• Chapitre 1 - Nightmares and Dreamscapes

    Chapitre 1

    La pièce où je me trouve est plongée dans la pénombre à cause des volets fermés. Ils ne laissent passer qu’un léger rayon de soleil m’indiquant que l’on est en pleine journée. C’est le plein été, et pourtant, il fait presque froid à l’intérieur. La clim est poussée au maximum et je peux ainsi m'emmitoufler dans une couette épaisse. Cela dit, je ne suis pas totalement isolé du monde, souvent j’entends des gens passer sur le trottoir un étage plus bas, les rires joyeux des enfants ou les discussions plus sérieuses des adultes.

    Cette prison est celle que je me suis choisie. Elle me protège des dangers du monde extérieur. Ses barreaux ne m'emprisonnent pas, non, ils emprisonnent l’extérieur, les empêchant d’approcher ma bulle de sécurité. Ici, dans ma pièce sombre, fermée à double tour, personne ne peut me voir, personne ne peut m’entendre, personne ne peut m’approcher et j’ai l’impression que plus jamais rien de mal ne pourra m’atteindre.

    Il y a un an, j’étais un étudiant tout ce qu’il y a de plus ordinaire, je vivais déjà dans cet appartement que mes parents m’ont offert pour me rapprocher de l’université. Ma vie était lumineuse, drôle et agréable. J’étais populaire, de toutes les soirées, entouré d'amis, j'étais insouciant et je pensais avoir toute la vie devant moi. Tout le contraire d'aujourd'hui, où ma vie ne se résume qu’à ce salon sombre et qui sent légèrement le renfermé. 

    Je n’ai presque pas quitté mon appartement depuis huit mois maintenant, je ne réponds que rarement au téléphone et je n’ouvre absolument jamais la porte quand quelqu’un toque. Les seules personnes qui peuvent entrer, c'est Chimon, mon seul ami et ma mère, mais parce qu'ils ont la clé. 

    La seule sortie que je fais, c’est quand je me rends à la petite librairie, qui se situe au coin de ma rue, pour me réapprovisionner en livres. Je ne sors jamais ni le même jour, ni à la même heure. Je ne peux pas prendre le risque que quelqu’un se serve de ces sorties pour me faire du mal, je ne le supporterais pas. Et puis surtout je suis toujours accompagné de Chimon qui me rassure et me permet de ne pas être totalement coupé du monde. Lire est devenu ma seule occupation, je lis du soir au matin et du matin au soir. C’est une activité sans risque et cela me convient très bien depuis que…

    Je suis pris d’un long frisson alors que ma main se crispe brusquement sur la couverture du livre, froissant ses pages au passage. Non, je ne dois absolument pas penser à ça. Je sens la nausée me saisir alors je remonte la couverture au-dessus de ma tête pour m'enfoncer dans le cocon chaleureux. Pourtant je sais que la chair de poule qui recouvre mon corps actuellement n'est pas due au froid. Je tente de me faire le plus petit possible sur mon canapé où je suis installé depuis un long moment maintenant. Je glisse nerveusement un coup d'œil hors de la couette. Regardant autour de moi pour être sûr que personne n’a pu rentrer chez moi. 

    Je sursaute violemment quand le voisin du dessus fait tomber quelque chose sur le sol et que le bruit se répercute dans tout mon appartement. Un cri sort de ma gorge et j'essaie de respirer profondément pour me contrôler. Je sens déjà les larmes me monter aux yeux alors que je referme brusquement mon livre. Je lis pour me laisser immerger par l'histoire, pour laisser derrière moi qui je suis. Seulement ce livre ne fonctionne pas, il ne laisse pas les souvenirs loin derrière moi.

    Je soupire avant de m’étirer en grimaçant un peu en sentant que mes muscles sont ankylosés à force de rester immobiles. Lentement, je fais glisser la couverture, juste assez pour pouvoir jeter un rapide coup d'œil dans la pièce, qui comme toujours est vide. Je me redresse, laissant la couette découvrir le haut de mon corps, et dès que je ne suis plus protégé par mon cocon, je sens la nervosité arriver. Je sais bien que c’est ridicule, je suis enfermé à double tour dans mon appartement et il n’y a aucun moyen d’entrer. 

