Chapitre 16 - 2ème partie

Je ne veux pas rencontrer Khai, mais je dois quand même le voir lundi matin. Après les cours, on se sépare pour faire notre travail sur la production de la pièce.

Chen est le premier à venir me tapoter l’épaule, suivi par Un. Je suppose qu’ils savent ce qu’il s’est passé vendredi soir, à en juger par l’atmosphère maussade qui règne dans chaque équipe, en particulier l’équipe du son. Je vois Khai s’isoler, gardant une grande distance avec Chingching.

“Comment vas-tu? Vous vous êtes réconciliés?” Les questions classiques sortent de la bouche du réalisateur à l’allure d’ours.

“Il ne s’est rien passé. Tout est toujours pareil.”

“Ah ouais? Tu as regretté d’avoir dit ça?”

“Tu te souviens de notre conversation? A propos de tes amis qui se sont arrêtés pour rester fidèles à une seule personne. Maintenant, Khai appartient au groupe de ceux qui ne peuvent pas s’arrêter.”

“Je peux voir qu’il a arrêté. N’as-tu pas mal compris ce qu’il s’est passé cette nuit-là?”

“S’il ne l’avait pas provoqué lui-même, je l’aurais cru, mais ça n’est pas le cas.” Et le sujet se répète - je n’arrête pas de penser à cette scène encore et encore.

Quelle chance pour moi que nous n’ayons pas été ensemble. Si nous étions allés bien au-delà de l’amitié et que j’avais découvert plus tard qu’il ne m’aimait pas vraiment, à quel point aurais-je été blessé?

“Tu réfléchis trop. Devrais-je dire à Chingching de venir te parler?”

“Euh, pas la peine!”

“L’amour est censé avoir quelques obstacles.”

“Si ça se produit de manière répétée comme cela, ce n’est pas un obstacle, c’est de la merde.”

“Peu importe. Je te soutiens de toute façon. Dis-moi si tu as besoin d’aide. Tu peux demander à Un de te venger.” La personne mentionnée fait un sourire radieux, tout en faisant craquer ses articulations pour montrer qu’il est prêt.

Arrrrgh, si Un m’aidait à régler le problème, le corps de Khai serait retrouvé flottant dans l’étang à côté de la faculté.

Les seniors s’éloignent. Je m’assois par terre dans un coin de la pièce et je fais défiler les actualités sur mon téléphone parce que je suis seul. Je pense aider l’équipe artistique pour les accessoires, mais, avant que je puisse le faire, je dois faire face à la personne qui se dirige vers moi de loin avec un sourire.

“Laisse-moi m'asseoir avec toi,” demande-t-il avec sa voix grave. Il n’attend pas la réponse et pose immédiatement ses fesses.

“Tu n’as rien à faire? J’ai entendu dire que l’enregistrement commence demain.”

“Ce n’est pas mon travail d’enregistrer la bande originale. Tu as faim? J’ai des snacks?”

“Tu t’es excusé auprès de Bone?” Je change rapidement de sujet.

“Oui.”

“Bien. Je vais aider l’équipe artistique à peindre le décor. Tu… veux venir?” Je me déteste d’avoir dit ça sans même y penser. Un sourire heureux se répand sur son beau visage. Il hoche la tête avec joie.

Nous nous dirigeons vers l’arrière du bâtiment de la faculté, le repaire de l’équipe artistique. Ils sont occupés à faire des tonnes de décors. Même si nous avons embauché des professionnels pour faire les grands décors, comme nous avons un budget limité, il y a beaucoup de choses que nous devons faire nous-mêmes.

“Oh, Third, Khai, qu’est-ce qui vous amène ici?” nous salue un ami responsable de cette tâche.

“Nous sommes libres, donc nous sommes venus aider. Comment puis- je vous montrer mes compétences?” je demande. Il est content et indique un grand décor en contreplaqué.

Meeeeeeeeeeeeeeeerde! Vous n’avez même pas commencé un truc.

“Applique la base de peinture pour nous. La peinture blanche est près du poteau. Les pinceaux sont ici. Merci beaucoup,” dit-il et il retourne peindre avec application le décor du bâtiment d’étude. Je regarde Khai, gêné, puis il se dirige vers un gros pot de peinture avec ses longues jambes et le place près de moi.

“Le pinceau est si petit?” dis-je, résigné. Ça va prendre trois jours pour finir ça.

“Je vais t’aider. Je suis rapide.”

