• Scène Cinq

    Scène Cinq
    Pran

    Même si je l'ai engueulé il y a quelques jours, ce sale connard sans gêne ne s’est toujours pas remis en question.

    En jetant un coup d'œil au coupable, je pousse un soupir. Je pose le cutter et la bagasse(1) et parle à voix basse, en essayant d'attirer l'attention du morveux sur le canapé. Il joue au téléphone avec le lapin en peluche dans ses bras.

    — Pat.

    — Hmm ? murmure-t-il, ne levant toujours pas les yeux de l'appareil qu'il tient en main.

    — Pat.

    — Hmmmm ?

    — Napat !

    — Whoa ! 

    Se faisant crier dessus, il sursaute et tourne son visage paniqué vers moi. 

    — Pourquoi tu as crié ? Ça m'a fait peur.

    — Combien de fois je t'ai appelé ?

    — Tête brûlée.

    — Ma tête est fraîche depuis une heure déjà.

    Je fronce les sourcils et hoche la tête en regardant les plats de nourriture et de snacks qui ont été vidés depuis une heure. Le type, qui avait la nourriture, l'a laissée comme ça jusqu'à ce qu'elle sèche. Je la vois là depuis un moment, et il n'a manifesté aucune volonté de se lever pour la nettoyer. Maintenant, j'ai finalement perdu patience.

    — Lève-toi et fais la vaisselle tout de suite.

    — Je vais le faire dans une minute. Je joue à un jeu.

    — Fais la vaisselle, ensuite tu pourras jouer au jeu.

    — Laisse-moi m'occuper de celui-là d'abord. Je suis si près de rencontrer le boss... Hé !

    — Je le confisque.

    J'ai profité du moment où il s'est concentré sur l'écran et a baissé sa garde pour lui arracher son téléphone. Le propriétaire du téléphone crie alors que je verrouille l'écran.

    — C'est mon nouveau record, Pran !

    Pat fait des caprices comme un enfant, mais je m'en fiche. Je pose le téléphone à côté de moi et je continue à construire le modèle. Le type immature marmonne des jurons et s'assied près de moi.

    — C'est quoi ce bordel ? 

    Je jette un coup d'œil à Pat et lui demande d'une voix claire alors qu'il me regarde fixement.

    — Qu'est-ce que tu fais ?

    — Est-ce que j'ai l'air de faire la vaisselle ?

    — Non, il n'y a pas d'eau et de bulles.

    — Ne t'approche pas. Je travaille, je ne joue pas.

    — Je peux t'aider à couper ?

    Je ferme les yeux avec circonspection. Quoi encore ? Un fainéant comme lui propose son aide ? Il a mangé quelque chose de bizarre ? J'espère qu'il n'a pas mangé de la nourriture sur le sol.

    — Tu es possédé ?

    — Laisse-moi t'aider. Et tu fais la vaisselle en échange.

    Je soupire de lassitude, sachant que Pat mijote quelque chose. Il n'aurait jamais proposé de faire quelque chose gratuitement.

    — Tu manges, tu fais la vaisselle.

    — Tu sais que je déteste faire la vaisselle.

    — Tu n'aimes jamais nettoyer quoi que ce soit.

    — Mais j'aime ta crème de douche.

    — Va te faire voir.

    Je coupe court, et le voyou se tait. Je peux dire sans lever les yeux que Pat complote quelque chose. Il n'abandonnera pas si facilement.

    — Laisse-moi faire le découpage pour toi. Tu le fais depuis le début de la soirée et tes doigts sont devenus tout rouges. De plus, as-tu assez confiance en moi pour me laisser faire la vaisselle ? Comment peux-tu savoir si je nettoie bien la partie huileuse et toute la mousse ? C'est ta vaisselle, tu sais. Tu dois l’utiliser.

    Pourquoi diable tu ne ferais pas la vaisselle correctement ?!

    — Je coupe juste sur les lignes du crayon. Je peux faire ça.

    Je pousse un autre long soupir puisqu'il est toujours en train de parler. Je pose le cutter et regarde le gars avec un sourire exaspérant.

    — Coupe d'abord cette pile. N'exerce pas trop de pression dessus. La bagasse est fragile. Quand tu auras fini, assemble ces deux tas. L'exemple est à côté de toi. Ne fais pas de bêtises.

    — Tu peux compter sur moi, s'exclame-t-il avant que je ne finisse de parler. 

