• Chapitre 6 : Waiting.

    Chapitre 6

    Je les avais pourtant prévenu sur le chemin du retour, il est interdit de dire le mot Phi en présence de Fluke, mais est-ce que je peux réellement en vouloir à mes amis ? Bien sûr que non, pas quand c’est compliqué même pour nous de le faire chaque jour. En plus, ils ne connaissent que les grandes lignes de l’histoire, ils ne le connaissent pas du tout et pensent sûrement que Joong et moi avons exagéré les choses. Je dois dire aussi que quand Boun a tenté de rassurer Nong Prem, je ne me suis pas rendu compte qu’il allait y avoir un problème, je n’ai même pas fait attention. Les conversations ont continué et c’est le bruit du verre qui se fracasse sur le sol qui est un douloureux rappel. Loung Wanchana nous a bien expliqué les différentes crises que peut traverser Nong Fluke, je l’ai bien écouté pour être sûr de comprendre et de pouvoir agir, pourtant, rien ne nous a préparé à ça. 

    Je me retourne dès que j’entends le bruit, mais c’est déjà trop tard, il est face à moi, mais il n’est déjà plus là, ses yeux sont complètement révulsés et il s’effondre brutalement. J’aimerais dire que comme dans les films, je réagis assez vite et réussit à le rattraper avant qu’il ne touche le sol, seulement, on n’est pas dans un film et tout se passe bien trop vite. La bonne nouvelle, c’est qu’il tombe loin du verre cassé, la mauvaise nouvelle, c’est que sa tête tape contre le carrelage avec un bruit qui risque de me hanter un long moment et bientôt un filet de sang apparaît coulant le long du carrelage.

    Je ne panique pas facilement, je suis connu pour mon calme et ma patience auprès de mes amis, pourtant, là je sens qu’il ne faudrait pas grand chose pour que je lui cède. Les autres sont figés en le fixant, tentant encore de comprendre ce qui vient de se passer. Je saisis un torchon propre et me précipite vers lui. Il ne convulse pas, il est juste allongé et pour un peu on pourrait penser qu’il dort, car je peux voir ses yeux s’agiter sous ses paupières.

    Je bouge sa tête tout en douceur, la soulevant juste assez pour appuyer le torchon contre la plaie et tenter ainsi d’arrêter le saignement. 

    — J’appelle une ambulance ?

    Je lève la tête vers Prem qui est le premier à réagir, mais je lui réponds en secouant la tête alors qu’il reste fixé sur moi, ses yeux ne bougent pas d’un pouce. Il est blanc comme un linge, la bouche entrouverte et j’ai quand même le temps de noter que Boun a passé un bras autour de ses épaules pour le soutenir, d’ailleurs ce dernier a une expression coupable sur le visage, il s’en veut, il sait qu’il est responsable du malaise du plus jeune.

    — Je suis désolé Ohm, j’ai pas réfléchi.

    Je secoue de nouveau la tête rapidement pour l’empêcher d’en dire plus, ce n’est pas nécessaire, en plus là il y a plus urgent. 

    — C’est rien, ne t’inquiète pas. Pour le moment emmène Prem dans le salon, on va éviter qu’il tourne de l’oeil aussi. 

    Prem n’a jamais supporté la vue du sang et si ça continue, il va finir transparent. Sans discuter, Boun resserre son étreinte sur le plus jeune et le guide vers le salon, il se place de manière à faire barrière entre Prem et le sang.

    On l’a découvert il y a quelques années, c’était un après midi où on était allé pêcher au lac et Nine c’était salement ouvert le doigt à cause d’un hameçon. Nine n’était pas très bien et alors que Joong s’occupait de rassembler nos affaires, Boun et moi on essayait de faire un pansement pour stopper l’hémorragie et ensuite tous aller à l'hôpital. Le truc c’est qu’on était jeune, qu’on se disputait pour savoir quel était le meilleur moyen de faire et en appuyant sur la plaie, du sang a giclé et a atterri aux pieds de Prem. Totalement concentré sur le doigt, aucun de nous ne l’a vu tomber, c’est un boum sonore qui nous a surpris. Prem s’était écroulé, blanc comme la mort. La journée s’était terminée à l'hôpital, Nine avait été recousu et Prem avait gagné une poche de glace pour l’énorme bosse sur son front.

    Ce souvenir me donne un petit sourire, mais je prends rapidement une profonde inspiration avant de reporter mon attention sur Fluke, je dois me concentrer sur ce qu’il faut faire ensuite.

