay. Il est vraiment adorable et on voudrait lui faire des câlins pour le réconforter oops.  

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