• Chapitre 20 - Anguish

    Chapitre 20

    Qu’est ce que je regrette de ne pas réussir à parler, parce que là, la seule chose que je veux faire, c’est lui dire combien je suis désolé et le supplier de ne pas m’abandonner. Je me rends compte combien sa présence m’est devenue importante et rien qu’à l’idée de me retrouver seul loin de lui, dans mon appartement à Bangkok, j’ai l’impression d’étouffer. Pour me contenir et ne pas m’effondrer, je me concentre sur la chaleur de sa main contre ma joue, je savoure la sensation familière que je ne pensais pas retrouver si vite.

    Je ne le quitte pas des yeux, j’ai peur qu’il ne s’échappe si jamais je tourne la tête. J’ouvre la bouche en essayant de parler, mais comme à chaque fois, je sens ma gorge qui se bloque, l’air ne semble pas vouloir circuler et mes cordes vocales me tirent quand je tente quand même de forcer. Je me sens en colère contre moi-même, je me déteste de ne pas y arriver. Je vais mieux, pourquoi je ne peux pas parler, je sens des larmes me monter aux yeux et le fait que Ohm se contente de me regarder me débattre sans intervenir alourdit mon ventre encore un peu plus, j’ai l’impression d’avoir avalé des dizaines de cailloux.

    D’un geste un peu sec, je sors mon téléphone de ma poche et je baisse les yeux à regret pour pouvoir écrire un message. Sa main quitte ma joue pour se poser sur mon épaule et au fond de moi je suis ravi qu’il ne rompe pas le contact physique, ce lien qui me donne l’impression qu’il y a encore un espoir, si mince soit-il. Il semble être le même que d’habitude, il est doux, calme et ne se montre pas impatient alors qu’il attend que j’explique la raison de ma présence ici. Seulement, il y a un froid qui émane de lui que je ne connaissais pas et qui me perturbe autant qu’il me glace le cœur.

    “Les garçons m'ont emmené ici pour te voir, parce que je m'inquiétais.”

    Si, un instant plus tôt, je ne voulais pas le quitter du regard, maintenant, je me sens très timide quand je lève les yeux vers lui alors que je lui tends mon téléphone. Son regard est sombre, dur et indéchiffrable, je ne sais pas ce qu’il pense à cet instant et je me sens mal à l’aise. Il reste un long moment à lire la courte phrase que j’ai tapée et je finis par me balancer nerveusement d’un pied sur l’autre, surtout quand il fronce les sourcils. L’attente devient insoutenable et un petit bruit étranger sort de ma gorge quand enfin, il se focalise de nouveau sur moi.

    — Pourquoi est-ce que tu t'inquiètes ? 

    Sa question est légitime, je suis tellement nerveux que je n’ai pas pensé à lui expliquer directement. Sa voix reste douce, calme, mais elle ne m’apaise pas comme elle a pu le faire par le passé. Au contraire, la distance qui semble s’être installée entre nous s'agrandit et j’ai l’impression que même en tendant la main, je ne pourrais pas le toucher.

    “Parce que j'ai peur que tu ne veuilles plus jamais me parler. Je suis désolé Ohm…”

    Je n’ose pas mettre les mots qui me tournent en tête depuis hier, plus que ne plus vouloir me parler, j’ai peur qu’il ne veuille plus jamais me revoir et être avec moi. Seulement, je ne me sens pas capable d’écrire ce genre de mots maintenant, cela lui ferait comprendre ce que je ressens vraiment pour lui et je ne veux pas avoir à le lui dire dans ce contexte. J'ai les mains qui tremblent tellement quand je lui tends à nouveau mon portable qu’il a dû mal à le prendre et même si sa main fait une légère pression sur la mienne, je n’arrive pas à y trouver du réconfort.

    Je sens la crise d’angoisse arriver alors que tout mon être est aux abois. Je vais être fixé, je vais avoir la réponse que j’attends et que je redoute tout autant. J’ai envie de le secouer pour qu’il me réponde au plus vite, tout en ayant envie de lui hurler de ne pas parler. Mon cœur s’emballe, ma respiration est difficile, mon corps se met à trembler sans que je ne puisse me contrôler alors que mon menton se contracte à plusieurs reprises, annonçant des sanglots et je me mords la lèvre pour tenter de les contenir.

