• Chapitre 17 : Memories

    Chapitre 17

    Trois jours se sont passés depuis que j'ai reçu la lettre et même si la peur ne m'a pas paralysé sur place, je n'en mène pas bien large. Quand tout le monde est autour de moi, je me sens fort et capable de faire face à n'importe quel danger. Mais quand je suis seul comme en ce moment, la maison qui est un havre de paix me semble froide et menaçante.

    J’ai réussi à les convaincre que je pouvais rester seul, que je pouvais me débrouiller et que j’étais brave. La vraie raison de cette décision, c’est que je ne veux surtout pas gâcher leur vie, je refuse d’être celui qui les empêche d’avancer. Lundi pourtant, j’ai dû batailler avec les trois membres de la famille pour qu’ils reprennent leurs occupations. Soudainement, ma tante n’était plus aussi pressée d’aller au travail. Joong lui avait prétexté un professeur absent pour ne pas aller à l’université. Seul Ohm avait eu l’audace de me dire franchement qu’il ne voulait pas aller à son stage car il ne voulait pas me laisser seul à la maison.

    Je m’étais retrouvé à les mettre dehors un par un, ressentant un mélange d’amour, d’exaspération et d’angoisse à chaque fois que l’un d’eux finissait par capituler. C’est sans surprise que Ohm fut le plus difficile à convaincre, mais après un baiser et la promesse de rester joignable toute la journée, il était parti non sans se retourner à plusieurs reprises. 

    Dès que la porte s’était refermée derrière lui, j’avais senti la peur me prendre à la gorge, me retrouver dans cette grande maison silencieuse avait été plus difficile que je n’avais bien voulu le faire croire et j’avais été soulagé quand ils étaient enfin rentrés à la maison. J’ai passé mes journées dans l’angoisse la plus totale, tout en essayant de le cacher à mes proches. 

    Je sais que j'aurais pu rester longtemps dans cet état, passer mes journées sous ma couette bien à l’abri pour tenter de maîtriser la peur et ne pas gêner les autres. Seulement la visite de Namtan et Joss la veille a absolument tout changé. Ils étaient avec moi, même si je ne comprenais pas encore pourquoi, ils voulaient résoudre l’enquête à tout prix et ils m’avaient bien fait comprendre que pour ça, je devais absolument travailler pour retrouver mes souvenirs.

    Depuis sept ans, je me contentais d’attendre passivement qu’ils reviennent, mais Namtan m’avait bien fait comprendre que le temps était compté. Dix jours, c’est tout ce dont on disposait pour résoudre le plus grand mystère de ma vie. C’est pourquoi ce matin, alors que j’étais seul à la maison, au lieu de me cacher dans mon lit et d’attendre en tremblant que le temps passe, j’étais assis sur le sol du salon, bloqué entre le canapé et la petite table. C’était un endroit où je me sentais en sécurité et j’allais en avoir besoin de ce sentiment pour ne pas perdre pied.

    Pour mes cours, j’ai un peu étudié les états de transe. Je connais un peu le principe grâce aux livres, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’essayer. Alors, cette nuit,  j'ai cherché et étudié le sujet, fouillant sur internet et dans les revues médicales en ligne. Tout en observant Ohm dormir à côté de moi, j’aurais aimé qu’il soit près de moi aujourd’hui, j’aurais puisé dans sa force pour accomplir ce qui ressemble à un cauchemar pour moi. Seulement, je suis aussi déterminé à ne pas l’empêcher de vivre sa propre vie, il ne peut pas me tenir la main en permanence.

    Je fixe le métronome qui se trouve devant moi, pour le moment immobile et silencieux, je ne sais pas ce que j’attends réellement, mais il faut juste que je trouve le courage de l’actionner. Je prends une profonde inspiration et avance ma main vers l’objet, mais alors la sonnerie de mon téléphone me fait sursauter alors qu’il m’indique que je viens de recevoir un message.