On s’accroupit sur le panneau de contreplaqué et on commence à appliquer la peinture blanche sur chaque coin. Khai continue de me parler de plein de choses, et maintenant on aborde le sujet du court-métrage que nous avons prévu de tourner.

“Je pense que nous devrions avancer le moment où nous allons prendre le train vers le sud. J’ai vérifié le calendrier. Il y a un long congé au début du mois prochain. Nous devrions organiser un petit voyage.”

“Tu as demandé à Too et Bone?”

“Non, je te demande d’abord. Si tu es d’accord, nous voyagerons ensemble.”

“Nous n’y allons pas pour travailler?”

“Nous voyagerons, et nous travaillerons.”

“Tout me va s’ils sont d’accord.”

“Oui!” Il y a un moment, nous avions parlé de prendre le train de Bangkok vers Surat Thani pendant les vacances. Pendant le voyage, nous allons écrire le scénario, échanger des idées. On pourrait en tirer quelque chose de bien.

Si nous partons en voyage plus tôt, notre état d’esprit pourrait s’alléger puisque nous pourrons nous reposer. C’est difficile avec toutes les activités de la faculté ces jours-ci. Même si ce n’est pas la période des examens, la date de la pièce de théâtre approche. Quand nous aurons terminé toutes les tâches et que nous pourrons nous isoler, ce sera génial.

“Il y a quelqu’un d’autre?” je demande de nouveau à Khai.

“Non, non, juste nous.”

“Alors, nous en parlerons sur LINE, ou, si nous croisons Too et Bone, nous leur demanderons leur opinion.”

“Aucun problème. C’est bien que tu sois d’accord.”

“Hum.”

“Third…”

“Quoi?”

“Quand tu as dit que je n’aimais que moi, tu avais raison.” Il passe habilement le pinceau sur le panneau de contreplaqué. Il ne lève même pas les yeux pour croiser mon regard, mais je sais dans quel état d’esprit il est. “Je m’aime. Je suis égoïste. Et je ne peux pas te laisser partir à cause de mon égoïsme. Je suis heureux parce que tu es ici avec moi. Je ne serais pas capable de vivre sans toi.”

“Tu n’as pas tort de penser comme ça. Mais si un jour, tu veux que je sois heureux sans que tu en fasses parti, nous en parlerons plus tard. Soyons juste amis pour l’instant.” Ne soyons pas plus que ça, arrêtons nous juste à ce stade.

“Tu m’attendras, pas vrai?”

“J’sais pas.”

“Mais je t’attendrai.”

“Ne me mets pas la pression. Si tu trouves quelqu’un de mieux que moi, vas-y. Je ne veux pas te retenir.” Peut-être que demain, ou le jour d’après, Khai trouvera quelqu’un qui pourra l’accepter complètement tel qu’il est et l’aimer plus que je n’en suis capable.

Parce que, depuis ce qu’il s’est passé cette nuit-là, mes sentiments ne sont plus les mêmes…

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Vrrrrr…!

La sonnerie de mon téléphone retentit pour la troisième fois. Je regarde le nom sur l’écran et soupire. Si je l’ignore encore, je vais continuer à entendre la sonnerie de ce mec insistant, donc je cède et décroche.

“Qu’est-ce qu’il y a?” dis-je et je regarde l’horloge au mur. Il est plus de vingt-deux heures maintenant.

[Tu as fini de faire tes bagages? Je suis tellement excité parce que notre voyage commence demain.]

Khai répond d’une voix joyeuse. C’est vrai! Demain, c’est le début des grandes vacances pendant lesquelles nous avons prévu de partir en voyage pour faire une mise en situation et essayer d’écrire l’intrigue avant de commencer à tourner le court-métrage au prochain semestre. Too et Bone étaient d’accord avec ça, mais il y a quelque chose que je n’ai pas dit…

Je ne pars pas en voyage avec eux.

Je l’ai dit à Too, bien sûr. Il m’a compris et décidé de partir juste tous les trois sans le dire à Khai. Je manque à mon devoir, en faisant passer mes sentiments avant mes responsabilités, mais ça serait assez horrible si Khai et moi devions rester ensemble pendant cinq jours avec ce sentiment étrange entre nous.

“Hum, presque fini.” je mens effrontément. 

Si je dis la vérité maintenant, Khai va soit annuler le voyage, soit venir me traîner hors de ma chambre, et je ne veux pas que cela se produise.

