• Chapitre 13 : Fear

     

    Chapitre 13

    La nuit était tombée depuis un long moment sur le lac, pourtant on était toujours là et si nous avions quitté l’eau depuis longtemps, on était maintenant tous assis autour du feu de camp. L’ambiance est douce, calme et apaisante, mais cela a peut-être aussi à voir avec le fait que je suis dans les bras de Ohm. Je suis assis entre ses jambes, contre son torse et si, au début, je me suis senti timide, maintenant je n’échangerais ma place pour rien au monde.

    J’étais en train de m’assoupir quand Boun s’est levé pour aller fouiller dans le tas d'affaires et qu’il est revenu vers nous avec une guitare à la main. Il me fait un petit sourire avant de s'asseoir à côté de son petit ami. Pendant un moment, il se contente de laisser échapper quelques accords avant de finalement commencer à chanter, sa voix est douce et il est rejoint dès la deuxième phrase par Nine, leurs voix s’accordent à merveille et même si je ne comprends pas ce qu’ils chantent, je suis touché.

    Hello darkness, my old friend, (Bonsoir obscurité, ma vieille amie,) ♪

    I've come to talk with you again (Je suis venu te parler de nouveau) ♪

    Because a vision softly creeping, (Car une vision s'insinuant doucement en moi,) ♪

    Left its seeds while I was sleeping (A semé ses graines durant mon sommeil) ♪

    And the vision that was planted in my brain, still remains (Et la vision qui fut plantée dans mon cerveau, demeure encore) ♪

    Within the sound of silence (Dans le son du silence) ♪

    Ohm se penche vers moi et doucement, au creux de mon oreille, il commence à me traduire ce que ses amis chantent. L’instant est étrange, apaisant, solennel et en même temps cela provoque une myriade d'émotions en moi. Je sens ma gorge se serrer alors que je me retrouve totalement à travers les paroles. 

    In restless dreams I walked alone, (Dans mes rêves agités j'arpentais seul,) ♪

    Narrow streets of cobblestone (Des rues étroites et pavées) ♪

    'Neath the halo of a street lamp, (Sous le halo d'un réverbère,) ♪

    I turned my collar to the cold and damp (Je tournai mon col à cause du froid et de l'humidité) ♪

    When my eyes were stabbed by the flash of a neon light, (Lorsque mes yeux furent blessés par l'éclat de la lumière d'un néon,) ♪

    That split the night and touched the sound of silence (Qui déchira la nuit et atteignit le son du silence) ♪

    Est-ce que Ohm ressent mon trouble ? Peut-être, parce qu’alors que je ne quitte pas Boun et Nine qui chantent doucement, il resserre son étreinte autour de moi, m’entourant de sa chaleur et je pose ma tête contre son épaule, me laissant bercer par l’instant qui semble en dehors du temps.

    And in the naked light I saw, (Et dans cette lumière pure je vis,) ♪

    Ten thousand people, maybe more (Dix mille personnes, peut-être plus) ♪

    People talking without speaking, (Des personnes qui discutaient sans parler,) ♪

    People hearing without listening (Des personnes qui entendaient sans écouter) ♪

    People writing songs that voices never share, (Des personnes qui écrivaient des chansons qu'aucune voix n'a jamais partagées ) ♪

    And no one dared disturb the sound of silence (Et personne n'osa déranger le son du silence) ♪

    Joong est perdu dans ses pensées, Prem pose sa tête sur l’épaule de Boun et j’ose un instant lever la tête vers Ohm, lui me regarde déjà, le visage serein, l’air sérieux et les yeux tendres. Mon cœur bondit et je n’arrive pas à comprendre comment cette chanson peut me chambouler et m’apaiser en même temps. Elle m’évoque mon passé, me ramène à mon incapacité à parler et pourtant, je ne ressens aucune douleur. C’est comme si la mélodie et les voix me disaient, ne t’inquiète pas, tout ira bien.

