• Little Rabbit (Bright & Win)

    Little Rabbit

    Depuis quelques années, je me demande ce que ça ferait de vivre dans un pays où il fait froid en hiver. De ne pas avoir un grand soleil au mois de décembre, mais de la fraîcheur, de la neige ou un ciel toujours gris. Est-ce que je me sentirais plus apaisé que sous ce ciel continuellement bleu ? 

    C’est la fête dans les rues de Thaïlande, ce soir c’est le 24 décembre, le réveillon de Noël. Comme chaque année, c’est l’occasion de sortir entre amis, de s'amuser et de boire jusqu’à très tard. Il y a quelques années, je faisais partie des fêtards, mais ce n’est plus le cas. 

    Je n’avais pas spécialement envie de rester dans mon petit appartement, pourtant, je n’avais absolument pas envie de me retrouver parmi cette foule. 

    Les rues du centre-ville sont illuminées par des centaines de décorations qui ont été installées, les vitrines des magasins sont surchargées d'éléments festifs et la moitié des gens dans la rue porte des bonnets de noël. Moi, je reste dans mon coin, je marche seul, les mains dans les poches, ignorant les gens autour de moi et appréciant le fait qu’ils m’ignorent totalement en retour.  

    Je n’ai pas toujours été comme ça, ce mec froid et distant, j’ai des souvenirs de moi bien plus joyeux, appréciant de faire la fête avec ses amis, savourant la chaleur et le soleil même en plein mois de décembre. Je connais la raison de mon changement, je me souviens bien trop clairement de l'événement qui fait que j’ai soudain préféré la pénombre et le froid. C’est une chose dont je ne parle jamais, ce n’est pas que j’en ai honte, mais m’en rappeler ne fait que rajouter du sel sur une plaie déjà infectée. 

    Soudain, un homme me bouscule, me donnant un coup de coude dans le bras. Je grogne légèrement, autant de surprise que d’ennui, quand il se retourne vers moi, hilare. 

    — Désolé mec !

    Il est complètement ivre, il tient à peine debout et regarde à 20 cm sur ma droite en faisant un petit signe de tête. Je n’ai pas le temps de répliquer qu’il m’oublie à la seconde où ses amis l’appellent et il les rejoint sans plus un regard pour moi. 

    Je ferme les yeux en soupirant, je ne veux pas être là, perdu au milieu de cette foule trop joyeuse. Je ne veux pas non plus rentrer chez moi et devoir bêtement observer les murs en attendant que le temps passe. Alors, je prends une décision complètement irréfléchie, je pousse la porte du premier bar que je croise.  

    Je suis surpris, la salle est presque vide, alors que les rues sont noires de monde. Ici, on ne penserait pas que c’est un jour de fête et… j’aime bien cette ambiance. L’endroit n’est pas très avenant, il fait sombre, une légère couche de poussière recouvre les verres et les étagères. Le barman lève vers moi un regard morne et ennuyé alors qu’une télé accrochée au mur diffuse de la musique vieillotte. 

    Moi qui voulais me faire discret c’est raté, du moment où je passe la porte, toutes les conversations s'interrompent et tous les visages se tournent vers moi. Je n’aime pas ça du tout et je pense très sérieusement à ressortir. Sauf que quelques secondes plus tard, les clients retournent à leurs occupations et c’est déjà comme si je faisais partie des murs. Parfait ! J’avance vers le barman en lui faisant un petit signe de tête pour le saluer. 

    — Une bière.

    J’en oublie toutes mes bonnes manières, mais il ne semble même pas y faire attention, il se dépêche de me la préparer et la pose sur le comptoir sans dire un mot, encaissant juste l’argent.  

    Je dois être bizarre, mais ce gars me plait bien, pas de conversation inutile, pas de faux semblant, il fait juste ce pour quoi il est payé et ne cherche pas à se faire bien voir du reste du monde. Je prends ma bière et pars m’installer dans le coin le plus éloigné de la porte, il y a une table seule, perdue dans la pénombre car plusieurs ampoules sont éteintes.  

    Je bois tranquillement ma bière, le regard perdu dans le vague, je ne regarde personne, je n’écoute pas les conversations autour de moi, en fait, je me fiche complètement de ce que peuvent vivre les autres, ça ne me concerne pas. C’est ce que je me répète jour après jour depuis plusieurs années. Je dois être égoïste, je ne dois pas m’intéresser aux autres, c’est ce que je veux croire, même si je sais très bien que c’est faux. D’ailleurs, quand le soleil est soudain réapparu dans ma vie, je n’ai pas pu le repousser même si pour cela j’ai dû jeter mes principes à la poubelle.  

    La porte du bar s’ouvre soudainement avec fracas, je l’entends, il faudrait être sourd pour ne pas l’entendre. Mais si les autres clients se taisent brutalement et, je l’imagine très bien, se tournent vers le nouveau venu, moi je ne bouge pas, je ne le regarde pas et reste plongé dans mes pensées et j’oublie l’intrusion dès que le brouhaha des conversations reprend. 

    Je porte mon verre à ma bouche, je le fais pencher pour que le contenu glisse dans ma gorge. Un geste mécanique auquel je ne réfléchis même pas, sauf que là, quelque chose me percute de plein fouet, cognant mon bras, déviant mon verre et je me retrouve avec une partie de ma bière en train de dégouliner sur mon t-shirt. 

    — Putain !

     Je lève les yeux, en colère, vers la personne qui m’a bousculé, prêt à lui dire ma façon de penser, mais je n’en fais rien, je me contente de l’observer en silence. Il a ses mains posées ou plutôt agrippées à mes épaules, je me demande même s'il se rend compte qu’il les serre vraiment fort. Je n’arrive pas à bien voir son expression cependant, je ne vois que son profil, car son regard est tourné vers la porte d’entrée, il la fixe et malgré le peu que je vois de lui, il me semble nerveux et effrayé. Je fronce les sourcils en essayant de comprendre, je ne sais pas pourquoi, plus je le regarde, plus je veux le protéger. 

    — Hey ! Tout va bien ? 

    Il tourne son visage vers moi quand je l'appelle, nos visages se trouvent à quelques centimètres l’un de l’autre. Mon souffle se coupe quand nos regards se croisent et mon pouls accélère brutalement quand ses yeux brillants rencontrent les miens qui sont ternes. Son nez droit, sa bouche pulpeuse et sa peau claire, chaque détail de sa personne est lumineux et je me sens ébloui. Il m’observe en silence, sans me répondre et il n’en a pas besoin, je vois qu’il ne va pas bien, pas quand l’air sur son visage le fait ressembler à un animal pris dans les phares d’une voiture. 

    Ma première idée est que je devrais le repousser, l’empêcher de s'agripper à moi comme si j’étais sa bouée de sauvetage. Ma deuxième idée est de le serrer dans mes bras, de le cacher au reste du monde et de le rassurer. Je me sens étrange et je ne sais pas quoi faire, je m’étais pourtant promis de ne plus me mêler des affaires des autres, la dernière fois que je l’ai fait, j’ai eu de gros ennuis et je ne suis pas près de recommencer, c’est ce que je me répète chaque matin en me regardant dans la glace. 