    Je fixe le sol poussiéreux de ce hangar, je tente de me concentrer, parce que le jour où les souvenirs de ce moment reviendront me hanter, je préfère me souvenir des moutons de poussières qui volètent sur le béton plutôt que son visage froid et distant. Le soupir qu’il pousse me transperce douloureusement la poitrine et au même moment le goût du sang se répand dans ma bouche car je viens de me couper la lèvre à force de mordre trop fort.

     — Fluke… 

    J’ai l’impression que sa voix résonne dans tout le bâtiment même s’il n’a pas parlé très fort. Obstinément, je reste dans la même position et il soupire à nouveau plus doucement avant de poser son index sous mon menton dans l'idée de me faire relever la tête. Je résiste à sa demande en luttant contre la pression de son doigt tout en secouant vivement la tête. La tension qui s’est installée dans mon corps est douloureuse et étouffante, j’ai l’impression que ma poitrine est en train de se déchirer et je ne sais pas du tout comment gérer ce flot d'émotions qui tempête en moi.

    Mes yeux se remplissent de larmes et je dois lutter autant que possible pour ne pas les laisser couler, mais je renifle misérablement à plusieurs reprises. Je ne veux pas m'effondrer devant lui, je ne veux pas qu’il m’imagine encore faible comme quand je suis arrivé, seulement, je ne suis pas certain d’y arriver, pas alors que j’ai juste besoin de sa présence à côté de moi et qu’il me semble si loin.

    Est-ce qu’il a compris ce qui se passait dans ma tête ? Est-ce qu’il a pitié de moi ? Je n’en sais rien, mais soudain, ses bras s’enroulent autour de moi et avec un geste doux, il m’attire contre lui. Mon front cogne contre son large torse et son odeur, que je me surprends déjà à connaître si bien, emplit mon nez. Je prends une profonde inspiration, elle est tremblante, mais moins difficile, mes mains s’accrochent de toutes mes forces à son t-shirt comme pour l’empêcher de reculer pendant que les siennes caressent lentement mon dos d’un geste apaisant.

    — Arrête de t’inquiéter pour tout ça d’accord. Ne te mets pas dans cet état.

    Je hoche lentement la tête, le visage toujours collé contre son torse, j’écoute son cœur qui garde un rythme normal et cela m’aide à reprendre le dessus. Les yeux fermés, j’oublie qu’il ne m’a pas répondu franchement, qu’il ne m’a pas dit que tout allait bien entre nous, que rien n’avait changé. Seulement, le fait qu’il s’inquiète pour moi, qu’il me serre dans ses bras et que sa chaleur m’entoure comme un cocon me rassure.

    On reste un long moment, lui me berçant tranquillement sans cesser de me caresser le dos, moi, savourant cette étreinte, sentant la crise d'angoisse desserrer ses griffes crochues de mon corps. Je ne tremble plus, je respire simplement et mon cœur s’est calqué sur son rythme à lui. Je ne suis pas encore totalement tranquille, pourtant, j’ai l’impression que je n’ai pas à avoir peur pour l’avenir. La petite voix dans ma tête tente de m’assurer le contraire, mais dans ses bras, c’est facile de la repousser. 

    — Ce soir, après manger, on prendra le temps de discuter de ça tous les deux, d’accord ?

    Il parle doucement à mon oreille comme s’il ne voulait pas que quelqu’un nous entende et je hoche de nouveau la tête pour lui faire comprendre que je suis d’accord. Je sens quand même une boule d’angoisse naître dans mon ventre, mais cette fois j’arrive à la contrôler et à ne pas la laisser prendre le dessus sur tout le reste. Je sais que je n’aurai pas de réponse claire tout de suite, je vais devoir patienter, mais c’est sûrement aussi ça être adulte. Le silence retombe à nouveau entre nous et il prend encore quelques minutes pour me faire un câlin.

    — Je vais devoir aller travailler.  

    Je m'agrippe un peu plus à lui et j’ai l’impression de le sentir rire doucement. 

    — Venez les garçons.

    Il parle soudainement plus fort et en ouvrant un œil je vois Boun, Prem et Nine entrer dans le hangar.

    — Est-ce que tout va bien ? 