    Il se lève et se laisse tomber à ma place au moment où je me lève.

    Le comportement désinvolte de Pat m'exaspère parfois, bien que je ne sache pas pourquoi je ne peux pas être en colère contre lui pour de vrai. Ça pourrait être ce sourire en coin qui ne disparaît jamais. Peu importe la force avec laquelle je le frappe, il répond toujours par un sourire. Et ça me calme avant même que je sois furieux contre lui.

    Je le regarde pendant quelques instants puis me tourne vers le canapé. Je prends les assiettes tachées avec lassitude. Comment a-t-il pu répandre des restes de nourriture sur toute la table ? C'est le type le plus répugnant de la planète. J'attrape des serviettes, j'en mouille une et j'essuie les résidus collants sur la table.

    Pat a raison. Si je laissais le sale crétin s'en occuper, je me retrouverais demain avec une table sale et une file de fourmis. Cette pensée me fait presque tomber dans les pommes.

     

    — Tu pars à l'université sans me le dire ?

    J'ai presque eu peur quand le gars que je croyais endormi a soudainement parlé au moment où j'allais mettre mon sac à dos. J'étais sur le point de partir.

    — Merde, tu m'as fait peur. Quand t'es-tu réveillé ?

    — Depuis que tu cherches tes affaires.

    — D'accord. Puisque tu t'es réveillé, fous le camp d'ici. Je vais en cours.

    — Je n'ai pas cours le matin aujourd'hui.

    — Et alors ? Tu vas t'enterrer dans mon lit toute la matinée ?

    — Ton lit sent bon.

    En parlant, il resserre son étreinte autour de son lapin miteux et enterre son visage dans mon oreiller.

    — Ne touche pas à mon oreiller. Tu es sale !

    — Sale ? J'ai pris une douche hier soir.

    — Tu ne seras pas plus propre même si tu te douches cinq fois.

    — Mais tu as dormi dans le même lit que ce sale type pendant quelques jours.

    Je lève les yeux au ciel en soupirant et en agitant la main pour montrer que je suis trop fatigué pour continuer cette conversation. Quand je sors de la chambre. Pat crie derrière moi, me disant d'étudier dur. Tu ferais mieux de te le dire à toi-même.

     

    — Qu'est-ce qu'il y a ? Regarde tes cernes, me salue Wai dès que nos regards se croisent. 

    Je m'assieds à côté de lui sur le banc du rez-de-chaussée du bâtiment de la faculté.

    — Oui, j’ai travaillé jusque tard dans la nuit.

    — Comment va ton projet ?

    — Environ quinze pour cent terminé.

    — Si tu n'es pas trop méticuleux, il sera terminé plus tôt, dit-il en riant. Ke et les gars sont montés dans la salle, ils font la queue pour faire vérifier leurs projets. Tu vas y aller maintenant ?

    — Oui, allons-y. Tu veux acheter quelque chose à manger ?

    — J'ai déjà mangé. Et toi ?

    — Non. 

    Je secoue la tête. Je me suis couché tard hier soir et je me suis aussi réveillé tard ce matin. Je n'ai pas eu le temps de me remplir l'estomac.

    — Va chercher quelque chose à manger, sinon tu auras faim en parlant avec ton conseiller. 

    Et donc, je me lève.

     

    — Qu'est-ce qu'il y a ? demande Ke, en remarquant que j'ai fouillé anxieusement dans mon sac à dos à plusieurs reprises.

    — Je ne trouve pas la clé USB avec mes travaux sauvegardés.

    — Hein ? Tu l'as apportée avec toi ?

    — Je ne suis pas sûr. J'étais occupé avec les données du projet ce matin.

    — Cherche bien dans ton sac, elle pourrait être là-dedans. Ou tu veux retourner chez toi et vérifier si elle y est ?

    — Dans ce cas, je ne serais  pas autorisé à rentrer chez moi avant la fermeture du bâtiment. 

    A en juger par la longue file d'attente, faire la queue encore une fois est la dernière chose que je ferai. Dans le pire des cas, mon conseiller partira avant mon tour. Je regarde l'horloge et je fronce les sourcils. 

    — Je reviens tout de suite.

    — Eh bien, bonjour. Tu t'inquiètes pour moi ? Je prends mon petit-déjeuner. Détends-toi. 