    Je porte la main sur mon cœur qui s’est soudainement emballé, je respire profondément à plusieurs reprises avant de prendre lentement mon téléphone, les mains tremblantes. C’est finalement un grand sourire qui vient orné mon visage quand je lis le message que Ohm vient de m’envoyer.

    Ohm : Passe une bonne journée, ne laisse pas la peur te dominer car tu es la personne la plus forte que je connaisse. A ce soir...

    Je peux sentir son hésitation dans la manière de conclure le message dans ses trois petits points et je trouve ça adorable. Il ne peut pas se douter que son encouragement, me permet de trouver le courage de faire face à mes souvenirs. Je peux le faire, je peux me rappeler, je peux aider Namtan et Joss à trouver le coupable et à ainsi venger ma famille. Je peux déjà presque imaginer ma vie après qu’il ait été capturé, quand je n’aurai plus à avoir peur de l’avenir.

    Je lui réponds sans me départir de mon sourire, je repose rapidement mon téléphone après l’avoir mis sur silencieux puis sans attendre, je lance le métronome. Maintenant, c’est un travail de concentration, de relaxation et de réel désir de laisser la vérité remonter à la surface. Je ne quitte pas l’aiguille des yeux, calant ma respiration sur les tac sonores de l’appareil. Inspirer. Tac. Expirer. Tac. Inspirer. Tac. Expirer.

    Si au début je me sens juste ridicule à fixer comme ça le métronome, bien vite les premiers signes apparaissent. Je me sens lourd, mon esprit vagabonde et j’ai comme des fourmillements dans mes doigts.  Inspirer. Tac. Expirer. Tac. Inspirer. Tac. Expirer. Ma vue se brouille, mes yeux semblent décidés à se fermer et je ne lutte pas alors que le bruit du métronome continue de résonner en moi. Je ne sais pas si je vais simplement m’endormir ou si je vais réussir à faire remonter un souvenir à la surface, mais je ne m’en soucie pas vraiment, je laisse mon corps se détendre tout en continuant à respirer en rythme.

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    Il fait froid, je sens le souffle du vent s’enrouler autour de mes cuisses et de mes bras nus, mais je n’y prête même pas attention. Je fixe mon regard à l’horizon je ne dois surtout pas tomber, sans quoi je serai incapable de me relever et alors… 

    Je glisse sur des feuilles humides, me rattrape in extremis et reprends ma course. Est-ce qu’il est derrière moi ? Est-ce qu’il me poursuit ? Je ne sais pas comment j’ai réussi à fuir la maison, je sais juste qu’il me tuera s’il me rattrape. Alors je cours, je tente de trouver un point de repère, de trouver quelque chose de familier, mais il n’y a rien que de la verdure, des arbres à perte de vue et mon coeur qui tambourine dans mes oreilles me donnant l’impression d’être plongé dans une pièce froide et bruyante.

    Un craquement derrière moi me fait glapir, il est là, il approche, si je me concentre, je peux presque l’entendre m’appeler. Un sanglot me déchire douloureusement la poitrine, je ne veux pas mourir, je ne veux pas retourner sur la table. Je sens à peine la douleur sous mes pieds à chaque fois que je prends appui sur un caillou, tout ce que je peux espérer maintenant c’est que je coure vers la civilisation, vers les secours.

    — FLUKE !!!

    Je me fige alors que la voix étrange hurle mon prénom, elle est tout près, trop près et je fais alors la première chose qui me passe par le tête, je me jette au sol, je rampe sous un bosquet épais dont les épines me griffent le visage et je me fais aussi petit que possible. Je pose mes deux mains sur ma bouche pour essayer de camoufler le bruit de ma respiration.

    J’entends le bruit de ses pas qui se rapproche et chaque muscle de mon corps se contracte douloureusement. Les larmes dévalent mes joues sans que je puisse faire quoi que ce soit, je suis bien trop conscient du danger dans lequel je me trouve. S’il me découvre alors c’est la fin.