[J’ai préparé plusieurs tenues, des shorts confortables pour nager, mon appareil photo. Est-ce que je dois prendre mon imperméable?]

“Comme tu veux.”

Je me sens coupable au fond de moi.

[J’ai chargé la batterie portable. Mon iPod pour écouter des chansons, une guitare. Mon sac à dos est rempli de snacks au cas où tu aurais faim. Je vais prendre un cahier au cas où tu aurais quelques idées pendant le trajet. Tu as besoin d’autre chose, Third?]

“N...Non.” Pourquoi ai-je soudainement envie de pleurer? Est-ce que c’est parce que je ne fais pas ce voyage avec toi, Khai?

[Hey, je dois prendre mon ordinateur?]

“Comme tu veux.”

[Attends. Lunettes de soleil, chapeaux, une brosse à dents, du dentifrice, arrrrrrrgh.] Il grogne bruyamment. J’entends un cliquetis, comme s’il préparait ses affaires à la hâte.

“Vas te coucher dès que tu auras fini de faire tes bagages. Le voyage commence tôt demain.”

[Je ne vais pas me coucher. Je peux dormir dans le train.]

Parfois, j’ai vraiment l’impression d’être un ami merdique. J’ai insulté Khai, mais je suis celui qui n’aime que lui, ne soucie que de lui-même. Alors qu’il est heureux et exalté, je lui parle tranquillement sur mon lit.

“Il reste encore plusieurs heures.”

[Alors, dis-moi ‘fais de beaux rêves’.]

“Hum, fais de beaux rêves.”

[Fais de beaux rêves.]

Je raccroche en premier, mais je ne peux pas m’empêcher de fixer mon téléphone. Cette nuit va être une autre nuit où je me sens très frustré et mal à l’aise. Nous voyageons rarement ensemble, alors je me sens vraiment coupable de rompre ma promesse, c’est juste que…

Putain. Allonge-toi et ferme les yeux, et tout ira bien.

Vrrrrr…!

À huit heures et demie du matin, la sonnerie me réveille à la place de mon réveil. Au moment où je vois le nom de Khai, je fais semblant de l’ignorer jusqu’à ce qu’il s’arrête.

Mon téléphone continue de sonner quelques fois. Quand je suis sûr que les deux autres l’ont rejoint, j’éteins mon téléphone pour que personne ne me dérange.

Quelqu’un frappe à la porte dans l’après-midi. Je l’ouvre et vois mon meilleur ami, qui habite à un autre étage, me sourire.

“Too!”

“Ouais, c’est moi. Tu as quelque chose à manger? J’ai trop faim.” Il rentre, se grattant le ventre. Ses cheveux peu soignés sont attachés avec insouciance. Il n’a pas l’air prêt à voyager, et en plus, c’est l’après-midi maintenant.

“Attends, tu n’es pas allé à Surat?”

“Surat mon cul. Je viens juste de me réveiller. Je savais que tu étais seul alors je suis venu ici pour te tenir compagnie.”

“...”

“J’ai appelé Bone hier soir. Il a compris, tu sais.”

“Tu lui as dit que je n’y allais pas?”

“Non, mais il sait sûrement que tu te sens mal à l’aise avec ça. Donne-moi quelque chose à manger.” Comme il me presse, je dois aller à la cuisine et préparer quelque chose pour mon cher ami qui a fait la grasse matinée, tout en m’inquiétant pour ces deux voyous. Je ne sais pas s’ils sont vivants ou morts. 

“Tu as allumé ton téléphone?”

“Non, je ne veux pas prendre les appels de Khai,” répond Too en gobant ses nouilles. Il a fui les problèmes juste comme je l’ai fait. J’ai peur que les deux autres reviennent et nous le fassent payer.

“On est foutus.”

“J’allumerai mon téléphone et je les laisserai m’engueuler demain. Ils seront de meilleure humeur à ce moment-là parce qu’ils seront arrivés à la mer.”

“J’espère.”

“Au fait, Chingching a quitté l’équipe.”

“Pourquoi?”

“Elle a été malmenée par l’équipe du son. Eh bien... tout le monde a vu comment elle s’est jetée sur Khai. Si elle était restée, elle aurait été la cible des ragots pendant un long moment.”

“Hum.” Je hoche la tête, ne faisant aucun commentaire. Plusieurs de mes amis m’ont dit de ne pas trop y penser parce que Khai n’est pas entré dans son jeu. Mais vous comprenez, pas vrai? Cette scène est toujours coincé dans ma tête.

