• Chapitre 24 - Accept

    Chapitre 24

    Je ne me souviens pas vraiment de ce qui s’est passé après avoir découvert cette lettre, après avoir vu cette photo, c’est le trou noir. C’est une tempête qui fait rage dans ma boite crânienne alors que les mots écrits de la main de ma mère me reviennent comme autant de flèche faites pour me blesser. Je n’arrive pas à croire que c’est réel, que ma mère toujours si droite, si prompte à juger ait pu faire ça.

    Et puis soudain, je me mets à trembler, comme si j’étais sur un marteau piqueur alors que la vérité se fait encore plus horrible. Mon père pourrait… je n’arrive même pas à le formuler dans ma tête, c’est inconcevable pour moi. Mes jambes me lâchent brusquement et je me retrouve accroupi au milieu de la rue, je garde la tête baissée, fixant les cailloux entre mes chaussures pour essayer de reprendre mes esprits.

    Je dois lui parler, je dois lui demander, je dois en avoir le cœur net. Je prends une profonde inspiration avant de me relever brusquement, je regarde autour de moi et je suis surpris de me rendre compte que la nuit est en train de tomber, que je suis dans une partie éloignée du centre ville et que plusieurs passants me regardent étrangement. Ils ont sans doute peur que je perde la tête.

    Je me passe la main dans les cheveux à plusieurs reprises pour essayer de m’éclaircir les idées. Une vibration dans ma poche me fait légèrement sursauter, mais je n’y prête pas attention. J’ai une idée de qui est en train de m’appeler, je l’aime de tout mon cœur, mais je ne peux pas l’entendre émettre cette hypothèse. C’est impossible, je dois d’abord parler à mon père, je dois être sûr que cette lettre est vraie, je…

    Je prends une profonde inspiration en regardant autour de moi plus attentivement pour essayer de me situer. Je me rends compte que finalement je ne suis qu’à quelques kilomètres de chez moi. Dans mon errance, j’ai réussi à me diriger vers là où je voulais aller. Nouvelles vibrations et je soupire avant de lentement sortir mon téléphone de ma poche. Autour de moi, les passants ont arrêté de m’observer en voyant que j’avais retrouvé mon calme et ils ont repris leurs occupations.

    Comme je m’y attendais, c’est Namtan. Elle a déjà appelé plus d’une dizaine de fois et m’a inondé de message. Je ne suis pas surpris quand je vois l’heure, je suis en vadrouille depuis plusieurs heures. J’hésite un moment, répondre, raccrocher, mon pouce oscille d’une touche à l’autre avant de soupirer quand la vibration s’arrête d'elle-même.

    Je remets rapidement le téléphone dans ma poche, mes épaules se redressent et j’arrive à reprendre le contrôle, je dois aller voir mon père, je dois rester calme et professionnel et ne pas laisser mes émotions prendre le dessus quand je lui demanderai s’il est responsable de la mort de la famille de Fluke.

    La nuit est complètement tombée quand j’arrive dans la rue qui m’a vue grandir et l’orage qui menaçait en nous écrasant sous une chaleur moite semble décidé à éclater. Le grondement se fait entendre au loin et, quand un éclair zèbre le ciel, les premières gouttes froides et rafraîchissantes tombent. 

    Je sens à peine l’eau qui s’insinue dans le tissu de mes vêtements. Encore quelques mètres et j'apercevrai ma maison. Je devrai alors faire face à la vérité et je deviendrai peut-être le fils d’un meurtrier. Comment pourrais-je regarder Fluke en face, sans parler de Namtan et…

    Mais où est-ce que tu étais passé ?

    Sa voix s’élève, elle est en colère et sa poigne sur mon bras alors qu’elle me force à me tourner pour lui faire face est légèrement douloureuse. Nos regards se croisent et ma poitrine se serre, je veux la prendre dans mes bras, je veux continuer à être fort et à être celui qui la rassure, mais à cet instant, j’ai plus l’impression d’être un enfant perdu, je suis celui qui a besoin d’être rassuré car mon monde est en train de s’écrouler.

    Je… Et...  

    Je ne sais pas par où commencer, j’ai peur de formuler mes pensées, parce qu’alors, elles deviendraient réelles, tangibles et je ne pourrais pas faire semblant que tout ça est un mauvais rêve. La pluie s’intensifie et, un instant, on dirait que la météo se calque sur la tempête de tristesse qui s’abat à l’intérieur de ma tête. 