    — FLUKE !!! PHI VA T’AIDER À TE SENTIR MIEUX…. REVIENS PETIT.

    Il s’arrête juste devant mon bosquet, je peux voir ses chaussures, ma respiration se coupe alors que le temps semble s’éterniser, il est comme en suspens. Il lui suffirait de baisser les yeux et de regarder attentivement pour me voir à travers le feuillage. Il ne dit rien, il écoute simplement et il a soudain un geste rageur et il m’envoie de la poussière dans les yeux.

    — JE VAIS T’ÉVISCÉRER QUAND JE VAIS TE METTRE LA MAIN DESSUS. JE VAIS TE FAIRE SOUFFRIR TU M'ENTENDS. TU NE MÉRITES PAS D'EXISTER.

    Sa voix vibre dans mon crâne autant que ses paroles et je tremble encore plus fort. Heureusement, c’est à ce moment-là qu’il reprend sa route, il part dans une direction opposée en pestant contre moi qui ne veut pas revenir vers lui. Mon corps se relâche doucement et j’arrive à prendre une inspiration avant de poser ma tête contre le sol poussiéreux. 

    Je prends quelques minutes pour me reposer, pour me redonner le courage de bouger et surtout le laisser s’éloigner. Régulièrement il appelle mon prénom, mais à chaque fois je suis soulagé car la voix s’éloigne de plus en plus. Il me faut un temps infini pour ramper hors du buisson, l'adrénaline qui coulait dans mes veines au moment de ma fuite s’est un peu estompée et je grimace à chacun de mes gestes.

    Quand j’arrive finalement à me remettre debout, j’ai totalement conscience de l’état de mon corps, mon t-shirt et mon caleçon sont recouverts de sang, les plaies faites au couteau et tout juste pansées suintent légèrement et la douleur est insoutenable. Je me demande comment j’arrive à mettre un pied devant l’autre, comment j’arrive encore à marcher. Heureusement que j’arrive à puiser dans mes dernières forces car au bout de cinq cents mètres il y a un panneau qui surmonte un petit chemin de terre. “Sampaothai” et juste à côté, une voiture dont le moteur tourne au ralenti alors qu’un homme est en train de faire des réparations.

    Je voudrais l’appeler, attirer son attention, mais je n’y arrive pas, je suis trop fatigué pour parler, alors que le soulagement déferle dans mes veines. Je fais encore un pas, deux pas et enfin je peux poser ma main crasseuse sur son épaule. Tout ce que je peux voir avant le trou noir, c’est l’homme se tourner en sursautant pour me regarder.

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    Tac. Tac. Tac. Tac. Quand je reviens à moi, j’ai glissé au sol, ma respiration est difficile, les larmes coulent et je peux ressentir chaque douleur du moi d’il y a sept ans qui courait pour sauver sa vie. Inconsciemment ma main se pose sur chacune des cicatrices présentes sous mes vêtements.

    Je dois prendre plusieurs respirations pour réussir à me ressaisir et à respirer plus ou moins normalement alors que je fixe les fissures présentes au plafond. Je m’attendais à faire une crise d’angoisse si jamais je venais à revivre ses souvenirs, pourtant, j’ai plus une impression de vide, comme si au final ne pas savoir faisait que je n’étais pas complet. Pour la première fois en sept ans, je suis presque déçu de ne pas avoir réussi à en voir plus, de ne pas avoir réussi à voir la maison, son visage ou tout autre élément qui m’aurait permis de l'identifier et de faire avancer l’enquête.

    Je m’essuie lentement les joues et prends une profonde inspiration avant de me redresser et retrouver une position assise. Je fixe le métronome qui se fiche de mes tourments et marque le rythme régulièrement. Je l’arrête avec un petit soupir, j’ai l’impression de ne pas avoir vraiment avancé, même si je sais qu’avec cette méthode je pourrais tenter de ressortir d'autres souvenirs, je vais tout donner pour y arriver, maintenant je le sais, je veux savoir.

