• Chapitre 9 : Attack

    Chapitre 9

    On est enfin vendredi, je n’ai jamais attendu le week-end avec autant d’impatience, car pendant deux jours, je sais que je serai avec eux. C’est assez étrange à vivre, mais être seul la journée devient de plus en plus pesant, alors qu’avant, j’aurais tout donné pour vivre seul et ne jamais croiser qui que ce soit. Ohm, Joong et moi sommes tous les trois installés à la table de la cuisine devant un copieux petit déjeuner. C’est rapidement devenu un rituel de manger tous les trois ensemble et je me surprends à vraiment aimer le faire, même si j’ai encore du mal à manger, je ne rate quasiment plus aucun petit déjeuner. Pourtant ce matin, j’ai la surprise de voir leur mère se joindre à nous, c’est assez inhabituel et j’en comprends rapidement la raison.

    Elle est en train de boire un café, nous observant manger en silence quand, après avoir fait tourner sa tasse un petit moment entre ses doigts, elle finit par lâcher le morceau.  

    — Fluke, tu as rendez-vous en fin de matinée chez un psychologue qu’un confrère m’a conseillé. J’aurais aimé t'accompagner, mais je ne peux pas avec le travail, c’est Ohm qui va s’en charger.

    Je sens qu’un instant tout le monde se fige, il faut dire, la dernière fois que l’on a parlé de ce rendez vous, je me suis emporté. Je sens leur regard se poser sur moi, mais je ne lève pas les yeux de mon assiette, je l’ai à peine touché et je sais que je n’arriverai pas à manger une bouchée de plus. 

    Ma main est crispée sur ma fourchette, mes jointures en sont toutes blanches et je tremble légèrement. Je voudrais pouvoir hurler, laisser la colère et la peur ressortir verbalement, seulement, j’en suis incapable, je peux juste rester assis et muet. J’en veux à mon oncle, je ne sais pas ce qu’il leur a raconté, mais moi, je ne veux pas y aller à ce rendez-vous. Je suis adulte, il devrait m’écouter quand je dis non. Je me stoppe alors et soupire, relâchant la pression sur ce pauvre couvert qui n’a rien demandé à personne. Non, je ne suis pas un adulte, je me comporte souvent comme un enfant qui préfère fuir les problèmes.

    Il me faut quelques minutes pour réussir à relever la tête et croiser le regard anxieux de Chermarn et je m’en veux de lui infliger ça alors qu’elle fait tout pour m’aider. Elle semble un peu troublée par mon regard, mais elle finit par se détendre, quand je fais un petit sourire et acquiesce. Le repas se termine en silence, il n’est pas désagréable, mais tout le monde semble perdu dans ses pensées et aucun d’eux ne me fait de remarque sur le fait que je ne mange absolument pas.

    Je me suis enfermé dans ma chambre tout de suite après le repas, je me suis caché sous ma couette, m’enfermant dans un petit cocon de chaleur et de protection. Je me sens en sécurité et ça permet de laisser à l’extérieur la panique qui ne manque pas de me saisir à chaque fois que je pense à ce qui m’attends dans quelques heures. Je dois avouer que j’espère aussi qu’en faisant cela, Ohm m’oublie et que je ne me retrouve pas à devoir affronter de nouveau tout ça devant un inconnu qui jaugera chacun de mes gestes et expressions. Pourtant, tous mes espoirs volent en éclat quand exactement trente minutes avant l’heure du rendez-vous, plusieurs coups sont frappés à ma porte. Je sors doucement la tête hors de ma couette et croise le regard du brun appuyé au chambranle et si mon coeur s’emballe cette fois-ci ce n’est pas à cause du rendez-vous, mais bien à cause de lui.  

    — Il est l’heure, il faut y aller.

    Il m’observe avec un petit sourire en coin alors que moi je soupire, je prends tout mon temps pour me lever et finir de me préparer, dans l’optique de peut-être arriver en retard et donc je fais mine de chercher mes affaires alors qu’elles sont sous mon nez ce qui finit par le faire rire. Il se penche alors pour me parler à l’oreille et un long frisson court le long de ma colonne vertébrale.