    Chaque goutte me semble être une larme que je retiens, car ce père que j’aime tant m’a appris qu’un homme ne doit pas montrer d’émotions faibles. 

    Joss… Je ne peux pas imaginer combien cela doit être dur, mais…

    Mais tu es contente d’avoir enfin un suspect… 

    Je crache ces mots, comme pour expier mes propres doutes, ne voulant pas être le seul à souffrir, le seul à s’en vouloir de n’avoir rien vu, et en voyant son visage se refermer je sais que j’ai fait mouche. Aussitôt d’ailleurs je me sens coupable de la blesser alors qu’elle est là, sous la pluie, pour moi.

    Phi calme-toi… tu penses vraiment que je me réjouis de la situation ? Tu penses que l’enquête passe avant toi ?

    J’éclate de rire, alors qu’elle termine à peine sa phrase. Je voudrais lui dire de partir, de ne pas me laisser aller plus loin et la blesser pour de bon. Seulement, j’ai trop mal et je n’arrive pas à me raisonner. Je passe rapidement ma main dans mes cheveux détrempés pour me dégager les yeux. La pluie tombe drue maintenant, c’est comme si on était entouré d’un mur d’eau, que la nature voulait m’empêcher d’avancer et d’aller voir ma famille.

    Toute ta vie passe après l’enquête, alors je ne vois pas pourquoi ce serait différent avec moi.

    L’expression de son visage se durcit, ses yeux s’assombrissent et je sais que je devrais me taire, que je ne devrais pas aller sur ce chemin-là, mais maintenant que je suis lancé, c’est comme si j’étais incapable de m’arrêter. 

    Depuis leur mort, tu ne penses qu’à ça, tu ne vis que pour ça… je suis là depuis toujours pour toi, je t’aime plus que tout et je suis devenu flic pour toi… mais ce n'était pas encore assez…

    Phi… 

    Sa voix tremble alors qu’elle essaie d’arrêter mon flot de paroles, pourtant, je ne l’écoute pas, j’ai besoin de tout évacuer sinon je sais que je vais m’effondrer.

    Alors maintenant que tu es sur le point de résoudre l’enquête, bien sûr que plus rien ne va t’arrêter. Je ne comprends même pas que tu ne l’aies pas déjà arrêté… Mon père est peut-être le monstre que tu chasses alors qu’est-ce que tu attends hein… ? Pourquoi tu ne cours pas l’arrêter… ? Pourquoi… ? 

    Ce sont les sanglots dans ma voix qui me font comprendre que je pleure. Mes larmes disparaissent, balayées par la pluie. Je ne veux pas y croire et pourtant, je vais devoir arrêter et interroger mon père.

    Mes jambes tremblent et je serais sûrement tombé, terrassé par le désespoir si deux bras ne s’étaient pas enroulés autour de ma taille et qu’elle ne m’avait pas attiré contre elle. Après lui avoir parlé de cette manière, je m’attendais à ce qu’elle me gifle, me hurle dessus ou alors m’écoute et parte l’arrêter. Mais cette étreinte est bien plus agréable que les scénarios qui se sont brossés dans ma tête.

    Son corps tremble contre le mien, mais je ne peux pas assurer que ce soit à cause du froid ou de la colère. Mes bras restent ballants le long de mon corps et on reste quelques minutes comme ça, immobiles sous la pluie qui continue de tomber, ignorante de l’horreur que l’on est en train de vivre. 

    Phi… tu es important pour moi, tu es le plus important.

    Sa voix s’élève, étouffée car son visage reste collé contre mon torse. 

    Je veux vivre mon futur avec toi, mais pour ça, je dois me détacher du passé. Je ne pourrai pas être complètement à toi si je ne fais pas ça, Phi.

    Mon cœur se serre autant qu’il s’emballe alors qu’elle se déclare à demi-mots. Lentement, mes bras bougent, glissent sur le tissu trempé de sa veste et se posent sur son dos pour lui rendre son étreinte alors qu’elle reprend toujours la parole sans me regarder. 

    Je ne suis pas ici pour l’enquête, je suis ici pour soutenir le seul qui compte pour moi.

    Mes mains continuent de bouger avec lenteur, ses mots sont une mélodie à mes oreilles, ce que je rêve d’entendre depuis des années maintenant. Mes doigts se posent délicatement sur ses joues froides et en douceur je la force à me regarder. Nos yeux se croisent et je me rends compte que les siens doivent être aussi rouges que les miens. Je sais que ce moment n’est pas l’idéal, pourtant, je me montre faible, je craque. 