    Fools, said I, you do not know, (Idiots, dis-je, vous ignorez,) ♪

    Silence, like a cancer, grows (Que le silence, tel un cancer, évolue) ♪

    Hear my words that I might teach you, (Ecoutez mes paroles que je puisse vous apprendre,) ♪

    Take my arms that I might reach you (Prenez mes bras que je puisse vous atteindre) ♪

    But my words, like silent raindrops fell, (Mais mes paroles tombèrent telles des gouttes de pluie silencieuses,) ♪

    And echoed in the wells of silence (Et résonnèrent dans les puits du silence) ♪

    L’émotion me submerge et les larmes se mettent doucement à couler le long de mes joues. Elles ne représentent pas la douleur, la peur ou la tristesse, c’est juste un ensemble de tout cela, c’est difficile à comprendre, mais ces larmes, au lieu de me dévaster, me font me sentir mieux. Autant que le baiser qui se dépose sur ma tempe, me faisant fermer les yeux quand ils entament la fin de la chanson.

    And the people bowed and prayed (Et ces personnes s'inclinaient et priaient) ♪

    To the neon god they made (Autour du dieu de néon qu'ils avaient créé) ♪

    And the sign flashed out its warning (Et le panneau étincela son avertissement) ♪

    In the words that it was forming (A travers les mots qu'il formait) ♪

    And the sign said : the words of the prophets (Et le signe disait : les mots des prophètes) ♪

    Are written on the subway walls (Sont écrits sur les murs du métro) ♪

    And tenement halls, (Et des halls d'immeubles,) ♪

    And whispered in the sounds of silence (Et ils murmuraient à travers les sons du silence) ♪

    Comme tous les jours depuis une semaine, je me réveille au son des derniers accords joués par Boun alors que leurs voix s’éteignent doucement dans la chaleur de cette nuit-là qui a changé tant de choses pour moi. Je ne parle toujours pas, je ne me sens pas à l’aise à l’extérieur, mais je me sens en paix avec moi-même. Je me frotte doucement les yeux avant de regarder le plafond avec un petit sourire aux lèvres. 

    Sept nuits sans cauchemars, sept nuits presque complètes, j’ai du mal à y croire et pourtant, c’est devenu ma réalité depuis cette belle journée avec les garçons. Ma porte s’ouvre et je tourne aussitôt la tête pour voir Ohm entrer et mon sourire s’agrandit. Mon ancre, celui qui petit à petit a réussi à me sortir des ténèbres et qui se tient près de moi, quand soudain elles reviennent me hanter.

    — Salut la marmotte.

    Il s’allonge à côté de moi et nos mains se retrouvent et nos doigts s’enlacent. Notre relation est la même que depuis notre premier baiser dans sa voiture. On n’a pas réellement mis de mot dessus, on n’en a pas réellement besoin. On a des sentiments l’un pour l’autre, on se sent bien ensemble et même si, pour le moment, c’est encore timide, on se prend la main en permanence, on s’embrasse un peu et les meilleurs moments, c’est quand je me trouve dans ses bras.

    Ohm ne s’est pas caché à sa mère et si j’avais eu un peu peur de sa réaction, elle n’a pas semblé surprise quand le lundi matin, on est arrivé main dans la main dans la cuisine. Joong m’a expliqué un peu plus tard que Ohm avait eu une discussion avec sa mère, que depuis longtemps ils savaient que le fils aîné de la famille éprouvait des sentiments forts pour moi. J’ai été troublé par ce fait, mais finalement, je me demande si moi aussi je n’ai pas éprouvé quelque chose de fort pour lui depuis cette nuit-là, sept ans plus tôt.

    — Tu as bien dormi ? 

    Je tourne la tête vers lui en souriant et hoche la tête à plusieurs reprises. Lentement, ses doigts glissent sous mes yeux et il sourit en coin à son tour. 

    — Je suis content, elles disparaissent.

    Je me tourne vers lui et il dépose un baiser sur mon front. C’est notre rituel depuis une semaine. Il reste près de moi le soir jusqu’à ce que je m’endorme, puis il me rejoint le matin et m’embrasse sur le front pour me dire bonjour. Et comme à chaque fois, mes pommettes deviennent roses et il s’empresse de les caresser avec douceur. 