    Nine regarde Ohm un peu timidement en avançant vers nous, il semble encore se sentir coupable, même s’il nous retrouve dans les bras l’un de l’autre. Je me promets de prendre le temps de le rassurer tout à l’heure, mais pour le moment je ne veux pas quitter l’étreinte de Ohm, même le petit sourire en coin de Boun ne me donne pas envie de bouger.

    — On va bien Nine, merci de l’avoir amené. 

    Mon cœur accélère quand j’entends Ohm répondre, je peux sentir le sourire qu’il glisse à notre ami dans sa voix. Plus que tout, le sens de ses paroles me réchauffe et j’arrive à sourire en me collant encore plus à lui. Sa large main vient se perdre dans mes cheveux et je ne veux plus bouger, je suis bien trop bien maintenant.

    — Tu n’es plus en colère alors ? 

    La voix un peu timide de Prem pose la question, il semble un peu réticent à relancer le sujet, mais comme moi, ils doivent être inquiets de savoir comment vont évoluer les relations au sein du groupe et je dois avouer que moi aussi, je suis pressé de savoir.

    — Je ne suis plus en colère, c’est juste… on prendra le temps d’en reparler un peu plus tard. 

    Je soupire de soulagement de savoir que les choses vont pouvoir s’apaiser. J’ai beau aller mieux, les situations de conflit me terrifient et j’espère que plus jamais nous n'aurons à vivre ce genre de choses. Je suis sûrement naïf de vouloir le croire, mais pour le moment je veux juste savourer le bien-être et le soulagement que je ressens d’être dans ses bras. 

    — Où est Joong ?

    — Il est à l’université, il avait un cours ce matin.

    Boun passe sous silence le fait que Joong était prêt à sécher les cours pour nous accompagner, il préfère ne pas jeter d’huile sur le feu sur le conflit qui oppose les deux frères. Ohm hoche doucement la tête, visiblement content de voir que son frère ne fait pas de bêtise en plus et prend ses études au sérieux.

    — Je dois retourner travailler, on se voit ce soir à la maison ?

    Tout le monde acquiesce, mais moi je ne suis pas d’accord avec ça, je ne veux pas le laisser, je ne veux pas rentrer à la maison. Je suis prêt à l’attendre ici toute la journée, juste le regarder travailler me permettrait de ne pas laisser les idées noires revenir en force. 

    — Fluke ? Repose-toi cet après-midi. Je vais essayer de rentrer plus tôt.

    Il me force à lever la tête vers lui pour le regarder, ses mains sont posées sur mes joues et je me sens rougir d’être si proche de lui et plus encore quand il pose ses lèvres sur le bout de mon nez. 

    — A ce soir.

    Il ne me laisse pas le temps de réagir ou de le retenir, qu’il s’est déjà éloigné de moi. Presque aussitôt, Prem me prend par l’épaule et la presse doucement pour me soutenir, mais je le sais, aussi pour m’empêcher de le rejoindre. Est-ce qu’il comprend que je n’ai pas envie de m’éloigner ? Sûrement, parce qu’alors que Nine et Boun sont déjà en train de sortir pour rejoindre la voiture, après avoir saluer Ohm, lui et moi on reste sur place. Je ne quitte pas l’homme des yeux alors qu’il se rapproche de l'échafaudage qui me semble beaucoup trop haut et je frissonne. 

    Je n’arrive pas à le quitter des yeux, il grimpe facilement, je peux aisément imaginer ses muscles bouger sous son t-shirt et à un autre moment j’aurais sûrement rougit à imaginer cela. Je peux voir qu’il a l’habitude de monter dessus, il n’hésite pas une seconde et rapidement il arrive à la première plateforme, il jette un coup d'œil vers nous et je peux voir qu’il mime les mots, “Rentre vite” avant de me sourire. Je recule d’un pas en ayant un petit sourire aux lèvres, je me sens heureux et bien plus léger à cet instant. Je continue à l’observer monter, reculant petit à petit me demandant s’il va se rendre vraiment tout en haut. Ce soir, je devrai lui demander ce qu’il doit faire sur cette structure parce que je me rends compte que je ne me suis jamais vraiment intéressé à ce qu’il faisait et j’en ai un peu honte.

    Il atteint la deuxième plateforme et Prem tire doucement sur mon bras pour m'entraîner. Un grincement vient soudain rompre le silence qui règne dans le hangar et mon cœur rate un battement. Je me fige tout comme Prem et on observe Ohm qui se fige au niveau de la deuxième plateforme. 