    Lentement, lui laissant la possibilité de reculer, je pose délicatement mes lèvres sur les siennes. Un baiser doux, chaste, plein de mots jamais dits et de promesses à venir. Un instant, j’oublie la pluie autour de nous, j’oublie l’enquête et ce que l’on vient d’apprendre. Il n’y a plus qu’elle, qui semble juste faite pour mes bras et dont le baiser semble me remettre les pieds sur terre et me calmer.

    Nos lèvres se séparent et on pose nos fronts l’un contre l’autre. Les yeux fermés, on reste immobiles, à savourer l’étreinte et le moment. On sait que du moment où l'on quittera les bras de l’autre, il faudra reprendre nos rôles et patienter encore pour se retrouver de cette manière. Ce n’est pas facile, j’aimerais l’emmener loin de tout cela, mais je trouve surtout une grande détermination à résoudre cette affaire, même si cela veut dire faire voler ma famille en éclat.

    Allons dans la voiture Phi… on va finir par tomber malade. 

    Nos fronts se quittent, nos yeux se rencontrent et les siens ne sont que douceur. Elle n’a pas remis les barrières, je peux lire ce qu’elle ressent vraiment pour moi et avant de lui répondre, je pose mes lèvres sur son front.

    Je la laisse me guider vers la voiture, elle est garée un peu plus loin, mais je ne l’avais même pas vue en arrivant. Je ne peux pas m’empêcher de tourner la tête vers la maison de mes parents. Un instant, j’hésite. Namtan me tient fermement la main, comme si elle savait que je pourrais avoir envie de faire demi-tour. 

    Je m’installe derrière le volant sans trop y réfléchir, alors que Namtan prend place sur le siège passager. Dès que la lumière du plafonnier s’allume et que je la voie, je me sens coupable, elle a les lèvres un peu bleues. Je soupire avant de retourner à l’extérieur affronter la pluie. Je fonce vers le coffre et en sort les deux couvertures qui s’y trouvent en permanence pour les nuits où l’on est en surveillance. Je reviens tout aussi rapidement et, à peine la portière fermée, je me tourne vers elle et l’enroule dans l’une des deux. 

    Je vais mettre le chauffage. 

    Il ne faut que quelques minutes pour qu’une douce chaleur se répande dans la voiture. Il ne fait pas forcément froid à l’extérieur, mais la pluie est glacée et on est resté un bon moment en dessous. On reste silencieux, immobile, un long moment, le temps pour Namtan d’arrêter de trembler et moi de m’éclaircir les idées.

    Tu as toujours été la voix de la raison Phi. Tu as toujours été celui qui m’a empêché de me lancer tête baissée dans les premières pistes possibles. Ce soir… je serai la voix de ta raison.

    Je soupire avant de tourner la tête vers elle et de lui faire un petit sourire triste.  Elle essaie de me ramener à notre routine, à notre manière de procéder et je dois dire que ça m’aide, alors je hoche la tête. 

    D’après les preuves trouvées dans le coffre appartenant au père de Fluke, il entretenait… une liaison avec m… une femme. Cette liaison durait depuis longtemps.

     Je bute sur les mots, ma gorge se serre, mais j’arrive à exposer la situation.

    On pourrait donc avoir affaire à un mari jaloux…

    Je ferme les yeux, mes mains se crispent sur le volant alors que mon imagination remplace ce visage flou en train de tuer la famille de Fluke par le visage calme et un peu timide de mon père. 

    Phi, je sais que cette idée est difficile, mais on ne peut pas débarquer chez toi et confronter ton père. On doit trouver des preuves qu’il a fait quelque chose. Tu dois rester objectif. Si ton père est le meurtrier alors il pourrait fuir et s’il est innocent vos relations pourraient devenir difficile. Je ne veux pas que ça t’arrive.

    Nong, comment on va pouvoir trouver des preuves sans le confronter et le faire avouer.

    Je regarde à travers le parebrise mais l’obscurité et le rideau de pluie m'empêchent de voir ma maison. 

    On garde notre plan, on trouve le lieu du crime, je suis sûre que l’on trouvera toutes les preuves dont on aura besoin et alors… on pourra confronter le tueur.