    — Tu te souviens de Krissada ?

    De nouveau je hoche la tête, même si nous ne l’avons vu que rapidement il y a plusieurs jours, c’est un ami de ma famille et il m’a promis de me parler d’elle. 

    — Il est dans la cuisine, il a demandé si tu te sentais prêt à parler un peu d’eux.

    J’ai beaucoup avancé en peu de temps, moi qui ai toujours eu peur qu’entendre parler de mes parents, de mon frère et de ma soeur me détruise complètement, maintenant, je veux en apprendre plus, essayer de retrouver cette part de moi-même qui était caché, cadenassé au fond de mon esprit. Je soupire longuement avant de finalement hocher la tête une nouvelle fois. C’est en silence et toujours en se tenant la main que l’on quitte ma chambre, je laisse Ohm me guider dans la maison pour nous emmener vers la cuisine où la voix de Tante Chermarn se fait entendre même si je ne comprends pas ce qu’elle dit.

    Je ne peux pas m’en empêcher, quand le rire grave de Krissada résonne jusqu’à nous, je me tends brutalement et Ohm finit par passer son bras autour de mes épaules pour me rassurer. 

    — Tout va bien. 

    Comme toujours il me rassure, il m’apaise et sans me laisser le temps de me poser trop de questions, il me fait entrer dans la cuisine. 

    — Bonjour les enfants.

    La mère de Ohm nous fait un magnifique sourire quand elle nous voit arriver et je lui réponds de la même manière. C’est devenu plus facile d’interagir avec elle, Joong et Ohm. Je me laisse plus facilement approcher et quand je leur souris ce ne sont plus les sourires timides, ils sont vrais.

    Mais quand je me tourne vers l’invité de la maison, je perds totalement mes moyens, je me serre contre Ohm et mon sourire se fait plus discret. 

    — Bonjour les garçons.

    Il nous observe attentivement et je peux le voir tiquer un instant très bref quand il voit le bras de Ohm qui me maintient contre lui, nos deux corps sont tellement proches l’un de l’autre, que l’on ne peut pas dire que l’on est juste ami. Le trouble quitte rapidement ses yeux et il nous sourit avant de montrer les deux chaises de libre. 

    — Asseyez-vous, j’ai trouvé des photos qui devraient vous plaire. 

    Ohm et moi faisons un wai pour chacun d’entre eux avant de rejoindre la table où les deux adultes nous attendent. 

    — Commencez à discuter, je vais vous préparer vos petits-déjeuner. 

    Aussitôt ma tante se lève et commence à réchauffer le repas. Je ne mange toujours pas beaucoup, c’est un point qui inquiète Ohm, il voudrait me voir me remplumer un peu, mais je n’arrive toujours pas à trouver l’appétit. Krissada pose alors la boîte qu’il avait posée sur ses genoux, elle n’est pas très grande, mais il la manie comme si elle avait une valeur inestimable. 

    — Tu te souviens, je t’avais expliqué que je connaissais bien tes parents, alors j’ai cherché des photos qui pourraient t’aider à te rappeler un peu certains bons moments. 

    Il soulève le couvercle et en sort une première photo qu’il me tend avec un petit sourire. 

    — Là, c’est nous. 

    Je prends la photo les mains un peu tremblantes, je ne sais pas ce que je vais ressentir, j’ai un peu peur de ma réaction, mais au final, quand j'aperçois le portrait de ces quatre adolescents, j’ai un petit sourire au coin des lèvres. 

    — On était en Terminale sur celle-ci, on n’avait pas encore rencontré ton père Ohm, à cette époque ta mère venait d’arriver et on l’adorait tous les trois.

    Mon index passe sur le visage figé de ma mère, puis de mon père, autour d’eux je reconnais Krissada et Oncle Wanchana.

    — C’est moi qui ai pris cette photo. Vous alliez à une soirée pour fêter votre diplôme, vous alliez rentrer à l’université. 