    — Même si tu prends tout ton temps, on ne sera pas en retard.

    Je soupire et mes épaules s'affaissent. Très bien, il a gagné, je finis rapidement de me préparer avant de lui faire un petit signe comme quoi je suis prêt. Il ébouriffe mes cheveux tout en souriant tendrement alors que mon coeur bat à tout rompre à l’idée de quitter la sécurité de la maison. J’attrape sans y penser le bas de son t-shirt, ça me rassure de serrer le tissus fin entre mes mains. Il ne prononce pas un mot, il ne montre pas que ce geste le gène, cette situation semble presque naturelle, il me guide jusqu’à la voiture que nous allons prendre pour nous rendre au rendez-vous. Il m’ouvre la portière et saisit une de mes mains pour la serrer dans la sienne. 

    — Tout va bien se passer Nong, je resterai près de toi et je t’attendrai pendant ton rendez-vous, d’accord ?

    Je lève les yeux vers lui et frissonne quand il me caresse lentement la joue, j’ai du mal à avaler ma salive, on se regarde fixement pendant un long moment. Mon ventre se contracte, mon coeur s’emballe et ma respiration se bloque alors que l’envie de sentir ses lèvres sur les miennes me saisit et me trouble. La tension est palpable entre nous, je me demande à quoi il peut penser, mais je ne le saurais probablement jamais. Une voiture passe au loin et klaxonne, ça me fait sursauter et tourner la tête, le moment est passé, mais je suis encore fébrile, c’est en tremblant légèrement que je grimpe dans la voiture.

    Je ne fais absolument pas attention au trajet que l’on fait, je ne regarde pas un instant par la fenêtre, ce n’est pas que j’ai peur ou quoi que ce soit, mais j’essaie de comprendre ce qui s’est passé un peu plus tôt. Je me retiens de toutes mes forces de ne pas poser mes doigts sur ma joue, là où je ressens encore une douce chaleur à l’endroit où il m’a caressé. Et puis cette envie de le voir m’embrasser, je n’ai jamais ressenti ce genre de choses auparavant, est-ce que lui aussi a eu cette envie ? Je n’ai pas le temps de trouver une réponse à ces questions qu’il gare la voiture et en descend. Je relève les yeux surpris, on se trouve dans le centre ville, on est garé dans une rue et mon petit sourire se fane quand je vois le bâtiment devant lequel on se trouve, un instant j’ai oublié où on se rendait.

    Ohm, qui a déjà commencé à avancer, se retourne et est surpris de voir que je suis toujours attaché dans la voiture. Il m’observe un moment sans bouger, les mains sur les hanches, il attend que je le rejoigne, mais je ne peux pas. Je suis figé, cette fois non pas à cause de mon rendez-vous, mais à cause du regard intense qu’il pose sur moi, de nouveau mon ventre se tortille et je ne comprends pas pourquoi. Peut-être que si je lui dis que je suis malade, alors il me ramènera à la maison. Voyant que je ne suis pas décidé à sortir, il s’approche de nouveau, ouvre ma portière avant de me regarder avec un petit sourire en coin.

    — J’ai promis à maman de te porter comme un sac à patates si jamais tu refusais d’y aller. 

    Je le regarde d'abord bouche bée, me demandant s’il plaisante, mais voyant son air sérieux, je finis par pouffer en imaginant la scène. Il sourit à son tour avant de m'ébouriffer les cheveux. 

    — Allez viens, on y va. 

    Je descends de la voiture, non sans jeter de fréquents coups d’oeil autour de moi, mes doigts trouvent aussitôt le tissu de son t-shirt et je marche juste derrière lui, la tête baissée. Il me guide jusqu’au cabinet du psychologue, je me cache derrière lui où je me sens un minimum en sécurité.

    Je me mordille la lèvre inférieure anxieusement alors que nous nous trouvons dans la salle d’attente. J’ai refusé de m’asseoir et Ohm n’a pas insisté, il s'est placé debout dans un coin, comme ça, je peux me cacher derrière lui et le mur assure mes arrières. Il a les mains dans les poches et son large dos est détendu, alors que je peux sentir les regards curieux des autres patients présents se poser régulièrement sur nous. 