“Pardonne-lui. Je ne l’ai jamais vu être aussi sérieux avec quelqu’un à part toi.”

“Tu veux essayer d’être traité comme je l’ai été?”

“Très bien, je vais arrêter de m’en mêler. Donne-moi plus de nouilles. J’ai tellement faim que je pourrais manger ta tête.” Je secoue la tête, fatigué, mais obéis quand même à mon ami. Too a finalement rempli son estomac. Il fait la vaisselle et retourne dans sa chambre pour prendre une douche, puis il frappe une nouvelle fois à la porte. Nous sortons faire un tour et regarder un film jusque tard.

Nous nous séparons quand la petite aiguille indique le chiffre un. Après avoir fermé les portes, nous passons du temps dans nos propres mondes. Il est tard. Ces deux amis doivent dormir quelque part.

Toc, toc.

Quelqu’un frappe de nouveau à ma porte à trois heures du matin. Je m’y dirige, somnolent et en colère. Je suis énervé contre Too pour causer des problèmes aussi tard, mais la personne en face de moi n’est pas mon ami artiste. C’est…

“Bone!”

“Ouais, c’est moi. Third, tu n’es pas parti avec Khai?”

“Non, mais pourquoi tu es ici?” Je ne sais pas quel genre d’expression je fais, mais les battements et l’oppression de mon cœur menaçant de me couper le souffle me font penser à quelqu’un.

“Ça devrait être à moi de demander. Je voulais que vous vous réconciliez, alors je n’y suis pas allé.”

“Puuuuutain!” Je jure à haute voix, me précipitant à l’intérieur pour saisir mon téléphone éteint et la clé de ma voiture.

“Attends, Third, où vas-tu?”

"À la gare.”

“Maintenant? Je pense que Khai a déjà dû rentrer chez lui. Essaye de l’appeler d’abord.”

“Ouais?” Je m’en rends compte tout à coup, alors j’allume mon téléphone anxieusement devant la porte. Il n’y a même pas un appel manqué. Je suppose qu’il est rentré chez lui, mais je vais quand même l’appeler, juste pour être sûr.

Le numéro que vous demandez n’est pas joignable…

“Je n'arrive pas à le joindre. Je vais quand même aller à la gare. Toi, réveille Too et allez à l’appartement de Khai. Appelle-moi si tu trouves quoi que ce soit.”

“D’accord.”

On se sépare. Je me précipite vers ma voiture et appuie sur l’accélérateur, allant à toute vitesse jusqu’à destination en priant pour que Khai ne soit pas là. De 8h à 3h du matin, qui serait assez fou pour attendre? Impossible…

Dès que j’arrive, je cours vers l’endroit où l’on avait prévu de se retrouver et je vois que… il est toujours là.

“Khai.”

Il se retourne immédiatement. Il porte une chemise hawaïenne bleue, un short et des sandales, assis sur un gros sac à dos en face du quai avec une guitare et d’autres trucs autour de lui.

“Woah, tu m’as fait attendre un bon moment. Où sont tes bagages?”

“...”

“J’ai acheté des billets pour vous trois, mais c’est un peu tard. C’est pas grave, on peut en acheter des nouveaux.” Il sait qu’il a été laissé tomber mais parle avec le sourire comme toujours, bien qu’il soit plein d’amertume.

Mes jambes tremblent de plus en plus alors que je m’avance vers lui, me sentant soudainement si faible que je veux fondre en larmes.

“Je suis… désolé.”

“C’est pas grave. J’ai pensé que vous aviez d’autres plans, alors je ne vous ai pas appelé, j’avais peur de vous déranger. En plus, ma batterie est morte maintenant.”

“...”

“Où sont Too et Bone?”

“Pas encore là.” Je me tiens face à ce grand ami maintenant. Son corps est couvert de piqûres de moustiques. Il est évident qu’il ne va pas bien, mais pourquoi se force-t-il quand même à sourire?

“On peut commencer notre voyage demain, ou attendre que tout le monde soit prêt.”

“Je pense qu’il est trop tard.”

“Eh bien, le voyage est assez soudain. C’est bon, mais la prochaine fois, si vous ne voulez pas y aller, passez-moi un coup de fil.”

“...”

“Parce que j’ai parfois la fausse idée que je suis important.”

A ce moment-là, je jette mes bras autour de Khai, le serrant étroitement, et j’éclate en sanglots sans honte…

Je suis désolé. Je suis vraiment désolé.