    Ma tante intervient alors qu’elle dépose deux assiettes devant nous. Elle a un sourire nostalgique et j’oublie parfois qu’elle aussi elle les a connus. Krissada hoche la tête avec un petit sourire en coin. 

    — Je me souviens que je voulais absolument venir avec vous, mais j’avais une dizaine d'années à l’époque. C’est après cette soirée-là qu’ils ont commencé à sortir ensemble, c’est ça ?

    Elle lève la tête pour demander confirmation à Krissada qui hoche alors la tête. Il semble un peu perdu dans ses pensées alors que, j’imagine, il est en train de revivre ces instants maintenant disparus. Je les écoute parler avec un petit sourire, voir mes parents sur cette photo, les entendre parler d’eux, n’est pas aussi difficile que je le pensais, je me sens triste, mais j’arrive à faire face. Par contre, je sais d’avance que je ne pourrais pas avaler quoi que ce soit pour le moment. Au même moment, l’homme me tend une nouvelle photo et j’ai un flash dans ma tête, ce n’est pas douloureux, ce n’est pas triste, c’est juste étrange. 

    — Le jour de leur mariage… j’étais leur témoin avec Ai’Wanchana. 

    Je me souviens de cette photo, maman l’aimait beaucoup et elle se trouvait accrochée au mur de l’entrée, elle voulait être sûre que tout le monde puisse voir en arrivant, combien ils étaient heureux ensemble. Mon regard se perd dans le vide et je décroche un instant de la conversation alors que je me rappelle la voix douce de ma mère. Elle aimait nous raconter leur mariage, l’amour qu’elle éprouvait pour mon père transparaissait dans chacun de ses mots.  Une main se glissant dans mes cheveux me fait sursauter 

    — Tout va bien Fluke ? 

    Je me redresse et je me rends compte que le silence s'est établi autour de la table. J’ai trois paires d’yeux fixés sur moi et je ne me sens pas très à l’aise. Pourtant, je prends sur moi et je souris en hochant la tête avant de prendre l’ardoise qui se trouve comme toujours au centre de la table. 

    “Je me suis rappelé de quelque chose. Désolé.”

    — Tu n’as pas à t’excuser, je suis venu pour t’aider, justement. Tiens, regarde cette photo.

    Je suis reconnaissant, ils ne posent aucune question, il me laisse avoir pour moi ce petit jardin de bonheur et je me demande encore combien de souvenirs j’ai pu effacer pour ne pas souffrir, à cet instant, je regrette de ne pas avoir cherché plus tôt à me rappeler complètement de ma famille. Je prends une profonde inspiration et me saisis de la nouvelle photo entre mes mains. Pendant presque deux heures, j’écoute Krissada et ma tante se souvenir de ma famille, parfois j’ai des flash qui me ramènent un moment du passé, mais bien souvent, c’est juste le néant. 

    Il allait me montrer une nouvelle photo, quand la porte d’entrée s’ouvre brusquement et qu’une joyeuse cacophonie monte quand nos amis et Joong entrent dans la maison en chahutant. J’entends ma tante soupirer, mais elle a un petit sourire aux lèvres. Elle aime quand il y a de l’animation chez elle et on peut dire qu’avec Joong elle est servie. 

    — Hey Oncle Krissada, bonjour. 

    Il déboule dans la cuisine avec un grand sourire, et distribue sourire et bonne humeur autour de lui. 

    — Comment tu vas Joong ? 

    Krissada répond tout en se levant et en rassemblant les photos qui sont éparpillées sur la table. Joong lui répond tout en étant occupé à fouiller dans les placards à la recherche de nourriture, alors que Boun, Prem et Nine restent près de l’entrée, saluant tout le monde d’un Wai. 

    — Je vais vous laisser, j’ai encore des choses à faire. Ohm, on se voit demain sur le chantier.

    Il range les photos dans la boite et me la tend avec un petit sourire, ses yeux brillent et quand je vois ses traits tirés, je pense que ce retour dans le passé a dû être difficile pour lui. 

    — Tiens, je pense que tu seras heureux de pouvoir les regarder à nouveau quand tu en auras envie. 