    — Maman, il faut que tu rentres maintenant. Ai Fluke est tombé, il s’est ouvert le crâne… Non, il est soudainement tombé dans les pommes… Non maman, il ne convulse pas… Oui, Ohm fait pression sur la blessure…. D’accord, on ne le bouge pas, on t’attend.

    Joong est peut-être un peu immature parfois, extrêmement fouineur et curieux, totalement hyperactif, mais heureusement, il a l’esprit pratique dans les moments sérieux, il n’hésite pas et sait ce qu’il doit faire. C’est donc sans surprise que je l’entends appeler notre mère pour la mettre au courant et connaître la marche à suivre. On sait que l'hôpital est dans le dernier des recours, surtout l'hôpital de la ville, une crise d’angoisse à son réveil n'aiderait pas du tout. 

    J’apprécie vraiment mon frère, même s’il m’énerve la majeure partie du temps, on réussit à évoluer dans le même cercle d'amis, à passer du temps ensemble et surtout je sais que je peux compter sur lui en toutes circonstances. Un bruit derrière moi me fait sursauter et quand je me retourne, je vois Nine en train de délicatement ramasser les morceaux de verre pour éviter que quelqu’un ne se blesse. Lui c’est le plus discret des trois Nong, il est calme et, comme moi, ne parle pas énormément. Parfois je me demande comment il peut être un ami si proche de Joong tant ils sont différents. 

    — Maman arrive, on ne doit pas le bouger sauf si sa vie est en danger. Elle ramène de quoi le soigner. 

    Joong s'accroupit à côté de moi et observe très sérieusement Fluke, comme pour s’assurer que sa vie n’est pas en danger et qu’on peut le laisser par terre. Comme moi, mon frère semble s’être déjà très attaché au jeune homme, on veut que tout se passe bien pour lui. J’arrive à faire un petit sourire avant de moi aussi reporter mon attention sur notre inconscient mais son visage se crispe soudainement, je ne peux pas empêcher ma main libre de caresser doucement sa joue jusqu’à ce qu’il se détende. Et s’il ne fait aucun commentaire sur mon geste, je peux sentir le regard de Joong sur moi, je suis sûr que bientôt, il posera beaucoup trop de questions. 

    — Ohm, tu penses qu’il faut prévenir Loung Wanchana ?

    Je soupire à sa question, notre oncle nous a demandé de le prévenir en cas de problème, seulement, il ne faut pas nous précipiter. Je sais combien il est attaché au jeune homme, combien il s'inquiète pour le fils de son meilleur ami. Je le connais, si on le prévient maintenant, il serait capable de tout abandonner pour revenir et tant que l’on ne sait pas exactement ce qu’il se passe, ça ne sert à rien de l’inquiéter alors qu’il n’est même pas sur le même continent que nous. 

    — Ne t’inquiète pas, maman le fera quand elle sera là. 

    Je lève la tête vers Nine qui finit d’essuyer l’eau sur le sol et je lui fais un petit signe pour le remercier. 

    — Apporte un verre à Prem, je suis sûr qu’il ne doit pas se sentir bien. Tout va bien se passer, il n’y a pas à s’inquiéter, d’accord ?

    J’entends Nine le préparer avant de venir poser sa main sur l’épaule de Joong pour le forcer à aller rejoindre leur ami. Ces trois-là se connaissent depuis aussi longtemps que je connais Boun. Je ne sais pas vraiment comment on a commencé à traîner ensemble, mais maintenant, je ne m’imagine pas sans eux. Je les regarde partir puis je baisse les yeux sur Fluke, il n’a pas bougé, seul ses yeux sous ses paupières m’indiquent qu’il est vivant. J’essaie de comprendre ce qui a pu se passer, mais même si j’ai beaucoup discuté de la situation avec ma mère et mon oncle, là clairement je ne comprends pas.

    Le temps semble passer lentement, j’ai l’impression que des heures passent alors que j’appuie le torchon sur la plaie en attendant que ma mère arrive. Pourtant la ville n’est pas immense, elle travaille à moins de vingt minutes de la maison, elle est infirmière depuis de longues années, elle a trouvé une place à l'hôpital après que mon père nous ait quittés très exactement trois mois après ma naissance. 

    Ce travail lui a permis de nous loger et de nous nourrir, car elle était réellement seule, elle est tombée enceinte à dix-huit ans et ses parents l’ont mise dehors et seul son frère est resté en contact, l’aidant du mieux qu’il pouvait. Peu après, elle a rencontré le père de Joong avec qui elle s’est mariée et qui s’est toujours comporté comme un père pour moi. Sa mort cinq ans plus tôt a été très difficile à vivre pour chacun d’entre nous.