    Je me lève, quittant définitivement ma zone de sécurité et en me répétant encore que je n’ai rien à craindre dans mon appartement. Si je ne le faisais pas, me répétant ces mots encore et encore, alors je finirais par retourner sur le canapé pour me cacher à nouveau sous la couette sans réussir à affronter ce qui se trouve autour de moi.

    Je me dirige à pas lents vers la cuisine, j’ai un peu la tête qui tourne. J’ai alors une révélation, je n’ai rien mangé depuis hier matin. Je sais que ça m’arrive bien trop souvent d’oublier de manger. D’ailleurs, je vois bien les regards anxieux de Chimon et de ma mère, les seuls à encore venir me voir, quand ils se rendent compte d’à quel point j’ai maigri.

    J’ouvre le placard et observe la quantité impressionnante de paquets de ramen qui s’y trouvent. C’est presque devenu la seule nourriture que je peux avaler. Malgré ce fait, chaque semaine, ma mère me prépare des repas qu’elle cuisine avec amour, même après tout ce temps, elle espère toujours me voir les manger. Seulement, je n’y arrive pas, je ne peux pas y toucher, car je ne sais pas ce qu’elle a pu mettre dedans.

    Je n’aurais pas dû penser à ça, car soudain tout mon corps se contracte et le paquet de pâtes instantanées que je tenais dans mes mains m’échappe et va s’écraser au sol avec un bruit qui me fait sursauter. Mon corps se met à trembler, au point où j'ai du mal à me tenir debout et le souvenir d’une voix remonte brutalement à la surface.

    — Hey Nanon, tiens, bois ça, c'est un petit cocktail de mon invention. Tu vas voir… c’est magique.

    Je me retiens au comptoir de la cuisine, mes doigts se crispant fortement autour du bois et un violent vertige me saisit. Je ne m’en préoccupe pas, je n’ai pas le temps, car je sens un haut le coeur qui ne me laisse que le temps de me pencher au dessus de l’évier et je vomis le contenu de mon estomac, c’est-à-dire de la bile acide qui me fait grimacer.

    Je tousse, ma gorge me brûle et j’ai du mal à reprendre mon souffle. Je ne me rends même pas compte que des larmes coulent le long de mes joues. Vu ce qu'il vient de se passer, je sais que je n’arriverai pas à manger maintenant, mon estomac devra attendre encore un petit peu.

    J’essaie de reprendre le contrôle de mon corps, mais celui-ci reste faible, tremblant et je me sens poisseux à cause de la sueur froide qui coule le long de mon dos. Prendre une douche me semble être une très bonne idée, laisser l’eau bouillante couler sur mon corps. Nettoyer ma peau de cette couche de transpiration, mais également du sentiment de dégoût qui y reste fidèlement accroché peu importe le nombre de douches que je peux prendre.

    Je marche lentement, je me tiens aux murs et me dirige, tremblant toujours autant, vers la salle de bain. Je fais mes exercices de respiration, inspirer et gonfler mon thorax au maximum, retenir ma respiration dix secondes, puis expirer lentement avant de recommencer depuis le début. Je tente de garder les souvenirs loin de moi pour ne pas complètement perdre pied. 

    J’ai l’impression d’être ivre et plusieurs fois je manque de tomber quand mes pieds s'emmêlent. Enfin j'arrive dans ma salle de bain, ma respiration est difficile, je vois trouble et je sens mon estomac se tordre dans tous les sens. 

    Je ne prends pas le temps de me déshabiller ou de faire chauffer l'eau, j'ouvre le jet d'eau à fond et me glisse dessous. Un long frisson me parcourt quand l'eau glacée frappe ma peau, un instant ma respiration se coupe et j'espère que ce sera suffisant pour couper court à la crise. 

    Je ferme les yeux, essayant de mettre en place les exercices que Chimon s'entête à m'apprendre, mais ça ne marche pas, je craque. Mes jambes cèdent sous mon poids, je pose la main sur mon cœur qui tambourine dans ma poitrine. Plus je lutte contre la crise, plus j’essaie de brider les souvenirs et plus la douleur dans ma tête se fait présente et j’ai même l’impression que je pousse un hurlement, mais je n’en suis pas sûr, parce que j’éclate en sanglots au moment où les souvenirs prennent le contrôle de tout.