    Je prends la boite en souriant  et il se redresse rapidement avant de grimacer et se tenir le genou. 

    — Je crois qu’il va bientôt pleuvoir. 

    Il soupire avant de sourire devant mon regard interrogatif. 

    — Ce n’est rien Fluke, j’ai eu un accident de voiture il y a quelques années, j’ai eu une fracture ouverte du genou et depuis je peux prédire les jours de pluie.

    — Avec un taux de réussite de 90%.

    Je tourne la tête vers Joong qui sort la tête du placard avant de retourner tout de suite à la recherche de nourriture. Krissada éclate de rire avant de tapoter doucement l’épaule de Ohm et de saluer tout le monde avant de partir.

    Il y a un petit moment de flottement avant que finalement, les garçons s’installent à l’aise et que les conversations reprennent bon train. Je n’arrive pas vraiment à me concentrer dessus, je suis concentré sur la boîte qui contient les souvenirs de ma famille, c’est étrange de me dire que toute une vie peut tenir dans une si petite boite. Je ressens soudain un élan de tristesse, pourtant, tout au long de notre conversation, je me sentais bien, heureux même, mais là, le sentiment de solitude et d’abandon se fait ressentir tellement fort que j’ai même l’impression de ne pas réussir à respirer. La main de Ohm se pose sur ma nuque, son pouce caresse doucement ma peau et quand il se penche pour m’embrasser la tempe, j'arrive à prendre une grande inspiration.

    Je sais que les autres ont remarqué mon état, mais ils continuent de discuter autour de moi, me laissant le temps de me reprendre sans pointer du doigt mon moment de faiblesse et je ne peux que les remercier pour ça. Ohm ne dit rien, il se contente de caresser ma nuque, il me transmet sa force et je lui en suis reconnaissant aussi. Lentement, je reprends le dessus, j’arrive à me détacher de ce sentiment et à reprendre pied dans la réalité.

    La première chose que je remarque, c’est Prem qui est assis sur les genoux de Boun, depuis leur baiser au lac, ils ne se cachent plus et même si le plus jeune est parfois un peu timide, il ne repousse jamais son amoureux. Ils savent très bien qu’ici, personne ne les jugera. Assis sur le comptoir, Joong ne peut s’empêcher de les taquiner gentiment tout en piochant dans les snacks qu’il a trouvé dans un placard et en ignorant les remarques de sa mère sur le fait qu’il y a d’autres sièges que là où elle prépare le repas. Nine, comme à son habitude, reste tranquille, observant la scène un peu en retrait, mais il semble bien s'amuser de ce qui l’entoure.

    — Oh ! Au fait, Fluke il y a une lettre pour toi. 

    Nine semble soudain se rappeler de l’enveloppe qui est posée sur ses genoux depuis qu’ils sont entrés dans la maison. 

    — Elle était coincée dans la porte. 

    Je fronce les sourcils et tout le monde semble soudain très intéressé par la grosse enveloppe marron que le jeune homme me tend. Je me sens tout de suite nerveux, je ne sais pas pourquoi, mais je sens mon ventre se contracter d’une manière désagréable et sur le moment, je ne veux pas tendre la main, je ne veux pas toucher le papier et l’ouvrir.

    L’angoisse me saisit à la gorge et j’ai l’impression que c’est au ralenti que je saisis l’enveloppe. Ma respiration est superficielle et tout le monde peut remarquer que ma main fait fortement trembler le courrier. 

    — Tu as vu s’il y avait un expéditeur ? 

    Ma tante semble curieuse et peut-être un peu mal à l’aise aussi. Je vois qu’elle est en train de se mordre la lèvre inférieure, je peux deviner qu’elle se retient de m’empêcher de l’ouvrir. Pourtant, elle m’a promis de me traiter comme un adulte, alors elle se réfrène. 

    — Non, elle n’est pas cachetée non plus. 