    Pourtant, le choix, finalement, se fait d’instinct, je n’ai plus réellement le temps de réfléchir, car quand la porte s’ouvre une nouvelle fois, le petit lapin réagit enfin. Il fuit les phares de la voiture et vient se réfugier dans mon ombre. Il s’assoit à côté de moi, son siège légèrement en retrait, il cache son visage contre mon épaule, essayant de se faire le plus petit et le plus discret possible et contre toute attente, je ne le repousse pas. 

    Je le protège même, puisque je me réinstalle de manière à ce que mon corps le cache au maximum, je reprends mon verre dont la moitié du contenu est en train de sécher sur mon t-shirt et j’attends. Je ne comprends pas bien la situation, je ne sais pas si je ferai plus que le cacher, pourtant, sentir le petit lapin trembler de tout son corps contre moi me donne dans l’idée que je ne pourrai pas le laisser se débrouiller tout seul. 

    — Nong Win ! Je t’ai vu entrer, pas la peine de te cacher. 

    La voix du nouveau venu résonne dans tout le bar qui est resté silencieux depuis son arrivée. Je grince aussitôt des dents alors que j'apprends le nom du petit lapin. Je n’aime pas du tout le ton employé par l’homme, autoritaire et en colère, il ne s'attend absolument pas à être désobéi. La réaction de Win ne m’aide pas à me calmer alors que ses doigts s’enfoncent dans mon bras qu’il tient fermement et qu’il se tasse sur lui-même. Il tente de se faire le plus petit possible, il compte sûrement sur la pénombre et mon corps pour faire barrage. 

    J’observe l’homme du coin de l'œil tout en sirotant ma bière, je suis sur le qui-vive et son regard passe une première fois sur nous sans s’arrêter vraiment et alors j’espère qu’il va juste faire demi-tour et repartir. Seulement rapidement, son regard se pose fixement sur moi et la masse tremblante à mes côtés. Je ne bouge pas d’un pouce, comme si je ne m’étais pas rendu compte que toute son attention était braquée sur nous.  

    Physiquement, il est plus petit que moi, il est tout fin, presque trop maigre, mais j’ai souvent appris à mes dépens que le physique ne voulait absolument rien dire dans ce genre de situation. En plus de la colère qui irrigue chacun de ses traits anguleux, il semble nerveux, le genre sanguin qui s’emporte pour pas grand-chose.  

    Il s’approche de nous d’un pas vif et je soupire doucement car la soirée tranquille que j’espérais vient tout juste de voler en éclats et cette fois, je ne peux pas juste détourner le regard. Je n’arrive pas à me l’expliquer, mais le petit lapin doit rester en sécurité, même si pour cela je dois prendre des coups. 

    — Nong, on n’a pas fini notre conversation, alors tu vas me faire le plaisir de bouger ton cul de là et de me suivre bien gentiment avant que je perde patience.  

    Il est sérieux là, il pense vraiment que tout va se dérouler comme il le veut. J’ai un éclat de rire sans joie et qui peut paraître plutôt inquiétant alors que Win ne bouge pas d’un pouce derrière moi et de toute façon, je l’en aurais empêché, hors de question que je laisse le petit lapin partir avec lui. 

    Lentement, je pose mon verre quasiment vide sur la table, puis avec des gestes mesurés je me lève, me tenant bien droit pour le dominer déjà avec ma stature. Je suis un peu surpris quand je sens le petit lapin qui suit mes mouvements et se lève en même temps que moi. Seulement lui ne veut pas affronter l’homme, non, il se cache complètement derrière mon dos, ses doigts enserrent le tissu de mon t-shirt et je le sens se coller totalement contre moi. Je me mordille la lèvre inférieure, son comportement apeuré me met un peu plus en colère 

    N’importe qui d’autre se serait collé à moi de cette manière, je lui aurais fait comprendre ma façon de penser en le dégageant déjà d’un geste brusque pour qu’il s’éloigne de moi. Là au contraire, je m’appuie contre lui, j’espère qu’il comprendra que ce geste est un soutien pour lui, pour lui montrer ma présence. Je n’en fais pas plus, car je suis concentré sur l’homme en face de moi, je suis stable sur mes pieds, les bras croisés devant mon torse, je le fixe et ne fais aucun geste pouvant être pris pour une faiblesse. 

    — Je peux savoir ce que tu lui veux ? 

    Ma voix est calme, mon regard est sombre et mon visage fermé, j’ai conscience que tout le monde dans le bar nous observe et même si j’ai horreur de ça, c’est maintenant trop tard pour me dégonfler. Je dois tenir bon et faire face à cet homme qui est celui à cause duquel j’ai rompu la promesse que je m'étais faite trois ans auparavant, de ne plus jamais m’impliquer dans la vie des autres. 

    — Je ne vois pas en quoi ça te regarde, c’est entre mon copain et moi.

    Il ne me fait pas peur du tout, des comme lui j’en ai côtoyé tous les jours et par dizaines pendant un an. Je sais de quoi ils sont capables, de comment ils se vantaient de frapper ceux qu’ils étaient censés aimer et chérir. Ma mâchoire se crispe, l’idée qu’il ait pu poser ses mains de quelque manière que ce soit sur Win me met hors de moi, même si je ne sais pas pourquoi. 

    Je me mords la lèvre avec énervement, je pose mes mains sur mes hanches avant de me rapprocher d’un pas même si je sens le petit lapin me tirer instinctivement vers lui. 

    — Tout ce qui concerne l’homme que j’aime me concerne. 

    Je l’annonce d’une voix forte, claire sans hésiter un instant et en le regardant bien droit dans les yeux. S’il y a bien quelque chose pour lequel j’ai toujours été doué, c’est pour le bluff. Grâce à ça, j’ai pu me sortir de plusieurs situations délicates et ne pas prendre trop de coups. Même le petit lapin derrière moi est surpris, je le sens se figer contre moi, mais il ne me contredit pas du tout, ce qui est très bien au contraire, je sens sa prise se raffermir contre mon t-shirt. 

    Encore une fois, je réussis à obtenir ce que je veux, la réaction de l’homme en face de moi vaut de l’or. Je vois un brasier s’allumer dans son regard, c’est de la fureur pure alors qu’il me regarde de la tête au pied pour me jauger, il est en train de perdre patience et les choses risquent de déraper car je me connais, je ne resterai pas zen très longtemps. 

    — Tu te fous de ma gueule Nong Win, tu veux me quitter pour ce batard.