    La soirée avait commencé depuis longtemps, mais je n'avais pas pu arriver plus tôt, je devais finir un devoir très important pour lundi. J’avais préféré le faire avant de venir, car j’étais sûr que demain, j'aurai trop la gueule de bois pour me motiver et je ne pouvais pas me permettre d’avoir une mauvaise note.

    L'ambiance est là, tout le monde danse, s'amuse et boit beaucoup. Je scanne la foule autour de moi et rapidement, je croise le regard de Bay, mon meilleur ami qui est en train de discuter avec un garçon que je ne connais pas. Son regard est un peu étrange, mais je pense que c’est à cause de l’alcool qu'il a déjà dû boire avant mon arrivée. 

    — Hey Nanon ! Comment tu vas ?

    Il m’interpelle quand il me voit au milieu de la foule. Il s’approche de moi avec le sourire, je lui répond aussi d'un sourire alors qu'il me tend le verre dans lequel il a bu et je bois sans même me poser de questions.

    — J'ai cru que je n’allais jamais réussir à le finir ce soir. Je suis bien content d’être là. 

    Je m’approche de son oreille pour qu’il m’entende quand je parle. En retour, il me fait une grimace moqueuse car il trouve cette lubie de vouloir faire mes devoirs avant de venir en soirée bizarre. Étrangement ce soir, il ne me fait aucune remarque, seul son visage exprime ce qu’il pense. Ça m’arrange bien cependant, je n’ai pas forcément envie de lui expliquer une énième fois pourquoi je fais ça. Surtout quand il est autant ivre qu’à l’heure actuelle.

    — Qu'est-ce que j'ai loupé ? 

    Je change rapidement de sujet de conversation et ça marche. J'aime ces soirées étudiantes, car elles sont toujours animées, il se passe toujours quelque chose qui fera les choux gras de la semaine. Il passe son bras autour de mes épaules pour me faire tourner vers un couple qui se tient collé serré. 

    — Tu as loupé l'engueulade entre P'New et P'Aim. 

    Comme moi tout à l’heure, il est obligé de me parler à l’oreille pour couvrir le bruit. J'éclate de rire avant de boire une deuxième gorgée d'alcool. Ce couple est infernal, il ne se passe jamais une soirée ou une journée d'ailleurs sans qu'ils s'engueulent devant tout le monde. C'est d’ailleurs très drôle car bien souvent leurs disputes sont intenses, courtes et se finissent sur un baiser passionné. 

    — Merde ! Tu penses qu'ils feraient une autre représentation pour moi ?

    Je réfléchis à ce que je pourrais faire pour relancer la machine à engueulade pendant un dixième de seconde. On éclate de rire face à cette idée, mais je n’ai pas le temps de réfléchir plus, qu'il me fait tourner vers une autre direction. 

    Cette partie du salon est plus calme, les canapés et différents sièges y ont été placés pour permettre aux gens de se reposer, discuter ou bien se bécoter selon la situation.

    — Ai Pat s'est pris son trente-deuxième refus et une gifle magistrale de la fille en question.

    Il se retient de rire en pointant vers le fond de la pièce. J'observe le jeune homme qui se trouve dans un coin sombre. Il tient une bouteille d’alcool dans la main et de nombreuses autres se trouvent à ses pieds. Il lève soudain un regard sombre, se sentant sûrement observé et je peux voir la marque rouge en forme de main sur sa joue droite. Elle n'y est pas allée doucement.

    — Et du coup, où en sont les paris ?

    Je ne peux pas m'empêcher de rire en lui demandant, tout en me détournant rapidement, quand le regard de Pat se pose sur nous.

    — Chimon est déçu, il est hors course. Il ne reste plus que cinq personnes qui pourraient remporter la cagnotte.

    Il me répond après avoir pris quelques secondes pour réfléchir. Je sais que ça peut paraître horrible de parier là-dessus. Surtout que Pat est un ami, il est gentil, drôle et serviable. Son souci principal, c’est qu’il est incapable de parler avec une fille. À chaque fois, il s’embrouille et finit par dire des conneries et des horreurs. Heureusement, il ne se fait pas gifler tout le temps.

    — Alors j'ai loupé le plus intéressant.