    Je ne devrais pas faire ça, je ne devrais pas l’ouvrir, mais je ne peux pas non plus la laisser fermée, j’ai besoin de savoir qui veut essayer d’entrer en contact avec moi. La main de Ohm se pose sur ma cuisse et la serre doucement, je ne regarde pas vers lui, sans quoi, je le sais, je ne pourrai pas aller jusqu’au bout. J’essaie de positiver et de me dire qu’il s’agit peut-être d’un ancien camarade d’école, je me focalise sur cette idée et sur la main de Ohm qui s’est reposée sur ma nuque.

    — Fluke…

    La voix étranglée de Ohm me fait tressaillir, je tourne la tête vers lui et comprends ce qu’il essaye de me dire, mais je dois savoir, je ne peux plus faire l’autruche et faire comme si le problème n’existait pas. Je suis fort maintenant et je suis sûr que je peux faire face. Et puis, je ne suis plus seul maintenant. C’est ce que je me répète en boucle dans ma tête alors qu’au fond, je n’en mène pas large et je suis terrifié.

    Le silence qui règne dans la cuisine ne m’aide pas à rester calme, je préférerais entendre les boutades de Joong, mais là, il n’y a même plus le bruit du sachet de snacks qu’il était en train de manger. Après un long moment, j'arrive à retirer un morceau de papier plié en deux, ainsi que ce qui ressemble à une photo. Pour le moment, je préfère me focaliser sur la lettre, alors je laisse la photo derrière le papier et commence à lire.

     

    Fluke,

    Après tout ce temps, je t’ai enfin revu, tu as tellement changé en sept ans que j’ai eu du mal à te reconnaître. J’ai l’impression que c’était hier que tu criais à t’en casser la voix pour que je te laisse partir. Finalement, je suis content que tu sois parti, c’est l’occasion de mieux nous retrouver maintenant. 

    J’ai hâte d’entendre à nouveau tes hurlements, je me demande à quoi ressemble ta voix maintenant ? Je suis sûr que je vais vite le savoir et puis cette fois, je vais te garder précieusement pour t’entendre encore et encore.

    Je vais beaucoup t’observer Fluke, tu me rappelles ta mère, tu lui ressembles, frêle et délicat. J’ai tellement hâte d’être à notre prochaine rencontre, de pouvoir jouer avec toi à nouveau. Et toi tu as hâte de me revoir ?

     

    Ma respiration se fait saccader au fur et à mesure que je lis les lignes, la peur s’insinue dans mes veines, c’est glacé et je frissonne violemment alors qu’elle revient, ma vieille amie qui s’était faite si discrète depuis quelque temps. Mon ventre se tord, mes yeux s’écarquillent et finalement mes doigts laissent échapper la feuille. Je n’entends même pas les autres qui m'appellent, qui tentent de me questionner, car ce qu’il y a sur la photo est encore pire que les mots couchés sur le papier.

    Ohm se saisit de la lettre qui s’est échouée sur la table et en commence la lecture, mais je l’ignore, je reste focalisé sur l’image qui semble tout droit sortie de mes cauchemars. La photo est sombre, mais je reconnaîtrais les lieux entre mille, j’y ai passé de longues heures à essayer de me cacher dans les ténèbres. La cave, prise de la porte où le monstre surgissait pour nous emmener un pas un. 

    L’angoisse, la terreur me submergent, je dois fuir, je n’ai pas le choix, le monstre est là, il va venir me prendre et finir sa tâche macabre. J’ai oublié le lac, j’ai oublié l’amour et j’ai oublié que je pouvais avoir un avenir. Je ne peux pas quitter la cave des yeux et je me lève brutalement de ma chaise, je n’ai pas conscience qu’elle s’est renversée dans un claquement brusque qui aura fait sursauter tout le monde. 

    Je recule lentement, je cherche le mur, mon mur, je dois me cacher, je dois essayer de rentrer dans le mur, disparaître pour qu’il ne puisse pas me trouver. Je n’ai plus conscience de rien, ni de ma respiration erratique, ni des larmes qui coulent le long de mes joues ou de mon cœur qui semble prêt à me lâcher tant il bat vite.