    J'ai failli jurer à haute voix, en entendant les mots irritants une fois qu'il a décroché. Sachant que j'ai besoin qu'il me rende un service, je ravale mes mots.

    — Tu n'es pas parti, hein.

    — Non, mais je suis sur le point de le faire. Quel est le problème  ?

    — Va jusqu'au bureau dans ma chambre. Je ne suis pas sûr si la clé USB noire est là.

    — Attends une seconde, répond-il. 

    J'entends un bruit de cliquetis. Quelques instants plus tard, j'ai enfin la réponse. 

    — Elle est là, sous un morceau de papier.

    — Apporte-la moi à ma faculté. Ne te fais pas prendre.

    — Hmmm ? Pourquoi dois-je venir à ta faculté ? Tu n'as pas peur que quelqu'un nous repère ?

    — Tais-toi. Tu viens ou pas ? Si tu ne viens pas, ne te montre plus jamais dans ma chambre.

    — Mec, je plaisantais. Ne sois pas fâché. Je vais te l'apporter.

    — Fais profil bas. Ne te fais pas prendre quoi qu'il arrive.

    — Je sais, Pran. Tu n'arrêtes pas de le répéter. Ça me donne envie de crier ton nom avec un mégaphone devant le bâtiment.

    — Essaie si tu veux te faire démolir.

    Il s’esclaffe et raccroche. Je secoue la tête avec lassitude, j'ai l'impression d'avoir fait une erreur.

     

    Après dix minutes d'attente, mon téléphone sonne. Il affiche le numéro que j'ai composé il y a quelques instants. Je dis à Wai que je vais aller aux toilettes et je descends les escaliers en courant, me dirigeant vers le bâtiment du fond, où Pat a dit qu'il attendait. En passant devant le mur, je le vois assis là avec le même sourire agaçant.

    — J'ai apporté votre bien, Maître Parakul.

    — Donne-le moi et retourne à ta faculté.

    — Quoi ? Maintenant que tu as ta clé, tu me vires tout de suite.

    — Tu plaisantes encore ? murmuré-je en serrant les dents. Quelqu'un va nous voir. Donne-moi ça.

    — Pourquoi as-tu si peur ? Si quelqu'un nous voit, on pourra se battre et tu pourras dire que c'est moi qui ai commencé.

    — Pourquoi veux-tu être frappé ?

    — Tu t'inquiètes pour moi.

    — Je vais appeler mes amis tout de suite.

    Le type devant moi ricane et me passe docilement la clé USB. Je la prends sans le remercier. Je sais que je devrais, mais les mots ne sortent pas quand j'ouvre la bouche.

    — Quoi ? J'ai apporté tes affaires ici, et tu ne me remercies même pas ?

    Parce que je sais que quelqu'un comme lui demandera une faveur en retour.

    — Comparé à la façon dont j'ai nettoyé ton bordel, ce n'est rien.

    — Je m'en fiche. Tu m'en dois une, Parakul.

    — Je n'aurais pas dû te demander de l'aide.

    — Mais tu l'as fait. Je vais partir maintenant. Étudie bien.

    Je fais un signe de la main pour le chasser. Est-ce qu'il aime quand je suis irrité ? C'est pour ça qu'il rit joyeusement chaque fois qu'il a réussi à me faire sortir de mes gonds ?

    — On se voit ce soir.

    Je fronce encore plus les sourcils quand il utilise une voix si douce et me souffle un baiser avant de partir. J'ai soudain des frissons.

    Dégoûtant !

     


    Notes

    (1) La bagasse est le résidu fibreux issu du broyage de la canne à sucre une fois que l'on en a extrait le suc. Riche en cellulose, la bagasse est un excellent substitut au bois et est utilisée pour produire des planches.


  • Commentaires

    4
    Jeudi 12 Mai 2022 à 12:52

    AH! Ah! Il lui en doit une....he

    C'est un sacré Pat quand même.... et Pran qui est incapable de lui dire non....

    3
    Vendredi 29 Avril 2022 à 22:15

    Quand Pran et Pat sont ensemble, ils sont très drôles x)

    2
    Vendredi 29 Avril 2022 à 22:13

    Bonsoir merci beaucoup pour le nouveau chapitre :)

    1
    Mercredi 27 Avril 2022 à 22:31

    Merci pour ce nouveau chapitre, je fonds, ces persos et leur relation sont trop chou ^.^

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