Mon travail n’a rien de passionnant, chaque jour, je me rends dans cet immense immeuble et je passe ma journée dans cet open space bruyant où je rentre des chiffres dans mon ordinateur. C’est répétitif, incroyablement ennuyeux et loin d’être le métier de mes rêves. 

Quand j’étais au lycée, je rêvais de devenir mannequin comme mon idole, Pond Navarit. Il avait été repéré à un jeune âge par son agence et, aujourd’hui, il était un modèle international. Je voulais la même vie que lui, les projecteurs, le glamour, l’argent et la célébrité. 

D’ailleurs, je prenais soin de mon apparence, faisant des régimes et me tenant au courant des dernières tendances vestimentaires pour être à la mode. Le soir et le week-end, j’arpentais le centre commercial de Siam Paragon et d’autres lieux à la mode, espérant être repéré par un chasseur de tête. 

C’était un beau rêve, mais qui ne se réalisa jamais. Juste après mon bac que je réussis de justesse, aucune faculté ne voulut de moi, mes notes n’étant pas assez bonnes. En plus mes parents qui tenaient un magasin de nourriture firent faillite et je n’ai pas eu d’autre choix que de trouver rapidement un emploi pour les soutenir financièrement. 

Alors j’avais oublié mon idée de me tenir au côté du magnifique Pond pour une séance photo et mes pieds étaient restés bien ancrés dans la réalité. Je travaillais toute la journée, buvais avec mes collègues le soir et aidais ma famille les week-end. 

— Phuwin quand tu auras fini de rêver, tu pourras apporter ça au grand chef.

Je lève les yeux en sursautant tout en sortant de mes pensées quand ma collègue m'apostrophe et je grimace. Le grand chef n’est pas méchant, mais il est sacrément chiant et surtout il pense que ses employés n’ont pas de vie personnelle. Je sais que si je vais lui apporter le dossier, ce soir je suis sûr de ne pas rentrer dans un état normal chez moi. 

Malheureusement, dans ces moment-là, il faut renvoyer la balle aussitôt à un autre collègue pour se décharger de la corvée, mais, perdu dans mes pensées, j’ai laissé passer la règle des cinq secondes. Je râle pour la forme mais quitte mon bureau, attrape le dossier épais et me dirige vers le bureau maudit. 

J’espère croiser quelqu’un dans le couloir à qui je pourrais le donner, mais il semble que tout le monde s’est donné le mot pour m’éviter et bientôt, je n’ai plus d’autre choix que de toquer à la porte. 

— Entrez !!

— Bonjour Chef, je viens vous déposer le dossier de l’audit de True Corporation.

Mission, être le plus rapide possible et croiser les doigts pour qu’il soit trop occupé pour prêter attention à ma présence. Sur le coup, je pense que c’est gagné, car il est en pleine conversation au téléphone. Je m’approche rapidement du bureau, pose le dossier dans un coin qui n’est pas envahi de paperasse, puis après un signe de tête discret, je fais demi-tour. 

Mon sourire s’agrandit au fur et à mesure que j’approche de la porte. Dix pas… neuf pas… huit pas… sept pas… six pas… cinq pas… quatre pas… trois pas… Je pose la main sur la poignée et je sens mon cœur bondir dans ma poitrine, je vais y arriver. 

— Au fait Phuwin, tu es libre ce soir ?

Et merde !!

Je me retourne vers mon patron avec un sourire qui ressemble maintenant à une grimace tordue et je prends une profonde respiration pour que ma voix ne laisse pas transparaître mon ras le bol. 

— Et bien, je…

Mon cerveau marche à toute allure alors que je cherche ce que je pourrais faire ce soir qui m'empêcherait une énième soirée avec mon patron. Regarder le défilé de Pond n’est définitivement pas une bonne excuse pour lui, mais me rendre compte que je vais le louper, me met encore plus de mauvaise humeur.

— Bien alors retrouvons nous au bar habituel, c’est moi qui paye.

— A 19h, dis-je d’un ton las

— Parfait !