    Je ferme les yeux pour ne pas céder à la panique, je ne veux pas me donner en spectacle, je ne veux pas faire honte à Ohm. Je prends plusieurs profondes inspirations et finis par poser mon front contre le dos de celui qui me sert de bouclier. Son odeur m’apaise, sa chaleur me rassure et je sens la crise d’angoisse s’éloigner petit à petit, jusqu’à ce que mon nom soit appelé d’une voix claire, forte et froide. Je sursaute et décale légèrement la tête et je me raidis quand je vois le docteur, c’est un homme grand, austère et au visage fermé et j’ai encore moins envie d’aller le rejoindre.

    Il me fixe du regard, attendant que je vienne le rejoindre, sauf que je suis figé, je n’arrive pas à bouger. Ma prise se resserre sur son t-shirt et je tente de me faire tout petit et de disparaître. Ohm finit par passer sa main derrière lui et me force à quitter mon abri, il me fait passer devant lui et se penche pour se mettre à ma hauteur, me souriant avec tendresse. 

    — Je reste juste là d’accord, je t’attends. Tu es en sécurité.

    Je me sens rougir par cette soudaine proximité et une fois encore, cela a le don de me faire oublier tout le reste. Je prends une profonde inspiration et me dirige lentement et tête baissée vers le bureau.

    La pièce est à l’image de son propriétaire, froide, sobre et qui selon moi, ne donne absolument pas envie de s’épancher sur ses problèmes. Je m'assois devant le bureau en tremblant légèrement alors que je sors mon carnet et mon stylo. Une séance dure environ une heure, une heure à parler de soi, à essayer de décortiquer chaque chose qui ne va pas dans nos vies pour essayer de comprendre pourquoi on se sent mal. Pour moi, chaque séance est éprouvante, car en plus de devoir me pencher sur ces souvenirs que je voudrais tant oublier, je dois les mettre par écrit. Je dois choisir minutieusement chaque mot pour relater les choses précisément, pour essayer de transmettre mon ressenti, mes sentiments et mon état d’esprit alors généralement, je ressors lessivé de mes séances.

    Pourtant cette fois, je n’ai pas eu le temps d’écrire quoi que ce soit dans mon carnet, c’est lui qui a parlé, c’est lui qui a mené la conversation et c’est à peine quinze minutes après être rentré dans le bureau que j’en sors en trombe. Des larmes coulent sur mes joues et je ne vois pas où je vais, je veux juste fuir, m’éloigner le plus possible et effacer les mots qu’il a pu prononcer. Une sorte de couinement sort de ma gorge quand je bute contre quelqu’un qui tente de m’arrêter et je panique encore plus.

    Je veux partir, je veux disparaître dans un trou de souris et la personne devant moi m’en empêche. Je me débats en pleurant de plus en plus jusqu’à ce que finalement ses bras réussissent à me coller contre son torse ferme, qu’il me serre fortement contre lui et que son parfum arrive à mes narines et alors je me laisse complètement aller. Un instant, j’ai oublié tout ce qu’il y avait autour de moi, mais Ohm est là, il est près de moi et il me serre dans ses bras sans réussir à comprendre mon état.

    — Fluke, qu’est ce qui s’est passé ? 

    Je secoue fortement la tête, le visage toujours caché contre son torse, je garde désespérément les yeux fermés et il doit sentir que tout mon corps tremble contre lui. Mes doigts sont agrippés à ses vêtements et je me rends compte que je suis en pleurs. Il garde un bras autour de moi, me serrant le plus fort possible contre lui, alors que son autre main caresse doucement mes cheveux, ça m’aide un peu à me détendre ou, tout du moins, à repousser la crise d’angoisse qui déjà me compressait la poitrine. A cet instant, même si la salle est pleine d’inconnus, je me sens en totale sécurité et je n’ai plus envie de bouger.

    — Le surprotéger comme ça ne l’aidera pas à aller mieux. 

