• Chapitre 23 - Reveal

    Chapitre 23

    Tout est allé tellement vite. En l’espace de quelques heures, ils se sont tous installés dans la maison de Chermarn. Soudain on s’est retrouvé à dix autour de la table et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’était pas étrange, j’avais l’impression de participer à un repas de famille. Même Namtan et Joss que je connaissais à peine ne me semblaient pas déplacés dans ce tableau.

    Et puis on s’est mis en route, on s’est répartis dans les voitures et moi qui avait envie de parler depuis des années, je me retranchais dans un silence mélancolique alors que les rues défilaient derrière la vitre de la voiture. Wanchana a essayé de parler, de combler le silence, mais je n’arrivais pas à faire semblant, j’étais plongé profondément dans mes pensées, laissant le peu de souvenir remonter à la surface au fur et à mesure que l’on se rapprochait de la maison.

    Elle me semblait immense dans mon souvenir, lumineuse et renfermant le bonheur, mais quand j’ai mis un pied à terre, je me suis retrouvé devant la façade terne d’une petite maison de banlieue et, en soit, elle n’avait rien d'extraordinaire. J’ai alors compris que dans ma tête, la maison représentait tous mes souvenirs heureux, elle était mon bouclier parce que, tant que je me souvenais un peu de ma vie avec ma famille à l’intérieur de ses murs alors, c’était comme si nous y étions éternellement heureux et en sécurité.

    Ma gorge se serre brutalement parce que devant moi, c’est une coquille vide, sans vie, sans âme et elle n’a pas su nous protéger du monstre. Ma mère, mon père, ma soeur et mon frère ne m’attendent pas impatiemment à l’intérieur, ils sont morts depuis longtemps et tout ce que l’on a pu enterrer ce sont des cercueils vides. Mon menton tremble et mon corps semble soudain trop lourd à porter, je m’accroupis pour tenter de maîtriser cette émotion qui m’envahit et m’étouffe. Ma main se pose sur mon cœur comme pour l’apaiser et mon poing se crispe sur le tissu de mon t-shirt alors que mon autre main tente d’étouffer les sanglots qui se forment au fond de ma gorge.

    Des bras se referment autour de moi, je les connais bien, ce sont ceux qui depuis sept ans me soutiennent, me réconfortent et me donnent de la force. 

    — Mon oncle… 

    C’est un gémissement douloureux qui accompagne ma voix. Il m’attire en silence contre lui, son torse contre mon dos, il m’enveloppe dans une étreinte paternelle, il ne cherche pas à me réconforter avec de vaines paroles. Il se contente de me garder contre lui, de caresser lentement mes cheveux. 

    — Ils ne sont pas à la maison… 

    Les larmes coulent lentement le long de mes joues, je n’avais même pas conscience des regards qui se portaient sur moi. C’est comme si soudain, la vérité que je maintenais enfermée dans un coin de ma tête venait de m’exploser en pleine face. 

    — Je sais, mon grand. 

    Il me serre plus contre lui et je peux sentir qu’il tremble, il doit tenter de contenir ses émotions pour me soutenir encore une fois. Pourtant, je ne suis pas le seul à avoir souffert, à avoir perdu des personnes que j’aime, mais mon oncle ne s’est jamais effondré, il a toujours été fort… pour moi.

    A travers mes larmes, je peux voir du mouvement, puis quelqu’un qui s’agenouille pour me faire face. C’est Ohm, il me regarde les yeux brillants, le visage triste et ma peine s’allège légèrement, car il est là, tout comme les autres qui se tiennent légèrement en retrait. 

    — Ils me manquent tellement… je n’ai jamais pu leur dire au revoir… je… je voulais qu’ils sachent que je les aimais… même Adisorn et Leew… pourquoi moi j’ai survécu et pas eux… Ohm… Pourquoi… ? 