    Je soupire, moi et ma stupide règle m'ont fait rater le plus drôle de nos soirées. Je retourne près du bar improvisé pour déposer le verre que je viens de finir. Bay ne m’a pas suivi et je reste un moment à discuter et rire avec un de mes camarades de classe.

    Il me parle de sa dernière aventure et des péripéties qu’il a enchaînées pour réussir à rompre avec cette fille un brin trop collante. Il me jure par tous les monts qu’il n’est pas près de ressortir avec une fille rencontrée en soirée.

    Je pourrais le croire, après tout, il pourrait s’y tenir à cette promesse. Sauf qu’il est complètement ivre et qu’à peine a-t-il fini sa phrase qu’il ne peut pas s’empêcher de jeter un coup d’œil sur le décolleté outrageux d’une jeune femme qui passe à côté de nous. Il ne lui faut que quelques secondes pour m’oublier moi et sa promesse et lui courir après.

    — Nanon, on peut aller discuter un moment au calme ? 

    Je frissonne en sentant soudain le souffle de Bay contre mon oreille. Je tourne la tête vers lui, surpris de sentir sa main se poser sur ma taille alors qu’il me fixe intensément. Je suis curieux de savoir ce qui le pousse à vouloir discuter avec moi en plein milieu d’une soirée. Habituellement pour lui, les soirées, c’est fait pour draguer et s’il le peut, passer la nuit avec une fille.

    Il doit y avoir quelque chose qui le tracasse, donc je hoche la tête et sans attendre il m’entraîne dans une pièce un peu à l’écart. Dès qu’il ferme la porte derrière nous, la musique, les rires et les discussions sont étouffés. Je pousse un petit soupir de soulagement avant de me tourner vers lui avec un petit sourire en coin.

    — Qu’est-ce qui t’arrive ?

    Je fais une pause de quelques secondes avant de finalement reprendre en rigolant à moitié. 

    — Une de tes conquêtes t’a annoncé qu’elle était enceinte de toi ?

    Sa vie amoureuse est un véritable roman, c’est un cœur d’artichaut qui tombe amoureux et drague toutes les filles qui ont le malheur de lui sourire. Pourtant, il n'arrive jamais à sortir avec aucune d'elles, ce n’est pas faute d’essayer, mais il finit par les quitter après avoir couché avec elles. 

    Habituellement, il est du genre à plaisanter à ce sujet, il surenchérit à mes blagues et on éclate de rire pendant un long moment. Ce soir, il semble drôlement sérieux, pas un seul sourire ne vient ourler ses lèvres, au contraire, il a l’air mal à l’aise et passe nerveusement la main dans ses cheveux. 

    — Je pense que je dois être sacrément bourré pour faire ça...

    Il se parle à lui-même, comme pour se donner du courage. Je m'appuie contre le mur, les bras croisés en attendant qu’il se lance et m’explique pourquoi il a ressenti le besoin de s’isoler. Je l'observe, légèrement inquiet quand je le vois ouvrir la bouche à plusieurs reprises avant de la refermer aussi vite. 

    Quand soudain, il vient se coller à moi, je me redresse un peu nerveusement. Il m’emprisonne entre lui et le mur dans une position que l’on a jamais eu. Ses mains sont posées à plat sur le mur, juste à côté de mon visage et elles m’empêchent de m’éloigner de lui. 

    — Nanon... Je t'ai menti... Je me fiche des filles… C'est toi, c'est toi que j'aime. 

    Sa voix pâteuse démontre combien il est ivre à cet instant et je pense qu’il est simplement en train de se moquer de moi, que bientôt, il va s’écrier un ‘Je blague’ avant d’éclater de rire. Ensuite il parlera pendant des semaines de la fois où il m’a fait peur en faisant semblant de se déclarer à moi. 

    Le temps passe, le silence s’éternise et il me regarde de plus en plus intensément. Il est très sérieux, il m’aime et attend une réponse de ma part. Je m’éclaircis la gorge rapidement avant de m’humidifier les lèvres avec ma langue. 

    — Je... écoute... je ne ressens pas ce genre de choses pour toi... Je suis désolé, tu es mon ami.