    — Ohm ? C’était quoi ? 

    Il ne répond pas à Prem, il a le visage concentré et observe les tubes et les colliers autour de lui. Il fait un pas et je vois distinctement la structure entière trembler. J’ouvre la bouche comme pour lui parler, le supplier de vite descendre de là, mais un grincement aigu me vrille les oreilles. 

    — Ohm descend… Il… 

    Je me suis avancé de plusieurs pas alors que la voix inquiète de Prem s’élève à nouveau. S’il ne répond pas, je vois Ohm faire lentement demi-tour avant de faire un pas, puis deux vers l’échelle. L'échafaudage tremble, bouge et du coin de l'œil je vois un tube puis deux tomber dans un bruit métallique.

    Prem me saisit soudain par la taille et me force à reculer de plusieurs mètres alors que je vois avec horreur la base de la structure ployer maintenant qu’elle n’est plus correctement maintenue. J’entends la voix de Prem qui hurle quelque chose à mes oreilles, mais je ne comprends pas ce qu’il dit, c’est juste un son ambiant alors que le pire est en train d’arriver.  Ohm tourne la tête et nos regards se croisent juste un dixième de seconde avant que, dans un fracas assourdissant, la structure ne s'effondre, soulevant un nuage de poussière opaque. 

    La brûlure familière dans ma gorge réapparaît, c’est douloureux, mais je n’y prête pas attention. Imaginer le corps de Ohm blessé et coincé sous cet enchevêtrement de métal l’est bien plus. Je tente de courir vers lui, je veux le retrouver même si je dois déplacer les poutres moi-même, mais quelque chose me retient. Quelqu’un m’empêche d’aller le rejoindre, alors que ma poitrine est secouée par de nombreux sanglots. Je dois le voir, je veux le voir se relever et me faire un sourire. 

    — Fluke, calme-toi… calme-toi, tu ne peux pas y aller maintenant… respire.

    — O..Ohm… 

    Ma gorge se déchire alors que pour la première fois en sept ans, j’arrive enfin à prononcer un mot, un nom, celui de l’homme pour qui mon cœur bat et qui vient de disparaître dans un épais nuage de fumée. Aucun de nous ne peut se réjouir d’entendre ma voix rocailleuse, personne n’y prête même attention. Attiré par le bruit, Boun et Nine se précipitent vers nous, j’espère que l’un d’eux aura plus de présence d’esprit que moi, parce que je ne peux que rester immobile, à moitié porté par Prem à répéter le nom de Ohm.

    Boun a couru chercher des secours alors que Prem me tient fermement serré contre lui pour m’empêcher de courir rejoindre Ohm. Nine parcourt le hangar, il essaie de s’approcher au maximum, il cherche désespérément son ami. Le temps semble s’étirer, j’ai l’impression que l’on reste ainsi immobiles et silencieux pendant des heures et des heures, régulièrement un gémissement de douleur s’échappe de ma gorge, quand mon esprit, imagine Ohm allongé et blessé, je ne veux pas imaginer le pire, je ne peux pas imaginer ma vie sans lui, je n’aurais pas le courage de me battre sans lui. 

    — Là !

    Je me redresse et me tourne vers Nine qui vient de le trouver et nous désigne un endroit du doigt. II est là, allongé sur le ventre, immobile et le monde semble soudain retrouver ses bruits et sa vitesse normale. Je me débats pour sortir de l’étreinte de Prem et ce dernier me lâche mais commence à s’avancer vers moi. Le visage de Ohm n’est pas tourné vers nous, le bas de son corps disparaît sous un amas de ferrailles et la peur me saisit violemment à la gorge. Je me laisse tomber à genoux à côté de lui, les larmes coulant librement sur mes joues alors que je veux le voir respirer, ouvrir les yeux et me sourire. 

    — O… Ohm… 

    Je l’appelle une nouvelle fois, mais il n’y a aucune réponse.

    — Prem sort… va attendre Boun près de la voiture.