    La voix du psychiatre claque froidement dans mon dos et je frémis en m’accrochant un peu plus fermement à Ohm, j’ai peur qu’il s’éloigne de moi en écoutant les dires de ce docteur. Surtout, le discours qu’il a tenu dans le bureau me revient en mémoire et j’ai l’impression que mon estomac se retourne. Ohm se crispe contre moi, je peux sentir la tension en train de naître dans ses muscles alors qu’il me serre plus étroitement contre lui. 

    — Je peux savoir ce que vous voulez dire par là. 

    Joong m’a déjà parlé du caractère parfois froid de son frère, j’ai pourtant eu du mal à le croire, car il s’est toujours montré doux et chaleureux avec moi. Pourtant là, alors qu’il répond au médecin, il est froid et un peu agressif. Je lève la tête vers Ohm et son ton est sérieux et ses yeux fixés sur le médecin sont sombres de colère. Moi je n’ose pas tourner la tête pour le regarder, je ne veux pas le voir, je veux sortir d'ici et rentrer à la maison.

    — Il se complait dans son malheur, il ne veut pas faire d’efforts pour aller mieux puisque tout le monde autour de lui est à ses petits soins. Tant que vous serez comme ça avec lui, il ne pourra jamais progresser et…

    — Ça suffit ! 

    Je sursaute quand la voix glacée de Ohm interrompt le médecin dans son discours qui me donne envie de vomir. Il est en colère, je le sais, d’ailleurs, quand il fait un mouvement pour s’approcher, je me raidis et l’empêche ainsi de faire une grosse bêtise. Je ne veux pas qu’il se batte ou se dispute avec quelqu’un à cause de moi. Il baisse la tête pour me regarder, son regard est sombre et lance des éclairs, mais je sais que ce n’est pas dirigé vers moi, je secoue doucement la tête, mes yeux sont remplis de larmes et il se rend compte qu’une dispute par-dessus tout ne m’aiderait pas. Il soupire alors pour se calmer puis retourne son attention sur l’homme qui se tient derrière moi. 

    — Bien, je reviendrai en discuter plus tard. 

    Sa phrase me fait frissonner, mais je n’arrive pas à me sentir désolé pour le médecin, une chose est sûre, je n’aimerais pas me trouver à sa place, car actuellement Ohm est effrayant et je suis bien content qu’il ne soit pas en colère contre moi. Il m’entraine alors vers la sortie, me tenant toujours contre lui et je ne cherche pas à le retenir ou à le raisonner. Je me sens un peu mieux quand un vent léger vient frapper mon visage brûlant. Sans un mot, il me fait monter dans la voiture, fermant la portière avec douceur, avant de rejoindre sa place et de démarrer. Il s'insère rapidement dans le trafic, bien trop rapidement même et je me rends compte que son silence et sa douceur ne sont qu’une façade sûrement pour ne pas exploser. Car ses doigts sont fermement crispés sur le volant, ses yeux fixés sur la route et il écrase l'accélérateur comme s’il était pressé de mettre le plus de distance entre nous et le cabinet.

    Je n’ai pas spécialement peur de la vitesse, mais je ne veux pas que Ohm se mette en danger à cause de moi. C’est pourquoi, je ne réfléchis pas vraiment, je pose doucement ma main sur son bras pour attirer son attention, pour le faire revenir à la réalité et le sortir de cet état d'énervement. Il sursaute et semble enfin prendre conscience de ce qu’il y a autour de lui, il ralentit rapidement alors qu’il souffle profondément et ses doigts se détachent doucement du volant, je suis même surpris qu’il n’y ait pas les traces de ses doigts imprimées dessus.

    Il est encore tendu et je me sens coupable, peut-être que j’aurais dû écouter cet homme, ne pas fuir comme je l’ai fait. Il a peut-être raison dans le fond, est-ce que j’aime être comme ça ? Je baisse la tête, mes yeux fixés sur mes mains que je serre l’une contre l’autre. J’ai encore envie de pleurer et je renifle en me sentant pitoyable, je comprends finalement que les autres aient pitié de moi. Soudain, Ohm quitte la route pour venir se garer le long du trottoir. On se trouve juste en face d’un bar où se trouvent plusieurs personnes en train de rire toutes ensemble, je leur jette un coup d’oeil avant de faire pareil sur mon voisin. Il est immobile, les yeux fixés devant lui, il ne bouge pas alors que ses mains tiennent toujours le volant. Lentement, je sors mon téléphone et écris un simple mot dessus.

