“Est-ce qu'il est tombé raide mort dans les toilettes ?”

Mork marmonne pour lui-même en attendant Ren sur le banc en face de la faculté. Il a eu du mal à se lever à cause d’une terrible gueule de bois, mais Ren l’a appelé ce matin et l’a traîné en classe. Son mal de tête ne s’arrange pas et il a envie d’aller se coucher. Mais il ramène toujours Ren, alors il va d’abord le déposer au café.

Si tu n’es pas là dans cinq minutes... tu vas au café tout seul, merde.

Pense Mork avec irritation, puis il entend une notification venant de son téléphone. Il le regarde, s’attendant à un message de Ren, mais il fronce les sourcils puisque ça vient de Sun.

Qu’est-ce qu’il a?

‘As-tu réussi à aller en classe ce matin?’

Mork est confus après l’avoir lu. Avant, ils étaient en mauvais termes, ils ne voulaient même pas se voir, encore moins s’appeler ou s’envoyer des messages. Mais après la bagarre au café, Sun a demandé à Ren son identifiant LINE. Comme Mork est toujours avec Ren, Sun peut contacter Mork s’il n’arrive pas à joindre son frère.

Pour cette raison, Mork ne s’est pas opposé à ce que Sun ait son numéro. Cependant, Sun ne lui avait encore jamais parlé d’autre chose que de Ren, et Mork n’envoie jamais de messages à Sun en premier.

Qu’est-ce qui se passe avec lui?

Mork est perplexe quant au comportement de Sun ces derniers temps. Il pense à ne pas répondre, mais il aurait l’impression d’agir bizarrement s’il ne le fait pas. Il décide donc de lui répondre puisqu’il n’a rien d’autre à faire que d’attendre Ren de toute façon.

‘Ouais.’

‘Bien.’

‘Tu as dit à Ren de m’appeler?’

‘Non, il a vraiment fait ça?’

‘Oui, c’est super chiant.’

“Tu envoies des messages à une fille?!”

Dit Ren et il s’assoit sur le banc en face de Mork. Ce dernier baisse immédiatement son téléphone et fait la moue à Ren pour avoir débarqué de nulle part. Il ne sait pas pourquoi il ne veut pas que Ren sache qu’il parlait à Sun. Il était juste... en train de parler au frère de son meilleur ami!

“Crache le morceau. A qui tu parlais?”

“Un ami.”

“Je pensais que c’était une fille. Je t’ai vu sourire et tout.”

“Va te faire foutre.”

Mork jette un regard noir à Ren. Pourquoi quelqu’un comme lui sourirait-il en parlant à un vieux schnock comme Sun? Impossible! Il était juste poli et il n’avait rien à faire en attendant Ren.

“Qu’est-ce que tu faisais d’ailleurs? Je pensais que tu étais mort dans les toilettes.” Mork change de sujet.

“Oh, c’est vrai. J’ai rencontré une fille. Trop mignonne,” dit immédiatement Ren à son ami. Il est encore sous le charme du joli visage et du doux sourire de Manao. “Teeeeeeeellement mignonne.”

“Alors c’est pour ça... que ça t’a pris si longtemps.”

“Je n’avais pas prévu de la rencontrer ou quoi que ce soit. C’était par hasard. C’est le destin.” Ren rayonne en parlant, ce qui fait que Mork se sent plutôt ennuyé. “Elle est au lycée. Je suppose qu’elle est venue ici pour utiliser la bibliothèque. Elle cherchait des informations pour travailler sur un devoir avec ses amies, tu sais.”

“Tu en sais autant?”

“Je les ai vues, elle et ses amies, se diriger vers la bibliothèque de notre faculté.” Ren sourit. “Son nom est Manao.”

“Tu t’imagines des choses? Tu as même son nom.”

“C’est vrai! Elle est trop mignonne. Vraiment mignonne, mec.”