    Ces questions m’ont souvent oppressé. Pourquoi je ne suis pas mort ? Pourquoi j’ai réussi à fuir alors que mon père a échoué ? Pourquoi nous ? Seulement, je n’ai jamais pu les exprimer à haute voix, c’est la première fois que je peux le faire, que je peux laisser la colère sortir des pores de ma peau alors que je me suis toujours demandé pourquoi ?

    — Il y a une raison à tout ça mon coeur, je te promets qu’on va trouver. On va comprendre et on arrêtera celui qui a fait ça. On les trouvera et leur apportera la paix. Tu me fais confiance ? 

    Sa main se pose sur ma joue alors qu’en douceur, il essuie les larmes qui coulent encore et encore. Je hoche la tête en posant ma main sur la sienne, mon oncle me tient toujours contre lui et je me sens m’apaiser petit à petit alors que je suis entouré par tous ceux qui m'aiment.

    — Tu te sens prêt à entrer ? Sinon, on peut revenir.

    — Non ! Si je ne le fais pas aujourd’hui, alors je ne pourrais jamais le faire. 

    Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je le sens, si je n’entre pas aujourd’hui, alors je n’aurais pas d’autre occasion de revenir ici, c’est une sensation qui me retourne l’estomac et qui me donne une impression d’urgence. Mon oncle m’aide lentement à me redresser et Ohm suit le mouvement.

    — Je vais aller ouvrir et avec les autres on va commencer à chercher. Prends ton temps, rentre quand tu te sentiras prêt d’accord. 

    Il me caresse les cheveux une dernière fois et malgré ses yeux brillants de larmes contenues, il réussit à me faire un sourire tendre. Il fait un petit signe à son neveu puis il se dirige sans un mot vers la porte de la maison, je vois bien qu’il a les épaules basses et que lui aussi voudrait sûrement être ailleurs.

    Je reçois un sourire d’encouragement de tous ceux qui sont discrètement restés en retrait jusque là, puis ils emboitent le pas à mon oncle. Sans attendre, Ohm vient me serrer contre lui, je ferme les yeux quand ma tête touche son torse, le battement de son cœur résonne dans mon oreille et je me sens mieux. Encore plus quand, après une profonde inspiration, les effluves de son parfum et de son gel douche me parviennent. J’entoure ses hanches de mes bras et je reste immobile, je laisse le temps à ma tête de remettre de l’ordre dans mes idées. 

    Tu as survécu pour que l’on puisse être ici aujourd’hui… sur sa trace, pour que l’on puisse trouver l’enfoiré qui a fait ça à ta famille.

    Sa voix est douce, elle caresse mon âme, l’apaise et l’aide à cicatriser alors qu’il me dit les mots que j’ai besoin d’entendre. 

    Ils savaient, même ton frère et ta soeur. Ils savaient à quel point tu les aimais et jamais ils ne pourront t’en vouloir d’être vivant, au contraire, ils s’en réjouissent. Tu dois vivre et être heureux pour honorer leur mémoire, pour qu’ils ne tombent jamais dans l’oubli. 

    Je lève la tête pour l’observer un instant et j’arrive à respirer pleinement, sans me sentir oppressé par la culpabilité. Ma main se pose sur sa nuque et je l’attire vers moi pour l’embrasser avec tendresse avant de poser nos fronts l’un contre l’autre. 

    Je te les présenterai, je suis sûr qu’ils t’adoreront. 

    Grâce à lui, je me sens mieux, je me sens prêt, je peux retourner dans cette maison vide et sans vie. 

    Allons-y.

    J’ignore les battements affolés de mon cœur, mes jambes tremblantes, et entrecroise lentement nos doigts. Je sais que je cherche à gagner du temps, mais même si je me sens prêt, la peur de ce qui se trouve derrière la porte d’entrée me paralyse. Ohm serre doucement ma main, il ne m’entraine pas de force dans la maison, il se contente de rester à côté de moi, patiemment, attendant que je fasse le premier pas. Je reste quelques secondes à observer la maison avant de prendre une grande inspiration et faire un premier pas. 