    Il passe rapidement à l’attaque en étirant soudain son bras pour tenter d’attraper le bras du petit lapin. Je comprends son intention, il veut le sortir de derrière mon dos et de ma protection. Malheureusement pour lui, j'intercepte son geste au moment où il passe au-dessus de mon épaule. J’attrape son poignet et le tord d’un coup sec, appréciant la grimace de douleur qu’il n’arrive pas à camoufler. 

    — Je peux savoir ce que tu cherches à faire ? Il t’a quitté, il sort avec moi maintenant et je ne laisserai pas un petit connard comme toi l’approcher. 

    Je suis satisfait quand, pendant un court instant, la peur passe dans son regard, il est en train de comprendre que je ne rigole pas et qu’il est tombé sur un gros morceau. Seulement, je sais que rien n’est gagné, car les hommes comme ça ont une grosse fierté et là, on vient carrément d’y mettre le plus gros coup de pieds dans les parties que la terre ait connu. Il ne s’arrêtera pas là et je ne peux pas baisser ma garde maintenant. 

    Il me fait lâcher prise d’un coup sec sans me quitter des yeux alors que sa langue passe rapidement sur ses lèvres. Il s’avance vers moi, réduisant l’écart entre nous en essayant de se redresser pour paraître plus grand. On se fixe droit dans les yeux et la tension autour de nous est presque palpable et c’est à celui qui détournera les yeux en premier. Il penche la tête sur le côté, un air content de lui passe sur son visage alors qu’il se met à murmurer, les clients ne peuvent pas l'entendre, mais je sais que Win n’en loupe pas une miette. 

    — Si tu savais tout ce que j’ai pu lui faire, tous les jours, toutes les nuits, jamais tu ne voudrais poser les mains sur lui…

    Un rire mauvais sort de sa gorge que j’ai soudain envie de saisir et de serrer très fort pour lui faire ravaler ses paroles qui sont bien trop ignobles. Je tente de me contrôler, mais c’est vraiment difficile, surtout quand j’entends mon petit lapin renifler derrière moi. Seulement il n’a pas encore fini, s’il a compris qu’il ne pourrait pas user de violence physique, il compte bien se rattraper avec les mots. 

    — A moins que tu sois du genre à aimer les poules faciles… tu seras satisfait, il écarte les cuisses pour un rien. 

    Mon poing se serre sans que je ne m’en rende compte, il s’est encore rapproché, nos visages ne sont qu’à quelques centimètres l’un de l’autre et je voudrais lui mettre un grand coup de tête juste pour lui retirer ce petit sourire arrogant de son visage.

    — C’est une petite chienne qui aime bien être pris fort, bien comme il faut, tu comprends. Plus c’est brutal, moins il se fait prier et plus il crie fort.

    Je ne détourne pas le regard, mais la fureur est en train de me brûler les entrailles, c’est qu’il va finir par gagner ce con. Je le saisis brutalement par le col de son t-shirt et le soulève en le rapprochant de moi, l’obligeant à se mettre sur la pointe des pieds, nos nez se touchent et l’envie de le faire souffrir me broie les entrailles.  

    Qu’est-ce qui me retient d’ailleurs ? Il suffirait d’un geste pour le blesser, pour lui fermer sa gueule définitivement. J’en ai envie, je sens même mes bras trembler tellement j’en ai envie. Mais voilà, mon petit lapin a fini par passer ses bras autour de ma taille, il me retient contre lui, son corps collé contre le mien, je sens son visage collé entre mes omoplates et mon t-shirt est humide à cause de ses larmes. Je prends alors une grande inspiration, puis j’arrive à lui faire un petit sourire, un sourire serein avant de prendre la parole d’une voix qui est à peu près calme. 

    — Tu sais, j’ai été condamné pour coups et blessures aggravés et crois-moi, retourner en prison ne me dérange pas si je peux fracasser ta petite gueule contre la table. Alors je te conseille très sérieusement de ne plus jamais t’approcher de Win, si tu te permets de juste effleurer un de ses cheveux je t'enverrai à l'hôpital avec un grand plaisir. 

    Je resserre légèrement ma prise sur son t-shirt et je peux voir que son col l’étrangle un peu, il blanchit et je vois clairement la panique dans son regard alors qu’il se rend compte qu’il n’est pas en position de force avec moi. Cette fois il a compris le message, Win ne lui appartient plus et il n’a plus intérêt de lui faire du mal. 

    Il se défait de ma prise et je suis heureux de voir qu’il chancelle de quelques pas en arrière et que ses mains qui retombent le long de son corps tremblent fortement. Il est hésitant, il semble se poser la question sur ce qu’il doit faire après, fuir ou tenter le diable et essayer de faire du mal à Win. Heureusement, le gérant du bar intervient pile au bon moment avec sa voix forte. 

    — Hey les jeunes, c’est soit vous consommez sans faire de problèmes, soit vous sortez, mais je ne veux pas d’histoires ici, c’est compris.” 

    Je regarde l’homme qui semble entre deux âges, il est grand, costaud et ne plaisante pas alors c’est sans hésiter que je lève les mains en signe de paix avant de faire un Waii respectueux. Je pose ensuite ma main sur celles de mon petit lapin qui se trouvent sur mon ventre, je les serre avec douceur pour le réconforter. L’autre ne répond pas tout de suite, il fixe nos mains avant de finir par avoir un rire mauvais et cette fois c’est d’une voix claire qu’il s’exprime. 

    — Je te laisse cette chienne, j’en suis fatigué de toute façon, il a beau avoir une bouche de suceuse, il n'a jamais su s’en servir correctement. Bon courage pour prendre ton pied.

    Il recule alors en éclatant de rire. Et moi je bondis, je veux le rattraper alors qu’il sort du bar en mettant un coup dans une chaise, je veux lui faire ravaler ses paroles à coups de poing.   Seulement, je ne bouge pas d’un pouce, je suis cloué au sol par mon petit lapin qui a resserré sa prise sur moi et qui m’empêche de faire quoi que ce soit. Un instant, je veux m’arracher de ses bras, je veux courir le rattraper et puis, sa voix tremblante retentit et j’oublie absolument ma colère. 

    — Ne fais rien Phi, s’il te plait. Laisse-le partir. 

    Je reste immobile, je prends une profonde inspiration pour me calmer puis je me tourne vers les clients qui nous observent en silence, je soupire puis je fais des Wai à tout le monde pour nous excuser du dérangement. Je me fiche d’eux en fait, mais je veux vraiment qu’ils retournent à leur conversation pour que je puisse m’occuper de mon petit lapin qui reste accroché à moi comme un koala. 

    On nous regarde encore quelques secondes avant qu’enfin les conversations reprennent, j’imagine bien que chacun y va de son petit commentaire, notamment à propos de notre sexualité vu que j’ai annoncé haut et fort que Win et moi on était en couple. Je ferme les yeux quand le gérant passe derrière le bar rejoindre son barman et je laisse passer un long soupir qui m’aide à me détendre un peu. Je sais ce qui m’aidera totalement, je fais alors ce que j’ai envie de faire depuis que mon petit lapin s’est collé contre moi. Je me retourne avec douceur, en faisant des gestes lents pour ne pas l’effrayer et sans hésiter je le serre dans mes bras, le collant contre mon torse avant de nous faire reculer, pour nous isoler dans la pénombre. 