    Nine qui m’a rejoint le premier empêche notre ami de s’approcher et pour cause, le beau visage de Ohm est couvert de sang, une plaie sur sa tête en laisse échapper un filet. De gros sanglots me secouent la poitrine alors que je panique, je ne sais pas ce que je dois faire, je veux qu’il respire, je veux qu’il aille bien. Je n’ai qu’une envie, le retourner, le secouer et enfin le faire réagir. Je pose ma main sur son épaule, mais Nine m’empêche de faire quoi que ce soit. 

    — Il ne faut pas le bouger Fluke, calme-toi. 

    Nine s’accroupit à côté de moi, d’une main tremblante, il pose ses doigts sur son cou, sur sa jugulaire et de nouveau le temps s’étire, il reste une éternité les yeux fermés, concentré sans bouger et c’est maintenant lui que je voudrais secouer pour le faire se dépêcher. 

    — Il respire… 

    Le soulagement que j’éprouve me donne le vertige quand les mots sortent enfin de sa bouche. Je m’inquiète toujours pour lui, mais il respire, il est en vie et j’arrive un peu à reprendre pied. Je fixe le visage de Ohm alors que Nine pose un mouchoir sur la plaie à la tête et fait pression dessus. Ohm est blanc, son visage est inexpressif et je le fixe en espérant qu’il ouvre les yeux pour me regarder à nouveau. Le silence qui nous entoure est angoissant, seulement entrecoupé par des reniflements et des sanglots, Nine ne cherche pas à essayer de me rassurer, il est dans le même état que moi.

    Je n’arrive pas à déterminer combien de temps on reste là, agenouillés à côté du corps inconscient de celui qui fait battre mon coeur, mais j’ai l’impression que c’est bien trop longtemps avant que soudain du bruit à l’extérieur se fasse entendre et que plusieurs hommes du chantier n’arrivent, dont Krissada qui est blanc et le visage inquiet. 

    — Qu’est-ce qu’il s’est passé ? 

    Soudain, c'est l'effervescence autour de nous, un homme se place en face de moi et il me faut un certain temps avant de comprendre que c’est un secouriste. Je sursaute quand des mains se placent sous mes bras et me forcent à me redresser. Je lutte une seconde mais Nine me prend dans ses bras pour m’éloigner de quelques pas. 

    — Il faut leur laisser de la place pour faire leur travail. Il est entre de bonnes mains d’accord ? 

    Je hoche la tête et me laisse entraîner, je ne quitte pas des yeux l’endroit où un groupe de personnes porte secours à Ohm. Je frémis quand je sens le vent sur mon visage mouillé de larmes. Je cligne des yeux à plusieurs reprises pour m’habituer de nouveau à la clarté. Je tourne la tête un peu hagard et vois Boun en train de rassurer Prem à quelques pas de nous. On se regarde un instant dans les yeux en silence et soudain je me retrouve dans une étreinte groupée.

    — J’ai appelé Chermarn pour la prévenir, elle sera présente quand l’ambulance arrivera à l'hôpital et j’ai aussi appelé Wanchana pour qu’il prenne rendez-vous avec le médecin pour Fluke. 

    Je me redresse, surpris, quand Boun nous donne ces informations et je le regarde en fronçant les sourcils sans comprendre. Il a un fin sourire avant de me caresser gentiment la tête. 

    — Tu as parlé Fluke… plusieurs fois même.

    J’ouvre la bouche, surpris, c’est vrai, j’ai appelé Ohm à plusieurs reprises, je pose ma main sur ma gorge qui me brûle encore et j’arrive à avoir un fin sourire. Est-ce que je peux vraiment parler ? Est-ce que voir Ohm disparaître sous cet échafaudage a débloqué ma voix ? Je me pose la question, mais je n’ai pas le temps de vérifier pour trouver une réponse car les secouristes sortent du hangar au même moment en portant une civière. Ohm est toujours inconscient, un gros pansement couvre la plaie de son crâne et mis à part ça, il ne semble pas avoir d’autre blessure. Krissada les suit et vient rapidement nous rejoindre, il nous fait un petit sourire rassurant. 

    — Il n’a pas l’air gravement blessé, les secouristes ont parlé de multiples contusions, mais ne semblaient pas inquiets. Ils le conduisent à l’hôpital pour le soigner. Je dois rester ici, une enquête va être ouverte pour déterminer la cause de l’accident, appelez-moi quand vous aurez des nouvelles, d’accord ? 