    On dit toujours que c’est ce premier pas qui est le plus difficile à faire et qu’ensuite c’est plus facile et bien, c’est vrai. J’ai cherché toutes les raisons de ne pas avancer, de reculer et rejoindre la voiture, mais finalement, une fois en route, chaque pas se fait plus simple, jusqu’à ce que finalement je pose ma main sur la poignée de la porte. Je ne cherche pas à analyser les choses, j’abaisse ma main et la laisse s’ouvrir sur mon passé, sur une vie que je ne pensais pas revoir un jour et pourtant me voilà ici, sur le perron de mes souvenirs.

    J’entends de l’agitation dans toute la maison, mais j’ai déjà oublié la raison de ma présence dans ces lieux. Partout où mes yeux se posent, c’est une sensation, une odeur, une voix, un souvenir qui s’éveille dans ma tête et qui est aussi douloureux que doux dans mon cœur. L’entrée où ma mère s’assurait que l’on n’oubliait rien avant de partir à l’école le matin, le baiser qu’elle faisait claquer sur nos joues malgré nos âges.  J’avance dans la maison, même si je sens la main chaleureuse d’Ohm autour de la mienne, les souvenirs m’assaillent tellement que c’est comme si j’étais seul.

    J’ai un petit hoquet de surprise quand j’entre dans la cuisine, je m’étais imaginé à quoi ressemblait nos petit-déjeuner ici, un peu jaloux des moments entre Ohm, son frère et sa mère mais, à peine entré, j’ai l’odeur de la nourriture qui me pique le nez, je peux voir mon père derrière les fourneaux en train de rire à une blague de ma mère. Ma main glisse lentement sur le comptoir, retrouvant ce geste que je faisais chaque jour enfant, appréciant la fraîcheur du marbre sous mes doigts. On avait été heureux dans cette pièce, on avait été une famille et c’est quand j’ai un petit sourire qui apparait sur mes lèvres que je me rends compte que mes larmes coulent le long de mes joues.

    Je ne cherche pas à les retenir, à les effacer, ces larmes j’en ai besoin, elles ne sont pas douloureuses, c’est un mélange de joie et de peine qui m’apaise, qui m’aide à prendre du recul tout en me reconnectant à l’enfant que j’étais. Grâce à elles, grâce à cette maison, j’arrive à accepter le fait que je suis en vie, mais pas eux, que j’ai le droit d’avancer et d’être heureux et que, contrairement à ce que j’ai pu imaginer tout au long de ces années, jamais ma famille ne m’en voudrait de le faire. Ils m’aimaient tous à leur manière et ne pas avancer serait la pire chose que je pourrais faire en leur mémoire.

    Je voudrais voir ma chambre…

    Je murmure comme pour moi, mais j’ai ce besoin de me retrouver un moment dans ce qui a été mon univers, mon jardin secret, qui a abrité mes joies, mes peines et mes plus grandes aventures d’enfants. Pour cela, on doit traverser le salon, prendre les escaliers et monter à l’étage, passer devant les portes des chambres des autres membres de ma famille et alors il y a cette porte blanche, sur le bois plusieurs dessins étaient accrochés, ce sont ceux dont je suis le plus fier et quand je les scrute, je me rends compte que je n’ai jamais redessiné.

    Tu es doué.

    Je sursaute quand la voix de Ohm me sort de mes pensées. Je lève les yeux vers lui et souris quand je le vois légèrement penché en train de, comme moi, observer mes œuvres d’art. Du coin de l'œil, je vois Joong et Nine qui sortent en silence de la chambre de ma sœur. Ils nous regardent un instant, mais ils s’éloignent rapidement et sans un mot pour chercher dans une autre pièce. Je soupire avant de pencher ma tête pour la poser contre l’épaule de mon petit ami.

    J’ai tout abandonné après notre enlèvement. Je n’ai plus jamais dessiné, j’ai essayé de les oublier et de faire comme si j’étais quelqu’un d’autre. Je pensais que ce serait plus facile, que je souffrirais moins. 