    Au fond de moi, j’espère encore qu’il s’agit juste d’une blague trop poussée de sa part. Qu’il va se foutre de ma gueule et qu’après avoir bien ri, on repartira faire la fête. Au lieu de ça, il laisse tomber sa tête sur mon épaule en poussant un son de frustration. Sa main droite vient se poser sur ma hanche et malgré moi je me raidis, pas à l’aise du tout. 

    — Je t'aime depuis si longtemps… Je savais que je n’avais aucune chance, mais... Nanon, laisse-moi t'embrasser, rien qu’une fois.

    J’ai la tête vide, je suis pétrifié quand avec lenteur son visage se rapproche dangereusement du mien. J’avale difficilement ma salive alors que la distance entre nos bouches se réduit de plus en plus. Un vague instant, je me demande ce que ça ferait de sentir des lèvres chaudes se poser sur les miennes. Seulement, l’idée que ce soit celles de mon meilleur ami me rebute totalement. Le laisser m’embrasser serait une monstrueuse erreur. 

    Je réagis alors sans réfléchir, je lève ma main gauche juste à temps et bloque ses lèvres à quelques centimètres des miennes. Il ferme les yeux, ses épaules s’abaissent et je sais qu’il est déçu. Tendrement, il embrasse mes doigts et le contact me fait frémir d’anxiété et je suis soulagé d’avoir eu la présence d’esprit de l’arrêter.

    — Bay... Tu es mon meilleur ami et je ne t'ai jamais vu autrement que comme ça. Ce serait une erreur de s'embrasser, tu le regretteras demain. 

    J’ai parlé d’une voix basse avant de lui faire un petit sourire amical. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine alors que j'attends sa réaction. J’espère qu'il va retrouver ses esprits et que les choses redeviendront normales, que l’on pourra retourner faire la fête et oublier l’incident. À mon grand soulagement, il recule en poussant un petit grognement de frustration, mais il garde le sourire.

    — Je dis des conneries quand j'ai trop bu, mais il va falloir que je boive encore plus pour oublier ce qui vient de se passer. Nanon, promets-moi qu’on ne reparlera jamais de ce qui vient de se passer.

    Il soupire une nouvelle fois et fait plusieurs pas en arrière, me libérant de son emprise. Je prends une profonde inspiration, en sentant les muscles de mon dos se détendre au fur et à mesure qu’il s’éloigne. Je hoche la tête rapidement et me passe la main dans les cheveux pour essayer de reprendre contenance. 

    — Promis, on n’en reparlera jamais.

    Ma voix tremble un peu, j’ai l’impression que l’on est passé à deux doigts de la catastrophe et je ne me sens vraiment pas à l’aise. Heureusement, j’arrive à avoir un ton amical et même à sourire.

    — Allez viens, je t’offre à boire.

    Bay m’invite en éclatant de rire et en me tapotant l’épaule. Il ouvre la porte et se dirige sans attendre vers le bar improvisé. Je reste une seconde sur le pas de la porte en soufflant, laissant évacuer la pression qui s’est accumulée dans ma poitrine. 

    Je me passe la main dans les cheveux, encore un peu troublé, puis je vais rejoindre un groupe d'amis qui se trouve un peu plus loin. Je m’incruste sans problème dans leur conversation et il se passe de longues minutes avant que Bay ne nous rejoigne, deux verres en main. 

    — Hey Nanon, tiens, bois ça, c'est un petit cocktail de mon invention. Tu vas voir… c’est magique. 

    J’ai l’impression que sa déclaration n’a été qu’un mauvais rêve quand il me parle comme si rien ne s’était passé. Je prends le verre en le remerciant. Le liquide est orangé et je me demande bien ce qu’il a pu mélanger à l’intérieur. Je me souviens qu’il a dit vouloir boire au point d'oublier et j’ai peur qu’il ai eu la main lourde. Je n’ai pas spécialement envie de goûter, mais je ne me vois pas le repousser une nouvelle fois. 

    Je lève mon verre pour trinquer avant de le porter à mes lèvres. Je ferme les yeux en buvant une première gorgée, je tente de déterminer les alcools qu’il a mélangés. Je n’y arrive pas car le cocktail est beaucoup trop sucré. Ce n’est pas mauvais cela dit, alors j’en bois rapidement une nouvelle gorgée.

    — Tu as raison, il est bon.