    “Désolé.”

    Je tapote une nouvelle fois son bras pour attirer son attention et lui montre le mot écrit sur le téléphone. Il l’observe un long moment et je me demande un instant s’il va bien, car il ne réagit pas du tout. Mon ventre se tord désagréablement et je baisse les yeux, il est en colère contre moi. Je l’ai déçu et maintenant, il ne voudra plus me parler et passer du temps avec moi. Cette idée me fait mal, je me rends compte à cet instant que je ne veux plus être seul, je veux avoir des personnes qui m’aiment et tiennent à moi et… une perle d’eau salée tombe sur ma main. Voilà que je pleure à nouveau, j’ai l’impression de passer mon temps à faire ça. Mes réflexions s’assombrissent, il ne faudrait pas grand-chose pour que je retombe dans une de ses phases de dépression. Mon oncle m’a souvent vu dans cet état, allongé dans le noir, ne voulant voir personne et ressassant mes idées noires. Seulement, une main se posant sur ma nuque coupe court à ces idées, elle est chaude, tendre et douce et je frissonne en relevant les yeux pour croiser le regard de Ohm. 

    — Tu n’as pas à t’excuser Fluke, c’est ce connard qui devrait le faire. 

    Je le regarde bouche bée, lui qui sort rarement de ses gonds, quand il le fait, il ne fait pas semblant. Allez savoir pourquoi, le voir ainsi me rassure encore plus. Il passe sa main dans mes cheveux, ce geste est vraiment devenu habituel au bout de quelques jours et il m’aide à m’apaiser. 

    — Ne prends pas à coeur ce qu’il a pu te dire. On sait tous combien tu fais des efforts pour aller mieux, d’accord. 

    Il essaie de trouver les mots pour me rassurer, pour me rendre confiance, pourtant, je ne peux pas empêcher les mots de tourner dans ma tête encore et encore. C’est tellement facile de croire cet homme, plutôt que d’accepter ce que me dit Ohm. Je baisse de nouveau les yeux pour fixer mes mains, au moins, j’ai arrêté de pleurer. Il m’ébouriffe un peu plus les cheveux avant de mettre ses doigts sous mon menton pour me forcer à relever la tête et à le regarder. 

    — Arrête de faire ça. Je sais que tu penses qu’il a raison, pas vrai ?

    Je soupire fortement et hoche la tête penaud, je ne comprends pas comment il arrive à si bien lire en moi, c’est toujours déroutant quand il fait ce genre de chose, mais ce n’est pas déplaisant. 

    — Tu n’es pas un poids pour nous, on veut que tu ailles mieux et on fera tout pour te soutenir pour que tu y arrives. Tu n’es pas faible, tu es fort et tu n’as pas besoin d’être surprotégé par qui que ce soit d’accord. 

    Ses paroles me touchent, il met tellement de conviction dedans que c’est presque facile de le croire. Mon coeur s’allège un peu, je dois croire mes amis, mes proches, pas un inconnu qui a juste lu mon dossier en diagonal. Je me répète ça à plusieurs reprises avant de réussir à lui faire un faible sourire. Ce n’est pas grand chose, mais c’est toujours mieux que rien. Je reprends mon téléphone, effaçant rapidement mes excuses et écris un mot à la place.

    “Merci.”

    Il s'apprête à reprendre la parole, mais un coup porté à la vitre conducteur me fait brutalement sursauter et un léger glapissement sort de ma bouche. Ohm regarde l’homme qui se tient penché vers la voiture avec un léger sourire sur les lèvres. Sa main vient saisir la mienne et délicatement, il entrelace nos doigts et je me sens rougir, pourtant, je ne cherche absolument pas à la retirer, au contraire. 