    Ohm ne dit pas un mot, il ne cherche pas à me faire la morale pour avoir fait l’autruche, il ne cherche pas à me réconforter ou à me dire ce que je dois faire. Il se contente de serrer ma main, de la caresser lentement avec son pouce tout en me prêtant une oreille attentive et à cet instant c’est tout ce dont j’ai besoin. 

    Pendant des années, j’ai vu des psychologues, mais ils étaient tous obsédés par ce qui m’était arrivé, comme si, en parler encore et encore pouvait m’aider à aller mieux alors que j’avais besoin que l’on m’aide à accepter l’issue. La porte s’ouvre sans un bruit, il n’y a personne à l’intérieur et je soupçonne mon oncle d’avoir demandé aux autres de ne pas venir ici. 

    Rien n’a bougé, elle est exactement comme le jour où on est partis pour se rendre au lac, n’attendant que le retour de son propriétaire. Je me penche pour ramasser un manga qui traîne au sol et j’ai un sourire triste en regardant sa couverture. 

    J'ai supplié mon père de me l'acheter… je ne l’ai même pas fini. 

    Je le garde en main alors que je fais le tour de la chambre, je parle beaucoup, manipule les objets en souriant quand certains souvenirs me reviennent en mémoire et que je les partage aussitôt avec Ohm.

    C’est ta famille ? 

    Il me désigne un cadre dans la bibliothèque et ma gorge se serre aussitôt quand mon regard tombe sur l’un de nos derniers portraits de famille. Je n’arrive pas à parler, je me contente d’hocher la tête, parce que, de nouveau, la tristesse m'accable. Je prends le cadre d’une main tremblante avant d’aller m’asseoir sur mon petit lit d’enfant. Ohm me suit et s’installe à côté de moi et il ne faut pas longtemps pour qu’il passe son bras autour de mes épaules et m’entoure de sa force et de sa douceur.

    C’est étrange de les revoir, si souriant… Je n'arrive jamais à me rappeler d’eux comme ça. Quand j’essaie de penser à eux, je les vois inquiets, apeurés et puis je les imagine sur cette chaise, impuissants et terrifiés. 

    Ma voix s’étrangle, je ne veux plus me souvenir d’eux comme ça, je veux voir le sourire tendre de ma mère, le regard sévère de mon père, la moue boudeuse de ma sœur et le comportement parfois hautain de mon frère. C’est de ça que je veux me rappeler, pas du reste.

    Chuut…  bientôt tu y arriveras, je te le promets. Quand tu penseras à eux, tu les verras comme sur cette photo.

    Ma tête se retrouve au creux de son épaule alors qu’il me caresse doucement les cheveux. Une fois de plus, il ne fait pas de long discours, il me soutient et m’apporte toute son aide par le silence et sa présence. On reste un long moment dans cette position et je m’apaise petit à petit quand finalement j’arrive à sortir toutes ces émotions négatives qui m'empoisonnent depuis des années.

    Hey ! Je crois que j’ai trouvé ! 

    Je sursaute quand la voix de Prem s’élève un peu plus loin dans la maison. Complètement pris par cet instant, j’avais oublié que l’on était ici non pas pour se souvenir, mais pour trouver ce que mon père cachait dans ce coffre. D’un côté j’espère que cela nous donnera une piste pour l’enquête, mais d’un autre côté, j’ai peur que ce que l’on trouve ne soit douloureux. Je me redresse et croise le regard d’Ohm qui me sourit tendrement avant de se pencher pour m’embrasser le front. 

    Fluke, quoi que l’on découvre, tu dois juste te rappeler deux choses. Ton père t’aimait et surtout tu n’es pas seul, tu es entouré, on est tous là pour toi.

    D’accord. 

    Je lui fais un petit sourire et on se lève pour aller rejoindre tout le groupe, qui s’est retrouvé dans le grenier. Prem et Boun déplacent un meuble pour laisser apparaître un coffre dans le sol. Je fronce les sourcils en me rapprochant pour mieux observer.