    Enfin ma mère arrive et je sais que Fluke est inconscient depuis au moins une demi heure. Je sens le soulagement se répandre dans mon corps quand elle s’agenouille près de nous. Elle me sourit pour me rassurer avant de se pencher vers Fluke. 

    — Il n’a pas du tout repris conscience ? 

    Elle sort une petite lampe et la dirige vers ses yeux pour voir comment ses pupilles réagissent et froncent un instant les sourcils.

    — Non, mais ses yeux bougent beaucoup sous ses paupières

    Je la vois qui l’ausculte rapidement, je l’observe attentivement, cherchant toute trace d’inquiétude sur son regard, mais elle est comme moi, très douée pour garder un visage impassible et je me rends compte de combien ça peut être difficile pour les personnes qui se trouvent en face de vous de ne pas pouvoir se faire une petite idée, car je suis anxieux, je ne peux pas le nier.

    — Qu’est-ce qu’il s’est passé avant qu’il ne tombe ? 

    Elle fouille dans le sac qu’elle a ramené avec elle et en sort du désinfectant et un kit de suture. Elle soulève le torchon que j’ai maintenu sur la plaie et qui est maintenant imbibé de sang. Je la regarde faire un moment avant de me souvenir de sa question.

    — On était tous dans la cuisine en train de parler et… Boun a dit le mot Phi. Je ne pensais pas que sa réaction serait si forte, mais il est tombé d’un coup.

    Je sais que le mot est interdit, mais je n’ai toujours pas compris pourquoi d’ailleurs, mon oncle et ma mère sont restés assez vague sur le sujet et il est vrai que je n’ai pas vraiment insisté. Je sais qu’ils ne nous ont pas tout raconté sur Fluke et sur ce qui s’est passé il y a sept ans. Le visage de ma mère s’assombrit un instant alors qu’elle finit de préparer son matériel.

    — Tourne-le vers toi, je vais refermer la plaie… Qu’est-ce que Boun a dit exactement, tu te souviens ? 

    J’obéis rapidement, plaçant une main sur sa hanche et une sur son épaule, je le fais basculer doucement sur le côté alors que maman fait attention à sa tête. Je fixe son regard blême et endormi tout en essayant de me souvenir de ses propos exacts. 

    — Quelque chose comme… Ne t’inquiète pas…  je te l’ai dit, Phi va s’occuper de toi. 

    Au moment où je parle, un léger gémissement s’échappe de la bouche de Fluke et je vois ses mains se crisper, mais je ne sais pas si c’est de ma faute ou à cause de l’aiguille qui s’enfonce dans son cuir chevelu. 

    — Et merde… 

    Je relève la tête, surpris d’entendre ma mère jurer comme ça, la dernière fois qu’elle a fait ça, c’est quand j’étais en terminal, Joong qui voulait absolument être populaire au lycée, avait dit haut et fort que notre mère travaillait tard et qu’on allait faire une soirée. Cet enfant naïf pensait à une soirée jeux vidéo avec les gars… les terminales eux avaient imaginé une soirée avec alcool et musique à fond. Quand elle était rentrée tard ce soir-là, pour trouver sa maison envahie par des jeunes pour la plupart à moitié ivre, son langage avait été des plus fleuri et nous, punis d'inviter qui que ce soit à la maison pendant plus d’un mois. 

    — Fluke se souvient jusqu’à un certain point sur ce qui s’est passé il y a sept ans. Cette phrase, c’est quasiment mot pour mot ce que son agresseur lui a dit.

    Elle répond sans s’arrêter de travailler, sans quitter la plaie des yeux alors que moi c’est elle que je fixe, les yeux écarquillés, quand je prends réellement conscience de ce qui a pu se passer et une fois de plus, j’ai envie de le serrer dans mes bras, de le garder contre moi pour le tenir éloigné de la peur qui le suit depuis bien trop longtemps maintenant. 

    — Je pense qu’entendre cette phrase, l’a plongé dans un état d’inconscience et… qu’il doit revivre ce qui lui est arrivé. Il se réveillera bientôt, mais il risque d’être angoissé, il ne faudra pas le laisser seul.

    Je soupire à nouveau en reportant mon attention sur lui, je ne peux pas m’empêcher aussi de penser à Boun, mon meilleur ami… le seul ami de mon âge en fait. En apparence, c’est quelqu’un qui est sûr de lui, qui ne semble pas avoir peur de grand chose, mais je sais qu’il n’est pas comme ça. Sa vie de famille l’a obligé à se blinder, mais dans le fond c’est un enfant terrifié qui a peur de ce que l’avenir lui réserve. Maman finit de le recoudre, elle désinfecte généreusement la zone à nouveau. 