    — C’est un ami ne t’inquiète pas.

    Il baisse la vitre électrique et fait un grand sourire à l’homme qui se tient devant lui. Moi je reste silencieux, j’essaie de me tasser pour me faire tout petit et que l’on ne me remarque pas. Oui, Ohm m’a dit de ne pas m’inquiéter, mais je ne peux pas m’en empêcher, je me méfie toujours de ce que je ne connais pas.

    L’homme à l’extérieur de la voiture, doit avoir la cinquantaine, son sourire s’agrandit quand Ohm lui fait un petit signe de tête et un sourire, moi j’écoute leur conversation en regardant du coin de l’oeil. Ma main tient fermement celle du conducteur et c’est ce qui me permet de ne pas paniquer complètement. 

    — Sawadee Ohm, qu’est-ce que tu fais dans le coin, tu ne devrais pas être à l’université.

    J’ai l’impression de connaître sa voix, quelque chose dans ses intonations ne m’est pas inconnu, mais je n’arrive pas à la resituer. Je fronce les sourcils, j’essaie de réfléchir, de faire remonter des souvenirs à la surface, mais rien ne me revient et je me sens frustré, car j’ai l’impression que je devrais connaître la réponse.

    — Sawadee, j'emmenais Nong Fluke à un rendez-vous. 

    L’homme a une expression de surprise, puis de curiosité peinte sur le visage quand il se penche  pour pouvoir m'observer plus attentivement, ce qui me met mal à l’aise. Je n’aime pas être le point de mire comme ça, et une fois de plus, je rentre la tête dans mes épaules et ce n’est que la caresse du pouce de Ohm sur ma main qui m’empêche de chercher à me cacher encore plus. Du coin de l’oeil, je peux voir le regard de l’homme à l’extérieur se voiler et une grande tristesse déforme ses traits si joviaux l’instant d’avant. 

    — Fluke, laisse-moi te présenter, Krissada Terrence, il était très amis avec nos pères et notre oncle.

    Tout s’éclaire soudain, voilà pourquoi sa voix ne m’est pas étrangère, j’ai dû souvent l’entendre dans mon enfance. Mes parents invitaient souvent leurs amis à la maison, alors ce doit juste être un vague souvenir pour moi.

    — Attends, c’est le petit Fluke ?

    L’homme se penche par la fenêtre. Un instant, je me demande s’il ne va pas passer par celle-ci pour se rapprocher et pouvoir mieux m’observer. Cette fois, je suis très gêné, je me mordille la lèvre inférieure avant de baisser les yeux sur mes mains pour ne pas croiser son regard, alors que je rougis. 

    — Ça alors, je ne t’aurais jamais reconnu tu as bien grandi. Tu… et bien…. 

    L’émotion est palpable dans sa voix, alors qu’il se met à hésiter dans ce qu’il va dire. Je relève légèrement les yeux et cette fois la peine est réellement inscrite sur son visage. Il est bouleversé et je me demande quels souvenirs peuvent bien lui revenir en tête à cet instant. 

    — Ohm tu passeras le bonjour à ta mère et tu diras à ton oncle que j’attends toujours d’aller boire un verre avec lui d’accord.

    Je suis soulagé qu’il change de sujet, je ne suis pas prêt à replonger dans mes souvenirs, pas après les paroles ignobles du psychiatre. Ohm rit à la dernière demande de l’homme et ce son me rend fébrile autant qu’il me détend alors qu’un petit sourire se pose sur mes lèvres. 

    — Promis, je lui en parle dès que je l’ai au téléphone, mais là je dois ramener Fluke à la maison.

    Krissada tapote amicalement l’épaule de Ohm. 

    — Oui bien sûr, moi je dois retourner au travail de toute façon. 

    Il se penche alors par la fenêtre pour pouvoir me regarder à nouveau, le voile de tristesse encore présent dans le regard. 

    — Fluke, si tu veux… la prochaine fois… je pourrais… te parler d’eux. 