    Au moment où mon doigt stoppe l’aiguille et le son je me fige. Une sensation, un souvenir tente de remonter à la surface et au lieu d’essayer de le réprimer, je le laisse revenir. Je courais dans les bois, je fuyais pour ma vie, mais je m’accrochais aussi à un objet. Je regarde ma paume droite comme si soudain, il allait apparaître, mais impossible de me rappeler ce que c’était. Je sais juste que cet objet a disparu après ça, je l’ai cherché à l'hôpital sans vraiment savoir ce que je cherchais avant de complètement oublier son existence.

    Mon cœur bondit dans ma poitrine, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le sentiment que c’est important et qu’il faut que je le retrouve. Je dois retourner là-bas, je dois retrouver le buisson, je suis persuadé que j’ai dû le laisser tomber alors que je me cachais. Je saisis mon téléphone, pris d’une frénésie. Avant toute chose, je cherche rapidement où se trouve Sampaothai et je suis surpris de voir que c’est une ferme se trouvant à presque une heure d’ici. 

    Au fond, je sais que je devrais prévenir les autres, les attendre pour y aller avec eux, mais je ne veux pas les déranger et surtout, j’ai le sentiment que si je n’y vais pas maintenant, alors je vais perdre tout courage par la suite. Je me lève sans attendre, mu par une force et une détermination que je ne soupçonnais pas. Je rassemble mes affaires tout en cherchant si un bus se rend jusque là-bas, je leur enverrai un message quand je serai en route.

    Je mets mes chaussures, je prends une veste légère et un peu d’argent, c’est la première fois que je vais sortir seul et sciemment. Je devrais être terrifié, mais je suis tellement obnubilé par mon objectif que je n’ai même pas le temps d’hésiter et d’avoir peur. Je pose la main sur la poignée, j’ouvre la porte et je sursaute en poussant un petit couinement apeuré quand je me retrouve face à Joong et Nine qui sont tout aussi surpris que moi de voir la porte s’ouvrir.

    — Fluke tout va bien ? 

    Joong est le premier à parler, je ne sais pas l’image que je renvoie, mais il me scrute en fronçant les sourcils. Je hoche rapidement la porte et essaie de passer pour me rendre à l’arrêt de bus où je pourrais me rendre à destination, je dois me dépêcher car si je le loupe, je devrai attendre une heure entière. 

    Seulement, ils m’empêchent de partir, visiblement inquiets pour moi, ils doivent s’imaginer qu’il se passe quelque chose de grave et si d’habitude leur sollicitude me rassure, à cet instant précis, je m’énerve. Je sors mon téléphone en pestant de ne pas pouvoir l’expliquer à haute voix, ça irait tellement plus vite. 

    “Je me souviens d’un endroit, je dois y aller maintenant. C’est important.”

    Je me balance d’un pied sur l’autre alors qu’ils lisent mon message, impatient. Je vois très bien le regard qu’ils échangent avant que Joong ne reprenne la parole.

    — On va appeler Ohm, il pourra t’emmener demain. 

    Je fais claquer ma langue sur mon palais pour bien montrer que je ne suis pas d’accord avec ce qu’il est en train de dire ce qui les surprend d’autant plus, mais à cet instant, je n’y fais pas particulièrement attention.

    “Non, je ne veux pas attendre, je dois y aller maintenant. Je ne peux pas me reposer éternellement sur vous.”

    — Joong, on pourrait l’emmener, notre journée est finie et ce serait plus sûr qu’en bus.

     Nine semble comprendre ce que je veux, il me soutient et je lui fais un petit sourire pour le remercier. Seulement Joong lui ne semble toujours pas décidé à m’aider.

