• Chapitre 4

    Chapitre 4
    Premier Rendez-Vous

    Je me regarde devant la glace et je suis ridicule. On est samedi, il est bientôt quatorze heures et dans quelques instants, Jimmy doit venir me chercher. Je me rends compte que je n’ai jamais été aussi nerveux. Ce n’est pas parce qu’il veut m’emmener dans un endroit inconnu. Ce n’est pas parce qu’il risque d’y avoir du monde. Non, c’est parce que mes mains ne veulent pas oublier la sensation de sa peau sous mes doigts. 

    Je prends mon éternel sweat noir et l’enfile avant de me regarder à nouveau. Je n’aime pas l’image que je renvoie, ce n’est pas celle que je voudrais lui montrer. Alors je le retire et observe mon t-shirt qui n’est pas clairement mieux. Je suis en train de devenir fou. Je m’accroupis en ébouriffant mes cheveux avant d’enrouler mes genoux de mes bras. 

    Est-ce que c’est normal de se sentir nerveux à ce point de sortir avec une personne que l’on vient de rencontrer ? Une personne qui est la seule à pouvoir vous toucher sans vous rendre malade. Je soupire avant de regarder mes mains avec un petit sourire, me rappelant sans effort de la scène, du moment où la pulpe de mes doigts a rencontré la douceur de sa peau, combien la chaleur était intense, mais sans être douloureuse. 

    Je pose mon visage rouge contre mes genoux, je ne sais pas s’il a compris combien cet instant était important, combien il m’a chamboulé et que maintenant je serais incapable de le laisser s’éloigner de moi. Enfin, je ne sais pas vraiment, je ne le connais pas, mais j’ai la sensation qu’il compte déjà plus pour moi que toutes les personnes que j’ai pu croiser dans ma vie, enfin… presque. 

    Je me redresse brusquement, m’approchant de la cage de Phuaan qui dort profondément, roulée en boule. J’aimerais la prendre dans mes bras, lui faire un câlin et trouver du réconfort grâce à sa présence, mais je ne veux pas la déranger non plus. 

    Je me rends compte que je suis au bord de la crise d’angoisse, les émotions se bousculent en moi comme un tourbillon que je n’arrive pas à arrêter. Finalement, je retourne ramasser mon sweat qui traîne sur le sol où je l’ai laissé tomber et l’enfile, les mains tremblantes. 

    Pile à ce moment, on toque à ma porte et je ne peux pas m’empêcher de tressaillir. Je pose la main sur mon cœur, prends une profonde inspiration et essaie de me calmer avant d’aller ouvrir ma porte, laissant apparaître Jimmy qui m’offre un de ses petits sourires en coin qui me plaît déjà beaucoup trop. 

    — Salut.

    — Sa… salut.

    Je m’en veux d’être aussi nerveux et hésitant. Je voudrais être détendu et sûr de moi, ne pas montrer que cette sortie n’est pas si importante que ça. Après tout, je suis juste une connaissance, il y a peut-être même un brin de pitié dans sa démarche et je ne dois pas m’imaginer quoi que ce soit de plus.

    Je sors de mes pensées quand sa main se pose sur ma tête, mon souffle se coupe brusquement et mes yeux s’écarquillent, mais lui ne se dépare pas de son sourire. 

    — Je ne sais pas à quoi tu penses, mais ça ne doit pas être agréable, tu fronces les sourcils. 

    — Oh !

    J’attrape la lèvre entre mes dents et je ne sais pas vraiment comment je dois réagir. Ma tante a bien tenté de me sociabiliser, mais je me rends compte que je ne connais pas vraiment les codes. Sa main glisse sur ma joue et un long frisson me parcourt le dos. Je ne sais pas si un jour, je pourrai m’habituer à ça. Il attrape mon menton et me force à le regarder dans les yeux.

    — Nong Sea, calme toi, je veux juste t’emmener quelque part, il n’y aura pas trop de monde et je vais veiller sur toi, d’accord ?

    S’il savait que mes pensées sont à mille lieux des autres mais sont totalement focalisées sur lui, je ne suis pas sûr qu’il apprécierait. Je dois arrêter de m’emporter et juste garder en tête qu’il fait ça parce qu’il a pitié du pauvre garçon qui ne peut pas sortir car toucher des gens le rend malade. L’idée fait mal sur le moment, mais je suis sûr que comme ça, par la suite, quand il décidera que sa bonne action est suffisante et qu’il partira, ce sera moins douloureux. 