    Sa main vient saisir la mienne qui se décrispe automatiquement pour entrelacer nos doigts. Elle a raison, je le sais, on n’a pas d’autre choix que de suivre cette procédure. Je crois que je m’en voudrai encore plus si, à cause de moi, l’assassin venait à disparaître.

    Comment je vais pouvoir lui faire face Nong… ? A cause de ma mère, peut-être de mon père, il a perdu toute sa famille… il a été torturé et…

    Deux doigts se posent sur ma bouche, m’empêchant de parler et, surpris, je me tourne vers la jeune femme qui me regarde droit dans les yeux.

    Fluke est intelligent, je suis sûre qu’il sait très bien que toi tu n’es pas responsable. Il doit même s’inquiéter pour toi, alors ne te rajoute pas de pression en plus, d’accord ? 

    J’ai un petit sourire en coin quand sa voix ferme me rappelle l’adolescente qu’elle pouvait être avant le harcelement, avant sa tentative de suicide, avant la mort brutale de sa sauveuse.

    Bien madame, on va découvrir le fin mot de cette affaire tous les deux.

    Je lui fais un petit sourire auquel elle répond rapidement et je m'apprête à démarrer la voiture dans l’idée de rentrer, mais j’ai besoin de savoir. Alors je prends mon téléphone et compose rapidement un numéro.

    Est-ce que Namtan a compris ce que je faisais ? Je n’en sais rien, mais elle ne cherche pas à m’arrêter, restant immobile, et il ne faut pas longtemps pour que je mette le haut parleur en route alors que les tonalités raisonnent dans la voiture.

    Allo ?

    C’est la voix de ma mère qui répond et je sens ma mâchoire se crisper, repensant aussitôt à la photo et à la lettre. Je prends une grande inspiration pour me contrôler, pour sembler normal.

    Allo maman. Comment tu vas ? 

    Je reste le regard fixé devant moi alors que j’entends un petit soupir à l’autre bout de la ligne.

    Je vais bien, mais mon fils me manque. Depuis quand tu n’es pas venu nous voir ? C’est à croire que tu as épousé ton travail. Je voudrais te voir épouser une gentille fille, avoir des enfants.

    Je me sens gêné parce que la femme que je veux épouser se trouve juste à côté de moi. Je n’ai aucun mal à imaginer nos enfants installés juste à l’arrière de la voiture alors que l’on rendra visite à ma famille. C’est une idée vraiment agréable, mais qui n’est pas réalisable maintenant. Je m’éclaircis la gorge pour masquer mes émotions.

    Maman arrête, je suis venu te voir il y a quinze jours et je reviendrai rapidement, je travaille sur une affaire en ce moment.

    Je me sens seule Joss, ton père est parti en voyage d’affaire il y a quelques jours, les journées sont longues alors promets-moi de venir rapidement. 

    Ma bouche s’entrouvre, mais je n’arrive pas à répondre. Je tourne la tête vers Namtan qui semble aussi surprise que moi par l’information. 

    Joss ? Tu es là ?

    Oui maman.. je… je passerai te voir ce week-end, d’accord ? Et où est parti papa ?

    Oh il ne me l’a pas vraiment expliqué. Il s’est soudain préparé en vitesse en me parlant d’une réunion qu’il attendait depuis longtemps. Il est parti en coup de vent et depuis, j’ai beaucoup de mal à le joindre.

    Je me mords la lèvre pour ne pas hurler, pour ne pas foncer chez elle et la secouer comme un prunier pour avoir plus d'informations. 

    Ok maman, alors appelle-moi si tu as besoin et je viendrai bientôt te voir, d’accord ?

     Je raccroche après l’avoir entendu me souhaiter une bonne soirée et c’est sans un mot que je démarre la voiture pour quitter le quartier de notre enfance. 

    Donc, soit c’est l’une des plus grosses coïncidences possibles, soit mon père s’est inventé un alibi pour pouvoir agir à sa guise.

    Son départ coïnciderait avec l’arrivée de la première lettre…  

    Sa voix meurt, il n’y a pas besoin d’en dire plus, dès demain on mettra tout en œuvre pour comprendre ce qui s’est réellement passé ce jour-là. J’appuie sur la pédale d’accélerateur pour rejoindre ceux qui, en quelques jours, ont pris une part étrangement importante dans ma vie.



  • Commentaires

    1
    Samedi 10 Juillet 2021 à 16:39

    Ils vont commencer à rassembler des preuves

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