    Je resserre mes bras autour de lui alors qu’il s'agrippe à moi, je peux sentir ses larmes couler le long de mon cou alors qu’il cache son visage contre moi. Je lui laisse le temps d’évacuer ce qui vient de se passer en lui frottant doucement le dos et les cheveux. Je ne comprends pas trop mon comportement actuel, déjà de l’avoir aidé, d’avoir risqué de me battre contre un inconnu pour un inconnu était étrange, mais maintenant, je me demande pourquoi soudain, il est devenu mon petit lapin. Pour le moment, je n’arrive pas à trouver la réponse, mais une chose est certaine, je ne veux plus le voir pleurer, je veux le voir lumineux, heureux et souriant. 

    J’ai un petit sourire en coin quand j’entends ses petits reniflements près de mon oreille, c’est un petit bruit discret, mais je le trouve adorable et cette constatation me trouble énormément. Je finis par poser mes mains sur ses épaules pour le repousser légèrement. Je l’observe un instant, mais il garde la tête obstinément baissée, alors je ne vois que ses joues qui sont très blanches ; je prends son visage en coupe entre mes mains pour qu’il relève son visage et mon coeur se serre quand nos regards se croisent et que je vois toute la peine dans son regard larmoyant. Lentement, j’essuie les larmes au fur et à mesure qu’elles coulent sur ses joues. 

    — Win… arrête de pleurer… Je me fiche de ce qu’il dit…

    Les propos ont été horribles, je comprends qu’il se sente blessé, mais je veux le rassurer, je me fiche de ce que l’autre pense. Je lui souris alors doucement, une de mes mains se posant sur sa nuque, la massant doucement pour qu’il se détende. 

    — Tout va bien, d’accord ? 

    Il hoche doucement la tête avant de me regarder dans les yeux, je peux voir la gêne se dessiner sur son visage. Lentement, il pose sa main sur celle que j’ai posée sur sa joue qui prend une jolie couleur rose. Pourtant, quand il commence à parler, il baisse les yeux et la honte ferme son visage. 

    — Je… je ne suis pas comme… ce n’est pas vrai… Je suis désolé, je ne veux plus que tu aies des problèmes…

    Il semble désespéré alors qu’il tente de revenir sur ce que l’autre a dit et moi je ne sais pas vraiment comment faire pour le calmer, surtout que sa manière de dire les choses m’intrigue un peu.  Je n’ai pas le temps de lui poser de question, que le gérant du bar s’approche de nous, un plateau à la main. 

    — Tout va bien ? Je me suis dit qu’après tout ça, vous auriez besoin d’un petit remontant. Cadeau de la maison.

    Il pose alors deux verres remplis d’un fond de liquide ambré et je suis surpris par son geste. 

    — Buvez ça et après, tu ferais bien de le ramener chez lui, ça n’a pas dû être facile, il doit se reposer.

    Je lui fais un wai en le remerciant puis il repart pour aller discuter avec les autres clients et nous nous retrouvons seuls à nouveau. 

    — Viens, asseyons-nous. 

    Je le guide jusqu’à la table et, sans attendre, lui mets le verre entre les mains. Je sais que l’alcool ne guérit pas tout, mais parfois, ça aide à reprendre ses esprits, surtout après ce qui vient de se passer. Ses mains tremblent et j’ai envie de les serrer entre mes mains pour le rassurer. Je ne comprends pas pourquoi je réagis ainsi, pourquoi je me sens si protecteur envers lui alors que je ne le connais pas. 

    — Bois un peu, ça va t’aider à aller mieux. Il me sourit un peu avant de porter le verre à sa bouche et d’avaler une gorgée de whisky, la grimace qu’il fait est adorable et je me surprends une fois de plus à rire doucement en l’observant. Le mot adorable revient alors rapidement dans mon esprit. 

    — Au fait, je m’appelle Bright. 

    — Je sais… 

    Je fronce les sourcils avant de le regarder plus attentivement, un peu sur la défensive, alors que son Phi de tout à l’heure et aussi le fait qu’il ne veut plus me voir avoir des ennuis, me laissent penser qu’il me connaît. Je le regarde un peu soupçonneux, je suis pourtant sûr que si je l’avais croisé dans le passé, alors forcément, je m’en souviendrais, n’est-ce pas ? Je le regarde un peu plus attentivement, la tête un peu penchée sur le côté et je dois dire que ses traits m'évoquent quelque chose, mais c’est lointain, fugace et je n’arrive pas du tout à déterminer si je le connais ou pas. Il comprend rapidement que je me pose des questions et il continue avec un petit sourire triste. 

    — ... on était à l’université ensemble, mais… c’est normal que tu ne te souviennes pas de moi, j’étais… discret. 

    Il baisse alors les yeux pour fixer son verre et moi je me crispe légèrement, je n’aime pas me rappeler de l’université, c’est là que ma vie a dérapé. Pourtant, je creuse ma mémoire pour tenter de me souvenir de lui. 

    Et soudain ça me revient, je me revois très bien à cette époque, entouré de ceux que je pensais être des amis très proches. On passait nos journées ensemble, pensant naïvement qu’ils seraient toujours là pour moi, en n’importe quelle circonstance. Je faisais partie de ceux que l’on disait populaire. J’étais toujours très bien entouré, heureux car la vie semblait m’ouvrir les bras et contrairement à aujourd’hui, je souriais tout le temps. Et puis, il y avait lui, légèrement plus grand que moi, mais tellement fluet et réservé alors qu’il passait son temps le nez dans les livres, remontant ses lunettes distraitement quand elles glissaient. Il était souvent seul, assis discrètement dans son coin et pourtant, chaque fois que j’entrais dans une pièce, je ne voyais que lui, il m’éblouissait, il était déjà un soleil dans ma vie et je sais maintenant pourquoi je veux autant le protéger aujourd’hui, parce que déjà à l’époque, il était mon petit lapin. 

    Je n’avais malheureusement jamais pris le temps d’aller le voir, d’aller faire sa connaissance. A l’époque je pensais avoir tout le temps pour le faire, une bonne excuse pour ne pas y aller et au final, j’avais brutalement quitté l’université et j’avais alors entrepris de rayer le soleil et la chaleur de ma mémoire. J’ai un petit sourire en coin alors que je bois une gorgée d’alcool, il me brûle la gorge et au fond de moi, je sais que la sensation de chaleur qui se répand dans mon ventre n’est pas due au liquide ambré. 

    — Tu étais mignon avec tes lunettes.

    Je regarde droit devant moi après avoir parlé, mais du coin de l'œil, je le vois sursauter et se tourner vers moi, une expression de surprise peinte sur le visage.

    — T… tu… tu te souviens de moi ? 