    Je rouvre les yeux en lui donnant mon avis sur sa boisson. Je lui souris et il semble particulièrement heureux de l’entendre. Il me tapote de nouveau l’épaule puis on reporte notre attention sur la discussion en cours.

    Le temps passe tranquillement, mais plus ça va et plus je me sens étrange. Ça commence d'abord par une sensation de chaleur, j’ai l’impression que mon corps brûle de l’intérieur comme si j'avais de la fièvre. Je remonte mes manches pour essayer de me rafraîchir un peu en vain. 

    Ensuite, je perds de plus en plus le fil de la conversation, j'ai du mal à comprendre ce que les autres disent et le temps que je réfléchisse à ce que je pourrais répondre, ils ont déjà entamé un autre sujet. 

    L'ivresse me donne des vertiges, le monde se met à tanguer et plusieurs fois je secoue la tête pour essayer de m'éclaircir les idées sans succès. Est-ce que j’ai trop bu ? Est-ce que je suis plus fatigué que je ne le pensais ? Je suis peut-être malade ? 

    Les questions n’arrêtent pas de tourner en boucle dans ma tête alors que je me sens tanguer légèrement. Enfin, je pensais que c’était légèrement, jusqu’à ce qu’un bras s’enroule autour de ma taille pour me maintenir contre un corps. Je tourne la tête pour découvrir qui m'aide à tenir droit et soudain toute la pièce fait une violente embardée. Je n’ai pas d’autre choix que de m'accrocher au cou de Bay, celui qui me soutient.

    — Je ne me sens pas très bien...

    Ma voix est pâteuse et même moi je me rends compte que j’ai du mal à articuler. Je regarde autour de moi et j’ai l’impression que tout le monde bouge au ralenti, même leur manière de parler. Je me retrouve presque à rire bêtement quand l’un de mes amis me demande comment je vais. Je lève ma main et la pose sur ma tête, espérant pouvoir m’éclaircir les idées.

    — Je suis désolé, j’ai dû avoir la main lourde sur l’alcool, je suis désolé.

    Bay me rassure, je n’ai rien de grave, l’alcool m'est juste monté trop vite à la tête. Je hoche doucement la tête avant de la poser sur son épaule. Je me sens soudain épuisé et je n’ai envie que d’une chose, dormir. 

    — Les gars, j'emmène Nanon se reposer à l'étage. Il a trop bu, je reviens après.

    Je l’entends prévenir les autres, mais c’est comme si j’avais la tête sous l’eau et clairement, je n’aime pas comment je me sens. Je suis heureux de retrouver mon meilleur ami, celui sur qui je peux compter en toute circonstance. 

    Je tiens à peine debout, je veux juste m’allonger et je sais que Bay va m’aider. Je le laisse m’entraîner, je ne sais même pas ce qu’ont pu dire nos amis. Ma vision se trouble de plus en plus, je suis épuisé, privé de mes forces et Bay me porte plus qu’il ne me guide. 

    J’ai un blanc, la dernière chose dont je me souviens, c’est que l’on se frayait un chemin parmi les danseurs. Là, j’entrouvre les yeux et je sens le moelleux d’un matelas sous mon corps. Je soupire et commence à me détendre, je vais pouvoir dormir et cuver maintenant. Seulement, je sens un poids s'installer sur mes cuisses.

    Je sursaute et quand j’ouvre difficilement les yeux, je me rends compte que Bay est assis dessus. Je cherche à le faire partir, je n’ai pas envie de jouer, je me sens trop mal pour ça. Il n’a aucune difficulté à immobiliser mes bras au-dessus de ma tête avec une seule de ses mains. 

    — Nanon... Je te veux tellement.

    Sa voix est différente, suave, douce et une peur incontrôlable me saisit le ventre. Je sens l'alcool remonter le long de ma gorge, y laissant un goût amer, je ferme les yeux quand il baisse mes mains et les place le long de mon corps. J'essaie de bouger, bien décidé à le repousser, mais je suis lourd, sans force, paralysé. C’est un véritable cauchemar, je ne comprends pas ce qui se passe, pourquoi ça se passe, alors que ses mains rampent sur mon corps comme deux serpents venimeux.