    Soudain, une main se pose sur mon avant bras, j’ai l’impression que tout mon corps s'électrise, il est là. Je pousse un hoquet de terreur et fait la seule chose pour laquelle je suis conditionné depuis des années, la fuite. Je ne lâche pas la photo, je la serre dans mon poing et je m’élance, je dois quitter la cave, je dois trouver la sortie et sauver ma vie. Je ne veux pas mourir. Je cours sans regarder où je vais et je couine quand j’entends que l’on me poursuit. Je pose la main sur la poignée, je vais survivre, je vais me sortir de là. 

    — FLUKE !

    La main du monstre se pose mon épaule, il m’a rattrapé et quand il cherche à me retenir, c’est un hurlement qui sort de ma bouche, ma gorge me brûle instantanément, mais je n’arrive pas à arrêter de hurler, je ne peux plus faire que ça. Le monstre m’attire contre son torse et je perds encore plus la tête, je veux quitter son étreinte, je ne veux pas mourir. alors je me débats, je frappe, je griffe ce bras qui me retient.

    — Fluke… Calme toi… Fluke… C’est moi…

    La voix m’est familière, ce n’est pas le monstre qui parle à mon oreille, la main qui passe dans mes cheveux ne cherche pas à me blesser, au contraire, elle est douce. 

    — Tu es en sécurité… je t’en prie… reviens vers moi. 

    Sa voix tremble, il a peur, même s’il cherche à m’apaiser, il a peur du monstre, il est dans la maison ou… je sens quelque chose de frais se poser sur mon visage et je prends une grande inspiration, lentement, à force de caresse, de tendresse et de mots chuchotés à mon oreille, j’arrive à reprendre le dessus, je suis en sécurité, dans une maison où personne ne me veut du mal.

    — Fluke, ouvre les yeux, tout va bien, je suis là. 

    Je trouve le courage d’ouvrir les yeux et je ne suis pas dans la cave, je ne suis pas avec le monstre. Je suis assis au sol dans l’entrée et Ohm me tient fermement dans ses bras, la première chose que je vois c’est la porte qui est entrouverte. Mon corps se détend brusquement et je réussis à lever la tête pour croiser le regard de Ohm, il est pâle et il a peur, mais il réussit à me sourire pour me rassurer avant de déposer ses lèvres, que je devine blessées, contre mon front.

    — Ohm, il est revenu… la crise est passée. 

    Il hoche lentement la tête alors que sa mère tente de le rassurer. Je ne peux pas la voir, mais je sens à sa voix qu’elle n’est pas bien non plus. J’ai encore mis tout le monde mal à l’aise, j’ai tout gâché. Le souvenir de la lettre me percute de plein fouet et je me mets à pleurer, de gros sanglots qui me déchirent la poitrine. 

    — Emmène-le dans le salon, je vais chercher la trousse de premier soin.

    Ohm embrasse ma tempe une dernière fois, puis il réussit à se relever et m’emporte avec lui, il me porte dans ses bras comme si je ne pesais rien. J’ai l’impression d’être vide, une poupée de paille entre ses bras alors que j’ai l’impression d’être redevenu l’être apeuré comme à mon arrivée.


    Notes
    Voici donc la vidéo de la chanson qui se joue au début.


  • Commentaires

    2
    Dimanche 27 Juin 2021 à 18:22

    La musique est superbe et je suis tout à fait d'accord elle colle bien avec l'état d'esprit de Flukecool


     


    Et non, j'y crois pas, le revoilà...il commençait à aller mieux et là il vient tout détruire encore une fois. Je pense que Fluke va beaucoup s'inquiéter pour Ohm, Joong et Chermarn, j'ai peur qu'il décide de partir pour les "sauver"..... Si la lettre a été déposé j'espère qu'ils vont la montrer à la police pour trouver des traces ADN ou alors analyser la photo ou autre.....


     


    J'ai peur pour Fluke, il a déjà assez souffert.......

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    1
    Mercredi 12 Mai 2021 à 17:36
    Voilà que je reprends la lecture depuis janvier ou je me suis arrêté et maintenant, j'ai J'ai les larmes aux yeux. Heureusement que c'est fictif aussi non je ferais un meurtre.
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