    — Ohm ne sera pas très content si on part comme ça sans l’attendre. Tu sais combien il s’inquiète pour toi, s’il t’arrivait quelque chose…

    Je sais très bien ce qu’il veut dire, je sais que Ohm ne veut pas me contrôler, il sait surtout que je suis encore fragile et que depuis mon arrivée, il fait tout pour m’aider à aller mieux. Seulement à cet instant, je sens la colère fuser dans mes veines, je veux passer outre ce que pensent et veulent les autres. 

    “J’irai seul que tu sois d’accord ou non. Je ne suis plus un enfant, je peux me débrouiller seul sans votre autorisation.” 

    Je suis dur, je m’en rends compte au moment où je vois une drôle de lueur vaciller dans le regard de Joong. Je dis à tout le monde que je suis adulte, pourtant au fond de moi, je sais que là je fais un caprice. Je veux y aller tout de suite et je me fiche du reste, c’est loin d’être adulte de faire ça. En plus, je me montre dur avec les personnes qui sont mes piliers depuis mon arrivée ici. Je soupire et je suis prêt à m’excuser, mais Joong me devance en baissant les armes en premier. 

    — Ok… désolé de te faire sentir comme un enfant Fluke. Ce n’est pas… désolé.

    Je ravale la culpabilité qui me brûle la gorge quand il me fait des excuses qu’il ne me doit même pas. J’avale ma salive et je me contente de hocher la tête pour lui montrer que tout va bien. 

    — Je conduis, mais toi tu préviens Ohm, Namtan et Joss, d’accord ?

    “Merci.”

    Il soupire en lisant le simple mot que j’ai inscrit sur mon téléphone. Je sais qu’il n’est pas ravi, qu’il le fait contre sa volonté, il semble déjà savoir comment les choses vont se passer et s’y est résigner. Il lance rapidement leur sac dans l’entrée avant de se diriger vers la voiture de Joong.

    Le trajet se fait dans le silence, mais je peux voir les nombreux échange de regard de Nine et Joong, comme s’ils avaient une conversation silencieuse. Je ne cherche pas vraiment à savoir ce qu’ils peuvent se raconter parce que je suis concentré sur l’écriture d’un message pour prévenir les autres de ce qui se passe. Je décide d’envoyer un message groupé à Ohm, Namtan, Joss, mais aussi à Boun et Prem. J’écris plusieurs fois avant d'effacer, pas vraiment convaincu par mes mots. Il me faut plus de vingt minutes pour y arriver. 

    “J’ai réussi à me souvenir d’un endroit, je dois y aller. Nine et Joong sont avec moi, je vous tiens au courant.”

    Je l’envoie rapidement, pas du tout convaincu car je sais que si je donne plus de détails, ils vont tous venir et même si je serais heureux d’avoir leur soutien, je veux le faire par moi-même. Je sais qu’ils vont s’inquiéter et que mon message n’est pas très rassurant. Je range mon téléphone après l’avoir mis sur silencieux, sachant pertinemment que malgré ma détermination, les messages inquiets que Ohm ne manquera pas d’envoyer me feront faire machine arrière.

    J’ai l’impression que la route n’en finit plus, pourtant je finis par taper à plusieurs reprises sur l’épaule de Joong qui arrête la voiture sur le bord de la petite route poussiéreuse et qui me semble terriblement familière, même si je ne m’en souvenais plus il y a encore quelques heures. Il coupe le moteur et je descends lentement, le regard fixé sur la pancarte. Les images reviennent vivaces dans ma tête et l’émotion me saisit à la gorge. 

    — C’est ici que l’on t’a retrouvé ?

    Je sursaute même si Nine me parle d’une voix douce, j’étais tellement pris dans mon propre monde que j’avais oublié leur présence. Je hoche la tête avant d’essayer de me souvenir par où je suis sorti de la forêt, c’est difficile pour moi de me situer mais quand mon regard tombe sur cet arbre un peu biscornu je suis sûr que c’est par là.