    — Bay… arrête…

    Je le supplie d’arrêter d’une voix à peine audible. J’espère toujours faire un mauvais rêve à cause de l’alcool. J’espère que mes mots me réveilleront ou du moins le ramèneront à la raison. Je pousse un petit cri de désespoir quand il me fait comprendre qu’il ne m’écoutera pas et surtout que je ne rêve pas. Il mord mon cou et un éclair de douleur brise le dernier espoir auquel je m'accroche.

    J’oscille entre conscience et inconscience, mais chaque moment d’éveil s’ancre comme un tatouage dans mon esprit. Je voudrais sombrer pour de bon, ne plus jamais me réveiller, ne plus le sentir explorer mon corps.

    J’entends la modulation de sa voix, mais je ne comprends pas ce qu’il me souffle à l’oreille. Tout ce que je sais, c’est que moi je n’arrête pas de lui dire non, je tente faiblement de le repousser. Chaque fois que je sens ses mains toucher mes endroits intimes, j’ai des hauts le cœur et je pense même avoir vomi à un moment donné.

    Ma joue me brûle soudainement, la douleur irradie le côté gauche de mon visage alors qu’une pression se fait contre ma gorge, m’empêchant de respirer correctement. Il me faut un instant pour fixer mon regard sur lui, sur son visage plein d’amour hideux et son sourire vicieux. 

    — Laisse-toi faire mon amour, je veux juste te faire du bien. 

    Il parle à quelques millimètres de ma bouche et ses lèvres rencontrent les miennes dans un baiser brutal. Mes yeux se remplissent de larmes, des points noirs apparaissent devant mes yeux et je suis heureux de perdre connaissance. 

    J’aurais voulu ne pas reprendre conscience, mais à cet instant, la douleur dans le bas de mon corps est intense, fulgurante. Il me faut un long moment pour analyser et comprendre ce qui est en train de se passer. Quand enfin je comprends, mon cerveau ne le supporte pas, j’ai soudain l’impression d’être dans du coton, comme si j’étais hors de mon corps. 

    Quand j’entends des bruits de plaisir sortir de sa gorge, un hurlement suraigu s’élève dans la pièce et me déchire le crâne. C'est assourdissant, je veux me boucher les oreilles pour ne plus rien entendre, mais c’est impossible, je n’arrive pas à bouger.

    Son poids pèse sur moi, il bouge en rythme, il souffle de plus en plus fort alors qu'il me salit, qu'il me vole ce qui aurait dû être l'un des plus beaux moments de ma vie. Le hurlement cesse soudain. Ma bouche me fait mal, le goût du sang l’envahit et je comprends alors que c’est moi qui criais jusqu’à maintenant.

    Je ne peux rien faire, je ne suis qu’une poupée de chiffon entre ses mains. Je n’ai pas d’autre choix que de me réfugier ailleurs, d’aller là où personne ne peut m’atteindre. Là où sa voix rauque ne me demande pas si moi aussi j’aime ce qu’il me fait. Là où son souffle fétide ne percute pas ma peau. Je veux mourir, je veux disparaître et ne plus sentir cette violente intrusion qui ne semble pas avoir de fin.

    Sa main me broie douloureusement la hanche. Ses râles de plaisir à mon oreille me donnent envie de vomir. Soudain il se contracte avant de s’effondrer de tout son poids sur moi. 

    — Mon amour… je t’aime…  sentir ton corps contre moi, c’est magique. Je te veux encore mon chéri, tu verras, je serai le meilleur petit ami du monde. Je vais prendre soin de toi et te faire l’amour encore et encore. Tu as aimé autant que moi, pas vrai ?

    Il chuchote à mon oreille, le souffle court alors que sa main caresse avec tendresse mes cheveux. Il dépose des baisers dans mon cou régulièrement et je craque. Ma poitrine se contracte et un premier sanglot douloureux sort de ma gorge. Il tente de me consoler, de m’apaiser, mais c’est pire encore et je suis heureux quand finalement, l'inconscience me fauche définitivement.

    Je reprends le dessus petit à petit, j’ai du mal à respirer, c’est comme si les mains de Bay continuaient de serrer ma gorge. Je ne sens même pas l’eau qui me brûle la peau alors que je viens de revivre une nouvelle fois la nuit où celui que je prenais pour mon meilleur ami a abusé de moi après m'avoir drogué.