    Ses joues prennent une jolie couleur rouge, mais je ne peux pas dire si c’est à cause de l’alcool ou parce que je viens de le surprendre. Il lève les doigts vers son visage, là où aurait dû se trouver ses lunettes en temps normal avant de les laisser retomber en soupirant, quand ils ne rencontrent que du vide. 

    — Je porte des lentilles… Je… je veux dire… il ne m’aimait pas avec des lunettes.

    Je tourne mon regard sur lui quand il baisse la tête, gêné par ce qu’il vient de dire. Je soupire doucement quand la tristesse se peint définitivement sur son visage et je ne peux pas m’en empêcher, je lève la main et viens lentement caresser ses cheveux, laissant mes doigts glisser entre ses mèches douces et soyeuses. Il relève la tête et nos yeux se croisent, il semble chercher une réponse à son interrogation, mais ne la trouvant pas, il finit par poser la question à voix haute. 

    — Tu.... tu me trouves mignon ?

    Mon estomac se contracte, il me pose la question avec tellement d’innocence, comme s’il doutait réellement du charme qu’il dégage. Non en fait, il ne le sait pas, sinon il n’aurait pas laissé ce déchet aller si loin, il aurait su qu’il valait mieux que cet homme qui le rabaissait juste d’un regard. Je ne montre rien de mes pensées, mais l’idée que ce connard lui ait fait du mal, l’ait dévalorisé, frappé, me donne envie de hurler alors que ma seule envie à moi est de lui dire… je me reprends, si le silence dure trop longtemps alors il va se faire des idées et moi, il y a des choses que je ne me sens pas prêt à dire, même juste dans ma tête. Ma main se pose finalement sur sa nuque et je le rapproche de moi, doucement nos visages se trouvent seulement à quelques centimètres l’un de l’autre, j’ai complètement oublié que nous nous trouvons dans un lieu public, mais là je m’en tape complètement. 

    — Bien sûr. 

    J’avale difficilement ma salive, alors que son regard innocent plongé dans le mien force finalement les barrières que je tente toujours d'ériger. Je m’éclaircis la gorge avant de continuer à lui parler. 

    — Ne change pas pour faire plaisir à quelqu’un petit lapin, jamais, reste toi-même.

    Il avait commencé à rougir quand j’ai confirmé le trouver mignon, mais c’est encore pire quand j’utilise ce petit surnom qui est le sien depuis des années pour moi. 

    — Je t’ai toujours vu, dès que j’entrais dans une pièce, tu accrochais mon regard. Même quand tu te cachais derrière tes livres et … tu es bien plus que mignon. 

    Ma main glisse doucement sur sa joue rouge pivoine, je la caresse, savourant la douceur de sa peau sous la pulpe de mes doigts. Je sens mon cœur tambouriner dans ma poitrine alors qu’enfin je suis proche de cet être solaire autour duquel j’ai gravité pendant des années sans comprendre ce qu’il représentait vraiment. Il ferme les yeux en soupirant alors que son visage appuie sur ma main pour accentuer la caresse. 

    — Je...te… tu es… je pensais… que… tu n’étais jamais seul… il y avait toujours tellement de monde autour de toi.

    Il hésite, cherche ses mots et mon cœur se serre à l’idée qu’il n’a jamais osé m’approcher à cause de ceux qui m'entouraient jour après jour. Il se mordille la lèvre inférieure avant de rouvrir les yeux et de les plonger droit dans les miens. Je vois de l’hésitation dans son regard et je lui fais un petit signe de tête pour l’encourager à continuer. 

    — Je pensais que tu étais attiré par elle…

    Sa voix meurt doucement alors qu’il se rend compte de quoi il parle. Il n’a pas besoin de finir car je sais très bien de qui il parle et je ne peux pas m’en empêcher, mon visage se ferme, mon regard s’assombrit car c’est encore un sujet sensible pour moi. 

    Je m’en veux aussitôt de ne pas avoir su garder mon ressenti pour moi, la réaction de Win est immédiate, il se recule brusquement, tente de se faire le plus petit possible alors qu’il rentre la tête dans ses épaules, il lève instinctivement une main près de son oreille pour se protéger et il se fige. Mes yeux s'ouvrent d’effroi quand je comprends, l’alcool remonte dangereusement le long de mon œsophage et je fais la seule chose qui me parait censée. Je prends son poignet avec lenteur, je ne veux pas l’effrayer davantage et je tire dessus, l’attirant dans un geste tendre dans mes bras. Je les resserre autour de son corps l’attirant dans un cocon de douceur et de sécurité. 

    — Je suis désolé.

    Sa voix s'élève étouffée et tremblante, je ne sais même pas pourquoi il s’excuse, il n’a rien fait ou dit de mal et c’est plutôt à moi de m’excuser de lui avoir fait peur. Ce sentiment de protection qui est apparu quand j’ai croisé son regard tout à l’heure réapparaît encore plus fort, plus vif. Je veux qu’il soit heureux, qu’il sourit tout le temps, non plutôt qu’il ne me sourit qu’à moi et qu’il éloigne la pénombre qui m’entoure. Je n’avais jamais compris à l’époque ce qui m'apparaît si clairement aujourd’hui, il me plait, il me plait depuis la première fois où j’ai posé mon regard sur lui. 

    — N’aie pas peur de parler petit lapin, je ne te ferai jamais de mal. 

    Son visage vient se cacher dans mon cou et je peux le sentir trembler contre moi alors je frotte doucement ses bras. Toute l’université avait appris ce qui s’était passé, du moins une version erronée de ce qui s’était passé et elle ne me dépeignait pas comme quelqu’un de gentil et pacifique. Je ne veux pas qu’il ait peur de moi, je veux qu’il sache la vérité et qu’il ne puisse pas me comparer à l’autre connard. Car contrairement aux apparences, je ne suis pas une personne violente, bien au contraire. 

    — Sally était une amie d’enfance, je ne me souviens pas de ma vie sans elle. Elle était ma meilleure amie, ma petite sœur et je lui faisais une confiance absolue. On ne s’est jamais disputés au cours de toutes ces années, on arrivait à se mettre d’accord et on se confiait sur absolument tout. Et pendant les vacances, juste avant que l’on entre à l’université, elle a rencontré ce mec. 

    Ma voix est à peine audible, mais je sais qu’il m’entend malgré tout, je parle près de son oreille, mon regard fixé droit devant moi alors que les images se déroulent désagréablement devant mes yeux. Petit à petit, je sens qu’il arrête de trembler, mais je continue mes caresses contre ses bras comme pour me donner la force de continuer à parler. 