    — D’accord. 

    — Allons-y

    Je prends ma besace et rapidement je ferme la porte avant de le suivre vers l’extérieur. Je ne sais pas à quoi m’attendre. Il m’a demandé de sortir mais je n’ai même pas eu la curiosité de savoir où on allait et surtout comment on y allait. Alors quand il s’approche de l’énorme moto qui est stationnée juste à côté de mon immeuble, je me sens blanchir. 

    — Euuh, Phi ?

    — Hmm ?

    Il est déjà occupé à sortir un casque du petit coffre sous le siège. Il se retourne et finalement je n’ai pas besoin de parler, mon visage le fait pour moi. Il a un petit sourire avant de s’approcher de moi.

    — La moto sera le moyen plus simple pour circuler, mais si jamais ça devient trop dur pour toi, tu me feras signe et je m’arrêterai aussitôt. Je ferai attention en conduisant, promis. 

    Je me contente d’hocher la tête et bien vite je me retrouve perché sur la moto, collé contre Jimmy alors qu’il slalome entre les voitures. Je ne suis pas très rassuré, mais bien trop obnubilé par le fait d’avoir mes mains posées sur son ventre et ma tête contre son dos pour avoir peur d’autre chose. 

    Je ne sais pas où il m’emmène et même si je le savais, je serais bien incapable de me repérer. La ville, je la connais à travers les souvenirs d’enfant et les images que j’ai trouvées sur internet. La seule chose que je connais vraiment, c’est mon quartier et comment aller au travail. Je n’ai jamais exploré le reste. 

    Après un long moment, il gare la moto devant ce qui ressemble à une immense serre. Il coupe le moteur et enlève son casque. Le problème est que moi je suis incapable de bouger. J’ai peut-être eu un peu plus peur que je ne le pensais et je suis tétanisé. 

    — Ça va ?

    — Je tremble…

    Je le dis, mais il doit le sentir vu comment je suis collé à lui. Il soupire et avec patience, il dénoue mes doigts puis retire mes mains qui étaient agrippées à sa veste. Il se lève et m’aide à descendre, mais sans me lâcher le bras avant d’être sûr que je tiens bien sur mes jambes. 

    — Désolé, j’aurais dû prendre la voiture.

    — Non, j’ai aimé, c’était juste… intense.

    Je ne saurais pas l’expliquer autrement, mais la vitesse, sa présence contre moi et découvrir la ville, ça fait beaucoup en une seule fois. Il hoche la tête, visiblement soulagé, et m’entraîne vers l’entrée du bâtiment, sa main posée sur mon dos, comme s’il avait peur que je m’effondre soudain. 

    Enfin, ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée, car je ne suis pas encore très assuré sur mes jambes. J’observe autour de moi, curieux, le parking est pratiquement vide et je n’ai pas fait attention au panneau à l’entrée. 

    — Jimmy, où est-ce que l’on va ?

    Il serait peut-être temps que je m’en inquiète, d’ailleurs ma question le fait rire et il m’ouvre la porte pour me laisser entrer avant de répondre. On se retrouve dans un grand hall rempli de photos, il y a de nombreuses chaises et au milieu une personne assise derrière un bureau.

    — C’est une serre aux papillons. Elle appartient à mon oncle.

    Mon visage s’illumine quand il mentionne les papillons et je regarde tout de suite autour de moi, pour voir si je peux en apercevoir. J’ai toujours vu les papillons comme un animal libre et si un jour je devais me réincarner en animal, même si sa vie est courte, je voudrais être un papillon pour pouvoir voir le monde sans avoir peur. Je lui en avais vaguement parlé dans le taxi, un peu avant qu’il ne me propose de m’emmener quelque part en échange de pouvoir lui toucher la joue. 

    — Mon oncle est passionné par les papillons depuis qu’il est petit et il a réussi à faire cohabiter une centaine d'espèces différentes, dont quelques-unes sont assez rares. 