    Les policiers à l’époque n’ont pas dû venir chercher dans le grenier et même en le faisant, je ne suis pas certain qu’ils l’auraient trouvé. 

    Joss prend la parole et je suis d’accord avec lui, à l’époque, ils ne soupçonnaient pas l’existence de ce coffre et même s’ils avaient fouillé, sa présence leur aurait sûrement échappé.

    Nong, est-ce que ce coffre t’es familier ? 

    Namtan se tourne vers moi pour me questionner, malheureusement, je suis tout autant surpris qu’eux par toutes les précautions prisent par mon père pour le cacher.

    Mes parents nous interdisaient de venir ici.

    Je soupire un peu nerveusement, puis lentement je retire la clé du collier avant de la tendre à l’inspecteur. Venir ici a été difficile, revivre ces nombreux souvenirs éprouvant et je ne me sens pas la force de découvrir son contenu en premier. Joss me fait un léger sourire avant de prendre la clé et sans hésitation, sans attendre, il déverrouille l’un des secrets de mon père.

    Aussitôt, il en sort une épaisse chemise, c’est tout ce qu’il y a, une chemise pleine de papiers. Joss l’ouvre sans attendre, sur son visage, il y a une expression professionnelle, il analyse tout, essaie de déterminer ce qui est important ou pas. Ce qui fera avancer l’enquête ou non. 

    Pourtant, son expression change en quelques secondes quand il ouvre une lettre, une photo lui tombe sur les genoux et il blanchit aussitôt. Sa main se met à trembler et à froisser le papier. Namtan pose une main sur l’épaule de son collègue, elle a l’air inquiète, surtout quand le jeune homme ne réagit pas. 

    Joss ?

    Il frissonne soudain avant de lever les yeux et nos regards se croisent. Ses yeux sont humides, je peux aussi lire de la peur alors que son expression toujours froide et distante se tord à cause de la douleur. Mon coeur accélère, je ne comprends pas comment une lettre venant des affaires de mon père peut le troubler autant. 

    Je… je ne peux pas y croire… C’est impossible… jamais il… il en est incapable…

    Il se redresse brusquement, ce qui me fait sursauter, car il semble ne plus du tout nous voir. Il lâche la lettre et la photo tombe sur le sol. 

    Je dois en avoir le coeur net.

    Sans attendre et en quelques enjambées il quitte le grenier, nous laissant sous le choc. Namtan hésite une seconde entre le suivre pour s’assurer de son état et son devoir. Bien vite, pourtant, elle s’agenouille, prend la lettre et commence à la lire alors que, d’une main tremblante, je saisis la photo.

    Il s’agit de mon père en train d’embrasser amoureusement une femme, seulement, cette femme, ce n’est pas ma mère. Pourtant, mon père n’est pas jeune dessus, il ressemble à l’homme qui se trouve sur la photo de famille que je tiens toujours dans ma main. 

    Qu’est-ce que…

    Je retourne la lettre et la date griffonnée dans un coin de la photo ne laisse aucun doute, tout comme l’inscription écrite de la main de mon père. ‘L’amour de ma vie’. J’écarquille les yeux, ma vision semble soudain se rétrécir et s’assombrir alors que mon rythme cardiaque s’accélère. Ma respiration se fait laborieuse et je sens mon corps se couvrir d’une pellicule de sueur froide. Je reconnais les symptômes, je ne lutte pas contre eux, car j’accueillerais presque avec plaisir les souvenirs du monstre plutôt que de devoir faire face à cette photo et à tout ce qu’elle représente. Seulement, avant de définitivement sombrer, Namtan m’assène le coup de grâce. 

    Le père de Fluke avait une liaison… avec la mère de Joss… 

    Elle lève les yeux vers moi au moment où je me coupe du monde.

