• Scène Neuf

    Scène Neuf
    Pran

    J'admets que j'ai été en colère contre Pat pendant des jours, tellement en colère que je ne voulais même pas entrevoir son visage. En plus, j'étais en colère contre moi-même parce que je ne pouvais pas contrôler mes émotions et mes paroles. J'avais juste besoin d'un peu de temps seul pour mettre de l'ordre dans mon esprit, sachant que j'étais déraisonnable.

    Je lui en voulais et je pensais à lui de façon négative. Je devrais au moins me calmer pour ne pas laisser mes émotions prendre le dessus et finir par être blessé comme l'autre jour.

    Mais à en juger par ses actions en ce moment, ce chien fou ne comprend rien.

    Mon cou est bloqué et tiré vers l'avant. Les lèvres de Pat s'écrasent contre les miennes avec tant d'agressivité que mes yeux s'écarquillent. Je peux sentir ses dents pointues mordre ma lèvre inférieure. La force fait mal à ma joue meurtrie. J'essaie de me libérer, mais il utilise sa force surprenante pour me maintenir en place avec seulement deux bras. Depuis combien de temps ne l'ai-je pas combattu sérieusement  ? Je suis incroyablement exaspéré.

    À la seconde où il se retire, ses mots déclenchent presque mes larmes de colère.

    — Demande-toi encore une fois. Tu m'as mis en garde sur la façon dont j'ai couché avec d'autres parce que Par te l'a demandé ou... tu es jaloux...  ?

    Son sourire en coin est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

    PAF !!

    Je frappe sa mâchoire avec mon poing sans me retenir et lui donne un coup de pied dans le ventre. Ça l'envoie voler vers la porte.

    — Fous-moi la paix, Pat !

    BANG !!

    La porte est claquée, faisant trembler le plafond. Quelques bouteilles sur l'étagère près de la porte se renversent et tombent sur le sol. Les couvercles tombent et le liquide à l'intérieur se répand, aussi bordélique que mon esprit. Je sens l'élancement de ma lèvre inférieure. Je lèche mes lèvres gonflées et fronce les sourcils.

    PAF !

    — Putain !!!

    Je claque le mur avec mon poing et j'émets un juron avant de m'effondrer sur le sol. J'appuie mon dos contre la porte et regarde le plafond, mes yeux sont chauds, mais aucune larme ne coule.

    Pat m'a embrassé... C'était quoi ce bordel ?

     

    Après avoir soumis le modèle d'étude et que mon sujet de thèse a été approuvé avec la signature du conseiller, je procède à la planification de mon calendrier de projet pour rattraper la présentation suivante. Le temps passe vite et ceux dont le sujet n'a pas été approuvé sont occupés à rencontrer leurs conseillers. Ke et Golf sont introuvables depuis des jours. La dernière fois que je les ai vus, c'était il y a deux jours. Leurs plans n'arrêtaient pas d'être rejetés, ils ont donc dû appeler leurs aînés pour demander de nouveaux plans.

    Nous avons une longue période libre ces jours-ci car la thèse représente un total de dix crédits. Nous passons principalement du temps à y travailler et nous faisons correspondre notre temps libre avec le conseiller pour l'évaluation. Aujourd'hui, je suis à la bibliothèque depuis le début de l'après-midi.

    — Pran ! Tu es là.

    En levant les yeux, je vois Wai qui sourit au loin.

    — Tu as fini avec l'évaluation du sujet ?

    Il hoche la tête, rayonnant. 

    — Ouaip.

    — Sourire comme ça, ça doit être de bonnes nouvelles.

    — Oui, il a finalement été approuvé. Mes genoux ont failli se dérober, dit Wai en s'asseyant à côté de moi. 

    Je lui renvoie un sourire et continue à lire.

    — Pran...

    — Hum.

    — Tu as des problèmes avec le projet ?

    — Non. 

    Je quitte des yeux l'épais livre rempli de tailles de corps humains comparées à des objets avec des descriptions en anglais, et je le regarde. 

    — Pourquoi ?

    Wai me fait un sourire penaud. La plupart des blessures sur son visage ont guéri, mais le coin de sa bouche est encore meurtri. Les blessures commencent à former des croûtes. La gaze sur sa pommette a été remplacée par un petit bandage il y a quelques jours.