    Je reçois les informations avec un soulagement apparent, il ne va pas mourir, il va aller bien et c’est tout ce que je voulais entendre. Je suis pressé de le rejoindre, je veux lui prendre la main, sentir la chaleur de son corps et être définitivement rassuré quand je verrai ses yeux s’ouvrirent.

    — Pas de soucis Krissada, on va chercher Joong et on file à l’hôpital. 

    Boun salue Krissada une dernière fois et nous pousse tous dans la voiture. Joong va bientôt finir ses cours, aucun de nous ne l’a prévenu, on ne voulait pas le faire par téléphone et le laisser seul s’inquiéter. Nine nous a demandé de le laisser faire et c’est la raison pour laquelle, quand la voiture se gare sur le même parking que plus tôt dans la journée, seul Nine descend pour accueillir Joong qui perd petit à petit son sourire en voyant l’expression sur le visage de son ami.

    Je ne peux pas entendre ce qu’ils se disent, mais leur expression me serre la gorge et quand Nine prend un Joong figé dans ses bras, je laisse moi aussi échapper quelques larmes. Il faut un moment pour que Joong se ressaisisse, et pendant tout ce temps, Nine le berce lentement, lui caressant les cheveux et chuchotant à son oreille. Ils reviennent vers la voiture et Boun passe à l’avant pour qu’ils puissent se mettre l’un à côté de l’autre à l’arrière. Le trajet jusqu’à l'hôpital se fait en silence. Joong a la tête posée contre l’épaule de Nine qui lui presse doucement le genou, mais Joong fait quand même un geste vers moi qui me touche particulièrement quand à l’aveugle, sa main saisit la mienne et la serre doucement pour ensuite ne plus la lâcher. Quand on se gare sur le parking de l'hôpital, mon Oncle est déjà là, il nous attend et nous fait un petit sourire qui se veut rassurant. 

    — Ils sont en train de lui faire un scanner de contrôle, mais à première vue, il n’a rien de grave.

    Il ne nous salue pas, il nous rassure tout de suite et j’ai l’impression qu’un énorme poids quitte mes épaules, même si je sais que je ne me sentirai pas totalement rassuré tant que je ne l’aurais pas vu. 

    — Joong, tu peux rejoindre ta mère avec les autres. 

    Ils ne se font pas prier et rentrent rapidement dans l'hôpital, mon Oncle se tourne vers moi avec un sourire tendre, un sourire paternel, et sa main caresse lentement mes cheveux.

    — Tu as beaucoup changé Fluke. Je suis fier de toi. 

    Je réussis à sourire avant de le surprendre en le prenant à nouveau dans mes bras, il n’est pas habitué à mes marques d’affection et il lui faut quelques secondes pour me rendre mon étreinte. 

    — Un médecin peut te voir maintenant, vérifier que tout va bien avec ta gorge, tu es d’accord pour le voir ?

    Je suis touché qu’il me questionne, avant il m’aurait emmené le voir sans chercher à savoir si je le voulais, pensant avant tout à mon bien-être physique. Je lui souris et hoche la tête. Je me sens apaisé, je suis assis sur un fauteuil à côté du lit de Ohm, ma main tient la sienne fermement et je ne peux pas m’empêcher de sourire encore et encore alors que les mots du médecin me reviennent en tête. Je ne suis pas heureux que Ohm ait été blessé, mais cet évènement m’a permis de surpasser ce qui était le plus gros de mes blocages. D’après lui dans quelques semaines je pourrai parler normalement, sans avoir mal à la gorge, sans avoir de séquelles. En attendant, je dois juste prendre soin de mes cordes vocales qui doivent se réhabituer à fonctionner véritablement.

    Interdiction de crier et de trop forcer, je n’ai que le droit de chuchoter, mais ça me convient, parce qu’enfin je n’aurais plus à écrire, je pourrais dire à toutes les personnes autour de moi ce que je ressens, ce que je pense et cette idée me transporte de joie. Tout le monde était pressé de m’entendre, je dois dire que voir tous leurs regards dirigés sur moi en attendant qu’un mot sorte de ma gorge était un peu intimidant, presque autant qu’au moment où je leur ai tendu mon téléphone pour leur expliquer que je voulais parler à Ohm en premier. 