    —-----------------------

    La première chose dont j’ai conscience, c’est l'odeur, elle est omniprésente, elle m’accompagne depuis des jours et j’ai l’impression que jamais je ne pourrais m’en détacher. La crasse, le sang et l’alcool, mon cœur se soulève alors que mon estomac se contracte, mais c’est juste un peu de bile que je crache en ouvrant les yeux. Je suis attaché dans un fauteuil presque complètement allongé, non en fait, je suis sanglé, je ne peux pas bouger, je ne peux même pas espérer m’échapper.

    Je tente de me débattre, je trouve encore de l'énergie pour tenter de vivre, oubliant la douleur de mon pied, mon visage qui tiraille et la sensation poisseuse dans mon dos. Je n’ose pas regarder le fauteuil plus en détail, j’ai bien une petite idée du liquide qui imbibe le fauteuil et rien que d’y penser j’ai l’impression que je pourrais vomir à nouveau.

    Hey petit, il faut que tu réserves ton énergie, tu vas en avoir besoin. 

    Le monstre surgit sur ma droite et je ne peux pas empêcher le gémissement de terreur qui glisse hors de ma gorge. Cela le fait éclater de rire et je frissonne quand il pose un couteau sur la petite tablette qu’il a installée là, avec divers outils de travail. 

    Tu penses que tu peux tenir plus longtemps qu’eux ? Ton frère a été tellement résistant, je suis curieux.

    Pourquoi ?

    J’éclate en sanglot incapable de demander autre chose ou de supplier pour qu’il me libère. Je ne comprends pas, pourquoi nous ? On n’a rien fait, ma famille est gentille, elle n’a jamais fait de mal à personne. Le regard de l’homme se fait plus dur, il saisit le couteau et le plante violemment dans le fauteuil, juste à gauche de mon oreille et je pousse un cri de terreur. 

    Pourquoi !!! Tu oses me demander pourquoi ? 

    Il éclate d’un rire sans joie, un rire mauvais qui me fait pleurer, il récupère son couteau et c’est un éclair de douleur qui traverse mon torse quand il y fait une première coupure. 

    Quand tu reverras ton père de l’autre côté, tu pourras le remercier. Tout est de sa faute. Parce qu’il n’a pas été capable de garder sa bite dans son pantalon. Parce qu’il a convoité ce qui n’était pas à lui, alors qu’il avait déjà tout.

    Le couteau entaille à nouveau ma peau alors que sa voix se fait plus dure, plus forte et que ses mots me transpercent autant que la lame. Mon père ne ferait rien pour nous blesser, il nous aime, il aime ma mère. 

    Vous vous trompez, il…

    La gifle me surprend et m’empêche de continuer à défendre l’homme qui m’a donné la vie et qui dans la tête de ce monstre est aussi la cause de notre souffrance et notre mort.

    Ton père… est la cause de tout votre malheur. Il mérite tout ce qui se passe et tu souffriras encore plus si tu ne l’acceptes pas.

    Il fait une troisième entaille en rigolant aussi fort que je hurle, je sens le sang couler lentement hors de mon corps, glisser le long de ma peau et goutter petit à petit sur le tissu du fauteuil déjà imbibé du sang de ma famille.

    —-----------------------

    Je me réveille en sursaut, le cri est bloqué dans ma gorge alors qu’aussitôt ma main se porte à mon torse, là où se trouvent encore les cicatrices de ses jeux morbides. J’ai le souffle court, les yeux humides et je panique encore plus quand je regarde autour de moi et que je ne reconnais pas tout de suite ou je me trouve. Il faut que les bras forts de Ohm m'entourent pour que je me détende aussitôt. 

    Je suis là… tout va bien. 

    Je m’accroche à lui, mes doigts s’enfoncent dans son t-shirt alors que je dois emmagasiner tout ce qui vient de se passer. Il me faut un moment pour me calmer, pour comprendre que je suis installé dans le canapé poussiéreux du salon de ma maison de famille. Je ne crains rien, je suis en sécurité et seuls les souvenirs peuvent me blesser. 