    — Au début, il était sympa, il passait du temps avec nous même s’il était plus âgé. Elle semblait réellement heureuse et épanouie avec lui. Et puis sans que je ne m’en aperçoive vraiment, elle a arrêté de sourire, elle semblait triste et si elle était toujours présente en cours avec nous, il était quasiment impossible de la voir dehors. Un matin, elle a failli tomber dans les escaliers et mon réflexe a été de la rattraper par le poignet. Elle a poussé un cri de douleur, alors j’ai regardé si je ne l’avais pas blessée, mais alors j’ai vu… ses bras étaient couverts de bleus. J’ai essayé de savoir ce qui lui était arrivé, mais comme un idiot, j’ai cru ses excuses, car après tout ça arrive à tout le monde de se cogner non. 

    Ma voix se craquèle à cause de l’émotion et Win quitte l’abri de mon cou pour relever la tête et je sens mon cœur se serrer face à l’expression de son visage. Il a vécu ce que je décris et je m’en veux de ne pas avoir pu le protéger lui non plus. On se regarde droit dans les yeux alors que je continue mon histoire. 

    — Il se sont fiancés au début de notre deuxième année. Je ne le voyais pas d’un bon œil, peut-être parce qu’il ne cherchait plus à être avec nous, sûrement parce que les bleus sur son corps étaient de plus en plus réguliers, de plus en plus gros même si elle tentait de les camoufler. Pourtant, même si au fond de moi je doutais, je n’ai rien fait, j’ai préféré croire ses excuses et me dire qu’elle était heureuse plutôt que de faire face à ce qu’elle vivait vraiment. 

    Ses yeux s’humidifient au fur et à mesure que je parle, que je lui révèle comment j’en suis venu à me faire arrêter puis condamner à la prison pour coups et blessures.

    — Il y a quatre ans, elle m’a appelé, sa voix était à peine audible au téléphone et elle me suppliait juste de venir l’aider. Quand je suis arrivé chez elle, elle… je… c’était horrible.

    J’avale difficilement ma salive alors que ma gorge se resserre à un trou d'épingle et que les images toujours aussi vivaces dans ma mémoire me retournent l’estomac. 

    — Elle a failli mourir sous les coups de son petit copain ce jour-là. Je l’ai accompagnée à l'hôpital, mais au lieu d’attendre la police, au lieu de la convaincre de porter plainte contre lui et de le quitter. J’ai laissé la colère m’aveugler et j’ai voulu la venger moi-même, lui rendre les coups qu’il lui avait donnés. Je suis allé le retrouver sur le campus et… je l’ai roué de coup, je pense même que j’aurais pu le tuer si on ne m’avait pas arrêté. Pendant un moment, c’est comme si j’avais complètement perdu la tête.  

    Il avait fallu trois personnes pour m’arrêter et me maintenir au sol en attendant l’arrivée de la police. Et tout ce temps, j’étais comme enragé, tentant désespérément de me libérer en hurlant après celui qui avait failli tuer Sally. La police m’avait finalement mis en état d'arrestation et emmené au poste. Dans le brouillard rouge de la colère, je me souviens tout de même d’avoir croisé le regard effrayé et perdu de mon petit lapin qui avait assisté de loin à toute la scène. 

    — Pendant que j’étais en garde à vue, lui était à l'hôpital, il a retrouvé Sally, il s’est mis à genoux devant elle, lui promettant que jamais plus il ne recommencerait, qu’il l’aimait du fond du cœur et que tout était de ma faute. Il a réussi à la convaincre que j’étais amoureux d’elle, que j’étais jaloux et au tribunal, elle m’a accusé d’être celui qui l’avait frappé avant d’aller tabasser son copain. Je ne l’ai jamais aimé de cette manière, elle n’a toujours été que mon amie et puis, même si j’étais trop aveugle pour m’en rendre compte, j’avais déjà quelqu’un qui me plaisait, un petit lapin qui m’attirait énormément. 

    Quand mon récit se termine, c'est à son tour de poser sa main sur ma joue et de la caresser avec tendresse avant de sourire doucement. Son visage s’est illuminé quand il a compris le sens de ma dernière phrase, et moi, mon cœur tambourine dans ma poitrine. J’ai peur qu’il me dise qu’il ne me croit pas, qu’il ne veut plus jamais me revoir et que je suis juste un monstre comme son ex.

    — Je n’ai jamais douté de toi… même ce jour-là… Je savais que jamais tu n’aurais pu les frapper comme ça... à cause d’une jalousie. 

    Le soulagement explose dans ma poitrine alors que ses paroles m'enlèvent un poids que je n’avais pas conscience d’avoir sur la poitrine. Oui, ma famille m’a toujours soutenu, ils n’ont jamais cru aux accusations de Sally. Pourtant, savoir que Win n’y a jamais cru non plus me fait un bien fou, même si j’ai du mal à y croire.

    — Pourquoi ?

    Je chuchote ma question, ma voix me fait défaut alors que l’émotion me submerge. Il se met à rougir en se mordillant la lèvre avant de finalement répondre. 

    — Parce que… je te voyais toujours moi aussi et je sais que tu préférais la discussion à la violence pour résoudre les problèmes. 

    Je le fixe alors la bouche entrouverte, avant qu’un petit sourire se dessine sur mes lèvres et que l’on se regarde droit dans les yeux, non on se perd dans le regard de l’autre. On a perdu tellement de temps lui et moi, on est passé par des épreuves difficiles qui auraient pu être différentes, si j’avais eu le courage d’aller lui parler à l’époque. 

    — Hey les jeunes, il est temps pour moi de fermer. 

    On sursaute quand la voix du gérant s’élève et on se tourne vers lui surpris, mais il nous regarde avec un petit sourire en coin, les bras croisés. Je tourne la tête pour regarder autour de moi et je suis surpris de constater que la salle est complètement vide. A quel moment les clients sont-ils partis ? Je me suis tellement focalisé sur Win que je n’ai pas vu ce qui se passait autour de nous. 

    — Désolé, je n’avais pas vu l’heure.

    Je me lève alors précipitamment en lui faisant un wai et il me fait un petit signe de la main pour rejeter mes excuses. Je prends la main de Win dans la mienne avant de traverser la salle vide pour quitter le bar. J’y étais entré pour fuir la foule et j’y avais fait la plus fabuleuse des rencontres. Il y a encore du monde dans les rues, la fête risque de durer encore un long moment. Cette fois, me retrouver au milieu de tous ces gens ne me dérange pas, en fait je ne les vois pas, tout ce sur quoi je suis concentré, c’est de serrer la main de mon petit lapin, nos doigts entrelacés. 

    On marche dans les rues en silence, on se contente de regarder les gens que l’on croise, d’observer les vitrines décorées et c’est agréable. Je me sens apaisé, parce que pour la première fois depuis plusieurs années, j’ai pu me libérer d’un poids et maintenant je peux presque envisager de reprendre ma vie, seulement, il reste de nombreuses questions sans réponse. On a été interrompus avant de pouvoir finir notre conversation et je sens qu’il est important de la finir ce soir. Je ne veux pas qu’on la finisse ici au milieu de tout ce monde, alors je l'entraîne vers un endroit moins animé, un endroit que j’apprécie beaucoup. Il me suit sans opposer de résistance et sa confiance me touche alors qu’après quelques minutes de marche on s’engage sur le pont du Mémorial, il y a peu de monde qui s’y trouve et même si le trafic est intense cela ne nous empêche pas de discuter.  