    — Les autres gars ont peur de toi. Tu émets cette aura mortelle depuis peu.

    — ... Je vais bien.

    — C'est comme ça depuis plusieurs jours maintenant. Tu peux me dire ce qui s'est passé.

    — Ce n'est rien. Je vais bien... Je m'ennuie juste.

    — De quoi tu t'ennuies ? Ce n'est peut-être pas à propos de ça, et je ne suis pas sûr que ce soit seulement dans ma tête. Je veux dire, tu agis bizarrement depuis le jour où j'ai eu cette grosse dispute.

    Je me raidis, me rappelant que Pat s'est déchaîné sur mon ami, que je l'ai arrêté et que j'ai reçu un coup dans la joue, que nous nous sommes sérieusement battus, que nous nous sommes regardés, que nous nous sommes ignorés et que nous sommes partis chacun de notre côté sans échanger de sourire ni de regard.

    Et cet incident absurde d'il y a trois jours...

    — Je m'ennuie juste... j'en ai marre de me battre.

    — Pran. 

    Je me demande si mon expression est si terrible pour que la voix de Wai s'adoucit comme ça. 

    — Je suis désolé.

    — A propos de quoi ? 

    Je jette un coup d'œil à son expression coupable et je ris. 

    — Pourquoi as-tu ce regard coupable sur ton visage ?

    La personne qui devrait s'excuser... ne se sent même pas coupable.

    — J'ai été impulsif.

    — Je ne suis pas en colère contre toi. Ce n'est la faute de personne. dis-je en penchant la tête puis je ferme le livre. Mais j'en ai vraiment marre de me battre.

    — Je sais.

    Je hoche la tête, indiquant que je ne veux plus en parler, et rouvre le livre.

    — Tu veux aller boire un verre ce soir ?

    Tu n'as pas entendu un mot de ce que j'ai dit ? 

    — On se bat toujours quand on boit.

    — Allez, détendons-nous puisque nos sujets ont été acceptés. Nous allons travailler jour et nuit à partir de maintenant. Pourquoi ne pas s'amuser une dernière fois ? demande-t-il en souriant. Je promets de ne pas causer de problèmes.

    — Comme si je pouvais t'en empêcher.

    — Je te prouverai que je ne suis plus impulsif.

    — ... Si tu le dis.

     

    Nous nous séparons devant mon immeuble, en convenant de nous retrouver ici à sept heures et demie. Je porte les rouleaux de mes plans et les livres empruntés à l'étage en prenant l'ascenseur. Comme j'arrive à ma chambre, Par ouvre sa porte.

    — Oh, Pran.

    Elle me salue d'une voix douce, en souriant. Son sourire est si adorable, contrairement au sourire agaçant de son frère.

    Je lui souris en retour. 

    — Tu sèches les cours ?

    — Je n'ai pas de cours l'après-midi aujourd'hui. Je suis ici pour récupérer mes affaires. Je vais voir un film avec mes amis le soir.

    — Comment vas-tu y aller ?

    — En taxi, répond-elle en verrouillant la porte. Je retrouve mes amis dans le hall.

    — Tu veux que je te dépose ?

    — C'est bon. Pas la peine, refuse Par en agitant rapidement les mains. 

    Par est toujours mignonne avec moi. Je ne l'imagine pas du tout croisant les bras et grondant Pat comme une mère tigresse. Elle a été gentille et polie avec moi tout ce temps. C'est peut-être à cause de l'incident de la noyade quand nous étions enfants. J'ai l'impression qu'elle est ma sœur, et qu'elle me considère aussi comme son frère.

    — Sois prudente.

    — Pran.

    — Oui ? 

    Je lève un sourcil. Son doux sourire s'efface, remplacé par une expression inquiète. 

    — Qu'est-ce qu'il y a ?

    — Tu ne t'es toujours pas réconcilié avec Pat ?

    — ...

    — Tu es vraiment en colère contre lui ?

    Je presse mes lèvres l'une contre l'autre et baisse le regard.

    — Pat a passé les nuits chez nous, mais il est rentré tard et s'est saoulé tous les jours. Il est resté silencieux même quand je me suis plainte... Il ne se ressemble plus du tout, raconte Par, la voix remplie de stress. 