Avec ce regard rêveur sur le visage de Ren, comme un garçon fangirlisant sur son idole, Mork fait une grimace d’ennui. Il est vrai qu’il n’a jamais vu Ren rêvasser à propos d’une fille, mais il ne croit pas qu’il sera sérieux cette fois-ci.

“Jette un coup d’œil à ça. J’ai une preuve.”

Ren sort son téléphone et montre à Mork la photo de Manao comme preuve. Il a l’air si enthousiaste et excité que Mork est agacé.

“J’ai pris une photo d’elle. N’est-elle pas mignonne?”

“Tu ne sais pas que c’est illégal?”

“Enfoiré! Je t’ai dit de regarder la photo.”

Mork jette un coup d’œil au téléphone que Ren lui tend.

“Plutôt mignonne.”

“Tu vois? Je te l’avais dit!”

Ren sourit si fort que ses joues pourraient se briser. Mork complimente rarement les filles. Si Mork dit qu’une fille est ‘mignonne’, ça veut dire qu’elle est vraiment mignonne et que Ren a bon goût, même si on dirait que Mork a dit ça juste pour le faire taire.

“Arrête de parler de ta Mara. Allons-y. Je veux aller au lit.”

“Elle s’appelle Manao, pas Mara.”

“C’est ça, celle-là. J’ai mal à la tête. Je veux dormir.”

“Oh, ouais. J’ai oublié que tu avais la gueule de bois.”

Ils discutent tout en marchant vers la grosse moto noire de Mork qu’il a garée à proximité... Mork pense soudain au comportement bizarre de Sun, et il décide de poser la question à Ren pour que cela dissipe ses doutes.

“Laisse-moi te demander quelque chose.”

“Quoi?”

“Est-ce que Sun t’a dit quelque chose?”

Demande Mork prudemment. Ils ont beau être meilleurs amis, ça fait bizarre de dire à Ren qu’il a rencontré Sun au bar et que ce dernier l’a raccompagné chez lui hier soir.

“Rien de spécial.”

“Vraiment?”

“Oui, mais... oh! Il m’a demandé pourquoi tu n’étais pas venu au café le soir comme d’habitude.”

Quand Mork ramène Ren au café, il y reste généralement jusqu’à la fermeture. Mais il est parti tôt hier car il devait retrouver ses amis du lycée, ce qui n’est pas étrange. Ce qui est étrange, c’est que Sun a demandé de ses nouvelles.

Sun l’a toujours regardé comme s’il voulait le virer du café.

“Il y a un problème? Sun t’a encore engueulé? Ne fais pas attention à lui. Il ne fait que râler.”

“Il n’y a rien de mal. Je demande juste.”

Répond Mork sans réfléchir puisque Ren se fiche de sa question de toute façon. Il tend un casque à Ren et démarre la moto, tout en se demandant ce que Sun pense exactement. Pourquoi Sun a-t-il demandé de ses nouvelles?

Mork n’arrive pas à savoir si Sun a vraiment agi bizarrement ou si c’est lui qui est trop méfiant...

Samedi

Chez Pete

Kao a fini par rester chez Pete la nuit dernière. Il a presque pleuré de culpabilité lorsqu’il a appelé sa mère hier soir parce qu’il a menti en disant qu’il avait encore un devoir à faire. Sa mère était d’accord avec ça, elle sait qu’il étudie beaucoup. Et Pete a continué à l’embêter, utilisant la façon dont Kao a dit ‘rompre’ trop souvent comme excuse pour le punir. Kao s’est promis de ne plus jamais prononcer ces mots à proximité de Pete. Heureusement pour lui, quand il a dit qu’il ne pouvait plus ouvrir les yeux, Pete n’en a pas trop fait comme l’autre nuit.

Sinon, il se serait endormi, laissant Pete au milieu de l’action!

Pete et Kao se réveillent tard et descendent prendre leur petit-déjeuner. Pete pleurniche, ne voulant pas manger le congee aux crevettes que la domestique a préparé. Il dit qu’il veut du pain et des œufs au plat et demande à Kao de le faire.