    Mon cœur bondit dans ma poitrine, mon Oncle m’a déjà raconté ses souvenirs, mais avoir quelqu’un d’autre qui les connaissait et qui pourrait raviver leur souvenir me chamboule un peu, j’ai le menton qui tremble légèrement. J’hésite un instant puis finalement, je hoche la tête. 

    — Bien, alors à plus tard les jeunes. 

    Il soupire doucement, tape légèrement la portière avec sa main avant de finalement faire demi-tour et de s’éloigner. Ohm l’observe un instant avant de refermer la vitre et de se tourner vers moi. Il tient toujours ma main, son pouce continuant de caresser ma peau et il ne semble pas s’en rendre compte. 

    — Krissada, ton père et mon oncle se connaissaient depuis l’enfance, ils étaient très liés tous les trois et quand mon père a épousé maman, il s’est rapidement joint à eux. Ils étaient tout le temps ensemble et maintenant… Krissada et mon oncle peinent à trouver du temps pour se voir. 

    Ohm reste pensif un moment, parler de son père doit être douloureux pour lui aussi. Il m’a un peu parlé de lui il y a quelques nuits, alors que je ne pouvais pas dormir, il a fini par me raconter son histoire et j’ai été touché par celle-ci. Son vrai père l’a abandonné peu de temps après sa naissance, il ne l’a jamais vu en vrai, mais il ne le vit pas mal, puisqu’il a toujours considéré son beau-père comme son vrai père. Malheureusement, il y a cinq ans, alors qu’il revenait du travail, il a perdu le contrôle de sa voiture et est mort dans l’accident. Il prend une profonde inspiration avant de me sourire, son regard est encore un peu triste, mais son sourire est chaud et tendre. 

    — Il n’est pas méchant, mais tu n’es pas obligé d’accepter de l’écouter. Il n’a jamais réussi à faire son deuil de ce qui s’est passé. Il vit souvent dans le passé et répète encore et toujours les mêmes histoires. 

    Je reste un moment silencieux, j’ai de la peine pour lui. J’ai perdu mes parents, mes soeurs, mais je ne suis pas le seul à avoir souffert de la situation et comme moi, cet homme ne s’en remet pas. Je comprends aussi que Ohm veut me protéger de ça, j’ai compris maintenant qu’il ferait tout pour maintenir la douleur à distance, mais le médecin a tout de même eu raison sur un point aujourd’hui. Je prends mon téléphone et écrit ma réponse avant de le lui tendre.

    “Je l’écouterai… je crois que le médecin a raison, je ne dois plus fermer les yeux.”

    Il sourit en lisant mes mots avant de me regarder dans les yeux. L’attraction est de nouveau là et quand il porte nos mains liées vers sa bouche, quand ses lèvres se posent sur ma peau, j’ai l’impression que des dizaines de papillons s’envolent dans mon estomac. 

    — Et je serai là pour t’aider à chaque étape. Mais en attendant, je te ramène chez nous.

     Il me sourit, mais moi, je suis complètement figé sur ce qui vient de se passer, j’ai la bouche entrouverte et quand finalement, il lâche ma main pour pouvoir conduire, mes doigts caressent lentement là où il m’a embrassé. Mon coeur va finir par exploser et je suis dans un état second. J’ai complètement oublié ce que le médecin a dit et je n’entends plus que ses mots qui se répètent en boucle dans ma tête. 



  • Commentaires

    4
    Samedi 26 Juin 2021 à 21:51

    Bon on peut dire que la première séance chez le psy, et....comment dire...... un petit désastre??? il a pas  laisser le temps à Fluke de lui écrire quoi que se soit et boum...attaque direct....


    J'aurai bien aimé Ohm porter Fluke comme un sac à patatehe


    Attention le petit coeur de Fluke réagit au geste et regard de Ohm, moi je pense qu'il commence à y avoir de l'amour dans l'air enfin je dis ça, je dit rien...

    3
    Vendredi 12 Février 2021 à 15:14

    Connard de psychiatre 

    2
    Jeudi 8 Octobre 2020 à 11:05

    toujours aussi génial *__* 
    c'est toujours un plaisir à lire  :) 

    bonne écriture pour la suite et à la prochaine

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