    Pat a-t-il la moindre idée que sa sœur bien-aimée se sent préoccupée à cause de lui ? 

    — Je suis inquiète pour Pat.

    Je ne parle toujours pas, ne sachant pas quoi dire, incapable de trouver des mots réconfortants. C'est parce que ce n'est pas le problème de quelqu'un d'autre. J'y ai aussi ma part de responsabilité.

    — Je sais que Pat est désinvolte, minable, égocentrique, narcissique et qu'il ne fait que te causer des problèmes.

    Wow... sa sœur est meilleure que moi dans la critique.

    — Mais pour Pat... tu es vraiment important.

    Mon cœur palpite avec ce sentiment inexplicablement bizarre. Mon cœur bat plus vite, ce qui m'irrite. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j'ai croisé le regard de Pat. J'ai fait demi-tour chaque fois que nous nous sommes croisés ces derniers jours. Je suis entré dans ma chambre aussi vite que possible lorsque nous nous sommes croisés devant les portes, sans risquer de m'approcher de lui. On peut dire que j'ai évité Pat. Je ne suis pas encore prêt à en parler.

    — J'ai compris. Profite du film et prends soin de toi. Ne rentre pas tard.

    — C'est parce que tu es aussi gentil que ça. 

    La voix de Par se fait plus enthousiaste. Son sourire revient. 

    — Je suis en colère chaque fois que mon frère t'énerve.

    — Je n'ai pas de snacks pour toi après tous ces compliments.

    — Je ne veux pas de snacks. Ça va me faire grossir. 

    Je regarde la taille de Par, si petite que je pourrais l'envelopper avec le bout de mon doigt. 

    — Je veux seulement que tu pardonnes à Pat.

    J'ébouriffe ses cheveux et lui adresse un sourire réconfortant. 

    — Va voir ton film. Tes amis t'attendent.

    — A plus tard, alors.

    J'acquiesce, la regarde jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans l'ascenseur, et entre dans ma chambre.

    Je déboutonne ma chemise et la jette dans le panier à linge, puis j'enlève la ceinture avant de m'allonger sur le canapé, les bras sous la tête.

    Pat et moi avons grandi ensemble. Nous avons traversé beaucoup de choses. Même si je n'ai jamais voulu lui dire quoi que ce soit, nous avons fini par être chacun celui qui connaît le mieux l’autre. Pat a été la première personne à découvrir ma profession préférée, et je savais dans quelle université il souhaitait s'inscrire. Nos décisions se sont souvent avérées similaires, ce qui a conduit à la dispute sur qui a copié qui. Nous nous connaissons si bien que nous pouvons dire ce que pense l'autre en croisant son regard. Nous comprenons les sentiments de l'autre sans avoir à les exprimer clairement. Nous nous détestons, nous nous battons et nous nous en prenons l'un à l'autre, et pourtant nous sommes les dernières ressources de l'autre.

    Il m'est arrivé de regarder le visage de Pat en soignant ses blessures et de me demander ce qu'il représentait pour moi.

    Nous ne sommes pas des meilleurs amis qui sommes rattachés par les hanches ou qui allons partout ensemble. Nous ne pouvons pas traîner ensemble librement. Malgré tout, nous ne sommes pas en mauvais termes.

    Pour la petite histoire, j'ai une fois pris un repas avec Pat. C'était au milieu de la nuit et l'endroit était suffisamment éloigné pour que nous ne rencontrions aucune de nos connaissances. Notre relation est inexplicablement étrange. Avec le temps, les sentiments compliqués sont devenus quelque chose d'habituel... Nous avons l'habitude de nous côtoyer et de nous chamailler sans jamais avoir de rancune.

    Je regarde par la fenêtre, j'observe les nuages qui flottent dans le ciel et je laisse mes pensées s'envoler avec eux.

     

    — C'est plutôt bondé, dis-je après avoir balayé la salle du regard et n'avoir trouvé aucune table libre.

    — C'est de ta faute. Tu avais une demi-heure de retard.

    — Je me suis endormi. Désolé.

    — Voilà une table vide.