    — Emmène-le dans sa chambre, il faut le nettoyer un petit peu et attendre qu’il se réveille, moi je vais nettoyer ici et j'expliquerai tout aux garçons.

    Je lui fais un petit signe de tête pour lui montrer que c’est d’accord pour moi. Je sais qu’elle fera attention quand elle expliquera que c’est la phrase de Boun qui a tout déclenché. Elle le connaît bien, elle fera en sorte qu’il ne se sente pas trop coupable. Avec délicatesse, je passe un bras derrière ses épaules et un sous ses genoux, puis lentement je me relève en faisant attention que sa tête soit bien calée contre mon épaule. Je me dirige alors vers sa chambre, faisant attention à ne pas trop le secouer. Sa chambre est impersonnelle, il n’a pas encore défait toutes ses valises et j'espère qu’il finira pas le faire totalement. Je le pose délicatement sur le lit.

    Je suis un peu mal à l’aise quand je lui retire son t-shirt, je ne veux pas le faire, mais mon regard est aussitôt attiré par les cicatrices qui se trouvent sur sa peau. Mon regard glisse sur son torse et je grimace en essayant d’imaginer ce qu’il a dû subir, mais je n’y arrive même pas. Je note aussi ses côtes qui sont bien trop apparentes et je me promets de l’aider à se remplumer un peu. Je ne cherche même pas à le mettre au sale, je mets le tissu plein de sang à la poubelle et je pars dans la salle de bain pour aller chercher de quoi le nettoyer un peu et enlever les traces de sang qui sèchent déjà sur sa peau. Je m'assois au bord du lit et à l’aide d’une petite serviette humide je le nettoie, j’y vais doucement, j’ai peur de le blesser davantage. 

    — Tu ne te souviens pas, pas vrai ?

    Ma voix n’est qu’un murmure alors que je souris en coin, me trouvant un peu ridicule de lui parler alors qu’il ne peut pas m’entendre, mais je ressens le besoin de lui dire. J’ai voulu le lui dire depuis qu’il a passé le pas de la porte, mais quand nos yeux se sont croisés pour la première fois, j’ai eu l’impression qu’il ne s'en souvenait pas. 

    — Je tiens toujours mes promesses Nong Fluke et celle-là, plus que les autres.

    Je lui passe un t-shirt propre puis je remonte la couverture jusque sous son menton et je sais que je ne devrais pas, pourtant, j’ai eu tellement peur que j’ai besoin d’un geste que j’ai déjà eu pour lui il y a longtemps. Je me penche vers lui en fermant les yeux et mes lèvres se posent sur son front. Finalement je me redresse et je vais ensuite rejoindre le fauteuil qui se trouve près de son lit afin de veiller sur lui jusqu’à son réveil. 



  • Commentaires

    7
    Jeudi 24 Juin 2021 à 19:26

    C'était très intéressant d'avoir le point de vue de Ohm, et ça je suis vraiment impatiente de savoir en quoi consiste sa promesse....


     

      • Vendredi 25 Juin 2021 à 10:33

        Je trouvais aussi qu'avoir son point de vue serait intéressant et si tu aimes ça, il y aura d'autre point de vue, d'autres protagonistes au fur et à mesure de l'histoire. Pas forcément beaucoup, mais de temps en temps j'aime bien.

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    6
    Vendredi 18 Septembre 2020 à 14:11

    Ohoooo, on passe sur le point de vue de Ohm! J'adoooore! 

    C'est tellement bien écrite et je passe tellement de bon moment à lire cette fiction! 

    J'aime voir les autres acteurs de la série apparaitre dedans en plus! C'est tellement bien! 

    Pauvre Fluke, quand à Ohm... Sa promesse me rend curieuse, la situation de Fluke me rend curieuse... Bref cette fiction me rend curieuse et je l'adore!

    Merci beaucoup et bon courage pour la suite! 

    • Voir les réponses
    5
    Jeudi 17 Septembre 2020 à 16:22

    ha bah nan c'était le dernier TToTT
    écris bien surtout!!!!!!!!
    à la prochaine et encore merci pour le chap qui est tout comme la fic qui est un vrai régal à lire 

    • Voir les réponses
    4
    Jeudi 17 Septembre 2020 à 16:20

    Bouh m'en reste qu'un a lire avant de devoir attendre la suite :(
    superbe chapitre, j'ai adoré :)
    merci :)

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