    On continue de marcher en silence un moment, j’en profite pour lever le visage vers le ciel, il est clair, mais avec toutes les lumières de la ville, on voit peu d'étoiles. La température est agréable et pour la première fois depuis longtemps, je savoure la chaleur et je ne regrette pas le froid des autres pays. Peut-être parce que le soleil qui me manquait depuis longtemps est maintenant près de moi. Mon pouce caresse doucement sa main, j’ai des questions à lui poser, mais maintenant qu’on est là, au calme, j’ai peur de lui poser, j’ai peur de le rendre triste et je n’ose pas me lancer. 

    — Tu peux me demander tu sais.

    Il a une voix douce et calme et quand je tourne la tête pour le regarder, lui, a le regard dirigé vers le fleuve. Il semble serein, mais sa prise sur ma main s’est crispée. Je m’humidifie un peu les lèvres, j’hésite une petite seconde puis je me lance, car je me dis que si parler m’a fait du bien, alors peut-être que ce sera le cas pour lui aussi.

    — Tu étais avec lui depuis longtemps ? 

    — Six mois.

    — Il… il t’a souvent frappé ? 

    Mon pouls accélère, mon ventre se serre et je n’arrive pas à détourner le regard, observant attentivement son profil, essayant de comprendre la moindre expression qu’il fait inconsciemment. On continue d’avancer et le silence retombe entre nous deux, la réponse a l’air difficile à venir, je le vois hésiter, lutter et ça augmente ma nervosité. 

    — Quelquefois… 

    Il répond en murmurant et je ressens deux émotions totalement contradictoires. Du soulagement qu’il n’ait pas vécu cette situation si longtemps et de la colère à l’encontre de celui qui a osé lever la main sur lui. Je meurs d’envie de retrouver l’autre connard et de lui expliquer ma façon de penser, je… Win doit sentir la rage qui est en train de me submerger car il se stoppe soudain et me force à lui faire face. Il est pâle, il est nerveux et je fais un geste pour le prendre dans mes bras, pour le ramener en sécurité loin de tous les problèmes. Il m’en empêche en posant ses mains sur mon torse, ne me quittant pas du regard alors que l’incompréhension passe sur mon visage. 

    — Tu m’as sauvé la vie deux fois ce soir Phi Bright… Même après qu’il m'ait frappé… je n’ai pas pensé à le quitter, je pensais… qu’il m’aimait vraiment… c’était de ma faute, parce que, parfois je parle sans réfléchir tu comprends ?

    Je suis complètement figé, je l’écoute attentivement, alors qu’il commence à se livrer à moi. 

    — Je me rends compte maintenant de combien j’ai été stupide de penser comme ça. Tout à l’heure, on se promenait dans la rue, mais j’ai dit quelque chose qui lui a déplu alors il m’a saisi le poignet et l'a tordu brutalement, il serrait tellement fort que j’avais l’impression de sentir mes os frotter les uns contre les autres. 

    Ma gorge se serre quand j’entends le ton éraillé de sa voix, quand j’entends les sanglots qu’il essaie de retenir. Je quitte ses yeux quand il parle de son poignet, je les regarde alors que ses mains sont toujours posées sur moi. Et là, pour la première fois, je vois l’état de son poignet, il est bleu, peut-être même légèrement gonflé. Il doit avoir mal et pourtant, pas une fois il ne s’est plaint. Délicatement, je le prends entre mes mains, faisant attention à le manipuler avec douceur pour ne pas le blesser davantage. Il me semble tellement fragile à cet instant que je veux lui montrer que près de moi, jamais il n’aura à souffrir de cette façon. Avec lenteur, je lève son poignet jusqu’à mes lèvres où je prends le temps d’embrasser chacune des marques présentes. Je le sens frémir, mais à aucun moment il ne cherche à retirer son bras, au contraire, on dirait que cela lui donne la force de reprendre son récit, bien que sa voix soit tremblante.

    — Il me faisait mal, on était au milieu de la foule et pourtant… personne n’est intervenu, personne n’a cherché à le faire arrêter. C’est là que j’ai pensé à toi, à ce que tu lui hurlais alors que tu lui tapais dessus et… 

    Je le regarde en tenant toujours son poignet entre mes mains. Il est encore plus pâle que tout à l’heure, il est presque transparent, son menton tremble et je sais combien tout me révéler doit être difficile pour lui. Je tente de me rappeler ce que j’ai pu hurler ce jour-là, malheureusement, je n’y arrive pas du tout, mais je suis heureux si cela a pu l’aider aujourd’hui. 

    — Je l’ai repoussé de toutes mes forces, je lui ai hurlé dessus que tout était fini entre nous et… je me suis enfui quand son regard est soudainement devenu… être si… je…. 

    Il ne trouve pas les mots pour me l’expliquer et je vois qu’il commence à paniquer car sa respiration se saccade et devient plus laborieuse, alors je caresse doucement sa joue, avec douceur et tendresse.

    — Chuuuut petit lapin, tu ne crains rien, il ne pourra plus te toucher, je te le promets. 

    Comme plus tôt, son visage appuie contre ma main pour accentuer ma caresse, je trouve ça adorable, cet homme est beaucoup trop adorable. Il prend une grande respiration en hochant vivement la tête avant de reprendre son récit un peu plus calmement. 

    — J’ai compris que même si on était au milieu de la rue, il n’hésiterait pas à… me donner une correction. Et que ce serait encore pire quand on serait seuls tous les deux… alors je n’ai pas réfléchi, j’ai couru, j’ai cherché un endroit où me cacher et c’est comme ça que je suis entré dans ce bar et tu m’as sauvé une nouvelle fois. 

    Je n’ai pas à l'attirer contre moi cette fois, c’est lui qui se jette dans mes bras alors qu’il éclate en sanglots, craquant sous le trop plein d'émotions. Je ne dis rien, je ne fais aucun commentaire, il n’a pas besoin de ça, il a vidé son sac et maintenant, je dois juste lui apporter mon soutien. Je l’entoure de mes bras, le collant à moi autant que je le peux pour tenter de le rassurer. On reste ainsi un long moment, immobiles, mais on est en plein milieu du passage et quand des piétons arrivent, je le fais lentement reculer pour libérer le passage. Son corps se retrouve collé entre la rambarde et moi, mais il ne bouge pas, je ne suis même pas sûr qu’il se soit rendu compte que l’on avait bougé. Ses sanglots me déchirent le cœur, je voudrais trouver les mots pour le réconforter, pour le faire arrêter de pleurer, mais je ne suis pas doué pour ça et au contraire je risquerais d'aggraver sa tristesse. Et puis, on le dit souvent, pleurer aide à évacuer ce qui est négatif, c’est bon pour l’âme, alors, je me contente de le tenir contre moi, de lui caresser le dos et de le laisser exprimer toute la peine qu’il a sur le cœur. Finalement au bout d’un certain temps, je me décide à lui dire ce que moi aussi j’ai sur le cœur. 