    Wai indique le coin du bar. Il y a une petite table avec pas moins de quatre sièges. Il tire mon bras pour s'y rendre. Nous nous installons et appelons le serveur pour commander nos plats habituels. La nourriture et les boissons sont servies en un rien de temps. Wai et moi mélangeons nos propres boissons et faisons tinter les verres.

    Nous avons l'habitude de traîner au bar en grand groupe. Nous nous amusons et prenons du bon temps comme n'importe quels autres gars. Mais si nous buvons tous les deux seuls sans inviter quelqu'un d'autre, cela signifie que nous souhaitons libérer nos esprits de tout.

    Wai entame une conversation de temps en temps, pas tout le temps. Il m'accorde des moments de calme avec moi-même et fait tinter son verre avec le mien, de temps en temps, comme pour me faire savoir qu'il est toujours là. Au bar, en plus de boire, les filles sont l'une des choses que les gens viennent chercher. Je n'ai aucun intérêt dans ce domaine, cependant. Peut-être que je suis trop difficile et que je n'ai jamais eu envie d'être dans une relation avec quelqu'un.

    On peut dire que je n'ai pas trouvé quelqu'un qui m'intrigue suffisamment.

    Des filles ont bien essayé de m'approcher, mais elles ont tourné leur attention vers mes amis immédiatement après avoir senti mon rejet silencieux. Contrairement à moi, Pat est amical, pas dragueur, mais pas inaccessible.

    Pour dire les choses simplement, les qualités de Pat sont l'exact opposé des miennes.

    Ma main se fige dans l'air avant que je puisse prendre une autre gorgée, alors que mon regard se pose sur la personne à laquelle je viens de penser. Je ne sais pas depuis combien de temps Pat me regarde fixement de là où il est.

    Vous voyez... ? J'ai beau essayer de l'éviter, ce monde étrange continue à nous faire nous rencontrer.

    A côté de Pat se trouve une jolie fille. Elle se blottit contre lui. Si je ne me trompe pas, c'est la fille dont Par m'a parlé il y a quelques jours. C'est Nat, la cheerleader de la faculté des sciences. Beaucoup m'ont dit que cette fille est dangereuse: elle ne lâche jamais ses cibles.

    Je secoue la tête, en plaignant l'idiot qui s'est fait piéger une fois et a perdu plus de cent mille dollars pour une fille. Pat n'a jamais été assez intelligent pour se protéger.

    Ces yeux féroces sont fixés sur moi tandis que sa main caresse sa taille fine. Pat se penche jusqu'à ce que son nez touche la tête de la fille à côté de lui. Nat glousse et s'accroche à lui plus étroitement, montant presque sur ses genoux. Sa main trace sa poitrine et son cou. Je détourne mon regard vers Wai alors qu'ils sont si près de déchirer les vêtements de l'autre et de ne faire qu'un.

    — Tu vas bien ? demande Wai en se penchant un peu pour me regarder dans les yeux.

    — Ouais.

    — Tu n'as pas l'air bien. Tu as dû trop boire, observe Wai en me retirant mon verre. 

    Je ne savais pas que j'en avais bu beaucoup.

    — Hum, je marmonne et me masse les tempes. Je suis fatigué.

    — Tu vas bien ? On devrait partir ?

    — Tu peux continuer à boire.

    — Comment le pourrais-je ? Tu devrais te regarder dans un miroir. Tu as le visage rouge comme une écrevisse.

    Je force un sourire, j'ai la tête lourde. Je dois avoir de la fièvre. L'oppression dans ma poitrine s'intensifie comme si j'étais allergique à l'alcool.

    — Allons-y. Je te ramène chez toi.

    Je hoche la tête. Wai s'occupe de l'addition avant que nous quittions tous les deux le bar, et je ne me retourne plus vers ce type.


  • Commentaires

    3
    Mercredi 22 Juin 2022 à 21:42

    Merci beaucoup pour ce chapitre, hâte de lire la suite:) bon courage!!

    2
    Mercredi 22 Juin 2022 à 20:39

    Sacré Pat! En tout cas, on sent bien la jalousie des 2 côtés he

    Merci pr ce chapitre ^3^

    1
    Mercredi 22 Juin 2022 à 18:55

    ah la la, l'acceptation des sentiments, pas toujours facile XD

    merci pour ce nouveau chapitre !

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