    Je pourrais sortir mon téléphone pour leur indiquer la direction, mais alors je verrais les messages et je me dégonflerais, alors je me contente de montrer la direction de mon doigt. Les garçons semblent comprendre car eux non plus ne sortent pas leur téléphone. On sait tous les trois que l’on fait sûrement une erreur, pourtant, c’est trop tard pour reculer, on doit y aller et on s’excusera auprès des autres et on se fera pardonner quand on reviendra avec des réponses.

    La nuit est tombée depuis un moment, je somnole sur la banquette arrière, complètement épuisé par ses dernières heures. On a marché longtemps, sans réussir à trouver ce que je cherchais, mais je devais vraiment être naïf pour croire que je trouverais ce buisson sept ans après du premier coup. Et pourtant on a réussi, au moment où j’allais leur dire de faire demi-tour, je l’avais retrouvé, tout comme l’objet que je serrais précieusement au creux de ma main. La sensation de l’avoir là me ramenait encore une fois dans le passé, mais je ressentais aussi une sorte de nostalgie, une douce chaleur émaner de ma paume.

    J’entendais vaguement Joong et Nine discuter, mais je n’arrivais pas à comprendre leur propos, du moins jusqu’à ce qu’une phrase soit prononcée et chasse complètement la fatigue. 

    — Ohm n’a vraiment pas l’air content. 

    J’ouvre alors les yeux et je me rends compte que la voiture vient de se garer devant la maison, que Ohm se tient sur le perron, les bras croisés, malgré la pénombre, je peux voir son regard sombre rivé sur moi.

    Il ne me quitte pas du regard quand je descends, je prends une profonde inspiration parce que plus je me rapproche et plus je comprends que ce n’est pas que de la colère dans ses yeux, mais surtout de l’inquiétude. Je suis parti presque sans explications sur la trace de mes souvenirs, le laissant derrière moi alors qu’il a tout fait pour m’aider depuis.

    Je me mordille la lèvre, mais il ne dit rien, il se contente de jeter un regard froid à Joong et Nine qui se tiennent légèrement derrière moi avant de rentrer dans la maison. Je sais qu’il ne dira rien dehors, il n’aime pas s’exposer et ce qu’il a à nous dire, il ne le dira pas devant tout le voisinage. Je le suis, tête basse jusqu’au salon et je regrette maintenant de ne pas avoir écouté Joong et d’avoir attendu Ohm.

    — Qu’est ce qui vous est passé par la tête. Partir comme ça sur ses traces tout seul ? Juste laisser un message et ne plus nous contacter après ?

     Il se lance et je sais qu’il se contient encore, pourtant, il n’hausse pas le ton, il parle juste d’une voix froide et distante et c’est encore pire que s’il se mettait à hurler.

    — Vous deux, je pensais que vous aviez une once de bon sens. Qu’est ce qui vous a pris de l’emmener.

    — Ohm je suis désolé. Joong ne voulait pas, je l’ai forcé à le faire. Il serait parti sans nous si…

    — Des deux, je pensais que tu étais le moins crétin Nine. 

    J’ouvre la bouche quand Ohm se montre méchant avec Nine. Ce dernier fait d’ailleurs un pas en arrière blessé par ce qu’il vient de dire et je peux voir le regard de Joong s’assombrir. A cet instant, les deux frères se ressemblent beaucoup et la culpabilité me serre la gorge car je n’ai aucun doute qu’aucun des deux ne reculera, ils voudront avoir le dernier mot quitte à laisser la colère dire des choses qu’ils ne pensent pas.

    — Ohm je t’interdis d’insulter Nine. Tu penses vraiment qu’on ne prend pas la sécurité de Fluke au sérieux. Tu n’es pas le seul qui prend ses intérêts à coeur et… 

    Je pose ma main sur la bouche de Joong qui à cet instant n’a plus rien du petit frère jovial. Il fait aussi peur que Ohm et je déteste être la cause de tout ça. Je secoue la tête pour lui dire d’arrêter, je sens qu’il veut tenter de continuer, mais mon regard le calme petit à petit. Il soupire et hoche lentement la tête, le froid disparaît petit à petit, mais j’ai dans l’idée qu’il faudra du temps aux deux frères pour reparler normalement.