Kao sait que Pete l’embête, mais... il le fait quand même pour Pete.

“Je veux aussi des toasts.”

“Tu me commandes comme un jeune maître. Y aura-t-il un jour où tu ne m’embêteras plus?”

“Je ne cherche pas à t’embêter. Je demande à être aimé.”

“Conneries,” s’insurge tout de suite Kao. “Mon petit ami est comme un fardeau en ce moment. Je dois te donner des cours particuliers, j’ai à peine le temps de rentrer à la maison, je cuisine pour toi. Regarde-toi... As-tu déjà fait autre chose que de m’embêter, hein?”

“Je prends soin de toi.” Pete sourit fièrement, sans même sourciller. “Je te conduis partout, je t’achète des choses, et je m’occupe de tes sentiments. Bon sang... Je suis un petit ami si gentil, pas vrai?”

Kao pince les lèvres et roule des yeux. Comment peut-il résumer la situation comme ça et se féliciter de façon aussi éhontée?

“Pourquoi tu cuisines, fiston? Pourquoi ne dis-tu pas à la domestique de le faire pour toi?”

Pon, le chef de la maison, et également le père de Pete, est passé devant la cuisine. Il a vu Kao en train de cuisiner et n’a pu s’empêcher d’entrer pour le saluer. Il s’attendait autrefois à ce que son fils soit son successeur après avoir obtenu son diplôme, qu’il épouse une jolie fille et qu’il ait des enfants. Pon a été un peu choqué quand il a appris que Pete et Kao sortaient ensemble, mais il ne les a pas séparés. C’est pour le bonheur de son fils. Des choses comme ça ne peuvent pas être contrôlées.

De plus, ils n’ont jamais rien fait de terrible depuis qu’ils sortent ensemble. Ils se soutiennent mutuellement. Pete s’améliore dans ses études, se comporte bien et ne se bat plus. Kao est aussi devenu le fils préféré de Pon puisqu’il reste souvent chez lui.

“Quelqu’un veut que je le fasse.”

“Tu m’as balancé?!” Pete hurle.

“Tu as emmené le fils de quelqu’un ici et tu l’as fait cuisiner pour toi?” Pon gronde son fils. Pete pince les lèvres devant leur relation ‘père-fils’. Pete a l’impression d’être le fils d’un voisin.

“C’est juste un œuf au plat et un toast.”

“Pourquoi tu ne le fais pas toi-même?”

“C’est bon. C’est seulement de temps en temps. Vous en voulez aussi?” Kao aide Pete.

“C’est bon. J’ai pris mon petit-déjeuner tôt dans la matinée.” La voix de Pon s’adoucit quand il parle à Kao. “Pete a dit que tu restais ici jusqu’à lundi. Tu l’as dit à ta mère? Je ne veux pas qu’elle soit inquiète.”

“Je l’ai fait.”

“Bien. Si elle sait tout, elle sera moins inquiète.”

“Eh bien... Elle ne sait toujours pas que Pete et moi sortons ensemble.”

Pon reste silencieux pendant trois secondes. Il pensait que la famille de Kao savait qu’ils sortaient ensemble. Voyant l’expression sombre de Kao, Pete change tout de suite de sujet.

“Tu ne dois pas aller voir tes amis? Va-t’en. Ne dérange pas l’intimité de ton fils.”

“Oi! Ce morveux.”

“Va-t’en, papa. Ne sois pas la cinquième roue du carrosse.”

Pete pousse doucement le dos de son père hors de la cuisine. Leurs chamailleries détendent l’atmosphère, mais Kao est toujours inquiet. Il sait que sa mère devrait être l’une des premières personnes à qui dire quelque chose d’aussi important. Il a prévu de le lui dire un jour, mais chaque fois qu’il commence, il change d’avis.

Ce n’est pas aussi facile que vous le pensez... de dire à sa mère qu’on est gay.