    J’ai eu un peu peur de la réaction de mon Oncle, mais il s’est contenté de me faire un sourire énigmatique avant de faire un petit signe de tête. Je me demande s’il sait ce que l’on ressent l’un pour l’autre. Un instant, j’ai peur qu’il puisse s’y opposer, mais je balaie rapidement mes craintes, Chermarn le sait et nous approuve, alors il y a de fortes chances qu’elle en ait parlé à son frère. Je dois arrêter de toujours penser au pire, je dois savourer ces instants qui me sont offerts sans penser à rien d’autre.

    Je caresse doucement sa main du bout de mes doigts, remerciant encore une fois Chermarn d’avoir fait jouer ses relations pour me permettre de rester avec lui cette nuit. Ohm n’a toujours pas repris connaissance, mais les médecins ne sont pas inquiets, alors j’essaie de faire la même chose. Le poignet qu’il s’était foulé par ma faute quand j’ai reçu la lettre du monstre a fini par casser et est maintenant plâtré. Sa tête a dû être recousue et il souffre d’une commotion légère qui devrait le laisser étourdi quelques jours. Ce sont ses jambes qui inquiétaient beaucoup les médecins à cause des gravats métalliques qui étaient tombés dessus, mais là encore, il a eu beaucoup de chance, mis à part de gros hématomes qui risquent d’être douloureux un moment, il n’a absolument rien. 

    Mon cœur bondit dans ma poitrine quand la main de Ohm se serre autour de la mienne, je relève rapidement les yeux et me lève de ma chaise pour me rapprocher de celui qui lutte pour ouvrir les yeux. Il est groggy, un peu désorienté, mais c’est normal et je me penche pour lui caresser doucement la joue pour l’apaiser. Il me regarde un moment dans les yeux avant qu’il ne prenne la parole. 

    — Fluke, qu’est-ce qui s’est passé ? 

    Je lui caresse doucement le front avant de sortir le papier que j’ai préparé pendant qu’il était inconscient, parce que je ne veux pas que mes premiers mots pour lui soient l’explication de son accident.

    “L'échafaudage où tu travaillais s’est effondré, tu t’es blessé à la tête et ton poignet s’est cassé, mais tu vas bien.”

    Il lui faut du temps pour le lire, mais je me contente de rester près de lui jusqu’à ce qu’il lève les yeux vers moi. 

    — Tu as dû avoir peur. Tu vas bien ?

    J’ai un petit rire et un sourire en coin, alors qu’il s’inquiète pour moi, comme si c’est moi qui avait failli mourir dans cet accident. Je hoche rapidement la tête pour le rassurer. J’ai l’impression que mon coeur va exploser tellement il bat vite. Je soulève sa main et embrasse la paume en prenant une grande inspiration pour me donner du courage, au fond de ma tête je suis terrifié de ne pas pouvoir le faire, d’avoir seulement rêvé de tout ça. Pourtant, j’enferme la petite voix à double tour, ce moment est le nôtre et je ne laisserai rien le gâcher. 

    — Ohm ?

    C’est un murmure qui traverse ma gorge et il tourne la tête vers moi, son regard est un peu embrouillé et c’est sûrement pour ça qu’il ne réagit pas vraiment.

    — Oui ?

    Ses sourcils se froncent, c’est comme s’il essayait de comprendre ce qui était en train de se passer. Il sait que quelque chose n’est pas comme d’habitude, mais à cause de sa commotion, il n’arrive pas à faire le rapprochement. Je me penche à nouveau vers lui et je capture ses lèvres, cette sensation est magique et même si c’est un baiser timide et léger, il me donne la force de le regarder dans les yeux en souriant. 

    — Je t’aime. 



  • Commentaires

    1
    Mercredi 7 Juillet 2021 à 22:18

    Enfin le premier mot de Fluke, YEAHHHHH trop bien.

    Par contre pas de chance pour l’échafaudage.......Je me disais, est-ce que par hasard ce ne serait pas un coup du monstre, il commence à s'attaquer aux personnes qui entourent Fluke? Et je vais peut être trés ou trop loin mais voilà une de mes réflexions : comme je le disais c'est peut-être un proche et j'ai un souspçon sur Krissada car ce personnage est apparu à peu près en même temps que la lettre du monstre donc.......ce n'est qu'une supposition........

    J'ai encore et toujours hâte de lire la suitehe

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