    C’est à cause de mon père… Il nous a attaqué à cause de mon père. 

    Je tourne la tête et je me rends compte que nous ne sommes pas seuls dans la pièce, ils sont tous là, enfin non, il manque Joss et Namtan et je ressens un élan d’inquiétude pour l’inspecteur. 

    Où sont-ils ?

    Joss est parti dès qu’il a compris, le temps que Namtan découvre ce qu’il en était, il était déjà loin, elle est parti le rejoindre et essayer de comprendre si… si le père de Joss est impliqué ou pas.

    J’ai un frisson tellement fort que l’on pourrait croire que je convulse, mais l’idée que Joss doive peut-être arrêter son propre père, malgré l’horreur de ce que j’ai vécu, je me sens mal pour lui et je me demande ce que je pourrais faire pour l’aider, pour l’apaiser. 

    On a promis à Namtan de rentrer dès que tu serais réveillé. Pour le moment, on ne sait pas ce qui est vrai ou pas. Elle ne veut pas que l’on traine ici. 

    Je regarde mon oncle qui a parlé d’une voix douce, mais je sens que, comme moi, comme tous les autres dans la pièce, il est tendu et je ne fais pas d’histoire, je hoche la tête.  Venir ici m’a aidé à passer certains caps, pourtant, je le sais maintenant, cette maison vide et froide ce n’est plus chez moi, c’est juste un souvenir. Mon chez moi est chaleureux, lumineux et entouré par toutes les personnes qui me soutiennent et qui sont devenus une famille pour moi. Je me redresse lentement dans l’idée de me lever, mais je suis pris d’une faiblesse. Je n’ai même pas besoin de demander que Ohm passe un bras sous mes genoux, un dans mon dos et me soulève comme si je ne pesais rien. 

    Je passe mes bras autour de son cou et il me fait un petit sourire triste. Tout le monde quitte lentement la pièce, alors que lui et moi on se contente de se regarder dans le blanc des yeux, j’exprime ma tristesse à travers mon regard, alors que lui tente de me transmettre sa force et son soutient. 

    Reste avec moi ce soir… je ne veux pas être tout seul.

    J’ai l’impression que cela fait des semaines qu’il ne m’a pas tenu dans ses bras pour dormir et j’ai besoin de sa présence, j’ai besoin de lui pour ne pas céder à la tempête d’émotions qui fait rage en moi. Il resserre sa prise autour de moi et je pose ma tête sur son épaule, soudain épuisé. 

    Je ne compte pas t’éloigner de moi. 

    Ses lèvres se posent sur ma tempe avant de se mettre en mouvement et de nous faire sortir de la maison. Mon oncle la verrouille derrière nous, il règne un étrange silence autour de nous, chacun est plongé dans ses pensées, chacun essaie d'assimiler ce qui vient de se passer et je suis sûr que tout le monde est épuisé.

    Ohm nous entraîne vers les voitures et alors que l’on s’éloigne de la maison, je tourne la tête pour regarder la façade, j’ai un petit sourire quand j’arrive à les imaginer tous les quatre en train de me sourire derrière la fenêtre du salon, ils me saluent d’un geste de la main et je me mordille la lèvre inférieure car tout semble tellement réel et je sais que je dois leur dire adieu. 

    Maman, papa je vais bien, je ne suis plus seul maintenant. Adisorn, Leew… je réaliserai vos rêves, je vous le promets.

    Une dernière larme coule sur ma joue, ce sera la dernière je me le promets, je vais être fort, je ne vais plus m'apitoyer sur moi et je vivrai une vie heureuse et complète pour moi, mais aussi pour eux. Ohm ne fait aucun commentaire, mais ses lèvres se posent à nouveau sur ma tempe, m’encourageant à prendre cette nouvelle voie où la douleur ne sera plus la principale de mes émotions. 



  • Commentaires

    1
    Samedi 10 Juillet 2021 à 16:26

    Oh purée....le père de Fluke.....la mère de Joss mais what's the f**k?

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