    D’une main tremblante je règle la température de l’eau, je reste assis, la tête appuyée contre le carrelage et ma respiration redevient normale petit à petit. Je me déshabille lentement, laissant mes habits détrempés dans la douche et en faisant attention à ne pas regarder mon corps.

    Je déteste ces jours-là, ceux où mes lectures ne suffisent pas à éloigner les souvenirs et qu’ils me reviennent. Demain il faudra que je rassemble tout mon courage pour aller à la librairie, pour trouver de nouvelles œuvres qui endormiront les cauchemars pour un petit moment.

    Je quitte la salle de bain à pas lents, je passe dans ma chambre prendre des habits propres. Je suis encore trempé, j’ai les cheveux qui dégoulinent, mais je n'y prête pas attention et je rejoins rapidement le canapé. Je me rallonge dessus, rabat la couette sur moi en me recroquevillant, ne laissant que le haut de ma tête dépasser. On pourrait imaginer que je vais sombrer dans le sommeil, que je vais plonger dans l’inconscience, mais il n’en est rien, je reste les yeux grand ouverts, aux aguets de la moindre menace venant de l’extérieur et risquant de me faire du mal.



     



  • Commentaires

    12
    Dimanche 3 Décembre 2023 à 19:13

    Quand le 1er chapitre de cette histoire est sorti à l'époque (bah oui ça date ^^'), je n'avais pas la tête à ça... et là, après la sortie du 19 et 20, je me suis dit : "allez, pourquoi pas tenter cette lecture ?"

    Donc voilà, 1er chapitre lu, histoire dure qui montre à quel point la vie peut être cruelle et qu'on ne peut jamais vraiment se fier à quelqu'un.

    Sur ce, je passe au suivant.

     

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    11
    Dimanche 8 Mai 2022 à 16:20

    Merci pour ce 1er chapitre.

    Je n’ai pas de mots pour décrire ce que je ressens. Je me sent tellement mal pour Nanon. Ce qu’il a subi est tellement horrible. J’ai qu’une seule envie, c'est de le prendre dans mes bras. 

    Bay, j’espère que le Karma te rattrapera et que tu finiras en prison !

    Hâte de lire le prochain chapitre pour voir comment il se remettra de ce trauma même si, on ne s’en remet pas totalement mais on apprend à vivre avec !

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    10
    Samedi 7 Mai 2022 à 17:30

    Merci pour ce premier chapitre. J'ai vraiment eu l'impression d'y être, c'était très oppressant et je me suis sentie extrêmement mal pour Nanon et que son ami profite de lui... c'est juste affreux :/ je me demande maintenant quelles ont été les conséquences de tout cela sur sa vie actuelle... en tout cas, c'était vraiment très prenant et bien écrit. J'ai hâte de lire la suite. Bises à toutes et bon week-end.

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    9
    Vendredi 6 Mai 2022 à 14:04

    Merci pour ce 1er chapitre ;D Ca doit être terrible d'être drogué à son insu, d'être violé sans pouvoir réagir... et là dans l'histoire, qui plus est par quelqu'un en qui on avait confiance. Dire que des gens ont réellement fait cette douloureuse et atroce expérience :'(

    En tout cas, c'est original et intéressant d'avoir mis ça en scène dans notre univers BL. Hâte de lire la suite. 

    Bises <3 

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    8
    Jeudi 5 Mai 2022 à 19:32

    Coucou,

    Ohlàlà oui c'est une histoire bien sombre, je trouve ça horrible qu'il est fait ça à son ami......

    En tout cas ce premier chapitre nous met directement dans l'ambiance et je me demande comment ça va évoluer....

    Je me demande du coup si Bay a été arrêté ou non? 

    Hâte de lire la suite

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    7
    Mercredi 4 Mai 2022 à 20:55

     

    En lisant ce premier chapitre je suis passée par toutes les émotions, ce qui est arrivé à Nanon est horrible

    et ce qui est douloureux que ça vienne d'une personne censé être de confiance.

    Maintenant la question que je me pose comment Nanon va faire confiance aux autres surtout que le trauma 

    du viol est profondément ancré en lui et en conséquence ça a développé genre une phobie sociale

    En tout cas merci pour ce premier chapitre qui était émouvant et déchirant 

    J'attends la suite avec impatience  

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