Samedi après-midi

Supermarché T

Ren est venu aider Sun au café, comme toujours. Quand ils sont soudainement à court de provisions, il se porte volontaire pour aller au supermarché à moto. Ce n’est pas loin, seulement cinq minutes de trajet.

Ren s’apprête à rentrer chez lui après avoir tout récupéré, mais il aperçoit d’abord une fille qui sort du supermarché avec un tas de sacs de provisions. Il n’hésite pas à couper le moteur, à enlever le casque et à se précipiter vers elle. Il se souvient que c’est celle dont il est tombé amoureux hier.

C’est bien ça... C’est Manao.

“Besoin d’aide ?”

Ren s’avance devant Manao. Elle s’arrête et le regarde comme si elle lui demandait s’ils se connaissaient. Ren rit un peu parce qu’elle ne se souvient pas de lui alors qu’ils se sont rencontrés hier.

“Je m’appelle Ren. Nous nous sommes rencontrés hier. Tu ne te souviens pas, Manao?”

“Oh... Ren.” Manao sourit quand elle se souvient. “Désolé d’avoir été impolie. On s’est rencontrés hier mais j’ai oublié. Tu as l’air différent sans l’uniforme d’école. Tu vis dans ce quartier?”

“Pas vraiment.”

Le café de Sun est dans ce quartier, et leur maison n’est pas loin de là.

“C’est ton quartier?”

“Oui.”

“Laisse-moi t’aider. Ça a l’air lourd.”

“C’est bon. Je ne veux pas te déranger. Ma maison n’est pas loin d’ici.”

“Ce n’est pas grave. Je suis venu en moto. Je vais t’emmener. Je te promets que je ne te ferai rien.”

Manao regarde Ren, se demandant s’il offre sincèrement son aide. Mais il n’a pas l’air d’un mauvais garçon, alors elle le laisse enfin porter ses sacs. Il va juste la ramener chez elle... Ça devrait aller.

“Merci.”

“Indique-moi le chemin.”

“D’accord.”

Ils marchent vers la moto. Ren met quelques sacs à l’avant tandis que Manao porte le reste. Sa position assise semble inconfortable, alors Ren, ne voulant pas la faire sursauter, roule doucement.

“Pourquoi es-tu allé à ma faculté hier?” engage-t-il la conversation.

“Pour faire des recherches pour mon devoir avec mes amies. Je vais à…”

Manao lui indique le nom de son lycée, qui se trouve près de son université. Ren ne peut s'empêcher d’être heureux que non seulement son café se trouve dans son quartier, mais que son école soit également proche de son université.

Maintenant, j’ai une excuse pour la voir souvent...

“En quelle classe es-tu?”

“En première. Et toi?”

“C’est ma première année à l’université.”

“Mais c’est bientôt ta deuxième année.”

“Et tu vas être en terminale. Tu vas devoir passer un examen d’entrée bientôt, non?”

“Oui, j’ai commencé à me préparer. J’étudie tellement dur que j’ai mal à la tête.”

“Le café de mon frère est dans le coin. Si tu as besoin de changer d’air, tu peux y aller pour étudier pour un examen.”

“Vraiment? Ce serait bien.”

“C’est le Blue Sky Café. Tu y es déjà allée?”

“C’est le café de ton frère?” demande Manao avec excitation. Elle a l’air très surprise. “J’y suis allée plusieurs fois avec mes amies. C’est un très beau café. Le propriétaire est très beau. Les desserts sont teeeeeeeeellement bons.”

“Le propriétaire, c’est mon frère.”

“Il faut que je parle de ça à mes amies. Elles sont en pâmoison devant ton frère.”

“Hahaha. Amène tes amies là-bas, alors. Je dirai à l’employé de vous faire des réductions.”

“Tu le penses vraiment?”

En entendant sa voix joyeuse, Ren sourit à l’intérieur. Si Manao vient souvent au café, il aura l’occasion de la voir plus souvent aussi. Ils s’entendent même déjà bien. Il ne devrait pas être difficile de faire un pas vers elle.

Son cœur bat la chamade rien que d’y penser…