    Je l’écoute avec attention, tout en cherchant à voir les papillons, je suis bien plus excité par cette visite que s’il m’avait emmené n’importe où ailleurs. Il éclate de rire en me regardant puis m’entraîne vers une des portes sur notre gauche. Il se contente de faire un signe à la femme derrière le bureau qui lui répond de la même manière. 

    La serre est incroyable, immense et relaxante. On est entouré par la végétation, comme si on était réellement en plein milieu de la forêt. Il y a des mares, de petites chutes d’eau et des milliers de papillons. C’est une nuée de couleurs différentes, je ne sais pas où poser mon regard tellement il y a de choses à voir. 

    Je ne saurais pas dire si on croise d’autres personnes, même si de temps en temps, Jimmy me colle contre lui ou bien me décale et fait barrière. Je suis tellement pris par ce que je vois, que je ne fais plus attention au reste et je me repose complètement sur lui pour me protéger. 

    Je lève soudain la main et la montre à Jimmy en riant alors qu’un papillon s’est posé dessus et ne semble pas décidé à repartir. J’en profite pour l’observer sous toutes les coutures. Le temps passe, je m’arrête toutes les deux secondes, je montre absolument tout ce qui me semble extraordinaire à Jimmy qui doit s’ennuyer, il doit connaître la serre par cœur et pourtant, il ne montre aucun signe d’impatience. 

    Au bout d’un moment, il m’entraîne un peu à l’écart et on se retrouve au milieu de la végétation. Je ne suis pas sûr qu’on ait le droit d’être là, on vient de quitter le sentier balisé et je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter. 

    — Phi, tu es sûr qu’on a le droit ?

    Au même moment, on arrive dans une sorte de petite trouée à travers les arbres, il y a un banc en plein milieu et c’est là qu’on se dirige. 

    — C’est l’endroit où mon oncle vient pour réfléchir. 

    On s’assoit sur le banc et il me tend une bouteille. Je me rends compte que je suis assoiffé et je la vide presque après l’avoir remercié. Le silence nous entoure rapidement, mais c’est apaisant, surtout quand les papillons commencent à voleter autour de nous, à se poser sur nous et j’ai l’impression que l’instant est magique. 

    — Je comprends pourquoi il aime venir ici, c’est incroyable. 

    C’est fabuleux de pouvoir vivre de sa passion, de pouvoir côtoyer chaque jour ce qui rend le monde merveilleux pour vous. En pensant à cela, je me rends compte que je n’ai pas vraiment chercher à en apprendre plus sur Jimmy alors que lui m’a déjà posé beaucoup de questions. 

    —  Jimmy, je ne t’ai jamais demandé ton âge et ce que tu faisais dans la vie.

    — J’ai vingt-huit ans et je tiens une boutique de décoration avec ma sœur. 

    Tenir une boutique, il doit en voir du monde tous les jours. Nos vies sont vraiment diamétralement opposées l’une de l’autre. Moi, le solitaire qui a peur de sortir et lui, le populaire qui est toujours entouré. J’ai un petit sourire en coin, en me demandant si ça pourrait faire une bonne histoire. Non, sûrement pas, l’histoire ne serait pas vraiment passionnante. 

    — Tu t’entends bien avec ta sœur ?

    — Disons que ma sœur est une petite teigne qui sait comment obtenir ce qu’elle veut de son grand-frère. 

    Il a beau se plaindre, son visage garde son sourire et ses yeux pétillent et encore une fois, mon cœur s’emballe. Je me sens rougir et je trouve l’excuse de suivre un papillon d’une belle couleur orange, pour détourner mon regard et me cacher.

    — Tu as juste une petite soeur ?

    — J’ai aussi un grand-frère, mais on n’est pas vraiment proche. 

    Je jette un coup d'œil et me rends compte que son visage s’est nettement assombri et j’ai peur d’avoir posé la question qu’il ne fallait pas. Après tout, on a tous des choses dont on ne veut pas parler, que l’on veut garder enfoui au plus profond de soi et je ne me sens absolument pas légitime à lui poser plus de questions à ce sujet. 

    — Tu as des frères et sœurs ?

    — Non, il n’y a que moi et… heureusement.