    — Depuis cet incident, je ne me suis plus jamais immiscé dans la vie des gens, je me tenais toujours en retrait, je les laissais se débrouiller, j’avais peur que quelque chose comme ça recommence. Pourtant, quand tu es entré dans ce café, tu as été comme le soleil. Je ne pouvais plus me cacher dans l’ombre et je ne voulais qu’une chose, te protéger. 

    Je glisse mes doigts sous son menton pour lui faire relever la tête pour qu’il me regarde, nos visages sont proches l’un de l’autre et une fois encore je me demande pourquoi je ne me suis pas rendu compte plus tôt de combien il faisait battre mon cœur et de combien il m’attirait. 

    — Grâce à toi, je passe le plus beau des réveillons de Noël et tu es mon plus beau cadeau. 

    Ses yeux s’écarquillent de surprise quand il comprend mes paroles puis malgré ses joues encore baignées de larmes, un sourire apparaît doucement alors qu’il fixe mes lèvres. 

    — Si tu me veux comme cadeau, alors… tu ne pourras pas l’échanger, tu seras obligé de le garder pour une durée indéterminée. 

    J’ai un petit rire avant de hocher la tête, cette durée me plait bien et puis il n’y a aucun risque que je veuille l’échanger un jour. Pas quand, en quelques heures, il a réussi à éblouir ma vie et à la rendre plus lumineuse, plus chaleureuse. Je me penche légèrement et dépose un baiser juste au coin de ses lèvres. Je veux l’embrasser, je veux gouter ses lèvres, mais je ne veux pas précipiter les choses, je veux lui laisser le temps dont il aura besoin pour guérir et décider s’il veut plus. Il me regarde en rougissant et je vois de la déception dans son regard, mais qui disparaît rapidement quand il étouffe soudain un bâillement, la journée a été difficile et il doit être épuisé. 

    — Viens, je te ramène chez toi. La journée a été longue. 

    Je m’apprête à saisir sa main, mais il se fige et la panique refait surface, je fronce les sourcils ne comprenant pas ce qui lui arrive. 

    — Je… je ne peux pas rentrer chez moi…

    Il baisse les yeux, soudain mal à l’aise, et je me demande s’il a peur de croiser la route de l’autre. 

    — On vivait ensemble… 

    D’accord, c’est encore pire que je ne le pensais et ça annonce des jours encore difficiles pour lui, mais cette fois, je serai près de lui, je le soutiendrai jusqu’à ce que son ex soit un problème totalement résolu.  Je n’ajoute rien de plus, ce n’est pas nécessaire, c’est assez difficile comme ça. Je me tourne alors pour me mettre dos à lui et je me baisse légèrement. 

    — D’accord, alors grimpe Petit Lapin, je t’emmène te reposer chez moi. 

    Je ne vois pas son expression, je me demande quelle tête il peut faire, même si dans le fond, j’arrive très bien à imaginer ses yeux s'agrandir par la surprise, l’hésitation se peindre sur son visage. Puis finalement, ses bras passent autour de mon cou et il saute sur mon dos, il est grand et pourtant, il me paraît drôlement léger. Je raffermis ma prise en passant mes bras sous ses cuisses et après m’être redressé, je me mets en route, savourant de le sentir ainsi serré contre moi.   

    Je fais demi-tour avec mon petit lapin sur le dos, j’ignore le regard des gens alors que je me dirige vers la sortie du pont. On marche de nouveau en silence, mais cette fois on est tous les deux apaisés, on a mis les choses au clair, on s’est livré l’un à l’autre et déclaré à demi-mot. J’arrive dans la rue animée, mais une fois encore, j’oublie ce qui m’entoure, je ne pense qu’à une chose, trouver un taxi et rentrer chez moi avec lui. Les prochaines semaines ne seront pas faciles, il y a encore beaucoup de choses à régler, à découvrir et à ajuster, pourtant, je suis sûr de moi, je n’hésite pas une seconde, l’avenir c’est à côté de Win que je veux l’affronter. 

    J’ai l’impression de marcher sur un petit nuage alors que je sens le souffle chaud de Win contre mon cou. 

    — Bright ? 

    Je tourne légèrement la tête pour lui montrer qu’il a mon attention. Mais je ne quitte pas la route des yeux, ce serait con que je me prenne un poteau maintenant.

    — Joyeux Noël !

    Au même moment, sa main droite se pose sur ma joue gauche, exerçant une légère pression pour me faire tourner la tête vers lui et je m’arrête de marcher en me laissant faire.  Je pense un instant qu’il veut me dire quelque chose en me regardant dans les yeux. Mais ses lèvres se posent délicatement sur les miennes, un baiser doux et timide. C’est une explosion d'émotions qui éclate dans tout mon être alors que nos lèvres bougent l’une contre l’autre sans se presser, se découvrant pour la première fois et apprenant à se connaître.  

    J’ai oublié le monde autour de nous, j’ai oublié que l’on se tient au milieu de la foule, qu’il est sur mon dos et que l’on s’embrasse en public. Il n’y a que lui, mon soleil, ma lumière au milieu de la nuit, celui qui d’un baiser réchauffe mon cœur et me fait croire que demain tout ira bien pour nous.

     



  • Commentaires

    14
    Vendredi 23 Avril 2021 à 13:41
    Bonjour,
    Magnifique histoire, très bien racontée.
    On est tellement captivé que quand elle se finit on veut une suite.
    Merci!
    • Voir les réponses
    13
    Dimanche 18 Avril 2021 à 10:54

    Merci pour cette fan fic ! j'aimerai tellement voir cette scène adaptée ! On imagine vraiment Win et Bright dans cette histoire. Bravo à l'écrivaine !!

    • Voir les réponses
    12
    Vendredi 4 Décembre 2020 à 17:54

    Bonsoir,

     

    Je viens de finir de le lire et je trouve vraiment bien l'histoire tellement qu'on aimerait le voir dans un BL.

     

    Merci beaucoup

    • Voir les réponses
    11
    Mercredi 2 Décembre 2020 à 09:08

    Ooooh ! C'est super chou ! C'était un plaisir à lire. ^^ Et Bright et Win, quoi ! Ils sont tellement mignons.

    Merci pour ça. :)

    • Voir les réponses
    10
    Mercredi 2 Décembre 2020 à 00:09
    Ooh c'est trop mignon merci beaucoup pour tous ce baume au cœur
    9
    Mardi 1er Décembre 2020 à 20:51
    J'adorx.merci pour cette histoire.
    8
    Mardi 1er Décembre 2020 à 20:47

    Bonsoir, je suis entrain de le lire sur wattpad je le fini demain.

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