    Joong saisit la main de Nine, ce dernier semble sur le point de pleurer et mon ventre se tord une nouvelle fois. En voulant protéger les autres, en voulant les laisser vivre leur vie, je leur ai fait du mal. Je me mordille la lèvre inférieure alors que les deux amis quittent la maison sans dire un mot de plus. 

    Ohm me tourne le dos, il regarde par la fenêtre et ses épaules tremblent. Je sais qu’il ne pleure pas, mais qu’il contient la colère qui a fini par prendre le dessus sur l’inquiétude. Doucement, comme si j’approchais une bête sauvage, je m’approche de lui, je glisse mes mains autour de ses hanches et je pose mon visage contre son dos. J’espère que même sans mots il comprendra que je suis désolé pour mon comportement.

    Seulement, il ne me laisse pas le temps, puisque presque aussitôt, il se dégage de mon étreinte et se tourne vers moi, mais il ne me regarde pas et je sens un vent de panique me saisir. 

    — Je crois qu’il vaut mieux que je reste seul un moment. Tu n’as pas besoin de moi pour ce soir, tu peux te débrouiller seul. 

    Ses mots me surprennent tellement que je ne pense même pas à le retenir alors qu’il quitte la pièce. Sur ces derniers mots, il part s’enfermer dans sa chambre et le claquement de la porte me fait sursauter. Qu’est ce que j’ai fait ? L’objet dans ma main me mord soudain la peau et je grimace en me rendant compte que je serre le poing beaucoup trop fort pour contrôler le surplus d’émotion négative qui me submerge.

    Je prends une grande inspiration, je ne veux pas laisser la situation se détériorer. Je dois lui expliquer et surtout je veux qu’il me regarde comme toujours avec chaleur et tendresse. Sans plus réfléchir, je sors du salon dans l’idée de me rendre dans sa chambre, mais quand j’arrive dans l’entrée, la porte s’ouvre pour laisser apparaître celui qui est mon pilier depuis sept ans. Mon oncle est de retour et le voir finit par faire exploser ce que je tentais vainement de maîtriser. 

    J’éclate en sanglots avant de me précipiter dans ses bras. Il est parti depuis trop longtemps et je me rends compte combien il a pris une place importante dans ma vie, il est devenu mon père et maintenant après cette lettre, après cette découverte et après cette dispute, j’ai besoin de mon père.

    Il est surpris, moi qui n’ai eu quasiment aucun geste affectueux envers lui, je me jette dans ses bras. Rapidement, il resserre ses bras autour de moi et me berce doucement en me caressant les cheveux, me chuchotant des paroles réconfortantes à l’oreille. Maintenant, je sais qu’avec mon oncle, avec Ohm et tous ceux qui sont devenus ma famille, tout ira bien.



  • Commentaires

    1
    Mercredi 7 Juillet 2021 à 18:03

    Je suis contente que Fluke essaye dur pour retrouver sa mémoire pour capturer le monstre. Je comprends Fluke car il a réussi à rassembler assez de courage pour y aller sans vraiment réfléchir et parfois il faut le faire car plus on réfléchit et moins on se décide à faire les choses.....et je comprends aussi le point de vue de Ohm car il a très peur et il s'inquiète beaucoup surtout avec la lettre qu'à reçu Fluke donc tout ça est un peu compliqué.

    Je me demande ce que Fluke a réussi à trouver, quel est cet objet???????

    Par contre le "tu n'aurais jamais du exister" du monstre, est-ce que ça ne montre pas que la personne aimait la mère de Fluke et était peut-être même proche d'eux? ????

    En tout cas, l'Oncle est revenu et ça c'est une bonne nouvelle

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