    Je n’ose imaginer comment les choses se seraient passées si j’avais eu une fratrie. Quand j’y pense, je me dis que ça aurait pu être mieux, je ne serai pas si… atteint et puis la raison revient et je me dis que ça aurait eu toutes les chances d’être bien pire et qu’il vaut mieux que j’aie été le seul à souffrir. 

    Je sursaute quand ses bras passent autour de ma taille avant de me détendre. Je ne suis pas habitué à ce que l’on me touche, mais quand il resserre son étreinte autour de moi, je me sens à l’aise. 

    — Désolé, je n’aurais pas dû demander.

    Son menton se pose sur mon épaule et on regarde les papillons un moment en silence. Mon cœur tambourine presque douloureusement dans ma poitrine, j’aimerais pouvoir me délivrer de ce poids, lui raconter mon histoire, mais pas ici, pas maintenant. 

    — Je te dirai tout un jour, mais pas aujourd’hui. 

    — Je peux patienter, Sea, et je te parlerai aussi de mon frère, un jour.

    Le silence retombe et au lieu de me relâcher, il me garde contre lui, soupirant doucement contre mon cou, me faisant frissonner et je me sens étrangement fébrile. Cependant, je ne cherche pas à m’extraire de ses bras, au contraire, je m’appuie un peu plus contre son torse, même si je ne sais pas vraiment pourquoi tout me semble si naturel. 

    — Phi… pourquoi tu fais tout ça ?

    Je lui en suis reconnaissant, j’aime vraiment les moments que je passe avec lui et dans le fond, ça me fait un peu peur. Je m’attache à lui beaucoup trop vite, je n’ai aucune inquiétude quand je pense à lui et je lui fais déjà totalement confiance. 

    — Je ne sais pas, j’ai juste envie de le faire et ça me semble… normal.

    Sa réponse ressemble à ce que je pense et ça me conforte dans l’idée que je ne dois pas faire marche arrière. Oui, c’est encore un inconnu, oui il pourrait soudain disparaître et alors je souffrirais, mais dans le fond, je sais qu’il est déjà trop tard pour faire marche arrière, parce que pouvoir avoir un contact physique avec quelqu’un, même si c’est juste se tenir la main, c’est déjà beaucoup trop précieux pour moi. 

    — On va devoir y aller, je dois aller rejoindre des amis dans un bar.

    — Oh…

    Le retour à la réalité est dur même s’il parle d’une voix basse à mon oreille. Évidemment, il doit aller rejoindre ses proches, je ne suis qu’une parenthèse à sa vraie vie. C’est comme un électrochoc et je quitte ses bras sans trop y réfléchir. 

    — Bien sûr, c’est déjà énorme que tu m’aies emmené ici. 

    Je reprends aussitôt la direction que l’on a empruntée pour venir. Je ne veux pas partir, mais je ne veux pas m’imposer non plus. Seulement, je n’ai le temps de faire que trois pas qu’il m’attrape la main et me retient. 

    — J’aimerais que tu viennes avec moi.

    — Quoi ?

    Je me suis retourné vers lui, avec une expression choquée sur le visage. Il veut que je vienne, rejoindre ses amis, dans un lieu bondé, là où il y aura des gens ivres trop tactiles. Est-ce qu’il veut ma mort ? C’était son plan depuis le début ? Me tuer en m’entraînant dans un lieu où des dizaines de personnes pourraient potentiellement me toucher et déclencher mes symptômes. Rien que d’y penser, mes mains deviennent moites et ma cage thoracique se resserre. 

    —  Passe la soirée avec moi, je te promets, personne ne te touchera, je resterai toujours près de toi.



  • Commentaires

    3
    Dimanche 4 Décembre 2022 à 12:52

    Je pense comme Shana, chaque chapitre est doux et fluide, c'est agréable à lire =)

    Merci pour ce nouveau chapitre

    ✿◠‿◠

    2
    Dimanche 4 Décembre 2022 à 11:47

    OH làlà, va-t-il accepter???? je pense que oui? mais ça peut être dangereux.....j'ai vraiment hâte de lire la suite

    merci beaucoup pour ce chapitre

    1
    Dimanche 4 Décembre 2022 à 09:59

    Merci pour ce nouveau chapitre tout doux ^^ Hâte d en savoir plus sur leur passé. 

    Bises <3

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