Cette fois je sors, les épaules basses, le moral plus bas que terre, décidément, je donnerais tout pour trouver un autre métier, un métier qui me rapproche de mon rêve, qui me donnerait l’impression de vivre vraiment ma vie et pas seulement la regarder défiler au bord d’un quai.

— Allez Phuwin encore un verre, tu n'as presque rien bu…

La voix ivre de mon patron résonne dans le bar, presque vide vu l’heure tardive. J’ai du mal à retenir un haut de cœur alors qu’il me met un verre d’alcool fort sous le nez. On boit depuis des heures, on parle de sa vie depuis des heures et je cherche comment écourter la soirée depuis des heures.

— Je vais vomir si je bois plus, chef. 

Je repousse le verre et il se met à bouder. Notre chef n’a été que peu contrarié depuis son enfance. Né dans une famille riche, il n’a pas réellement eu à s'inquiéter de l’avenir et monter sa boite était plus pour s’occuper qu’autre chose. Il est généreux avec ses employés, mais comme il ne sait pas vraiment se faire d’amis, quand il a envie de se plaindre, il se sert de nous. 

— T’es pas drôle Phuwin… Je veux m’amuser ce soir. 

— Votre femme ne va pas être contente si vous rentrez encore ivre, monsieur. 

Il repousse mes paroles d’un geste de la main, mais je suis sauvé par son téléphone qui se met à sonner et aussitôt, il grogne. 

— Tu m’as porté la poisse, je ferais bien d’y aller.

Il récupère rapidement ses affaires et décroche en essayant de ne rien faire tomber et je ne peux pas m’empêcher de rire doucement. Il tente de faire croire à tout le monde que c’est lui qui porte le pantalon mais, on sait tous que sa femme le mène à la baguette. 

Heureusement, il a payé nos consommations, je ne suis pas sûr que j’aurais eu assez pour le faire. Je me lève à mon tour, pressé de retrouver mon lit, mais, dès le premier pas, je sens que je vais avoir des difficultés. Le sol tangue dangereusement et mes jambes semblent être en chewing-gum. J’arrive à quitter le bar et l’air un peu frais me fait du bien. 

Je veux quitter ce travail et faire quelque chose pour lequel je me sens utile ou au moins qui me donne envie de me lever le matin. J’avance d’un pas hésitant, ne voulant pas finir cette journée en me cassant la gueule en pleine rue. Le mieux à faire est de prendre un taxi, alors je me dirige vers le bord du trottoir faisant signe à chaque véhicule coloré qui vient dans ma direction. 

Cinq taxis me passent devant sans même ralentir quand, enfin, un s’arrête à mon niveau et je m’engouffre dedans, appréciant d’être assis car la sensation de vertige est moins présente. Je donne mon adresse et je suis heureux que le conducteur ne soit pas un grand bavard, il n’y a que la radio qui diffuse de la musique en fond sonore. 

Je ferme les yeux, malgré l’heure tardive, la circulation est encore difficile et on roule au pas. Je sens que je ne suis pas loin de m’endormir, mais c’est alors que mon oreille est attirée par ce qui se dit à la radio. Je me redresse brutalement, me tenant au siège avant pour ne pas tomber. 

— Vous pouvez monter le son, s’il vous plaît.

“... C’est pourquoi l’agence à décidé d’ouvrir une recherche d’emploi pour un homme qui travaillera en étroite collaboration avec le célèbre Pond Navarit. Tout homme majeur peut se présenter dès demain pour un entretien et peut-être décrocher l’emploi de ses rêves.”

Je sens mes yeux se mettre à briller, rapidement pour être sûr de ne pas oublié, je me dépêche de sortir un stylo et j’écris les information en gros sur mon avant bras

Demain - Casting - Pond - Rêve

— Monsieur… demain je quitte mon boulot et je vais réussir ce casting et devenir célèbre.

Je me laisse retomber sur mon siège avec un grand sourire sur les lèvres, je n’écoute même pas la réponse de mon chauffeur. Je ferme les yeux et me prends à imaginer ma nouvelle vie, on m’offre une chance d’être celui que je veux depuis toujours et cette fois je ne laisserais rien se mettre en travers de mon chemin.